Minute d'execution.

yukkah
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Re: Minute d'execution.

Message par yukkah »

Quelques années plus tard, pour vous remercier de votre aide, voici la nouvelle écrite :



Lorsque la douleur l’eut hissé sur son toit envié
un savoir évident se montra à lui sans brouillard.
(René Char, Le nu perdu)


Un procès


Son œil tremble. Ils ne sont plus deux, ne sont plus l’un d’eux. Ils ont perdu. Pas la guerre, leur humanité. Par la guerre ils ont perdu leur hymne à l’unité ; leur âme, visage et corps. Pupille irisée filtrant mal sa terreur d’hier, il ne comprend pas aujourd’hui et bat déjà sans lendemain. Pourquoi être là, comment encore, lui qu’on attend pourtant, au front certainement. A la maison,… peut-être pas. Il tremble jusqu’en sa notion, mais ne comprend leurs moustaches sévères, la question et le couperet que ce silence maintient, si bas. Il est fou de sa peur, ne peut plus rien laisser pénétrer ses regards. Siffle. Souffle le sang, vent chargé. Jambes, genoux à même la boue proue des tombes et y tombent ceux à peine rencontrés. Croupir enfin comme dernier chant à sa puberté, il ne sait plus même son innocence. Misérable, il grelotte des brises âcres de se savoir désarmé face à sa propre pérennité.

Tremble et s’impose, image sur image. Frais capitaine, je remonte les tranchées à la présumée recherche d’éléments, escomptés probants, dans cette affaire de jeune soldat perdant le nord, dévoyé à l’est de tout honneur. Le Colonel. Il m’a brodé de gallons, galions en mer presque paisible. Si je n’en sais le dessein diplomatique exact, la tape sur l’épaule intimait avec l’évidence de l’échafaud sordides affaires nécessitant la connivence de l’ombre. De réalité donc je traverse les lignes pour quérir un témoignage préscellé de culpabilité que je tiens au fond de ma besace. Si pour ma part c’est dire allégeance que d’accepter le risque de croiser balles ennemies pour colporter une déposition factice, le relatant doit vraisemblablement se racheter de quelque bévue en invoquant un lointain coup de jumelle, si par trop hasardeux, en tout cas attesté. Qui pour lui en vouloir ? Condamnant ou condamné, lui-même mort ou fou à lier. Partout je reçois mille grenades sans pour autant sentir la blessure me pénétrer. Tous savent, reculent, se taisent. Surtout. Chacun sent mon haleine lui arracher les dernières peaux de la dignité et encaisse mon passage comme ail pour unique cataplasme. Je suis messager abominable d’un tout-haut récusé. Le capitaine, celui qui tire son propre camp d’une arme qu’ils ne savent : l’urne des puissants.

Telles des griffes d’un velours froid je sens les autres, les d’en face, faire taire les feux qui n’existent que de ce respect qui, malgré soi, naît des frères ennemis. Comme par l’instinct des guerroyants lavant avec honneur les culottes presque propres de piteux agacés, ils me savent ennemi du code immémorial des braves. Je n’ai aucun droit de marauder leur visée. Eux ne me prennent en mire ; c’est leur façon de réfuter la légitimité de mon pas. Je n’aurai pas les honneurs, l’histoire s’écrira sans moi. De part et d’autre des barbelés, il semble qu’ils préfèrent laisser choir l’un des derniers instants de leur vie plutôt que de périr de honte en acceptant d’acter le passage de la lèpre hiérarchique.

Inquisition éclair, voyage aller – retour. Je ne sais de quoi sont habillés mes sentiments. La haine des trahis pourtant assignés au garde à vous, ou cet autre œil, encore trop vivant celui-là. Il semble affolé, me demander le pardon. Il semble m’octroyer le rôle d’émissaire de l’homme, non pas venu « quérir témoignage » mais présent pour l’écouter se défendre, se battre contre. Il a des enfants. Encore jeunes, bien que déjà très au fait des tombeaux. Vivre, pour eux, continuer, les protéger. Il semble espérer que je l’absolve. Au nom d’un père, de ses fils et des sains d’esprits. J’amène mon ordre de mission et m’assieds en face de lui. Il connaît son texte mais n’arrive pas à ouvrir la bouche. Il ne parvient pas non plus à la fermer d’ailleurs. Si le bail d’un jour prolongé lui offre en gage de garder conscience humaine, la promesse des devoirs qui en incombent l’a fait infirme. Sa bouche se meut au rythme de mots non avoués et trébuche sur des silences interdits. Il ne déposera pas, n’en est pas capable. Blessure justifiera. Ou assaut. Probablement en première ligne demain, ils reviennent peu. Sa signature en bas d’une page est tout ce que l’on attend de lui. Mais sa main crache la plume. Est-ce le mépris dans mon regard ou la sévérité de mes doigts posés sur le fourreau de mon ruby, il la ramasse précipitamment et signe de désespoir comme s’il n’avait qu’un seul coup face à mille ennemis. Indubitablement, il n’espère plus la vie, mais comme un pathétique ultime geste de bravoure, il vient de sauver la pension de sa veuve. Pauvre pauvre. Je t’achèverais bien. Toi cheval, moi l’obstacle qui t’a tombé.

