L'offensive du bois de la Folie, septembre 1915

Parcours individuels & récits de combattants
Avatar de l’utilisateur
Xavier_76
Messages : 261
Inscription : ven. nov. 24, 2006 1:00 am
Localisation : Le Havre / Normandie

Re: L'offensive du bois de la Folie, septembre 1915

Message par Xavier_76 »

Rebonjour à tous,

Sur le même sujet, je vous invite à consulter les lettres de Paul Andrillon, Caporal à la 12e Cie du 119e, blessé le 25 Septembre 1915 ainsi que son journal mis en ligne par Benoit

Petit Extrait du Journal : http://pagesperso-orange.fr/119RI/journalandrillon.html

21 septembre

Embarquement dans les autos pour Acq, d’où nous partons à la nuit pour les tranchées. Nous terminons les sapes pour l’attaque prochaine.

22…Travaux de sape ; notre artillerie arrose constamment les tranchées boches.

23…A minuit nous retournons à Acq dans un piètre état cause de boue.

24…A la tombée du jour retour aux tranchées où nous arrivons couverts de boue en 1ere ligne.

25…Bombardement effrayant de notre artillerie toute la matinée ; vers 11h nous occupons les sapes, le spectacle est superbe, de tout les points de la plaine nos pièces font rage, impossible de rien distinguer chez les Boches, ce n’est que fumées, tout le monde a confiance dans l’issue de l’attaque.

Ci dessus, croquis de l'attaque du 25 septembre 1915 au Bois de la Folie, et des mouvements prévus les jours suivants. Dessiné par Paul Andrillon dans la tranchée.

Vers 12h 1/4 on m’envoie couper le réseau de fils de fer à 5m de la tranchée, personne ne me tire dessus. Du côté de Neuville les pompiers arrosent les Boches avec du liquide enflammé ; 12h 1/2 : en avant. A peine sorti, les mitrailleurs Boches de 1ere ligne nous arrosent d’une pluie de balles. Je parcours 10 mètres debout et m’effondre comme un paquet de linge sale knock out.

Comme je ne suis que légèrement touché au bras et à la jambe, je ne perds pas de temps et me traîne jusqu’au bord de la tranchée où mon lieutenant me réceptionne et me dépose délicatement au fond. Sans trop de difficulté j’arrive au poste de secours où on m’expédie à l’arrière ; ma jambe s’engourdit et j’arrive très fatigué aux voitures d’ambulance (ferme de Berthonval) d’où on m’emmène à Hte Avesnes.


Plan de l'attaque dessiné par Paul Andrillon :
Image

Petit extrait de sa correspondance : http://pagesperso-orange.fr/119RI/corre ... illon.html
Lettre du 26/9/1915 à sa famille :

Donc hier après un bombardement d’une violence telle que je n’ai jamais rien de vu pareil, 5 minutes avant l’attaque, je suis allé couper notre réseau de fils de fer, personne ne me tirant dessus y a eu tout a fait bon.
Quand on est parti à l’assaut, j’étais en tête de la section avec l’ami Campserveux. Ces salauds de Boches avaient plusieurs mitrailleuses en face de nous, qu’est ce qu’ils nous ont mis ! Après avoir fait 4 ou 5 mètres à 4 pattes, Campserveux et moi énervés par cette fusillade nous sommes levés, et en avant quand même. Je n’ai pas fait plus de 10 mètres, et patatras les 4 fers en l’air.

Lettre reçu le 13/10/1915 écrit par Lardier du 119e

Quand à moi cela va à merveille, j’ai bien tiré ma peau ainsi qu’Henri, nous sommes les seuls survivants à l’escouade plus Mattel et Letellier mais tu le sais ils étaient restés à Acq. Legras est tué ainsi que ce pauvre Pagès, Lechat, Proz et bien d’autres qu’il serait trop long a énumérés. Campserveux a la médaille militaire et promu sous lieutenant, pour ma part je viens d’être présenté au commandant pour passer cabot.

Quand nous avons été relevés l’effectif était 47 poilus. Je pense que tu dois le savoir nous sommes montés 2 jours après à environ 30 mètres du bois de la folie qu’est ce qu’ils ont pris les boches.
Retour à plat ventre, poste de secours, transport en auto dans une ambulance de l’avant, et aujourd’hui évacuation.


Et une petite dernière :

Mon cher ami, je n’ai reçu que ce matin votre lettre du 28 septembre. Elle est revenue du front, puis du dépôt me retrouver à Caen où je suis depuis le 3 octobre. J’ai échappé aux balles et aux obus à la première attaque mais le lendemain j’ai été à moitié asphyxié par le gaz et ai bien failli passer l’arme à gauche tout de même. A l’ambulance on a dû me faire dans l’espace de 12 heures 3 piqûres de caféine, autant d’Ether et autant d’huile camphrée et le major est revenu voir dans la nuit si je n’avais pas dévissé mon billot. Enfin après 5 jours passés à l’ambulance d’Hermonville on m’a jugé transportable et depuis je suis ici où ma mère est venue à mon chevet. Ca va mieux, je commence à me lever mais j’ai encore les poumons très pris et il parait que j’en ai pour plusieurs mois à me remettre, tant mieux, ce n’est pas un mal par le temps qui court. Car, mon pauvre ami, j’ai gardé un bien triste souvenir de notre attaque du 25 et pourtant vous savez si on y allait de bon cœur. Vous avez peut-être eu des détails à ce sujet. En tous cas voici ce qui s’est passé. A peine sorti je vous ai vu atteint au poignet gauche que vous vous teniez, puis j’ai vu Pontif qui devant moi venait de recevoir une balle dans le rein mais qui a pu regagner la sape. Je file doux avec Campserveux et le capitaine m’attendant à chaque instant à être descendu, on s’arrête un moment pour envoyer quelques coups de fusil sur les créneaux boches puis on repart en avant. Mais nous étions à ce moment là presque seuls. La compagnie fauchée par les mitrailleuses était couchée dans la plaine et les survivants n’avançaient plus. Nous avons alors gagné un trou d’obus où de Buquière, Agnès, Linant, et deux hommes sont venus nous rejoindre. De là nous étions à 25 mètres des postes et nous nous mîmes à les canarder. J’ai dû en descendre un à travers un créneau mais au bout de quelques minutes un des hommes qui tirait à coté de moi reçoit de derrière une balle qui lui décalotte le crâne. C’était des types de chez nous qui affolés nous prenaient pour des Boches et allaient nous esquinter. Le piston nous fit nous planquer et à ce moment arriva l’ordre de nous replier en raison des pertes trop lourdes du régiment. C’est en se repliant que ce pauvre Pagès a été tué. Il reçut d’abord une balle dans les fesses, puis deux balles dans le côté. La deuxième était mortelle. Quant à nous, il était près de 7 heures du soir quand nous quittâmes notre trou où nous avions essuyé tout l’après midi le bombardement et la fusillade de ces salauds là, je quittai le trou le dernier. Quel spectacle mon pauvre vieux. Notre ligne de tirailleurs était jalonnée par les morts et quand on fit l’appel le lendemain matin nous restions à 47 et 3 officiers. Proz (s/Lieutenant) avait été tué net, Lechat aussi. A la section Pagès, Pluet, Delalande, le petit Dudul, et plusieurs autres étaient tués. Depuis je ne sais ce qui s’est passé. J’ai reçu ce matin un mot très court de Campserveux qui est bien aise d’être sorti de la fournaise et qui a reçu la médaille militaire dans les tranchées. Il va m’écrire plus longuement me dit-il, mais peut-être avez-vous eu aussi des nouvelles de votre côté. J’espère que vos blessures et surtout vos pansements ne vous font pas trop souffrir et suis heureux de vous savoir royalement installé vous le méritez bien.

