Déportés alsaciens-lorrains

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Eric Mansuy
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Re: Déportés alsaciens-lorrains

Message par Eric Mansuy »

Bonsoir à tous,
Pour Claude Chanteloube, mais aussi pour tous les autres, un large extrait de l'article de Patrick Madenspacher (Société d'Histoire du Sundgau, 1994). Je préfère ouvrir un nouveau "fil" afin que ce message ne reste pas trop confidentiel ! Bonne lecture à tous.

Bien cordialement
Eric Mansuy


LES ALSACIENS DÉPORTÉS PAR L'AUTORITÉ MILITAIRE FRANÇAISE OU "LES INÉVITABLES ET DÉSAGRÉABLES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE"

…Le colonel Denis quant à lui notait qu'il fallut évacuer en France les Allemands et les suspects – 3.200 dans les seules vallées de la Doller et de la Thur ! -, les jeunes hommes de 17 à 20 ans susceptibles d'être appelés dans le Landsturm ainsi que leurs aînés réservistes âgés de 39 à 45 ans. Cela se fit dans la précipitation, souvent en cours de combat.

Les évacuations des susdites vallées et du sud du Haut-Rhin, faites très rapidement au début de la campagne et à mesure de l'avance des armées françaises, « ne purent en général, être convenablement préparées et entraînèrent certaines erreurs » (53).

Pour autant que nous les connaissions, les prises d'otages eurent lieu le long de la fluctuante ligne de front, lors des avancées et de l'installation des troupes françaises en Haute-Alsace : région du Sundgau et Mulhouse, vallées de Masevaux, de Thann, de Munster, plaine d'Alsace vers Ensisheim, Colmar... (54).

Une circulaire du Ministère de l'Intérieur, Direction de la Sûreté générale, datée à Paris du 1er septembre 1914 et adressée aux préfets soulignait que malgré les difficultés de tous ordres inhérentes à l'exécution de semblables mesures, l'évacuation des étrangers dirigés sur des régions de l'intérieur, l'installation des groupes de réfugiés ainsi que l'organisation de leur subsistance avaient eu lieu « d'une manière satisfaisante, qui fait honneur aux sentiments d'humanité et au dévouement des administrations locales et des populations » (55). La Direction de la Sûreté générale spécifiant que les prisonniers de guerre et les otages capturés par l'armée en campagne constituaient des cas à part. Le 24 septembre 1914 le Ministre de la Guerre écrivait depuis Bordeaux, où le gouvernement s'était replié, au général commandant la 15e région à Marseille que s'il y avait des otages c'était plus souvent « en raison de leur hostilité manifeste ou déguisée » à l'égard des armées françaises (56). C'était aller vite en besogne et nombre d'internés alsaciens-lorrains l'étaient « par la faute d'une administration obtuse » (57).

