Bonsoir à tous,
— « Souvenirs du Colonel Maire, de la Légion étrangère », recueillis par Jean-Pierre DORIAN, éd. Albin Michel, Paris, 1939, 317 p. (*)
« Ah ! ce " 3e Déménageur ", ainsi que fut baptisé notre Régiment de Marche, brinqueballé, bousculé, chahuté de droite et de gauche, surgissant à point nommé pour boucher un trou ici, remplacer, là, une troupe maladroite, ou jouer, un peu plus loin, le rôle de matelas ou d’amortisseur. Ici, là, ailleurs — partout !
Quel univers bigarré, original, formidable, ne charriait-il pas, ce Régiment, de la Marne à la Somme, tandis que, devenus " mabouls ", les peuples ensemençaient la terre de France d’une graine dont les futurs rameaux devaient, grâce aux diplomates, se transformer en " stylographes " autour des tapis de Versailles et de Genève !
Alors quoi ! C’est pour ce tas de brailleurs, de phonographes en jaquette, qu’on s’est battu, nous à la Légion ?
Ce que nous avons pu rouler, notre bosse, sur les champs de bataille, bourlinguant, drossés par la tempête, engloutis jusqu’au cou, jusqu’au cul, dans la plume sanglante d’où, finalement, nous sommes sortis, la grenade un peu plus haute, mais tabassés, déchiquetés, charcutés — rongés, rougis, rognés et cousus de plaies.
Il y avait là, dans ce " 3e Déménageur ", les représentants (et non des moindres) de toutes les classes de la société.
Depuis le plongeur de chez Maxim’s jusqu’au fils du banquier ou d’ambassadeur, en passant par l’ingénieur, l’acteur de cinéma, le peintre de Montparnasse, l’ébéniste, l’oculiste, le prêtre, le tailleur, le vidangeur, l’instituteur, l’ex-général, pas un échelon social qui ne fût marqué, en 1917~1918, sur le front français, de la petite Grenade Rouge.
Qu’en dites-vous, sympathique Jim Gérald, dont la rondeur et le " gosier en pente " sont parvenus sous forme d’échos (flatteurs, ma foi !) jusqu’à Sidi-bel-Abbès ?
Et vous, Caporal Blaise Cendrars, bagarreur en diable, bouteur de Boches dans les Marais de La Gre-nouillère, vous n’avez pas eu froid au bras, vous, puisque vous en avez laissé un dans cette sacrée fournaise.
Et vous, Archange aux yeux étoilés comme votre drapeau : le " Star Spangled Banner " — levez-vous de votre tombe, jeune et mystérieux Américain. Levez-vous, Alan Seeger. Et dites-nous encore ce poème que vous avez écrit la veille de votre mort, au pied de la colline où la faucheuse vous a étendu comme un épi blond :
" J’ai un rendez-vous avec la Mort
Près de quelque redoute disputée âprement
Quand reviendra le printemps aux ombres mouvantes
Et que les fleurs des pommiers imprégneront l’air.
J’ai un rendez-vous avec la Mort
Quand le printemps ramènera les jours bleus clairs.
Il se peut qu’elle me saisisse la main
Et m’entraîne dans son noir pays,
Me ferme les yeux, éteigne mon souffle.
Il se peut que je l’évite encor.
J’ai un rendez-vous avec la Mort
Sur la pente meurtrie de quelque colline
Quand cette année redeviendra le printemps
Et qu’apparaîtront les fleurs des prairies.
Dieu sait qu’il serait plus doux
De reposer dans la soie, le corps lavé de parfums,
Quand l’amour s’endort en un dernier sanglot,
Cœurs à l’unisson, souffles à l’unisson,
Et qu’apaisés les réveils sont adorables...
Mais j’ai un rendez-vous avec la Mort
A minuit, dans quelque ville en feu,
Quand le printemps, cette année, montera vers le Nord.
Alors, moi, fidèle à la parole donnée,
Je ne manquerai pas ce rendez-vous. " »
(op. cit., p. 194 à 197)
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(*) Fernand Victor MAIRE. Cité à l’ordre de l’armée dans les termes suivants (J.O. 11 juill. 1917, p. 5.405) :« MAIRE (Fernand-Victor), capitaine (active) au régiment de marche de la Légion étrangère : officier vigoureux et plein d’allant. A eu, à la tête de sa compagnie, une superbe attitude au feu, au cours des combats d’avril 1917. (Croix de guerre). »
Il s’agissait des combats d’Aubérive-sur-Suippe des 16 et 17 avril 1917, au cours desquels fut notamment tué le lieutenant de la Légion étrangère :
— GALLOCHIN Lucien Hilaire, né le 24 avril 1886 à Coligny — aujourd’hui Val-des-Marais — (Marne), classe 1903/1906, n° 362 au recrutement de Châlons-sur-Marne (Acte transcrit à Coligny, le 9 août 1917).