Debout et parti je ne suis plus moi, je suis leur temps. Je suis le destin et son chagrin qui n’attend que la surprise du faucon. Il m’a fait, ils m’ont façonné tel. Tous et chacun. Moi le petit capitaine. Le p’tit, qui ne doit être pour la patrie. Subalterne érudit et pourtant essentiel ailleurs, si tant est que cet ailleurs ait encore patente. Quelqu’un pourrait-il me dire si encore il est un objectif à ces entrechats ? Bon an mal an, n’avions nous pas à vivre ? Se peut-il qu’il s’agisse d’un autre jeu que celui de cette loterie si populaire en mes dimanches d’antan ? Si les plateaux sont là et à l’étendue, les boules s’échangent mais ne s’arrêtent sur aucun. Le tirage est annulé. Perdant ou perdant, il me faut choisir entre le dédain de ceux qui épargnent presque à contrecœur les appris et l’irrévérence de mes frères de villages, épuisés mais à jamais rivaux. Je n’ai plus que ma morale, pourtant partout décriée, pour subsister.

S’ils savaient, eux qui m’ont déconsidéré, l’essence de mon commerce ! Oui, je vais le faire fusiller, et d’un mot d’un seul encore ! Pour l’exemple. Mais l’autre. Viol que ces plombs échangés, blasphèmes ces sangs gangrenés, il se couchera pour ne plus avoir à se dresser face à l’annihilante chimère. Quand bien même il rampât de l’avant, il ne le peut plus. Il se tient face à nos bancs de fortune comme une flaque de ses déféquas. Si une curiosité lugubre vous accule à le dévisager malgré l’indécence déjà partout oppressante, vous ne percevez de ce vague plus que ces cernes parsemées de cicatrices. Le cheveu est noueux, le dos crochu. Il a la peau verte du pendu. L’angoisse a jusque perverti sa bouche en une sorte d’antre pustuleux dont n’émanent qu’une écume blondasse et un condensé vaporeux des douleurs ci-vécues. Il ne sent plus, il vit autour. Répandu. Pourtant.

Pourtant l’on devine encore par un mystère que je ne commente les années buissonnières et l’apprenti apprêté qu’elles en ont rit. On distingue le pourpre des premiers élans et comment il les distribuait. Cet embrun vaniteux qui finit par envoler loin de lui toute méfiance, jeunesse galvanisée par ses printemps renouvelés, c’est chantant Marlborough qu’il dit à la revoyure. Vingt années l’avaient abreuvé d’ingénuité là où quelques jours suffirent à l’assécher presque complètement. Une année en avait fait scorie. Rude, l’hiver avait œuvré son petit possible pour l’éclipser sous ses draps cassés, mais les bottes de l’armée en campagne l’avaient traîné jusqu’en dehors des hospices. Lumières pleines et aveuglantes, illusions de févriers en traineaux.

A-t-il déserté ? Personne ne s’en soucie. C’est un piètre soldat. Pour l’exemple. Pour les garder ! Non plus les tenir mais les retrouver tant les jours derniers furent éprouvants. Leur étaler. Qui, où, quand ils sont. Il a manqué. Il a certes manqué. Il n’a pu, aucun n’aurait pu. Demain quinze heures. Avant l’assaut. Les ordres. La tactique. La colère. Colonel. Son œil tremble, ils ne sont plus d’eux. La colère, il est l’un des seuls ici à s’en permettre le luxe, l’amalgame à l’aliénation occultante de ces temps martyrisés. Ces ordres retardent d’un jour. La colère qui ne voit autre. Et repart. Ainsi s’impose un hasard. Lui. Donc lui. Celui que j’ai vu. Celui que j’ai découvert et senti.

