Re: Début de campagne de Denis Gerrand du 131e d'infanterie
Publié : mer. nov. 19, 2008 1:36 pm
Bonjour,
Voici la transcription des pages écrites par le soldat de 2e classe Denis Gerrand du 131e Régiment d'Infanterie ; le 131e R.I. appartient alors à la 9e D.I.
Qu'ici soient remerciés M. Rhein qui est en possessions du carnet et M. Eric Mansuy qui s'emploie à assurer sa diffusion.
Bonne lecture :
Gerrand Denis (Classe 1908). –
– 131e Régiment d’Infanterie . –
Mobilisation le 1er août 1914. Ordre d’appel au 131e de ligne le 2e jour. Caserne Coligny, Orléans. Passé la nuit sur un demi-fagot de paille dans l’escalier. Le lendemain matin réveil de très bonne heure, deux ou trois heures se passent, et habillé en tenue de départ pour la campagne, passe une autre nuit à Orléans, et le lendemain départ pour une ville inconnue. Enfin au bout de deux ou trois jours arrivée à Lérouville près de Saint-Mihiel, débarquement et nous cantonnons à Saint-Mihiel plusieurs jours. De là nous séjournons à Génicourt, Haudainville, Etain, Gincrey, Grémilly, Billy-sous-Mangiennes, Romagne-sous-les-Côtes, et de là nous recevons l’ordre de nous transporter du côté de Longuyon.
Départ de très bon matin, cette journée fut accablante pénible, car la chaleur fut très accablante, et il y avait une cinquantaine de kilomètres à faire, nous dépassons Longuyon, Tellancourt, et nous arrivons à St-Pancré. C’est là que nous recevons le baptême du feu, nous passons vraiment une nuit tragique.
Le lendemain de très bon matin nous avançons avec de grosses pertes, mais arrive un moment où que l’on ne peut plus avancer car l’ennemi nous attendait dans des tranchées très confortables, et nous recevons l’ordre de battre en retraite, et de nous retirer sur Longuyon. Cantonné au soir dans un petit village, et là comme le 131e avait subi beaucoup de pertes, le régiment est renforcé par un dépôt qui vient d’arriver et un ordre vient de nous diriger sur Cunel, Cierges, et là nous combattons avec acharnement, mais l’ennemi étant en trop grand nombre, nous sommes obligés de reculer. Nous passons à Nantillois, Montfaucon, Varennes, Boureuilles, Neuvilly, Clermont, Foucaucourt, Triaucourt, Vaubécourt, Lisle-en-Barrois, à Vavincourt, mais là survint un ordre que coûte que coûte fallait tenir en respect les troupes ennemies.
Dans cette retraite ce qui était vraiment horrible, c’était de voir, de pauvres vieillards, petits enfants de tout âge, femmes, matériel de literie, qui étaient transportés par de grands chariots attelés de plusieurs chevaux, ou même de pauvres femmes traînant leur voiture à bras.
Nous combattons avec acharnement et nous avançons sous le feu de nos 75 qui nous préserve beaucoup. L’ennemi est obligé de reculer et nous le poursuivons sans cesse avec des combats acharnés sur Génicourt, Condé, Louppy-le-Petit et Louppy-le-Château ; de ces pauvres pays il ne reste plus rien et ce n’est qu’un amas de pierre et de ruines. Après ces violents combats notre régiment a éprouvé beaucoup de pertes, et nous avons repos ce qui est un repos bien gagné. L’on y séjourne pendant deux jours, mais un ordre survint qu’il fallait repartir et de nous diriger sur Villotte, Lisle-en-Barrois, Vaubécourt, Triaucourt et Clermont-en-Argonne. Mais là l’ennemi oppose beaucoup de résistance et ce n’est qu’après une charge à la baïonnette que nous enlevons le pays des mains des Allemands, et de là ils se retirent dans la forêt de l’Argonne qui est très accidentée. Ils se sont fait des tranchées très confortables, et ce n’est que par cent mètres que nous y enlevons plusieurs positions. Après ce fameux combat de Clermont, nous rentrons dans la forêt et là nous y restons pendant 23 jours dont nous avons subit plusieurs attaques qui se sont faites avec un très grand acharnement.
Nous sommes relevés de l’Argonne et nous venons en repos aux Islettes, l’on y reste qu’une seule journée, et de là nous nous dirigeons sur Jubécourt en passant par Brabant. Et nous y séjournons pendant plusieurs jours, dont nous avons été vaccinés contre la typhoïde.