Moi je suis très bien soigné ici et je commence à avoir la respiration un peu plus facile. Mais j’ai eu et on me fait encore tellement de piqûres sur les cuisses que j’ai mes pauvres jambes bien douloureuses. Enfin cela vaut encore mieux que d’être là-bas n’est-ce pas ? Allons mon cher Andrillon, nous nous reverrons au dépôt dans quelques mois à moins que ce ne soit fini ou que je ne passe dans les interprètes, ce que j’essaierai probablement car vous savez l’infanterie j’en ai vu assez.


D'autres lettres sont accessible à cette page : http://pagesperso-orange.fr/119RI/corre ... illon.html

Un très grand merci à Benoit qui a mis la correspondance de son grand oncle sur notre site internet du 119e RI

Amicalement

Xavier
Mes recherches : le 119e RI
Le site du 119e RI : http://pagesperso-orange.fr/119RI
denis33
Messages : 1291
Inscription : sam. janv. 05, 2008 1:00 am

Re: L'offensive du bois de la Folie, septembre 1915

Message par denis33 »

Bonjour à toutes et à tous.
Alors là chapeau !!! Vraiment passionnant à lire. Merci à Vincent et à Xavier, on en redemande encore...
Bien cordialement.
Denis.
Avatar de l’utilisateur
vincent le calvez
Messages : 1360
Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am

Re: L'offensive du bois de la Folie, septembre 1915

Message par vincent le calvez »

Bonjour à tous,

Merci Xavier pour ces perles ! Merci aussi à Benoît pour son énorme de travail.

Continuons dans les tranchées de Neuville-Saint-Vaast avec la journée du 26 septembre 1915.

Le 26 septembre

La nuit du 25 au 26 se passe sans incident. De 21 heures à 4 heures du matin, il pleut ; aussi boyaux et tranchées sont-ils transformés en marécages. Cependant, grâce aux abris de P.4, les hommes ont pu prendre quelque repos et dormir. Les vivres de réserve ont été entamés, mais la soif dessèche la gorge ; aucune corvée n’a pu être envoyée vers l’arrière. Du côté de la Folie, le champ de bataille donne l’impression d’être vide. Les fanions rouges ne se balancent plus. Par contre devant P.40, tout homme qui se montre est immédiatement abattu. Les Allemands tiennent toujours. A 17 heures, les compagnies reçoivent l’ordre d’évacuer P.4 Conduites par d’insaisissables guides, les unités s’ébranlent vers l’arrière en obliquant légèrement vers Neuville. Selon toutes les apparences, le bataillon va contourner la résistance des Cinq-Chemins et être jeté dans la brèche faite la veille.
La manœuvre prévue s’exécute. Ce brusque demi-tour permet un instant de regarder en face le soleil couchant qui s’incline là-bas vers l’Ouest, vers les terres bénies du grand repos et de la calme paix. Cette vision écarlate retient de longs instants les yeux. Insensiblement la marche s’est ralentie.
Au fur et au mesure que la colonne s’approche de la route de Béthune, l’encombrement des boyaux s’accuse. Il faut en particulier, croiser d’interminables corvées pliant sous le poids des torpilles. Voici le chemin des pylônes. Tout un régiment, le 405e, y est rassemblé. De nombreux blessés attendent. Les compagnies ne cessent d’être morcelées par des mouvements contraires. Des escouades s’égarent. Ça ne suit pas !

Vers 18 heures, le bataillon débouche dans le chemin des Carrières. Allemands et Français ont transformé ce pauvre sentier des champs en une véritable tranchée de chemin de fer où trois trains pourraient passer de front et dont les parois creusées en excavation profondes dissimulent de nombreux abris, points de rendez-vous des postes de commandement et des postes de secours. A la porte de ces abris, des groupes d’hommes déséquilibrés et bruyants se pressent dans le plus grand désordre. Personne ne fait la police. Au milieu des blessés qui passent, les morts à terre, recouverts le plus souvent d’une toile de tente sont mêlés aux vivants. Derrière la crête de Vimy, un drachen ennemi semble jouir du spectacle. C’eût été une boucherie sans nom, si l’artillerie allemande, heureusement mal remise des rudes coups de la veille et de l’avant-veille, était rentré en action !
Cette fois, après un brusque changement de direction le bataillon s’aiguille vers l’avant, vers les Cinq-Chemins. A vive allure, les unités se rapprochent de la première ligne. La voici, bouleversée, saccagée, maculée de chiffons sanglants, jonchée de débris de toutes sortes. Une première barricade de sacs à terre est franchie au pas de course, puis, après un no man’s land que cent chevaux de frise encombrent, une seconde éventrée sur toute sa longueur.
Quand le bataillon pénètre dans cette partie du secteur, enlevée de haute lutte, il fait presque nuit. Les sections s’engouffrent dans une tranchée allemande, la première ligne ennemie sans doute, lourde encore de l’odeur du Boche. Chose extraordinaire, tout y est en place, niches à munitions, créneaux métalliques, sacs à terre. L’artillerie française l’a épargnée. Il est visible pourtant que ses occupants ne sont pas partis de leur plein gré. Sur les parapets, de nombreux objets, mausers, chargeurs, capotes feldgrau portant le numéro 51, marmites, outils, grenades à manche, sont à la dérive.
Le bataillon ignore où il va : l’allure ralentit de plus en plus. On s’arrête, puis tout à coup la colonne stoppe. Un commandement retentit dans l’obscurité : « Baïonnette au canon ! » suivi bientôt d’un contre-ordre. La série des hallucinations commence. Un blessé allemand, frôlant les parapets, se faufile vers l’arrière. Certains veulent lui faire un mauvais parti. Il faut empêcher un geste stupide… Profitant de cet arrêt, les officiers se cherchent, se retrouvent et se parlent. Depuis trois jours, il n’a pas été possible s’échanger un mot d’une compagnie à l’autre.

