Lettre intime... un mariage contrarié...

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Capitaine_Charles
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Re: Lettre intime... un mariage contrarié...

Message par Capitaine_Charles »

Lettre intime... un mariage contrarié...

Je vous retranscrit tel quel la seule lettre qui me soit parvenue de mon arrière-grand-mère, mère de ma grand-mère, amie du capitaine Charles. Témoignage intime et émouvant d'une vie bouleversée par la grande guerre, comme des millions d'autres...

« Paris le 23 décembre 1918

Mademoiselle*,

je comprends un peu votre étonnement d'apprendre d'un coup qu'il existait une enfant** de votre frère. La seule faute que votre frère a commise c'est de ne pas vous l'avoir fait savoir lui-même, il attendait pour cela le moment où nous devions nous marier, car à ses 30 jours de convalescence il était venu passer 5 jours chez ma mère où il avait été convenu que le mariage se ferait le mois de décembre. Il devait faire sa demande en arrivant au corps. Sa mort affreuse a détruit toutes nos illusions. Nous connaissions M. Charles depuis sa sortie de St Maixent*** et il était devenu l'ami de la maison, mon mari le Commandant**** l'aimait beaucoup, il était reçu chez nous comme le fils de la maison car mon mari avait à cette époque 63 ans (1902) et à son lit de mort (1908) il nous a confiés à M. Charles et lui a fait promettre de ne jamais nous abandonner. A cette époque, nous n'avions, M. Charles et moi, aucun reproche vis à vis de mon mari, nos relations intimes n'ont commencé qu'après la mort de mon mari quand j'ai appelé M. Charles du Maroc pour venir assister aux derniers moments puisqu'il le réclamait. Tant que mon mari a vécu, nous nous sommes aimés en silence car nous étions jeunes tous les deux, mais jamais nous n'avons trahi mon mari. Vous savez que votre frère était un coeur noble et généreux et foncièrement honnête et que jamais il n'a faillit à ses devoirs et sa mort est un grand malheur pour nous. Avant de repartir au front il m'a fait part de ses dernières volontés. Vous devez savoir qu'il a toujours dit que s'il tombait sur le champ de bataille, qu'il fallait le laisser reposer où il était. Ce sont ces dernières volontés. Alors il est donc reparti le 12 octobre, le 14 il montait en ligne et le 17 octobre il était blessé à 2 heures de l'après-midi et transporté à l'ambulance 204 à Chauny où il est mort dans la huit à 1 heure du matin. C'est le capitaine Surdon qui a été délégué pour ses obsèques. Ce capitaine est en permission à Paris et est venu me voir et m'a tout expliqué sa mort. Il est enterré dans le cimetierre de Chauny. J'ai donc obtenu une autorisation du ministre de la guerre et le 25 décembre j'irai avec sa fillette (Jeanne) prier sur sa tombe et faire mettre une croix et une inscription. Maintenant comme vous ne m'avez pas répondu, je vais être obligée de vous mettre en relation avec mon notaire car vous devez savoir que sa fille est mineure (7 ans) et qu'il fau un conseil de famille. Je sais d'après les volontés de M. Charles que vous devez jouir jusqu'à votre mort de vos biens jusqu'à la limite du possible et qu'à votre mort sa fille héritera. Vous savez qu'elle est héritière directe et si je n'ai pas contrarié les volontés de votre frère c'est que je savais que Jeanne avait droit à la rente de son père et que moi-même j'avais la rente de mon mari. Mais malgré cela je veux que les affaires se passent en règles pour l'avenir de cette enfant car je peux disparaître d'un jour à l'autre et cette enfant restera sans soutien. J'avais cru que vous auriez porté un peu d'amitié sur cette inocente, mais comme mes lettres sont restées sans réponse, je crois comprendre que vous la repoussez ; j'avais cru aussi que nous pourrions pleurer ensemble notre pauvre capitaine mais je vois que je serai obligée de le pleurer seule. Je vais faire dire une messe pour l'âme de notre cher disparu à l'église Ste Marie des Batignolles, notre paroisse, le mardi 7 janvier à 10h du matin, si vous désirez y assister je vous recevrai en amie. Je ne suis pas celle que vous supposez, car je ne veux en rien faire de peine, je crois que vous êtes comme moi, que la mort de votre pauvre frère vous a tellement frappé. Car il me parlait souvent de vous. J'espère avoir une reponse si vous assistez à la messe. La tombe du capitaine Charles a Chauny est le n°5, cimetierre militaire.

Recevez Mademoiselle mes sincères salutations.

Mme Baule*****, 86 rue Lemercier, Paris. »

* lettre adressée à Jeanne CHARLES (1869-1948), soeur du Capitaine CHARLES
** une petite Jeanne qui est ma grand-mère, née en 1911 et décédée en 2003.
*** école nationale militaire des sous-officiers d'active
**** Commandant Etienne François BAULE, né le 13 octobre 1839 à Lyon et mort le 15 avril 1908, chef de bataillon de réserve de l'infanterie de marine. A la retraite en 1898. A fait les campagnes du Sénégal, Cochinchine, Martinique, St-Pierre et Terre-Neuve, Nouvelle-Calédonie et Tonkin. Marié avec Léonie JEAN (second mariage).
***** de son nom de jeune fille, Léonie JEAN.

NOTE : cette lettre intime « de famille » a été déchirée en plusieurs morceaux, puis recollée soigneusement pour être finalement conservée dans les papiers familiaux. C'est la seule lettre de Mme Baule parvenue jusqu'à moi, les autres ont certainement toutes été détruites par la soeur du capitaine Charles, Jeanne. Cela pourra paraître étrange à certains de publier un tel morceau d'intimité, j'en conviens, cependant je pense que les faits sont assez reculés aujourd'hui et les enjeux tellement dérisoires au point de vue familial, que cette lettre au delà du témoignage intime montre bien toutes les conséquences de la grande guerre... Vos réactions sont les bienvenues. PS : je n'ai pas cherché à dissimuler les noms. Evidemment je serais très intéressé pour retrouver la trace de ce fameux capitaine SURDON qui a procédé aux obsèques de mon arrière-grand-père.
Bien amicalement,
Bertrand Hugonnard-Roche
cyrilbanuls
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Re: Lettre intime... un mariage contrarié...

Message par cyrilbanuls »

cet émouvant témoignage rappelle le beau livre les Champs d'honneur et le tragique destin des veuves blanches, fiancées et promises mais jamais mariées.
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