Témoignage du soldat CREMER 67e RI, 260e RI et 372e RI

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RIP1915
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Re: Témoignage du soldat CREMER 67e RI, 260e RI et 372e RI

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Jean Cremer classe 1916
Soldat d’Infanterie

Mes souvenirs sur la Grande Guerre
témoignage écrit sur les pages d'un livre ancien du même nom, retrouvé très récemment. Il s'agit de l'arrière grand-père de mon fils.

Dédié à mon fils Jean Cremer avec l’espoir qu’il ne rédige pas de semblables notes. Pax in terra

Le 2 août 1914 appelait les hommes valides, le tocsin, le tambour jetait son lugubre appel.
Les allemands déclaraient la guerre, les visages se contractaient par l’émotion.
La guerre. La guerre.
Le sort en était jeté, des millions d’hommes allaient à la mort, vers la souffrance morale et physique, des espoirs des rêves d’une guerre de courte durée?
La mobilisation de 1914 allait apprendre au peuple de France l’art de s’entre-tuer, aux soldats du monde entier l’implacable loi de la guerre, tuer, tuer, toujours tuer.

Partageant la fougue générale de ceux qui ignorent les atrocités d’un conflit, j’avais le désir de partir dans le plus bref délai, mon rêve fût réalisé, appel de la classe 14. Ceux qui apprirent à être soldat en 3 semaines et furent dirigés sur le front, puis la classe 15 qui me fit comprendre que mon tour approchait.
Le mois de décembre 1914 certifiait mes pronostics, un appel à comparaitre devant le conseil de révision m’était notifié, mes 18 ans ma taille 1 m 57 mon poids 57 kilos me classait bon pour le service armé, et le 9 avril 1915 je me présentais à la caserne du 147 d’infanterie à Saint Nazaire Loire Inferieure où je fus accueilli amicalement par un capitaine qui me demanda si j’avais amené mon biberon? Puis ce fut l’habillement pantalon rouge, capote etc., le tout trop long et trop large mais à la guerre comme à la guerre il fallait s’en accommoder.
De temps à autre les bleus passaient leur vêtements ou équipement pourtant bien mal en point aux anciens de la classe 1915 qui partaient au front.
Quelques mois de maniement d’armes, puis ce fut le grand évènement, la classe 1916 était appelée à se rapprocher du front.
La mangeuse d’hommes nous tendait les bras, ce fut la nouvelle tenue bleu horizon, les 120 cartouches, le sac complet, plus les grenades.

Le 6 décembre 1915, nous entendions le canon, quelques semaines pour mettre dans l’ambiance les futurs tués ou blessés et en avant pour l’horrible boucherie.
La classe 1916 était mure et à point pour continuer la tragédie affectée à la 2ème Compagnie du 67ème Régiment d’Infanterie.
Je vis les premiers morts au ravin et tunnel de Tavannes à Verdun, le bois Ti (?) les batteries de Damloup, 4 jours en 1ère ligne et plus de huit cent hommes hors de combat.
En réserve au fort de la Chaume où les obus ne cessaient leurs carnages même pour ceux qui se croyaient à l’abri, ensuite la ligne d’Avocourt, Bethincourt, et de nouveau les batteries de Damloup enfin nous quittons Verdun le charnier pour le grand repos, hommage aux braves !
Le régiment cité à l’ordre de l’armée recevait la fourragère et allait se reposer en rendant les honneurs aux officiers du Grand ( ?) à Chantilly.
Puis ce fut la Somme, Curlu Bouchavesnes où pendant 3 mois nous fumes dans la boue, dans le sang, voltigeur, grenadier, nettoyeur de tranchées, coureur, telles furent mes fonctions.
Des morts toujours des morts.
Le Commandant Gouraud, notre chef de bataillon, fut tué au mois d’octobre 1916, le Colonel Girardun et le Général Giraudin tués dès le début de l’action en visitant les positions au mois de septembre.
Enfin le dur labeur du ravitaillement plus de douze kilomètres aller-retour sous les tirs de barrages, les cadavres entre les lignes, toujours la même chose sans aucun changement exception faite des camarades de la veille et alignés pour l’éternité, enterrés et déterrés par la mitraille.