A 22 heures, le bataillon est toujours bloqué en colonne par un dans la tranchée allemande. Les uns pour se dégourdir les jambes, les autres pour s’orienter, se hissent sur les bermes glissantes. Quelques fusées ennemies pointent vers l’Est et le Nord ; leur point de lancement paraît assez éloigné . Les lueurs qu’elles projettent permettent de contempler la plaine. Tout le terrain derrière la première ligne allemande n’est qu’une immense zone lunaire parsemée de bosses et de trous. Un ouragan est passé par là. Les fils de fer sont pulvérisés. De nombreux cadavres de soldats du 24e sont étendus et froids au milieu d’objets les plus divers. Le spectacle de ce champ de bataille livide, figé dans la mort, serre d’autant plus le cœur que d’invisibles appels dans la nuit réclament à boire ou du secours.
Tout à coup, des ombres s’agitent du côté de l’ennemi. Au cri de : « Halte-là », lancé par un sous-officier, personne ne répond. Serait-ce une contre-attaque ? Dans un remous étouffé et plein d’angoisse, les fusils s’ajustent sur les parapets. Dans moins d’une seconde, une décharge hurlante va trouer la nuit .
« France ! 28 ! » La troupe qui s’avance en colonne par quatre est là 11e compagnie ! Une effroyable méprise est évitée de justesse.


Bonne journée

Vincent
Site Internet : Adolphe Orange du 28e RI http://vlecalvez.free.fr
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
humanbonb
Messages : 1950
Inscription : ven. juil. 08, 2005 2:00 am

Re: L'offensive du bois de la Folie, septembre 1915

Message par humanbonb »

Bonsoir et,
Merci à tous pour ces fabuleux témoignages qui sont des plus passionnants à lire. Les quelques fiches MPLF et autres dessins sont tous aussi interessants.

Bonne soirée à tous.
Cordialement Julien.
Avatar de l’utilisateur
vincent le calvez
Messages : 1360
Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am

Re: L'offensive du bois de la Folie, septembre 1915

Message par vincent le calvez »

Bonjour à tous,
Merci Julien pour ton message.

27 septembre 1915 :

Voici le plan de l'article. On peut y voir notamment la localisation des ouvrages allemands ainsi que le parcours du groupe des 11e et 12e compagnies du régiment.

Image

Les récits postés par nos amis Benoit et Xavier se déroulent sur la partie haute de la carte au nord de l'ouvrage 123.

Continuons avec le récit :

"Le 27 septembre

0 heure – Voici le capitaine F… [Frémont] Depuis la mort du commandant H…[Hislaire], c’est lui qui a pris le commandement du bataillon. Il annonce qu’un coureur vient de lui apporter l’ordre d’attaquer. Le capitaine F… [Frémont] est un officier dont la force de caractère et le coup d’œil sur le terrain sont légendaires au régiment. Il jouit de la confiance de tous.
« Attaquer, soit, mais où sommes-nous et où l’ennemi ? » murmure-il.
Plusieurs commandants de compagnie l’entourent. Chacun s’efforce de scruter les ténèbres. Par malheur, le ciel est complètement voilé, et les fusées allemandes lancées d’on ne sait où, se font de plus en plus rares.
« L’ennemi est là, dit le capitaine F… [Frémont], le bras tendu dans la direction du Nord-Est. Nous allons prendre notre position de départ et démarrer ensuite. »
L’ordre est immédiatement exécuté. Les compagnies, depuis longtemps immobiles, escaladent les parapets, sortent de la tranchée, se déploient en terrain libre.
« Baïonnette au canon ! » Dans le plus grand silence, les sections s’ébranlent, progressent, enjambant morts et blessés. Combien de mètres ont été ainsi parcourus ? Nul ne le saura jamais… ! Soudain la première vague hésite et s’arrête. Un immense fossé noir barre la progression du bataillon. C’est un chemin creux (1). Le capitaine F… [Frémont] ne veut pas engager son unité dans ce gouffre sans l’avoir fait reconnaître.
Une patrouille envoyée aussitôt signale que le chemin est inoccupé. D’un bloc, le bataillon s’y porte et se déploie le long du rebord opposé. On remet de l’ordre dans les unités ; les serre-files reprennent leur place. Après ce court répit, toute la ligne va surgir de cette base de départ et s’avancer au coude à coude sur l’ennemi.
Pendant que ces mouvements préparatoires s’exécutent, le capitaine F… [Frémont] et le lieutenant C… [Chéron], commandant la 12e Compagnie, que cette situation extraordinaire inquiète, se sont détachés résolument en avant et écoutent. Des balles sifflent ; des fusées allemandes s’élèvent. Chose curieuse, ces fusées ne sont pas dirigées vers l’est, vers le bataillon, mais vers l’ouest ; de plus, les balles qui passent ne font pas le bruit caractéristique des projectiles allemands.
Aucun doute n’est possible : l’ennemi, bien qu’aux trois quarts encerclé, tient toujours la partie Nord des Cinq-Chemins. En l’abordant par l’arrière, le bataillon va tomber sous le feu du 24e qui, dans l’obscurité de la nuit, ne manquera pas de prendre le bataillon pour une contre-attaque. Le capitaine F… décide que pour l’instant, le bataillon ne tentera aucun assaut. Une méprise sanglantes est à nouveau évitée.

