Paris bombardé vu par une habitante

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delmi83
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Re: Paris bombardé vu par une habitante

Message par delmi83 »

Bonjour,

Voici "de l'intérieur" comment était vécu ces bombardements. Cette correspondance était échangée entre ma (future) grand-mère et ses amies, Jeanne et Marguerite JOBARD, ces dernières habitant sur Paris, âgées d'une vingtaine d'années. Leur correspondance a fait l'ogjet d'un post, les 3 frères JOBARD. Ce qui est étonnant, c'est le ton de certaines lettres, où les bombardements s'apparentent plus à un spectacle qu'à la guerre... En voici donc quelques extraits :

7 sept 1914 : On quitte Paris en foule, mais je suis heureuse d’être auprès de mes parents et d’ailleurs nous ne craignons rien. Nous n’avons plus la visite des taubes, nous le regrettons car nos aéroplanes survolent Paris chaque jour. Les Allemands se détournent maintenant de Paris, nous ne savons pas ce qu’ils veulent faire. Toute la journée nous voyons des officiers qui nous expliquent très bien la tactique et qui nous rassurent tout à fait. Je vous assure qu’ici personne n’aime les Allemands!... On se moque d’eux et on ne les craint pas. On regrette même qu’ils tournent le dos à Paris et chaque jour on réclame leurs taubes. Lorsqu’ils ne paraissent pas, les Parisiens sont déçus.

24 sept 1914 : Mais ici tout le monde pense que ce sera encore long; et chacun est courageux, Paris est très brave et compte absolument sur la victoire finale. D’ailleurs un peuple barbare ne peut être récompensé, c’est impossible.

28 sept 1914 : Nous avons eu des prisonniers à Paris et plusieurs sont passés devant la maison. Ils avaient la tête basse et me faisait pitié car ce n’étaient que des pauvres soldats. J’en veux aux officiers car ce sont eux qui commandent tout le mal et les seuls coupables. Les Taubes qui, il y a 15 jours étaient venus nous visiter sont revenus hier. Il y a longtemps que nous ne les avions vu; hier dimanche, à 11h 45, ils ont survolé Paris. C’est la Tour Eiffel qu’ils visent, mais ils ne l’auront pas. Ils ont lancé plusieurs bombes; l’une d’elles a tué une petite fille et blessé un passant qui, paraît-il, est en danger. Elles n’ont pas fait d’autres dégâts, mais c’est déjà trop. Si vous aviez entendu la canonnade il y a 15 jours! C’était terrible. La Tour Eiffel, les Invalides, L’Ecole de Guerre, différents autres postes s’étaient réunis pour viser un Taube qui s’approchait un peu trop de la Tour Eiffel. Il était juste au dessus de nous et tout le monde était dans la rue, le nez en l’air pour voir ce qui allait arriver. Les mitrailleuses ronflaient, les canons tournaient, c’était impressionnant. Nous étions au milieu de la foudre et aurions très bien pu être atteint, car de toutes parts on tirait. Nous n’y pensions pas. Lorsque le Taube s’est vu cerné, il a eu peur et pris la fuite. Depuis nous n’en avons plus revu, mais hier ils ont eu le toupet de faire une réapparition. Nous allons voir ce qui va arriver... Nous attendons patiemment MM les Allemands; ils ne nous font pas peur et nous saurons nous défendre. Lorsque Paris était menacé, beaucoup de personnes sont parties affolées. Nous sommes restés bien tranquillement ici, car jamais nous n’avons eu peur. Paris est bien trop solide pour tomber et les Allemands ne pouvaient y rentrer. Maintenant c’est la déroute complète et c’est nous qui allons entrer à Berlin!

29 oct 1914 : Les communiqués officiels de France n’ont que quelques lignes très laconiques chaque jour. Enfin, l’ennemi est loin de Paris maintenant et j’espère qu’il ne reviendra pas. Pourtant par mesure de prudence, on fortifie tout autour de la capitale. Près de chez nous on pose des canons et on a arrêté des espions déguisés en officiers français qui prenaient des notes sur les travaux. Les Taubes ne continuent pas leurs visites importunes. Le dernier qui est venu a jeté une bombe dans la rue où Papa a son laboratoire et 3 autres sur la cathédrale de Paris.

26 nov 1914 : La vie est toujours très monotone; à peine quelqu’imprévue vient nous distraire. Les Parisiens qui étaient partis de peur du siège recommencent à revenir, mais le Gouvernement est toujours à Bordeaux. Ces jours ci, il fait très froid, aujourd’hui le brouillard en plus.

20 dec 1914 : Paris est très calme, c’est à ne plus le reconnaître. Dans une rue (la rue de Rivoli) qu’autrefois on ne pouvait traverser sans risquer de se faire écraser vingt fois, il ne passe plus qu’une voiture de temps en temps. Hier nous avons eu 2 automitrailleuses qui passaient ici; on fait toujours des travaux de défense, mais j’espère qu’ils seront inutiles; Paris est très calme et très morne.

