Voilà un sujet qui me turlupine depuis de nombreuses années : les pertes des officiers supérieurs durant la Première Guerre mondiale. Sujet qui porte parfois à polémique, mais qui mérite que l'on s'y penche dessus en essayant de garder la tête froide. Je vais donc essayer de vous exposer en quelques mots le sens de mes recherches.
Les outils modernes mis à notre disposition (site MDH et le site formidable de Renaud Meunier sur les historiques aidé par une "armée" de bénévoles) et le "répertoire des corps de troupe de l'armée française pendant la Grande Guerre" (tome 1 : l'infanterie métropolitaine - Unités d'active) d'Eric Labayle et Michel Bonnaud dont on a parlé il y peu dans les pages du bibliophile m'ont permis de réaliser un petit travail que j'aimerai vous soumettre.
Je suis parti sans a priori, avec des idées entendues, lues ici ou là, mais que je me suis efforcé de laisser de côté. Voilà une gymnastique qui n'est pas évidente, je vous l'avoue. Modestement, j'ai essayé.
La plupart des historiens admettent que les pertes en officiers dits "inférieurs" ou "subalternes", (capitaines, lieutenants et sous-lieutenants) ont été très importantes dans les unités combattantes. Je n'ai jamais trouvé de chiffres par grade. Je ne sais pas d'ailleurs si ces chiffres sont disponibles quelque part ??? Information qui pourrait être rapportée au nombre total d'officiers dans ces unités. Il semblerait qu'un peu plus de 36000 officiers soient décédés durant la guerre (rapport Marin). La grande majorité, près de 30000 étaient dans l'infanterie, arme la plus exposée nous le savons bien. J'avais dans l'idée, comme beaucoup d'entre nous je crois, que seuls les officiers présents dans les compagnies au plus près des hommes de troupe étaient touchés, les officiers supérieurs (chefs de bataillon, lieutenants-colonels, colonel) restant des "privilégiés" dans la hiérarchie pratiquée par la grande faucheuse.
C'est avec cette idée que je me suis mis à faire quelques petites recherches, avec les outils cités plus haut, sur les chefs de corps des 173 régiments d'active. Je suis parfaitement conscient qu'il s'agit d'une "source nette" travaillée par d'autres personnes que moi et non d'une "source brute". Mais c'est avec une totale confiance que j'ai utilisé ce formidable travail. J'ai toutefois trouvé quelques petites coquilles.
Petite et dernière précision, j'ai fait abstraction des chefs de bataillon et d'escadron qui pour la plupart occuperont le poste de chef de corps après la perte de l'officier supérieur déjà en place. Il s'agit pour la plupart du temps d'une période de transition pour une période plus ou moins courte. Je n'ai donc recensé que les colonels et lieutenants-colonels.
Voici donc quelques statistiques.
Pour les 173 régiments d'infanterie d'active, 1036 noms de chef de corps sont mentionnés (1254 avec les chefs de bataillon et capitaines). Sur ces 1036 chefs de corps certains ont fait plusieurs apparition à la tête de leur unité ou bien encore, sont passés d'un régiment à l'autre. Pour connaître parfaitement le nombre de colonels et de lieutenants-colonels qui ont dirigés ces 173e R.I., il faudrait connaître l'état de service de ces officiers...(
![pt1cable :pt1cable:](./images/smilies/custom/pt1cable.gif)
- 122 (41 colonels et 81 lieutenants-colonels) sont MPLF alors qu'ils étaient à la tête de l'un des 173 régiments, soit 11,77 %
- 177 (55 colonels et 122 lieutenants-colonels) ont été blessés plus ou moins grièvement, soit 17,08 %
Je me suis donc attaché à travailler sur du concret. Je me suis donc arrêté sur les 173 chefs de corps à la mobilisation. Et là, les chiffres sont beaucoup plus parlant et surtout plus solides pour une analyse.
Sur 173 chefs de corps à la mobilisation, 46 (26,58 %) ont trouvé la mort durant la guerre et 35 (20,23 %)autres ont été blessé (dont 20 grièvement, et seulement 4 ont été évacués pour maladie). Pertes totales : 80 sur 173 (46,24 %)
Sur les 46 MPLF.
