Rodez et ses régiments, 1915

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Frederic S.
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Re: Rodez et ses régiments, 1915

Message par Frederic S. »

Bonjour à tous,

Merci encore Jean Pierre pour ta confirmation de Moulin des Prés. Le doute est levé, mon officier est bien du 76e RI ; ce régiment est donc encore présent à Rodez en mars 1915.

Voilà les trois lettres récupérées de H. (Henri?) Beaudet, pour ceux que ça intéresse.


Rodez 27 mars

Ma chère Nette,
Aujourd’hui repos, mes hommes ont été piqués hier contre la typho.
Je viens de finir de me faire habiller à neuf et d’essayer mon paletot de velours. Ce paletot remplace l’horrible tunique que tu m’as vue qui serrait le corps. Mon paletot est en velours bleu ciel très joli ; 3 poches extérieures, 2 poches intérieures.
Mon pantalon est de même velours. C’est un pantalon de cheval, 2 boutons en bas. C’est plutôt une culotte cycliste. Très pratique aussi.
Ma capote seule est en drap, également très clair. Je serais parfaitement équipé si mon imperméable était meilleur.
Quand il fera chaud, je serai en paletot, la capote roulée dans le sac. La nuit, je mettrai les deux sans oublier mon chandail.
Un lieutenant mitrailleur du 76 vient de nous envoyer une lettre de la prise de Vauquois : une boucherie terrible. Les mitrailleurs n’ont pas perdu un homme. Ils sont dans des trous recouverts d’une tôle garnie de terre ; un trou de 10 cm2 seul éclaire le logis obscur et laisse passer le canon des machines.
Vauquois coûte 5 000 hommes.
On habille les hommes en prévision du prochain renfort. Les magasins, maintenant, regorgent de tout. Ce n’est pas comme au Moulin des Prés. Tas de capotes, pantalons, paletots, tricots, flanelles à profusion. Du point de vue habillement, il ne manque plus rien.
Le pauvre Nifle [?] est révoqué, il passe à une autre compagnie en attendant son passage dans un autre corps.
C’est une mauvaise affaire pour lui parce qu’il y a ici beaucoup de gens de Villiers [?] qui vont s’empresser de l’écrire là-bas.
De plus, il va être signalé dans son nouveau régiment et envoyé au feu au prochain renfort. Paresseux, avare, bon joueur, insolent, il s’était fait une masse d’ennemis.
Avant son départ hier, je l’ai vu arracher ses galons et c’était pénible.
Tu ne me parles jamais du travail d’Yvette. Lit-elle bien couramment ? Et le pauvre calcul ? Madeleine parle-t-elle mieux ? Voilà 10 fois que je te le demande. Et son caractère ?
Plus le temps passe, plus je pense à elle, c’est une obsession. Ce qui me peine le plus c’est de ne pas avoir plus connu Madeleine, si seulement on l’avait prise à Pâques. Que la vie est terrible maintenant.
Et cependant nous sommes dans les plus favorisés. J’entends des discours de camarades qui indiquent que la misère gronde à pas mal de portes.
Ici les gens s’enrichissent. Cependant, depuis quelques temps, le 122 trinque et cela les désole. Les fils uniques tombent car ici c’est le fils unique qui prévaut. Le Midi est en complète décadence. C’est l’Espagne paresseuse et sale : les ploumes [?], c’est le nom qu’on leur donne, ont tous les défauts.
Meilleurs baisers à vous trois.
HB