Le 25 décembre 1916 nous fumes relevés après être resté 45 jours sans changer de linge.
J’offris à ma mère réfugiée à m( ?) (Aude) la plus belle collection de poux qu’il soit possible d’imaginer à l’occasion de ma permission de détente.

Après un repos compensateur, nous fîmes à pieds le trajet de la Somme à l’Aisne où nous attendait le chemin des Dames.
Première relève en Janvier 1917, par 25 en dessous de zéro, les territoriaux morts de froid aux créneaux.
Le dégel et de nouveau les pilonnages, blessés, morts jusqu’au 16 février ou à mon tour je restai couché sur le terrain touché par éclats de torpilles touché au thorax, à la cuisse droite et à l’avant-bras droit, la croix de guerre me fut remise sur le brancard sur la ligne par le lieutenant de renseignement du 67ème auquel je transmettais mon observation en qualité d’observateur de la 2ème Compagnie. Ambulance de F ( ? ), sous les obus, train sanitaire et ambulance de Masgrigny (Aube) enfin l’ évacuation vers l’intérieur à Tulle (Corrèze)
Convalescence d’un mois et bon pour les deux fronts

Départ pour l’armée d’Orient à bord du Château Henault, croiseur de ligne, arrivée à Itea (Grèce) après la traversée de l’Italie par voie ferrée affectation au 260ème d’Infanterie, front de Monastir.
Changement de décors tenue de toile et casque en liège, chaleur torride de la Macédoine, les cimetières s’emplissent par le fait des épidémies de paludisme, dysenterie et scorbut, le ravitaillement est exécrable, les lettres mettent plus d’un mois à nous parvenir, tranchées de Monastir, et avant-postes en Albanie, chaleur et froid la guerre continue.
Attaque de la vallée du Kénali, occupation des pays. Sesurez- Hundistéa (?) la brêche de Longa, puis les lacs de Prespa (?) et d’Aerhida (?), changement de régiment affecté à la 6ème Compagnie de mitrailleuse du 372ème Régiment d’Infanterie attaque de la griffe et avance en compagnie des Comi( ? ) macédoniens.
La compagnie de mitrailleuse est isolée et perdue dans les montagnes frontière de la Serbie et albanaise, treize camarades morts de faim et de toute privation, puis vient le secours, le ravitaillement, la prise de la 1ère ville serbe –Ocherida ( ? ), où nous fumes reçus par les popes et les jeunes filles serbes vêtues de blancs, confirmation des opérations ou nous apprenons la demande d’ armistice du gouvernement bulgare, Armistice.
Joie mais pas de ravitaillement ce jour là, dans la neige jusqu’au ventre.
Avance en Bulgarie et occupation.

Miracle : le 11 novembre 1918, le dernier coup de fusil est tiré à 11 heures.

Retour en France et démobilisation de la classe 1916 septembre 1919.
4 ans et 4 mois de service.
3 ans de front, blessé grièvement, fièvre paludéenne.
Un million cinq cent mille morts entre le premier appel aux armes le 2 août 1914 et la cessation des hostilités le 11 novembre 1918 à 11 heures.
Des amputés, des gazés, des cadavres ambulants œuvres d’une civilisation du vingtième siècle.
Nous n’avons qu’un ennemi.
La France (empereur Guillaume 1914)
Ennemi héréditaire de l’Allemagne.
La France (Hitler 1935)

Si les hommes sont des sauvages, je garde l’espoir qu’un dieu juste ferait plutôt un nouveau déluge, plutôt que de permettre le renouvellement de cette sanguinaire boucherie humaine

Jean Cremer

Décoré de :
La croix de guerre
La médaille des blessés
La médaille d’Orient
La médaille de Serbie
La médaille Int ( ? )
La médaille commémorative
La médaille de Verdun
La croix du combattant
Oublier, c'est être condamné à répéter.
www.lamaindemassiges.com



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