J'ai réalisé un petit exercice sur les carnets de Louis Decamps du 288e R.I, qu'on trouve dans le site chtimiste. Dans ses carnets, tout est très détaillé, très imagé, avec le verbe et l'adjectif forts... Trop, peut-être, parfois ?
L'exercice a consisté à en extraire tout ce qui concerne la mort et sa vision. Et encore je n'extrais que les faits, et pas les pensées de Louis Decamps relatives à la mort.
Dans tous ses textes, la mort est omniprésente. Le mot "mort" est cité d'innombrables fois.
C'est vraiment l'horreur ! La boucherie ! L'hémoglobine ! Les morts servent de parapet et étayent les tranchées, on marche sur les morts, etc... Le fameux "on marche sur les morts", de qui est-ce, déjà ?
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1°- Nouveaux dans un secteur encore très agité la veille, le passage de consignes sévères et le récit de la dernière attaque toute chaude marquée par le vue de cadavres fraîchement tués, cela fait travailler les imaginations de gens qui se sentent en plein inconnu terrain, intention de l'ennemi.
2° - Les boches reprenant certainement haleine après les échecs de la veille d'ailleurs suffisamment marqués sur le terrain par un impressionnant spectacle de cadavres allemands fraîchement tués, abandonnés en terrain découvert ou constituant même en certains points, la masse du parapet de la tranchée de la Gargousse, d'où dépasse un bras, une jambe, un soulier.
3° - A deux pas un cadavre à bottes d'allemand. Bon, ce n'est pas gai ! Devant moi s'installe une vaste dépression avec L'Ailette que l'on devine loin à droite et la ferme de la Royère vers une ligne en hauteur à gauche.
4°- Le chemin des Dames n'est pas loin, 50 mètres à peine. Il y a encore des poteaux télégraphiques qui le limitent. Un large coup d'œil par dessus le parapet me permet de contempler la zone neutre couverte effectivement de nombreux cadavres; paquets affalés ou recroquevillés. Beaucoup sont pliés en deux la face contre terre. Je reviens au plus vite vers ma section pour rapporter des nouvelles. Du boyau du Négus on me montre le cadavre d'un allemand tué tout contre le créneau de l'abri de mitrailleuse. Le canon de celle ci débouche à quelques centimètres de cette masse informe dont on se garde d'y toucher. Ca ne doit pas sentir bon.
5° - Le sous-lieutenant VALETTE me montre un large espace dénudé qui nous sépare des boches, c'est à dire jusqu'au Chemin des Dames, délimité par des poteaux télégraphiques, de nombreux cadavres d'allemands embrassant le sol d'une dernière et lourde étreinte. Du corps de certains dépasse une petite marmite. Certains sont à portées de notre main, d'autres consolident le parapet de la tranchée et répandent une odeur nauséabonde à laquelle il faudra bien se faire. Leurs amis d'en face ne se sont même pas dérangés de nuit, pour relever leurs pauvres frères d'armes qui pourrissent sous le soleil d'août à quelques mètres de leur réseau.
6°- Le capitaine BESSEDE, prêtre du Gers dans le civil, et qui disait sa messe si pieusement tous les matins dans cet abri, au milieu des hommes de la section de soutien, est transporté au poste de secours. Hélas, il n'y avait plus rien à faire et son cadavre, laissé sur un brancard près du PC du bataillon, qui ne portait à sa mort aucune blessure apparente, est mutilé par le feu en fin de journée. Vers 17h, le bombardement s'acharnait sur le ravin d'Ostel, le dépôt de munitions, grenades, fusées, etc… saute, mettant le feu aux abris PC et PS et alentours. Le cadavre du capitaine abandonné auprès eut tout le bras et l'épaule gauche carbonisé.
7°- Ici, notre grosse artillerie a fait du bon travail.Trois cadavres sont encore dans l'abri, un blessé agonise de blessures qui ne sont pas d'aujourd'hui. Des morts du 283ème de chez nous, jonchent le sol, tantôt groupés, tantôt dispersés. Il y en a un qui est partagé en plusieurs tronçons, la jambe gauche presque en entier est à peine séparée du corps et forme bouillie dans sa partie supérieure avec le drap bleu du pantalon.
8° - Un cataclysme semble s'être produit en cet endroit. Sa vue m'emplit le cœur d'effroi, une angoisse me saisit même à la vue de cette maison d'enfer que les nombreux cadavres allemands et français avaient comme enjeu. Ils gisent corps et membres brisés, déchiquetés avec leurs chairs d'un violet blafard, posés sur de larges flaques de sang dont la terre est sursaturée à tel point que certaines forment un large caillot gélatineux en relief.
9° - Au carrefour des routes d'Ostel – Vailly et Chavonne, derrière un camouflage largement troué, je découvre des cadavres de chevaux et deux corps d'artilleurs déchiquetés, les effets comme tiraillés, en désordre et en lambeaux. On dirait qu'ils ont été lapidés. Le tout baigne dans une boue compacte.
10° - Nous en avons vu d'autres et sommes trop habitués à ce spectacle et un poilu de la section qui occupe la tranchée renchérit qu'il y a beaucoup de boches morts sur la tranchée et sur la plaine et que les Chasseurs en relevant leurs éléments de tranchée bouleversés en ont étayé les parois avec ceux qui s'y étaient aventurés et qu'une contre-attaque a surpris et tué.
11°- Le fusil-mitrailleur tire crosse sous le bras, mais il est abattu, mortellement blessé, d'un formidable coup de grenade à manche à la tête. Le premier pourvoyeur saute sur l'arme, finit le chargeur dans la poitrine de l'Allemand et se replie, blessé lui même, avec son caporal par dessus le parados de la tranchée.
12° - Je reste un instant debout et m'assied sur quelque chose de mou. C'est un mort allongé sur un brancard. Je me relève vite et je reste debout avec l'image indistincte de la forme du mort un instant dans les yeux.
13 ° - Dans ce trou d'obus, au milieu des vivants qui vont m'abandonner pour poursuivre leur mission destructrice, avec les morts et les blessés qui se plaignent doucement et auxquels d'ailleurs je ne puis être d'aucun secours.
14° - Poursuivant ma route sans regarder en arrière, j'utilise tantôt des éléments de tranchée ou de boyau restés intacts, tantôt en terrain découvert. Plusieurs boyaux sont bouchés par des morts des premières heures de l'attaque. L'un d'eux notamment tombé sur les genoux a le haut du corps courbé en avant, le visage collé à la terre et pris à la boue gluante.
15° - Je quitte enfin le plateau, pour m'engager dans un chemin creux où je retrouve bientôt l'abri poste de secours, prés duquel quelques jours avant, montant pour l'attaque, je m'étais assis sur un mort.
16° - Le sous-lieutenant commandant la 4ème section est tué par un petit obus à gaz qui le cloue au sol.
Source : Année 1917 : http://www.chtimiste.com/carnets/Decamp ... is%203.htm
Les autres années plus tard...
EDIT : plusieurs éditions pour mise en forme