Ces événements confus ont occupé la nuit. Voici les premières lueurs du jour. Par une chance prodigieuse, cette partie du chemin creux a été si approfondie par l’ennemi, quand il occupait la position, qu’elle est défilée aux vues d’un observateur situé sur la crête de Vimy et à la cote 140. On y jouit d’une sécurité relative. Ordre est néanmoins donné d’entamer les parois avec les outils portatifs, pour y aménager des abris individuels. Les hommes se mettent au travail avec ardeur. Plusieurs entrées de sapes sont dégagées ; de nombreux cadavres de soldats allemands, des armes, des caisses de munitions sont exhumés. L’artillerie française a fait là du bon travail.
Le capitaine F… [Frémont] décide de se donner de l’air. A gauche, une première patrouille tente en vain de rechercher la liaison avec le 24e. A droite du bataillon, c’est-à-dire en suivant le chemin creux vers l’est, vers K., le terrain paraît libre. Il faut en profiter. Quelques officiers partent en reconnaissance. Le chemin dont le fond s’élève à mesure qu’on monte vers la cote 140, est truffé d’abris pulvérisés. De nombreux paniers d’obus couvrent le sol. Voici à n’en pas douter, l’emplacement d’une pièce d’artillerie avancée. Le canon a été retiré ; les appareils de pointage son demeurés sur le sol. Dans une alvéole ménagée au flanc de la paroi, deux minenwerfer de 305 millimètres, abandonné, tournent vers le ciel leur gueule puissante. L’un deux est encore chargé.
Au fur et au mesure que la patrouille progresse, elle découvre avec quel luxe les Allemands s’étaient installés dans ce secteur. Ici, ce sont des abris spacieux équipés de lits confortables, là des dépôts de vivres contenant du pain, des confitures, des conserves, des flacons d’eau de vie. Tout dénote que les maîtres de ces lieux ont fui avec la plus grande hâte, sans avoir eu le temps d’emporter ou de détruire quoi que ce soir. Le P.C. du commandant des minen est découvert. Lui-même est là (2), dans un abri au plafond crevé, enfoncé dans un fauteuil, un pied sur un banc, la jambe raide, le téléphone à portée de la main : le malheureux bien que mort semble vivant. Un peu de sang a giclé de ses narines. Au-delà de ce P.C., de nombreux éboulis laissent deviner d’autres abris effondrés et enfouis sous les terres. Plus loin, des tombes avec inscription allemande en lettres gothiques : « Ici reposent six héros du 133e régiment d’infanterie… », rappellent que l’armée française sait aussi donner de rudes coups.
Cependant la patrouille ne peut s’attarder à dresser l’inventaire de ces découvertes. Il lui faut poursuivre. Le chemin creux monte, de moins en moins encaissé. Encore quelques mètres, et les hommes étonnés se trouveront en terrain libre.
Le soleil s’est levé, radieux. Une brume légère s’échappe pourtant des bois de la Folie et, à un kilomètre, masque la crête de Vimy. Le canon s’est tenu ; la fusillade a cessé. La nature s’éveille, indifférente au drame de la nuit. A n’en pas douter, Français et Allemands, épuisés par la lutte, remettent de l’ordre dans leur dispositif et reconstituent leurs forces.
Le capitaine F…[Frémont], toujours désireux d’éparpiller son monde, pour le soustraire le plus possible aux coups de l’artillerie, étire le bataillon vers le nord-est. Sur son ordre, une barricade est dressée au point d’extrême atteint par la patrouille. La détente est générale. Jusqu’à midi, chacun s’ingénie à découvrir les abris utilisables et à les dégager. Les conserves allemandes trouvent de nombreux preneurs. Le bruit court que le commandant de bataillon a reçu des félicitations pour sa manœuvre de la nuit. Saura-t-on jamais à quel massacre fratricide ont échappé le 24e et le 28e ? Grâce à du matériel allemand récupéré, une ligne téléphonique est hâtivement posée entre le P.C. du bataillon et celui du colonel. Les quelques encourageantes paroles que peut adresser le colonel R… [Roller] réconfortent les cœurs.

18 heures. Il fait presque nuit. De gros nuages obscurcissent le ciel. Des allées et venues mystérieuses sont signalées dans le chemin creux vers N’. On se porte aux nouvelles. Deux compagnies du régiment appartenant à un autre bataillon arrivent, sous le commandement du capitaine D…[Dherse], avec ordre de réduire la résistance allemande qui s’obstine au nord du carrefour des Cinq-Chemins. Les officiers chargés de mener l’opération se concertent. L’affaire est délicate. Comme l’avait constaté le capitaine F… [Frémont] durant la nuit, toute action par le feu risque de causer des pertes au 24e, toujours dans P.40. Pourtant l’honneur exige d’en finir avec cette poignée d’hommes qui, depuis près de 48 heures, arrête la 11e brigade.
Il est décidé que la compagnie D…[Dherse], progressant dans la plaine, abordera l’ennemi par derrière, tandis que l’autre compagnie s’infiltrant par le chemin creux, agira à la grenade.
Au signal, les hommes de la compagnie D…[Dherse], qu’une vive fusillade accueille, démarrent, puis refluent bientôt. Ils racontent que les Allemands, bien abrités dans une tranchée intacte, ont eu l’audace de leur crier de se rendre. Bien que tout le monde ait fait son devoir et que plusieurs officiers soient tombés, c’est l’échec. Comment, sans artillerie, espérer venir à bout d’un adversaire encastré dans le sol et invisible derrière ses parapets ? A gauche, la compagnie qui opère a semblé hésiter. Des jurons, des cris de « En avant ! En avant ! » retentissent. Un clairon sonne le refrain du 28e ; puis celui du 24e. Seuls les plus courageux s’élancent sans succès à l’assaut de la barricade. Ici encore on ne peut lutter sans canon.
Avec le jour s’achève l’affligeant spectacle de notre impuissance. La pluie tombe. Les hommes n’ont d’autre ressource que de se figer dans la boue, la toile de tente sur la tête, pareils à des pleureuses funèbres. A la nuit, dans le chemin creux, les allées et venues reprennent ; le désordre s’accuse.

A 21 heures, ordre est donné à un officier du bataillon de prendre la tête d’une forte reconnaissance, pour s’assurer si la tranchée Nietzche est oui ou non occupée par l’ennemi. Il est complété presque aussitôt : le bataillon tout entier ira se déployer devant la fameuse tranchée. Sous la pluie, dans une impénétrable obscurité, les compagnies se rassemblent. Les hommes, malgré la lassitude et le sommeil, se groupent sans un bruit derrière leurs chefs. Le lieutenant C…[Chéron], couvert par quelques éclaireurs, prend la tête du mouvement. Bien conduite, la colonne cheminant avec sage lenteur au fond du chemin creux, suit l’itinéraire de la patrouille envoyée le matin même par le capitaine F… [Frémont] La barricade est franchie. Voici la plaine. Ordre est donné à mi-voix de se déployer de part et d’autre du sentier. Le mouvement s’exécute. Les hommes se couchent dans l’herbe trempée face au nord-est. Personne ne sait où est l’ennemi. Quelques rares fusées s’élèvent vers la Folie.

Notes :
1. On s’apercevra au jour que ce chemin creux n’était pas autre chose que le prolongement du chemin des Carrières. Le bataillon se trouvait alors vers le point M’.
2. Et M’’."