Dans l’intervalle survint un ordre qu’il fallait retourner dans les tranchées. Ce jour là repos et on nous donne des vivres de réserve et en route pour Vauquois. Nous marchons toute la nuit, et nous arrivons seulement aux tranchées qu’à 6 heures du matin.
De temps en temps, nous entendons le sifflement des balles, nous étions très tranquilles dans ces tranchées, tout à coup arrive un percutant contre la tranchée, blesse le caporal de mon escouade, et pour moi ainsi que quatre de mes camarades, nous en avons été quitte pour recevoir une bonne poignée de terre par la figure. Nous y séjournons que quatre jours, et nous sommes relevés par le 113e de ligne ; et de là nous sommes employés à faire une route, et nous cantonnons à Aubréville. Les autres bataillons nous rejoignent au repos jusqu’au 1er décembre ; et nous apprenons que le départ était fixé à 7 heures du matin, et nous retournons sur Vauquois dont nous restons en réserve jusqu’au 4 décembre dans des cabanes très confortables.
Dans l’intervalle survint un ordre qu’il fallait faire l’attaque de Vauquois. Nous touchons vivres de réserve de toutes sortes et en route sur Vauquois.
Nous marchons dans les bois pendant 2 heures et l’on arrive à terrain découvert, l’on se déploie et on marche en tirailleurs à de grandes intervalles sous le feu de la mitraille qui ne cesse de cracher. Hélas beaucoup de mes camarades tombent et nous gagnons les hauteurs de Vauquois, mais aucune tranchée n’était faite, et ce n’est que sous le feu de l’ennemi que nous les avons faites. Le lendemain contre-attaque, amis l’ennemi étant en trop grand nombre, nous devons nous replier dans nos tranchées.
Dans la nuit du 14 au 15 relève du bataillon, pour moi, je me traîne comme je peux jusqu’au poste de secours en attendant une voiture, car je ne peux marcher, j’ai les pieds gelés, et de là je suis évacué sur Neufchâteau et l’on me dirige dans le Midi à l’hôpital de La Loubière près Toulon où je fus admirablement soigné par les Dames de la Croix-Rouge dont j’emporterai de bons souvenirs et que je me souviendrai toute ma vie.
Denis Gerrand, le 7 avril 1915.
Faye-la-Vineuse
Par Richelieu (Indre-et-Loire)
Voici la transcription des pages écrites par le soldat de 2e classe Denis Gerrand du 131e Régiment d'Infanterie ; le 131e R.I. appartient alors à la 9e D.I.
Qu'ici soient remerciés M. Rhein qui est en possessions du carnet et M. Eric Mansuy qui s'emploie à assurer sa diffusion.
Bonne lecture :
Gerrand Denis (Classe 1908). –
– 131e Régiment d’Infanterie . –
Mobilisation le 1er août 1914. Ordre d’appel au 131e de ligne le 2e jour. Caserne Coligny, Orléans. Passé la nuit sur un demi-fagot de paille dans l’escalier. Le lendemain matin réveil de très bonne heure, deux ou trois heures se passent, et habillé en tenue de départ pour la campagne, passe une autre nuit à Orléans, et le lendemain départ pour une ville inconnue. Enfin au bout de deux ou trois jours arrivée à Lérouville près de Saint-Mihiel, débarquement et nous cantonnons à Saint-Mihiel plusieurs jours. De là nous séjournons à Génicourt, Haudainville, Etain, Gincrey, Grémilly, Billy-sous-Mangiennes, Romagne-sous-les-Côtes, et de là nous recevons l’ordre de nous transporter du côté de Longuyon.
Départ de très bon matin, cette journée fut accablante pénible, car la chaleur fut très accablante, et il y avait une cinquantaine de kilomètres à faire, nous dépassons Longuyon, Tellancourt, et nous arrivons à St-Pancré. C’est là que nous recevons le baptême du feu, nous passons vraiment une nuit tragique.
Le lendemain de très bon matin nous avançons avec de grosses pertes, mais arrive un moment où que l’on ne peut plus avancer car l’ennemi nous attendait dans des tranchées très confortables, et nous recevons l’ordre de battre en retraite, et de nous retirer sur Longuyon. Cantonné au soir dans un petit village, et là comme le 131e avait subi beaucoup de pertes, le régiment est renforcé par un dépôt qui vient d’arriver et un ordre vient de nous diriger sur Cunel, Cierges, et là nous combattons avec acharnement, mais l’ennemi étant en trop grand nombre, nous sommes obligés de reculer. Nous passons à Nantillois, Montfaucon, Varennes, Boureuilles, Neuvilly, Clermont, Foucaucourt, Triaucourt, Vaubécourt, Lisle-en-Barrois, à Vavincourt, mais là survint un ordre que coûte que coûte fallait tenir en respect les troupes ennemies.