21 fev 1915 : Ces derniers temps à Paris étaient plongés dans une complète obscurité de sorte qu’on manquait à chaque instant de tamponner les passants ou de se faire mettre en pièces par les autos (à défaut de bombes). Il y a quelque temps une alerte a eu lieu à Athis: une dépêche émanant du Gouvernement de la défense de Paris apprenait l’arrivée de 3 Zeppelins remontant la vallée de la Seine... Aussitôt les indigènes d’Athis, persuadés que les Zeppelins venaient exprès pour eux, se précipitèrent sur leurs lampes et les éteignent ou bien ferment soigneusement leurs volets. Quant aux soldats, ils abandonnent patriotiquement leur soupe et gagnent leur poste baïonnette au canon comme le faisait remarquer une petite fille. Inutile de vous dire qu’il n’y avait de dirigeables que dans les brains surexcités des people habités généralement par des bees. Quant à nous, nous avons follement ri de l’aventure.

26 mars 1915 : Je vous avais déjà dit sans doute que nous attendions les zeppelins? Le soir, quelques becs de gaz seulement sont allumés, les boutiques sont fermées à moitié et Paris est presque dans l’obscurité absolue, de bonne heure le soir, en cas de visites dangereuses... Le quartier surtout, car nous sommes près de la Tour Eiffel que Mrs les Allemands visent, tout naturellement, est presque noir et parfois il est difficile de se conduire. Nous n’avions pas peur des zeppelins et nous les attendions bien patiemment. Vous avez dû voir par les journaux qu’ils s’étaient enfin décidés à venir nous visiter. Ils étaient 4 mais 2 ont été obligés de rebrousser chemin. Les 2 autres sont venus jusqu’à Paris où ils ont fait très peu de dégâts. Pas de mort à déplorer, quelques blessés qui se remettront très probablement. Beaucoup de bombes n’ont pas éclaté et la plupart sont tombées sur de la paille et du fumier. Le fumier, c’est tout ce qu’il leur faut. Aux environs, il y a eu, je crois, 2 incendies, mais c’est tout. Voyez que ces Messieurs ne sont pas bien à craindre... Tout ceci s’est passé entre 1h 45 et 2h 10; il paraît que c’était très beau à voir, mais je n’ai rien vu et même rien entendu. Mes parents ont entendu mais n’ont pas voulu me réveiller. Nos avions s’étaient mis à leur poursuite, éclairés par derrière, et l’on aurait dit des étoiles filantes. Le projecteur de la Tour Eiffel éclairait nettement les zeppelins; la nuit était délicieuse, bien claire et les étoiles brillaient dans le ciel. Combien j’ai regretté de n’avoir pas vu cette course dans le firmament! Ce devait être si beau, si touchant! Et puis, il paraît que les canons tonnaient, la fusillade éclatait de toutes parts, les clairons sonnaient, on a crié le « Garde à vous » et l’on entendait passer les pompiers. Il paraît que c’était lugubre, très lugubre, et je ne sais pas comment j’ai fait pour si bien dormir!... Tout Paris était réveillé; les uns se mettaient aux fenêtres, les autres descendaient pour mieux suivre la course; d’autres, un peu effrayés descendaient dans leurs caves, mais la plupart n’avait pas peur et ne craignait pas les bombes. Il y a une jeune femme à côté de chez nous, qui est descendue une valise à la main renfermant tous ses bijoux et tout ce qu’elle avait de précieux!!!...
Mardi matin; Je reprends cette lettre qu’il m’a été impossible de terminer hier. Eh bien! hier soir nous avons eu une fausse alerte. A 9h les pompiers passent, le clairon sonne, toutes les lumières s’éteignent: on attendait un zeppelin qui avait été signalé. Personne était couché, aussi voilà tout le monde aux fenêtres ou dans la rue attendant les événements. Tout était noir et pourtant les derniers trams marchaient et les autos militaires filaient à toute vitesse; la nuit n’était pas belle; pas d’étoiles dans le ciel et la pluie s’est mise à tomber. Nous avons ainsi attendu jusqu’à 11h et tout le monde était déçu. Les réflecteurs éclairaient le ciel mais ne découvraient. Enfin à 11h le clairon sonne et dit « c’est fini ». Les lumières réapparaissent, les pompiers reviennent: ce n’était qu’une fausse alerte. Je me suis vite couchée ainsi que mes parents et à 11 ½ je vous assure que je dormais déjà... Il paraît qu’il y a eu encore une nouvelle alerte mais ce n’était rien... Mrs les Allemands nous en veulent et ne nous laisseront pas tranquilles; mais Paris veille et j’espère bien qu’on les empêchera d’arriver jusqu’à nous. Quand donc tout cela sera fini?

17 mai 1915 : Très souvent le soir vers 9h ½ nous voyons des avions se promener dans les airs. Ils font la garde et surveillent si les ennemis ne viennent pas nous déranger. C’est très beau à voir. On dirait des étoiles filantes car ce n’est pas plus gros qu’un étoile, mais d’une lumière plus brillante et ils marchent toujours, toujours sans s’arrêter. Il y a eu une alerte mardi dernier, un zeppelin ayant été annoncé, se dirigeant vers Compiègne, mais il a eu peur et n’a pas osé continuer et il a dû retourner bredouille...

18 mai 1918 : Les Gothas s’avisent de nous rendre visite et ne craignent pas de nous réveiller en pleine nuit. Heureusement que la grosse Bertha ne canonne pas, car sans cela,... j’irai bien vite faire une cure à St Aubin.
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