Très bonne journée.
Site Internet : Adolphe Orange du 28e RI http://vlecalvez.free.fr
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
Avatar de l’utilisateur
vincent le calvez
Messages : 1360
Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am

Re: L'offensive du bois de la Folie, septembre 1915

Message par vincent le calvez »

Bonjour à tous,

Voici la dernière partie du récit.

28 septembre 1915

Vers 4 heures du matin, le bruit court que le 28e va être relevé par le 405e. A peine cette nouvelle est-elle parvenue aux officiers que, derrière les compagnies, des mouvements annonciateurs d’une troupe en marche se précisent. Le départ du bataillon est imminent, il faut réveiller les hommes. Ce n’est pas une petite affaire. Toute la ligne, en effet, vaincue par la fatigue, s’est endormie et ronfle à même le sol mouillé.
Voici le 405e. A tâtons, ses compagnies doublent celles du bataillon. L’opération s’effectue sans bruit, sans paroles inutiles, avec cette merveilleuse aisance que donne l’incomparable entraînement de la guerre. Chaque fois qu’un homme du 28e se lève, un homme du 405e prend sa place et se couche.
Le bataillon se rassemble dans le chemin creux et, une fois prêt, commence à descendre vers Neuville. Parvenues aux emplacements qu’elles occupaient la veille, les unités reçoivent l’ordre de s’arrêter. Les sections mettent sac à terre, se dissimulent dans les abris qui s’offrent à elles. Les plus résistants se laissent aller au sommeil.

A 10 heures, la fusillade réveille le bataillon. On apprend que devant le 407e, qui, durant la nuit, a relevé le 24e dans P.40 et ses abords, les Allemands, installés au nord du carrefour des Cinq-Chemins, se sont enfin décidés à se replier. Leur retraite n’a pas échappé au 407e qui, non seulement les accueille à coups de fusil, mais encore lance des fractions à leur poursuite. Quelques tirailleurs de ce régiment dévalent le chemin creux venant de la plaine. Nous sommes enfin maîtres des Cinq-Chemins.

11h30. Des compagnies du 405e montent toujours dans le chemin creux, venant de la direction de Neuville. C’est bien la relève. Le bataillon évacue ses emplacements et entame son mouvement vers l’arrière. Voici le fameux carrefour, confluent sans fleuve de deux charniers profonds. Quelle vision ! Sur une terre broyée, pulvérisée, couverte d’une âcre suie, des cadavres français et allemands dans toutes les positions encombrent le passage, parsemé lui-même d’armes et d’équipements ensanglantés. Adossé à ce qui fut une barricade se tient le commandant S...[Sauget], commandant le 2e bataillon. Il annonce que son unité, non encore engagée, arrive par le Chemin creux, s’informe des circonstances de la mort du commandant H…[Hislaire], demande ce qu’a fait le 3e bataillon.

Soudain, précédé d’un sifflement terrible, un 210 éclate dans la colonne. Les Allemands savent où frapper. Ils ne peuvent ignorer que le carrefour des Cinq-Chemins, véritable plaque tournante du secteur maintenant conquis, sera l’objet d’une circulation intense. De fait, il y a foule et le tir s’accélère. Toutes les vingt secondes, un obus lourd percute avec une précision démoniaque. Les hommes accrochés les uns aux autres font la carapace. Vaine précaution ! Les coups tombent, projetant en l’air bras et jambe. Avec une peine immense, les officiers s’emploient à décongestionner cet embouteillage. Le commandant S…[Sauget], très pâle, règle lui-même les mouvements et fait filtrer les hommes par petits paquets entre deux rafales. Malgré les mesures prises, les pertes sont lourdes.
Un peu plus en arrière, à hauteur de l’ancienne première ligne, le chemin est creusé d’excavations profondes produites par les torpilles. Les sections se réfugient dans ces entonnoirs. Au fond d’un de ces trous, deux blessés allemands, l’uniforme déchiré et maculé de terre, lancent de douloureuses clameurs. L’un deux, s’adressant aux officiers, les interpelle en français par leur grade.
- Mon lieutenant ! Voyez, dit-il, en tendant une photographie d’enfant.
Le bataillon qui, à l’instant même, a dû laisser sur le terrain plusieurs blessés, ne peut s’occuper de ces malheureux.
La zone de mort une fois franchie, le bataillon reprend sa marche vers Neuville, suivant toujours le chemin des carrières encombré de chevaux de frise, de barricades croulantes et de cadavres.
L’allure est vive…, le bataillon est relevé !