15 octobre 1915

Ma Nette,
Hier, bombardement continuel. Vers 7 heures du soir, nos 75 ont tiré pendant ½ heure à la vitesse d’une fusillade. Ici, aucun coup de fusil dans la journée, très peu la nuit.
Le grand inconvénient ici, c’est que nous sommes mal ravitaillés. A force de manger figé, j’ai attrapé une belle indigestion qui m’a détraqué depuis 3 jours. Voilà 3 jours que je ne bois que de l’au. Aujourd’hui ça va mieux, la fièvre est passée.
Et puis comment veux-tu manger à côté de tous ces morts en complète putréfaction. Ils sont là par 5, par 10 qui empestent l’air et nous enlèvent tout appétit.
Quand les enlèvera-t-on ? Vos journaux n’en parlent pas. « Tout va bien, tout va bien. » En attendant, nos odorats et nos estomacs ne marchent pas.
Envoie-moi, quand tu me sais aux tranchées, de petits paquets postaux avec du port-salut que j’aime et qui se conserve bien, un peu de moutarde, des cornichons, un peu de viande cuite recouverte de sel ; les camarades en reçoivent en bon état.
Autre histoire, l’eau ne vaut rien, c’est de l’eau de chaux. Décidément, nous regrettons notre forêt et nos ravins. Nous avions là-bas une cuisine chaude deux fois par jour.
Il est vrai qu’à l’instant les poilus ont trouvé un remède. Notre café du matin est apporté de veille, au lieu de le boire froid, ils ont vidé la poudre de cartouches boches et en ont fait une traînée dans la tranchée. Cela donne un feu lent sans fumée. Le café était bouillant. Il m’a fait un bien énorme.
Ce qui me prive le plus, c’est le manque de journaux. Je viens de voir Magne, il n’en a pas davantage depuis 3 jours.
Le temps reste parfaitement beau, les nuits ne sont pas froides. Le froid prend un peu les pieds au lever du soleil. Je le sens depuis que je suis mal fichu et pourtant j’ai mis mes 2 paires de chaussettes.
Tu ne me parles jamais de Madeleine : se débrouille-t-elle un peu ? Yvette suit-elle mes leçons de calcul ? Ne la taquine pas, recommande-lui seulement d’aller lentement, de bien regarder et de réfléchir à tout ce qu’elle fait.
Embrasse les bien pour moi.
Baiser,
HB


1er 7bre 1918, en 1re ligne.

Nette,
Il faut conserver toutes les cartes que je t’envoie. Si je rentre, ce seront autant de souvenirs sensibles pour moi. Je les mettrai dans mon bureau ou dans ma petite maison de campagne. Elles présentent un intérêt que tu ne soupçonnes pas entièrement.
Une bonne nouvelle, les permes sont rétablies à 13%. Je ne connais pas encore mon tour bien que j’ai envoyé 2 lettres pour les demander.
Le Boche s’accroche terriblement à gauche et ne recule que pas à pas. Tu as vu qu’à Noyon il a fallu faire le siège de chaque rue et de chaque maison. Il a fallu toute la fougue de nos zouaves et de nos tirailleurs. Quelle reconnaissance nous devons à l’Afrique du Nord. Mais cette dette saurons-nous la reconnaître ? Il est à craindre qu’on s’occupe après, comme avant, d’un scandale quelconque, d’une pimbêche de Paris beaucoup plus des choses les plus élémentaires et essentielles.
Quand tu recevras cette lettre, je serai certainement relevé de 1re ligne et hors de portée de fusil, car bien peu de troupes vont au-delà de celle des canons. Santé bonne malgré la fatigue. Donne un baiser à Yvette et deux à maman pour moi. Je t’en envoie quatre, il en restera un pour toi.



Cordialement,

Frédéric S.
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garnier jean pierre
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Re: Rodez et ses régiments, 1915

Message par garnier jean pierre »

Bonjour Frédéric

Je ne connais pas la nature exacte de ta recherche mais à la lecture du courrier le nom de Villiers apparait avec un point d'interrogation.
Il existe la commune de Villiers aujourd'hui dans le val de marne.
Le 5e corps auquel appartenait le 76e RI était composé aussi de Parisiens
comme ses frères jumeaux de Fontainebleau et de Melun.
Mon grand père était affecté au 5e corps (46e Fontainebleau) au recrutement de Nogent sur Marne.
Il se pourrait bien que la correspondance épistolaire soit Parisienne, d'autant qu'il y ait fait référence à une maison à (la) campagne.
Maintenant il y a un second Villiers (sur Morin) qui se situe dans la zone assez proche de Coulommiers (à la campagne mais comme résidence principale) et qui se révèle un concurrent sérieux.
Voilà, j'ai écris en cas où la question de l'identification se poserait et ces deux pistes m'apparaissent plausibles.