Soit parce qu'ils avaient entendu l'appel de la France, soit qu'ils refusaient de rejoindre l'armée du Kaiser ou encore parce qu'ils étaient tout bonnement victimes de rafles, 10 à 15000 alsaciens-lorrains furent internés dans 153 camps de prisonniers et de concentration en France, pour toute la durée du conflit ou pour une partie plus ou moins longue seulement (58). Ces camps se trouvaient, entre autre, à Agen (2 dépôts, Lot-et-Garonne), Ajain (Creuse), Alais (Gard), Angers (Maine-etLoire), Annonay (Ardèche), Aurec (Haute-Loire), Avignon (Vaucluse), Bergerac (Dordogne), Besançon (Doubs), Béziers (Hérault), Brignoles (Var), Brive (Corrèze), Cahors (2 dépôts, Lot), Cannes (Alpes-Maritimes), Carnac (Morbihan), Chatellerault (Vienne), La Chartreuse-près-le-Puy (Haute-Loire), Civray (Vienne), Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Collioure (Pyrénées-Orientales), Corbara (Haute-Corse), Espalion (Aveyron), Garaison (Hautes-Pyrénées), Gramat (Lot), Groix (île, Morbihan), Issoire (Puy-de-Dôme), Kerlois près de Hennebont (Morbihan), Limogne (Lot), Longue (île, près de Brest, Finistère), Lourdes (Hautes-Pyrénées), Luçon (Vendée), Marmande (Lot-et-Garonne), Marseille (2 dépôts, îles du Frioul ; fort Saint-Nicolas et ponton des prisonniers de guerre, Bouches-du-Rhône), Millau (Aveyron), Moissac (Tarn-et-Garonne), Montauban (Tarn-et-Garonne), Montcuq (Lot), Montélimar (Drôme), Montmorillon (Vienne), Montpellier (Hérault), Montricoux (Tarn-et-Garonne), Moulins (Allier), Niort (Deux-Sèvres), Ornans (Doubs), Paray-le-Monial (Saône-et-Loire), Périgueux (Dordogne), Poitiers (Vienne), Précigné (Sarthe), Le Puy (Haute-Loire), Rabès (Corrèze), Riom (Puy-de-Dôme), Rochefort (Charente-Maritime), La Rochelle (Charente-Maritime), Rodez (Aveyron), Royan (Charente-Maritime), Saint-Affrique (Aveyron), Saint-Maximin (Var), Saint-Michel-de-Frigolet (Bouches-du-Rhône), Saint-Rambert d'Albon (Drôme), Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-duRhône), Saint-Tropez (Var), Sainte-Marguerite (île, Alpes-Maritimes), Saintes (Charente-Maritime), Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence), Tatihou (île, Manche), Tournon (Ardèche), Tulle (Corrèze), Veylats (Lot), Le Vigan (Gard), Villefranche-de-Rouergue (Aveyron), Vire (Calvados), Viviers (Ardèche)... (59).

A Marseille, les convois composés d'otages civils, de déserteurs alsaciens, de suspects alsaciens, de prisonniers militaires allemands... arrivaient en gare Saint-Charles. Ils étaient ensuite expédiés vers le fort Saint-Nicolas, au bout du Vieux-Port, puis, pour certains, embarqués vers l'île du Frioul. La présence de « prisonniers allemands » dans la cité phocéenne, au lazaret du Frioul, est attestée dès le début de septembre 1914. L'arrivée des captifs provoquait une certaine animation ; il fallut les transférer de nuit (60).

Le journal « Le Petit Marseillais » indiqua la venue de « prisonniers allemands » à Marseille à partir du 4 septembre 1914. Ils avaient été capturés en Lorraine. A ce moment 106 autres « prisonniers allemands » étaient déjà retenus au Frioul, sans doute des Alsaciens-Lorrains en firent-ils partie. Des « prisonniers allemands » arrivèrent le 8 septembre. Trente prisonniers civils et militaires allemands provenant de Mulhouse et d'Altkirch arrivèrent le 11. Le 12, furent écroués quatre vingt dix otages allemands « arrêtés et faits prisonniers de guerre sur la désignation de la police d'armée » dans la région de Mulhouse. Le 15, incarcération de 13 otages allemands en provenance de Mulhouse. Le 16 septembre, il est fait mention de 18 otages civils faits prisonniers à Altkirch. Le 21, arrivée de 63 otages et de 3 prisonniers militaires venant d'Alsace. Le 24.09, un convoi amena 85 otages civils et 3 militaires. Le 25.09, 190 prisonniers provenant de la région de Mulhouse, furent écroués « en attendant leur transfert en Algérie ». Les dépôts de prisonniers continuèrent mais sans mention d'origine : il s'agit d'otages civils (jusqu'à 250, au début d'octobre), de suspects, de militaires. Les 23 et 28 octobre, « Le Petit Marseillais » annonça l'arrivée d'Alsaciens « suspects pris comme otages ». Il est encore fait mention d'otages civils en novembre (les 2 et 20), puis le flux tarit (61).