12h20. Derrière le bataillon, une fusillade intense éclate sur tout le front. D’après certains, il s’agirait d’une attaque ; d’après d’autres, les Allemands s’efforceraient de reprendre le terrain perdu. L’affaire, en tout cas, paraît sérieuse. Toute la ligne a pris feu comme à un signal. L’artillerie française donne de la voix à une cadence vive. Impossible de distinguer s’il s’agit d’un tir de barrage ou d’une nouvelle préparation. Qu’importe après tout ! L’essentiel est de fuir ces lieux maudits.
La compagnie de tête est à peine arrivée à hauteur du P.C. du colonel, qu’un ordre est clamé dans le vacarme : « Demi-tour ! »
Les sections, interdites, s’arrêtent. Les officiers s’interrogent. Le lieutenant C…[Chéron], commandant la 12e compagnie, se précipite dans l’abri du chef de corps pour avoir confirmation de cet ordre qui paraît invraisemblable. Il apprend, de la bouche même du colonel R…[Roller], qu’une attaque générale de nos troupes se déclenche à l’instant même et que le 28e doit y participer. Le lieutenant esquisse un mouvement et fait valoir l’épuisement, les pertes du bataillon.
« Il le faut », répond le colonel R…[Roller]
Le bataillon obéit.
Au pas de gymnastique, les sections remontent le chemin creux, escaladent les mêmes obstacles, enjambent les mêmes cadavres, titubent dans les mêmes trous qu’il y a une demi-heure. Les balles frappent. Le barrage d’artillerie allemand est déclenché et s’abat avec une violence redoublée. Un rideau de fer et de feu, encore plus dense que le précédent, bloque l’entrée des Cinq-Chemins. Il faut passer coûte que coûte.
En avant ! En avant toujours ! Les sections foncent, les casques inclinés vers le terrain.
A quelques pas du fameux carrefour, on retrouve le commandant S…[Sauget], toujours debout, très calme, superbe de sang-froid ; une immense tristesse voile ses yeux :
« Baissez-vous, mes enfants, baissez-vous ! » lance-t-il avec lenteur, dans la fumée.
Le bataillon passe en trombe et va réoccuper ses emplacements de la veille. Voici les minen allemands, les bombes allemandes, l’abri éventré de l’officier d’artillerie, la barricade édifiée par la 11e Compagnie. Ici, on respire un peu, le barrage ennemi a été franchi. Mais quel désordre ! Chacun se dépense pour reformer ses unités. Tout le régiment est là. Plusieurs blessés du 405e passent et annoncent que leur régiment n’a pu aborder la crête de la Folie.
Le capitaine F…[Frémont], dont la capote est en loques, appelle à lui les officiers. Il a trouvé refuge dans un gourbi allemand. A l’abri des oreilles indiscrètes, il annonce que le 28e va reprendre l’attaque à 18h30.
« Tout le bataillon sortira du chemin creux à mon signal, dit-il, avec une raideur qui n’est pas dans sa manière. Il va falloir, en terrain découvert, faire un bon d’un kilomètre, enlever trois lignes de tranchées, atteindre la Folie. »
Les mains se serrent dans un dernier adieu, les pensées s’évadent ; ce n’est pourtant ni l’heure des effusions, ni celle des faiblesses, et chacun retourne à sa troupe. Le devoir exige que les officiers soient au milieu des hommes, de ces hommes, qui, durant tout ce drame interminable de quatre jours, ont marché sans une plainte, ni une défaillance…
A peine les sections se sont-elles déployées sur le rebord du chemin, face à la Folie, prêtes à prendre leur départ, que le capitaine F…[Frémont], bien visible de tous, au milieu de ce qui fut jadis le sentier, s’écrie en agitant un fusil : « En avant ! »
Le bataillon, et avec lui tout le régiment s’élance, baïonnette au canon. Des cris de : « Alignez-vous ! Alignez-vous ! Appuyez à gauche ! », des commandements retentissent dans un vacarme assourdissant. Dès que les sections, fouettées par l’air vivifiant de la plaine, se trouvent en terrain libre, un étrange vertige les saisit. Une force surnaturelle, faite de rage guerrière, du désir volontaire d’arriver coûte que coûte sur l’objectif et d’en chasser l’ennemi, de fatalisme avec la pleine conscience d’un sacrifice volontairement et fièrement accepté, de peur atroce aussi, imprime à l’assaut, dès les premiers pas de charge, une impulsion bien vite incontrôlable. Dans une cohésion superbe des âmes et des corps, officiers, sous-officiers, caporaux et soldats foncent tête baissée, les yeux dilatés, aveugles pourtant.
Le terrain à parcourir, libre de défenses, descend légèrement pendant 300 mètres, à partir de la route de Givenchy à Neuville-Saint-Vaast qu’il faut traverser. Monte en un long glacis vers les vergers du château de la Folie. Jamais ces arbres, si proches quand on les observait à la jumelle, n’ont paru si loin. L’artillerie d’appui, silencieuse, dans l’ignorance des positions respectives, les épargne.
Les lignes allemandes, bien camouflées, sont peu visibles. C’est à peine si quelques levées de terre suspectes attirent l’attention. Aucune observation n’est possible. Il est vrai, on marche, on court, on saute, on bondit. Le cri de « En avant ! » sans cesse répété, scande cette ruée.

Cependant, ce vide impénétrable cache de furieuses ripostes. Si l’on entend guère les balles, on voit par contre, comme malgré soi, leur point d’arrivée. Des corps s’effondrent en avant, d’autres tournoyent, certains fléchissent lentement sur les genoux, les bras repliés ou horizontaux, d’autre enfin basculent. Des casques volent, le sol se couvre de capotes, de havresacs, s’outils et de plats. Le coude à coude se relâche, certains hommes prennent de l’avance, d’autres essoufflés ont dû ralentir. Les premiers blessés, en grappes serrées, jalonnent le chemin parcouru. Dans le martèlement des explosions poussiéreuses – soudain le barrage ennemi s’est déclenché – il est impossible d’entendre la plainte dernière des morts ou le cri des vainqueurs. On progresse…

…………………………………………………………

Aux dernières lueurs du jour, tandis que la pluie s’est mise à tomber, les débris du régiment se retrouvent dans une tranchée de faible épaisseur – la tranchée des Tirailleurs – creusée par les Allemands, parallèlement à la lisière Ouest du bois de la Folie. Jamais tranchée ne fut plus amoureusement découverte et occupée.

Les heures ont passé. Une fois la route de Givenchy franchie, il a été nécessaire de multiplier les assauts, les manœuvres, les ruses pour venir à bout de l’adversaire. Celui-ci, jeté, selon toute vraisemblance, la nuit même dans la brèche, pour colmater son front disloqué, s’était retranché derrière tout ce que cet âpre terrain pouvait offrir de couvert. Il a fallu frapper, s’imposer, provoquer des redditions, ôter la vie. A cette lutte sauvage, sans merci, ni quartier, seuls les individus ont participé. Tous les liens tactiques étant rompus, des groupes composés des plus chanceux et des plus braves se sont formés à la demande du combat. Aucune escouade, aucune section, aucune compagnie ne peut se vanter d’avoir réduit telle ou telle résistance. L’élan de tous ces inconnus, qu’une même volonté anime : atteindre la crête, a vaincu l’Allemand.

…………………………………………………………

Cependant des groupes d’hommes venus des quatre coins du champ de bataille rallient la tranchée des Tirailleurs. Les visages sont radieux. Plus de coups de fusil ni de rafales de mitrailleuses. Une étrange paix s’est faite sur la cote 140 et la crête de Vimy. On voit des silhouettes bleu horizon se profiler le long du petit bois carré à 500 mètres sud-est nord-ouest du château de la Folie. L’artillerie allemande qui, durant l’attaque, s’est servie d’obus lacrymogènes, est maintenant silencieuse. On se félicite, on s’interpelle joyeusement.
Voici le lieutenant F…[Fitte], commandant la 11e compagnie, un des rares survivants (1) de ces journées. De hâtives dispositions sont prises. Venant de la direction de la cote 140, un capitaine du 119e se présente. Quelques hommes avec une mitrailleuse l’accompagnent. Il est décidé qu’après une courte pause, la ligne – valeur d’une compagnie environ – se portera à nouveau en avant vers les vergers.
L’assaut repart. La ligne de tirailleurs vient à peine de pénétrer dans les taillis qu’une contre-attaque allemande, annoncée par des clameurs sauvages et l’éclair des baïonnettes courtes, jaillit des bois. Stupeur mutuelle. Un bref corps à corps s’engage. La nuit tombe, Français et Allemands, après s’être un instant heurtés, poitrine contre poitrine, dans un bruit de collision métallique, refluent sur leur base de départ, saisis d’une identique frayeur. Le choc n’a duré que quelques instants. Par suite de l’obscurité et de la lassitude, il ne se renouvellera pas. Les survivants du 28e se replient sur la tranchée des Tirailleurs.
A l’horizon, la silhouette mutilée des tours de Mont-SaintEloy, la tache noire de Berthonval, la route de Béthune, la masse ruinée de Neuville-Saint-Vaast disparurent dans le couchant. Les yeux brûlés par la lutte se fermèrent au jour sur cette vision. Aucun renfort ne semblai accourir.