PS spécial Francillien : le régiment de Coulommiers fut engagé le 5 sept 1914 (voir la date de mon inscription :lol: ) dans la bataille de la Marne, un certain C Peguy (Rgt de réserve)y perdit la vie en tentant de dégager la brigade Marocaine à Neufmontiers.
C'était au temps lontan (créole Réunionnais) des pantalons rouges.....
Bien cordialement.
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Frederic S.
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Re: Rodez et ses régiments, 1915

Message par Frederic S. »

Salut Jean-Pierre,

Ma recherche ne consiste qu’à essayer de resituer ces trois lettres (et plusieurs autres touchantes de ses petites filles).
Donc l’identification du régiment de cet officier me semblait indispensable.

Les points d’interrogation indiquent les mots douteux (écriture pas toujours facile à lire, surtout les noms propres).

Tu me dis qu’il y a un Villiers dans le Val-de-Marne. C’est super ça d’autant plus qu’après la lecture de ton message je suis allé sur MDH et j’ai trouvé la fiche d’un certain Nifle Jean (nom pas facile à déchiffrer sur la lettre) dont l’acte de décès a été établi à Villiers-sur-Marne ! Est-ce le même que celui de la lettre ? C’est possible (le doute c’est qu’il n'est que 2e classe ; même s’il a été cassé de son grade d’officier en 1915, c’est difficile d’imaginer qu’il n’a pas pu devenir par la suite au moins caporal ou 1re classe).

A bientôt,

Frédéric
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garnier jean pierre
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Re: Rodez et ses régiments, 1915

Message par garnier jean pierre »

Bingo!!!!

C'est le même, VILLIERS sur MARNE dans le neuf quatre du côté de Champigny, Bry, Plessis Trévise, (des hauts lieux de la guerre de 1870...)
Bravo. :wink:
Cordialement.
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sylvain44
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Re: Rodez et ses régiments, 1915

Message par sylvain44 »

Bonjour,
Je viens de lire vos différents échanges, qui m'intéressent beaucoup.
Je ne sais pas si ça vous fera avancer, mais mon AGP, né en 1874, avait fait son service au 76ème RI à Coulommiers.
De septembre à Novembre 1914, il est à Rodez au 36ème Territorial, 19ème compagnie de dépôt.

Il partira pour Soissons le 19/11/1914, rattaché au 276ème RI, et mourra lors des combats de Crouy, le 11/01/1915.

Je suis interessé par tout renseignement sur la période "Rodezienne" de mon AGP, et sur la présence du 36 Territorial

Cordialement,

Sylvain
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sylvain44
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Re: Rodez et ses régiments, 1915

Message par sylvain44 »

Je rajoute que dans une de ses lettres envoyées depuis Rodez, mon AGP
dit être cantonné dans un ancien séminaire.

Sylvain
roland1942
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Re: Rodez et ses régiments, 1915

Message par roland1942 »

Bonjour,*

J'ai la preuve que le 36° Régiment d'Infanterie Coloniale était à Rodez en 1915
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Jean RIOTTE
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Re: Rodez et ses régiments, 1915

Message par Jean RIOTTE »

Bonjour à toutes et à tous,
Bien que les régiments de Rodez et en particulier le 122ème RI ne fassent pas partie de mon programme de recherches, je suis très attaché à cette ville et l'Aveyron en général où j'ai servi 3 ans, Caserne RAUCH (appelée aussi caserne du Foirail avant 14-18).
Voici un lien pouvant intéresser celles et ceux qui étudient ce régiment:
http://archives.aveyron.fr/expositions/ ... e-guerre-9
Cordialement,
Jean RIOTTE
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laperouse
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Re: Rodez et ses régiments, 1915

Message par laperouse »

Bonsoir et merci.
Drôle de fin de vie pour ce "fameux 122e " qui a compté tant de "voisins"non aveyronnais combattants puis de générations d'appelés sur ce lieux "mythique" .
Pour revenir au lien donné par Jean Riotte, on notera que depuis la disparition du 122e les éleveurs qui ne gardent pas leur troupeaux de près sont victimes d'attaques d'une autre époque. Certains s'en réjouissent... drôle d'époque :roll:
A ma place, ou perdu dans le pacifique Sud.
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