53. Colonel Denis, ouvr. cité (p. 46) ; Administration Militaire ..., ouvr. cité (p. 293).
54. Des arrestations eurent aussi lieu dans la vallée de la Bruche et dans la région de Sarrebourg (cf. M. Litschgy, ouvr. cité, p. 4).
55. A.B. du Rh., 1 Y 158, chemise Circulaires et Instructions. générales, 1914.
56. Ibid., Chemise Circulaires et Instructions générales, 1915. Pour les militaires alsaciens-lorrains capturés par la France voyez Les prisonniers de guerre (1914-1919), par G. Cahen-Salvador, Payot, Paris, 1929 (p. 166-170). Le conseiller d'Etat Cahen-Salvador s'occupa de la question des prisonniers de guerre ; il cite des Alsaciens-Lorrains prisonniers des forces américaines et japonaises (p. 169-170). Dès janvier 1916, l'Ambassadeur de France à Tokyo, avait pu obtenir des autorités japonaises la libération d'un certain nombre d'Alsaciens-Lorrains faits prisonniers à Tsing-Tao et qui avaient manifesté le désir de s'engager dans les troupes françaises (A.H.R., Purg 11745).
57. G. Foessel, in L'Alsace de 1900 à nos jours, Privat, 1979 (p. 75).
58. Chiffres donnés par l'ouvrage cité Das Elsass von 1870-1932, t. 1er (p. 251) et repris par le colonel Denis ainsi que P. Zind. Dans quelle mesure sont-ils fiables ? Le destin de certains de ces prisonniers reflète la complexité de notre histoire régionale. Ainsi celui de M. Charles Hanser, natif d'Altkirch, fabricant de poëles en faïence (1896-1994), qui s'enfuit au début du conflit, fut en conséquence déchu de sa nationalité allemande et qui fut retenu par les Français au Frioul où il retrouva son cousin germain Aimé Schill (Altkirch 1896 - Marseille 1915). Cet exemple n'est pas unique. Voyez Florent-Matter, ouvr. cité p. 216 (où Hanser devient Hauser) et 220 (où Aimé Schill est recensé comme Amand Schill). Nous tenons à saluer ici la mémoire de M. Ch. Hanser qui nous avait, à plusieurs reprises, cordialement reçu.
59. Pour la localisation des camps (tous ne sont pas connus), voyez aux A.H.R., Purg 11734, le rapport du président de la Commission des Otages et de celle des Alsaciens-Lorrains adressé au général commandant en chef les armées de l'Est (avril 1915) ; voyez les récits de captivité, ainsi ceux du notaire altkirchois, le Dr. A Reiffel, Von 1914 bis 1917 als Geisel in französischer Gefangenschaft, à la Bibliothèque municipale d'Altkirch), du professeur Dr. Kannengieser, Leidensfahrten verschleppter Elsass-Lothringer, Strasbourg 1916, ainsi que les récits précités de MM. Lévêque et Litschgy frères ; voyez aussi l'ouvrage précité, fondamental, autonomiste, Das Elsass von 1870-1932 (p. 251 et la note 6) ; P. Zind, Elsass-Lothringen..., ouvrage cité dont le titre indique la philosophie (p. 53) ; colonel Denis, ouvr. cité (p. 47) ; P. Miquel, ouvr. cité (p. 266-268) ; pour le camp de Tatihou, voyez l'article de J.-C. Streicher, « Des oubliés de la Grande Guerre. Les réfugiés alsaciens de l'île de Tatihou (Manche) » in Alsace historique, février 1977 (p. 56-58).
60. A.M. Marseille, Le Petit Marseillais, 05. et 09.09.1914. Nous avons dépouillé ce quotidien entre août 1914 et mars 1915.
61. Ibid. Nombreux convois de blessés aussi, généralement dirigés sur Toulon.
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