…………………………………………………………

Le 28e ne dépassa pas la tranchée des Tirailleurs. Le 1er octobre, le régiment était relevé. Le général commandant la division, justement fier de ses troupes, leur adressait l’ordre de félicitations ci-après (2) :
« La division rentre du front dans ses cantonnements de repos après avoir conquis de haute lutte trois lignes successives de tranchées ennemies formidablement défendues.
Dans la bataille, les quatre régiments d’infanterie ont rivalisé d’élan, de bravoure et d’héroïsme.
Le général commandant la D.I. leur adresse ses félicitations et l’hommage de son admiration.
Il salue leurs drapeaux qui se sont couverts d’une nouvelle gloire.
Il s’incline respectueusement devant les tombes de ceux qui sont morts pour la Patrie et forme les vœux les plus ardents pour la guérison rapide des blessés.
Il convie tous ceux qui sont debout à s’entretenir dans la volonté d’arracher définitivement la victoire à l’ennemi détesté. »
Le général d’Urbal citait le 3e corps à l’ordre de l’armée (3).

Notes :
1. Le commandant S…[Sauget], le capitaine F…[Frémont], le lieutenant C…[Chéron], furent blessés.
2. Ordre général n°63 de la 6e DI, du 9 octobre 1915.
3. Du 23 au 29 septembre (exclu), les pertes de la 11e brigade se répartissaient de la manière suivante :
Officiers : 8 tués, 10 blessés, 1 disparu.
Hommes : 184 tués, 579 blessés, 64 disparus.
Total : 946.

[NDLR : Attention, ces chiffres semblent correspondre aux pertes du 28e RI et non pas de la brigade]


Bonne lecture

Bien à vous et très bon dimanche.

Vincent
Site Internet : Adolphe Orange du 28e RI http://vlecalvez.free.fr
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
Avatar de l’utilisateur
jef52
Messages : 1339
Inscription : ven. mars 23, 2007 1:00 am

Re: L'offensive du bois de la Folie, septembre 1915

Message par jef52 »

Bonjour Vincent,
Un grand merci pour ce témoignage passionnant comme d' habitude !!!
bon dimanche, amicalement,
Jef
"Désormais je sais enfin que tous ces morts, ces Français et ces Allemands, étaient des frères, que je suis leur frère" Ernst Toller
Le blog du 232e RI http://232emeri.canalblog.com/
saintchamond
Messages : 2099
Inscription : jeu. sept. 07, 2006 2:00 am

Re: L'offensive du bois de la Folie, septembre 1915

Message par saintchamond »

Bonsoir Vincent,

Cela viendra en temps et en heure, mais pour le moment, je suis un peu tombé dans le chaudron des combats de juin 1915 dans Neuville-Saint-Vaast... Et il y a beaucoup de choses à dire !

Bonne soirée à tout le monde,

Jérôme

Rebonjour,
J'espère ainsi que les amis Jérôme (...) apporteront prochainement des éléments sur ces terribles combats

Vincent
Le 36e RI dans la Grande Guerre : http://36ri.blogspot.fr/ - La revue de presse sur le compte Twitter @36regiment
LES 77 ET 135 DU 491
Messages : 78
Inscription : mar. sept. 11, 2007 2:00 am

Re: L'offensive du bois de la Folie, septembre 1915

Message par LES 77 ET 135 DU 491 »

Bonsoir VINCENT, JEROME, A TOUS

FRESLON Léon, 2ème classe du 66ème régiment d'infanterie, lettre à ses parents.