Dans cette retraite ce qui était vraiment horrible, c’était de voir, de pauvres vieillards, petits enfants de tout âge, femmes, matériel de literie, qui étaient transportés par de grands chariots attelés de plusieurs chevaux, ou même de pauvres femmes traînant leur voiture à bras.
Nous combattons avec acharnement et nous avançons sous le feu de nos 75 qui nous préserve beaucoup. L’ennemi est obligé de reculer et nous le poursuivons sans cesse avec des combats acharnés sur Génicourt, Condé, Louppy-le-Petit et Louppy-le-Château ; de ces pauvres pays il ne reste plus rien et ce n’est qu’un amas de pierre et de ruines. Après ces violents combats notre régiment a éprouvé beaucoup de pertes, et nous avons repos ce qui est un repos bien gagné. L’on y séjourne pendant deux jours, mais un ordre survint qu’il fallait repartir et de nous diriger sur Villotte, Lisle-en-Barrois, Vaubécourt, Triaucourt et Clermont-en-Argonne. Mais là l’ennemi oppose beaucoup de résistance et ce n’est qu’après une charge à la baïonnette que nous enlevons le pays des mains des Allemands, et de là ils se retirent dans la forêt de l’Argonne qui est très accidentée. Ils se sont fait des tranchées très confortables, et ce n’est que par cent mètres que nous y enlevons plusieurs positions. Après ce fameux combat de Clermont, nous rentrons dans la forêt et là nous y restons pendant 23 jours dont nous avons subit plusieurs attaques qui se sont faites avec un très grand acharnement.
Nous sommes relevés de l’Argonne et nous venons en repos aux Islettes, l’on y reste qu’une seule journée, et de là nous nous dirigeons sur Jubécourt en passant par Brabant. Et nous y séjournons pendant plusieurs jours, dont nous avons été vaccinés contre la typhoïde.
Dans l’intervalle survint un ordre qu’il fallait retourner dans les tranchées. Ce jour là repos et on nous donne des vivres de réserve et en route pour Vauquois. Nous marchons toute la nuit, et nous arrivons seulement aux tranchées qu’à 6 heures du matin.
De temps en temps, nous entendons le sifflement des balles, nous étions très tranquilles dans ces tranchées, tout à coup arrive un percutant contre la tranchée, blesse le caporal de mon escouade, et pour moi ainsi que quatre de mes camarades, nous en avons été quitte pour recevoir une bonne poignée de terre par la figure. Nous y séjournons que quatre jours, et nous sommes relevés par le 113e de ligne ; et de là nous sommes employés à faire une route, et nous cantonnons à Aubréville. Les autres bataillons nous rejoignent au repos jusqu’au 1er décembre ; et nous apprenons que le départ était fixé à 7 heures du matin, et nous retournons sur Vauquois dont nous restons en réserve jusqu’au 4 décembre dans des cabanes très confortables.
Dans l’intervalle survint un ordre qu’il fallait faire l’attaque de Vauquois. Nous touchons vivres de réserve de toutes sortes et en route sur Vauquois.
Nous marchons dans les bois pendant 2 heures et l’on arrive à terrain découvert, l’on se déploie et on marche en tirailleurs à de grandes intervalles sous le feu de la mitraille qui ne cesse de cracher. Hélas beaucoup de mes camarades tombent et nous gagnons les hauteurs de Vauquois, mais aucune tranchée n’était faite, et ce n’est que sous le feu de l’ennemi que nous les avons faites. Le lendemain contre-attaque, amis l’ennemi étant en trop grand nombre, nous devons nous replier dans nos tranchées.
Dans la nuit du 14 au 15 relève du bataillon, pour moi, je me traîne comme je peux jusqu’au poste de secours en attendant une voiture, car je ne peux marcher, j’ai les pieds gelés, et de là je suis évacué sur Neufchâteau et l’on me dirige dans le Midi à l’hôpital de La Loubière près Toulon où je fus admirablement soigné par les Dames de la Croix-Rouge dont j’emporterai de bons souvenirs et que je me souviendrai toute ma vie.
Denis Gerrand, le 7 avril 1915.
Faye-la-Vineuse
Par Richelieu (Indre-et-Loire)