Si l’on devine encore le fier adolescent patriote, c’est dans sa façon d’espérer retrouver de la bouche de l’homme l’intégrité perdue d’un cerveau outragé. Mais ce mot, le mien, lui apportera plutôt le réconfort de taire l’essentielle chaleur. Je vais t’offrir la légèreté qu’autrefois tu incarnais, te rendre l’impossible, ce qu’un occident presque entier pourchasse, je vais te libérer de ton obligation militaire et t’avancer loin de ces heures damnées. Je refuse que perdure l’appauvrissement de ces cœurs de par trop sollicités ! Tant de spasmes qu’ils s’en retrouvent annihilés, à l’instar de leurs points de ruptures, fragilisés par d’impossibles retours, et qui ne sont plus guère que théorie ! Rien. Ils ne sont plus. Rien. Pas même une fuite. Ils vécurent un début de cette guerre qui ne peut s’expliquer tant le langage n’est fait que de raison. Ils pourrissent devant nous telles des défroques galvaudées puis abandonnées d’une escouade de pestiférés ! Alors oui j’hurle et je dis non ! Je mens. Je mens ! J’accuse et condamne. Oui ! Que ma fraude barbare soit actée comme geste de révolte ! Je mens, j’accuse et condamne. Mais j’interpelle le dogme d’une de ces interrogations qui n’a de réponse que dans la chute. Menteur accusateur, c’est sans emportement mais avec l’analyse des aboiements qui m’assourdissent que je donne la pâtée empoisonnée à un bâtard trop gourmand. Ensemble menteurs accusateurs ! C’est par le sang qu’horreur et atrocités s’en retourneront au grand néant secret ! Au grand NEANT SECRET !!!

- Coupable !







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EPILOGUE
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SECRET

… division d’infanterie

Procès-Verbal d’exécution à mort

L’an …, le … à 15 heures 10 minutes,

Nous, G. H., greffier près le conseil de guerre de la … division d’infanterie, agissant en vertu des ordres de Monsieur le Général commandant la … division d’infanterie en date du …,
Nous sommes transportés à … pour assister à l’exécution de la peine de mort, prononcée le …, en réparation des crimes de rébellion et violence à main armées, contre le nommé : D. E., capitaine du … régiment d’infanterie, né le … à …, arrondissement de …, département de …, fils de … et de …, professant en tant que procureur de la république, domicilié avant son entrée au service à …
Celui-ci s’est rendu coupable de meurtre sur la personne du soldat N., alors condamné à mort pour désertion par le conseil de guerre spécial par trois voix contre deux. Cependant que le capitaine D., l’un des cinq juge dudit conseil de guerre, avait rendu son verdict, il s’est subitement rué sur le prévenu et a fait feu de son arme automatique, le tuant sur le coup. En conséquence, le capitaine D. est comparu dés le lendemain des faits devant l’instance qu’il coprésidait précédemment et a été condamné à la peine de mort pour acte de rébellion.
Arrivé sur le lieu de l’exécution, nous, greffier soussigné, avons donné lecture au condamné en présence de M. …, adjudant-juge audit Conseil et désigné en cette qualité par M. le Président pour assister à l’exécution.
Aussitôt après cette lecture, un piquet d’infanterie, composé conformément aux prescriptions réglementaires, s’est approché et a fait feu sur le condamné qui est tombé mort, ainsi que l’a constaté M. le médecin aide-major, commis à cet effet. L’exécution a eu lieu dans les conditions fixées par l’art…
a) Commandant des troupes : (vide)
b) Troupe devant assister à l’exécution : néant.

SECRET

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Néant secret. Vide et atteint.
tet2lar
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Inscription : dim. janv. 07, 2018 12:36 am

Re: Minute d'execution.

Message par tet2lar »

Merci de cette communication

et le gagnant du concours est : .... ?

J'apprécie beaucoup votre style d'écriture. Quant à l'intrigue, elle est vraiment bien tournée et originale. Avez-vous d'autres projets ?
yukkah
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Re: Minute d'execution.

Message par yukkah »

Bonjour,

Le gagnant du concours est un valeureux de nos forces de l'ordre, mais ma nouvelle fut publiée malgré tout. Fierté déplacée de mon égo démesuré. Hé ! Tout le monde ne peut prétendre avoir été publié par la police locale de Liège !

Des projets j'en avais, mais je travaille maintenant, et trop. Donc j'écris le cours de ma vie.

Mille merci pour vos compliments cependant ! Ils rehaussent cette journée.

Y.
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