SAMEDI 19 JUIN 1915

[…] Vous devez vous demander ce que je suis devenu car voilà le cinquième jour que je n’ai pas écrit. Excusez-moi car avec la meilleur volonté j’aurais bien écrit il n’y avait personne pour emporter nos lettres. En effet il vient de se passer un coup assez formidable dont voici le résumé.
Le lundi 14 nous étions relevés dans la nuit par le 32 et nous allions à Frévin-Capelle au repos où nous sommes arrivés à 4 heures du matin. Notre première chose fut de manger et de dormir et à se nettoyer car nous étions fatigués, vu que nous arrivions de première ligne. Le sergent qui va aux lettres partit à midi et je n’avais pas encore eu le temps d’écrire et comme il n’y va qu’une fois par jour, je me dis je ferai ma lettre demain matin, cet après-midi je vois roupiller un peu. Mais il arrive un ordre de monter les sacs et que nous repartions à 8 heures pour les lignes. Toute la nuit du mardi au mercredi nous avons voyagé d’un boyau dans l’autre le sac sur le dos sans pouvoir trouver de gourbis pour se reposer. Tous les boyaux étaient remplis de troupes attendant l’attaque du lendemain. Le bombardement fut formidable, nous étions moitié abrutis. L’attaque eut lieu le mercredi 16 à 12 heures ¼. Nous, nous étions réserve du 32 qui était en première ligne. Ce dernier essaya de sortir à plusieurs reprises, mais il était fauché par les mitrailleuses, enfin il y réussit quand même et repoussa les Boches hors de leurs tranchées jusqu’au milieu de la crête du Bois de la Folie. Sur la gauche les zouaves prirent la côte 140, la division marocaine, le 77 et d’autres régiments firent aussi des progrès, si bien que le soir nous avions pas mal de terrain gagné. Le 66ème ne donna pas et ne fût que soutien d’attaque, seulement le soir nous partîmes en terrain découvert pour soutenir encore les premières lignes dans les contre-attaques allemandes. Nous étions dans un ravin entre deux crêtes, là nous fîmes des tranchées pour se protéger le lendemain des obus, mais ce n’était pas facile car ce n’était que du tuffeau et nous n’avions que des petits outils portatifs, sans aucun outil de parc. Enfin nous arrivâmes à faire des petits trous pour se cacher. Les Boches essayèrent de contre-attaquer à coups de grenades, mais ils échouèrent et furent fauchés par nos mitrailleuses. La journée du jeudi 17 se passa assez bien pour nous les Boches voulurent encore attaquer, mais leurs efforts furent aussitôt enrayés par le 75. Dans la nuit nous changeâmes de place et nous allâmes remplacer le 3ème bataillon en première ligne sur le haut de la crête. Là il nous était réservé une belle surprise, la tranchée avait à peine 0m40 de profondeur, ces fainéants là n’en avaient pas fichu un coup pour se protéger. Alors on se mit à creuser, mais comme nous venions de les relevés au petit jour on ne travailla pas longtemps et puis d’ailleurs quoique ce ne fut pas du tuffeau comme dans le ravin, c’était une terre forte rouge dure comme de la pierre aussi quand nous aurions creusé vingt centimètres ce fût tout. Dans ces conditions nous devions passer une belle journée. En effet je ne rappellerai du vendredi 18. Au jour il passa un aéro boche, volant à une assez faible hauteur qui repéra bien nos tranchées. Dès qu’il fût rentré la musique commença et le concert dura toute la journée et même une partie de la nuit jusqu’à ce que nous soyons relevés. Il nous dégringolé des obus de tous calibres sans cesser une seule minute si bien que nous étions moitié fous. Il n’y a cependant pas eu grand mal comparativement à la quantité d’obus lancés mais nous avons tous été à moitié enterrés par la terre soulevée en l’air et qui remplissait nos tranchées si l’on peut appeler çà ainsi, car c’était plutôt des rigoles. Enfin hier soir à onze heures nous étions relevés et maintenant nous sommes à l’arrière dans des gourbis. Ce soir nous devons partir au repos, je vous assure que ce n’est pas trop tôt, car le jour que nous avons été à Frévin et rien c’est pareil. Nous avons passé une nuit pour y aller et une nuit pour revenir, ce n’est pas deux pauvres heures que nous avions pu dormir dans le courant de la journée entre notre nettoyage et celui de nos armes etc. qui avaient bien pu paraître. Voilà donc dix jours depuis le 9 que l’on ne se repose pas, aussi nous sommes vannés et depuis mercredi dans la nuit jusqu’à ce matin que nous n’avions pas eu à boire ni à manger. Nous avons vécu sur les vivres de réserve du sac et de plus nous étions tellement fatigués que nous ne bouffions pas beaucoup. Les Boches eux sont bien mieux organisés que nous pour la nourriture car un zouave me racontait ce matin que lorsqu’ils arrivèrent dans la tranchée boche, ils trouvèrent des paquets arrivant d’Allemagne pleins de biscuits, bouteilles de rhum, etc., du pain, du saucisson, les Boches qui se rendaient leur offraient des cigarettes. Ils ont fait plus de mille prisonniers avec de nombreux officiers. Mais les Boches ont soupé de la guerre, ils se rendent joyeusement, criant tous « guerre finie », en effet elle est terminée pour eux et ils n’en sont pas fâchés. Au moment où je vous écrit il doit encore se passer un coup de chien car j’entends dans le lointain, les mitrailleuses qui crachent. Les zouaves, les tirailleurs et la Légion qui sont en ligne actuellement vont attaquer ces jours-ci encore, car les Boches ont une pointe avancée dans Souchez et nos lignes sont de chaque côté bien en avant du patelin, c’est alors que l’on va essayer de leur couper la retraite et il y aura quelque chose comme prisonniers car pour tenir une pointe et surtout dans un ravin entre deux crêtes occupées par nous il leur faut des forces formidables. Vous aurez d’ailleurs des récits détaillés sur les journaux seulement il faut aussi se méfier de ce qu’ils racontent, car ils bourrent le crâne au populo qui ne peut se rendre compte et lui dorent la pilule. Quoique en ce moment-ci cela marche bien, toutes les troupes commencent à en avoir mart de leurs attaques continuelles, c’est trop souvent répété et les progrès que nous faisons coûtent cher comparativement au terrain gagné. Heureusement encore qu’il n’y a pas beaucoup de morts, ce n’est presque que des blessés, mais aussi il y en a des grièvement, quant aux Boches je vous assure qu’il en descent des tas, car ils s’amenèrent toujours en bande et c’est leur malheur et de plus les bicots zigouillent les blessés et les prisonniers, ils ne veulent pas en laisser, ce sont de vrais sauvages lorsqu’ils se battent, aussi les Boches en ont une peur affreuse et ils hésitent à se rendre à eux. Ils font pourtant bien de tous les zigouiller cette sale race là qui nous fait tant de mal, je teindrais le dernier il ne vivrait pas longtemps.
J’ai reçu vos lettres du 11 et du 13 juin ainsi que le colis dont je vous remercie beaucoup. J’ai bien trouvé le chocolat, les biscuits, les cigarettes, les crayons, le papier à lettre, le billet de 5 F et le petit œillet planté dans une pomme de terre, mais il commençait à être fané, tout son contenu m’a fait bien plaisir. Je suis aussi heureux de voir que mon colis est bien arrivé à destination, mais cette fois-ci je n’ai pas pu ramasser grand chose car lorsque nous sommes arrivés, les bicots avaient passé et tous ceux qui avaient fait l’attaque avaient ramassé ce qu’il y avait d’intéressant. L’autre jour que nous avons été à Frévin j’avais une tête d’obus en cuivre que je voulais envoyer, mais comme c’était trop lourd je l’ai balancé. J’ai encore deux jolis chargeurs, mais pas comme celui que j’ai envoyé, je vous les ferai parvenir au repos. Vous me dites de mettre mes souvenirs de guerre dans les boîtes des colis que vous m’envoyer, il faudrait que vous les verriez, lorsqu’elles m’arrivent elles sont moitiés écrasées et c’est facile à comprendre la quantité de colis qui circulent, vous pensez s’ils sont maltraités.
En effet je crois que c’est à Frévin-Capelle où est MORCHOISNE, j’y ai bien pensé l’autre jour que nous y avons passé la journée mais je n’avais pas son adresse comme régiment et de plus le temps me manquait sans cela j’aurais été y dire deux mots.
J’ai vu aussi GREGOIRE de Jarzé il est au 32 et par hasard je l’ai rencontré la nuit que le 32 nous avait relevé de première ligne, il est je crois à la 4ème compagnie. […]

Pour ma part je recherche tout document sur le secteur de la Targette, ouvrage 123, bois de la Folie, secteur occupé par les 77 et 135ème durant la période mai/juin 1915.
CORDIALEMENT
SEBASTIEN
amiralette
Messages : 53
Inscription : jeu. sept. 12, 2013 2:00 am

Re: L'offensive du bois de la Folie, septembre 1915

Message par amiralette »

Bonsoir
Il y avait comme agent de liaison ANGEL PERROT sergent fourrier au 24è RI tué le 29 septembre 1915
Auriez vous sa date de naissance?
Merci pour votre aide
amiralette
Répondre

Revenir à « Parcours & livres d'or »