- Tués à l'ennemi : 18
- Disparus : 6
- Des suites de leurs blessures : 19
- En captivité, des suites de ses blessures : 1
- Maladie : 1
- Morts en 1914 : 33
- Morts en 1915 : 10
- Morts en 1916 : 2
Voici la liste détaillée des chefs de corps MPLF :
- Général Ernest Jean AIME, commandant la 67e division d'infanterie (ancien colonel commandant à la mobilisation le 79e R.I.), tué à l'ennemi le 6 septembre 1916 au Fort de Souville (Meuse)
- Colonel Etienne Félix Eugène APPERT, commandant à la mobilisation du 11e R.I. tué à l'ennemi le 20 décembre 1914 à Mesnil-les-Hurlus (Marne), avait reçu une première blessure le 28 août 1914 à Raucourt-et-Flaba (Ardennes)
- Colonel Alfred Louis Achille ARBANERE, commandant à la mobilisation du 53e RI décédé des suites de ses blessures le 20 août 1914 à Rorbach-lès-Dieuze (Moselle)
- Colonel François Marie Augustin AUBRY, commandant à la mobilisation du 109e RI disparu le 19 août 1914 à Schirmeck (Bas-Rhin)
- Colonel Léon Léonard AUROUSSEAU, commandant à la mobilisation du 108e RI décédé des suites de ses blessures le 14 septembre 1914 à l'hôpital du Val de Grâce à Paris (Seine). Blessé mortellement le 9 septembre 1914 au combat de Courdemanges (Marne)
- Général de brigade Ernest Jacques BARBOT, commandant la 77e division d'infanterie (ancien colonel commandant le 159e RI à la mobilisation) décédé des suites de ses blessures le 10 mai 1915 à Villers-Châtel (Pas-de-Calais)
- Colonel Henri Pierre BERGUIN, commandant à la mobilisation du 143e RI disparu le 20 août 1914 à Mulhwald (Moselle)
- Colonel Louis Edmond Charles BEROT, commandant à la mobilisation du 146e RI décédé des suites de ses blessures le 26 août 1914 à l'annexe de l'hôpital temporaire de Dijon (Côte d'Or). Blessé mortellement le 20 août 1914 au combat de Chicourt (Moselle)
- Colonel Jules Antoine Maurice Paul BOISSAUD, commandant à la mobilisation du 54e RI décédé des suites de ses blessures le 8 septembre 1914 à Erize-la-Petite (Meuse)
- Colonel Camille Vital Eugène BOUFFEZ, commandant à la mobilisation du 44e RI décédé des suites de ses blessures le 3 octobre 1915 à l'hôpital militaire de Châlons-sur-Marne (Marne). Blessé grièvement une première fois le 7 août 1914 au combat d'Altkirch (Haut-Rhin)
- Colonel Pierre Henri de CHERON, commandant à la mobilisation du 150e RI décédé des suites de ses blessures le 7 mai 1915 à Sainte-Menehould (Marne)
- Colonel Paul Léon COSTEBONEL, commandant à la mobilisation le 62e RI tué à l'ennemi le 6 octobre 1914 durant le combat de Hamel (Somme)
- Colonel Jean Daniel Paul COUDEIN, commandant à la mobilisation du 31e RI décédé des suites de ses blessures le 4 mars 1915 à l'hôpital complémentaire de Bar-le-Duc (Meuse) Blessé mortellement le 17 février 1915 à Vauquois par une balle au cou.
- Colonel Marie Joseph Claude Henri René COURTOT DE CISSEY, commandant à la mobilisation du 69e RI décédé des suites de ses blessures le 1er septembre 1914 à l'hôpital militaire de Nancy (Meurthe-et-Moselle)
- Colonel Charles COUTURAUD, commandant à la mobilisation du 86e RI décédé des suites de ses blessures le 10 septembre 1914 à l'ambulance n°2 à Baccarat (Meurthe-et-Moselle) Mortellement blessé le 25 août 1914 lors du combat dans Baccarat (a reçu cinq blessures)
- Lieutenant-colonel Léon Eugène DARDIER, commandant à la mobilisation du 59e RI tué à l'ennemi le 22 août 1914 à Bertrix (Belgique)
- Colonel Henri DETRIE, commandant à la mobilisation du 20e RI disparu le 22 août 1914 à Orchamps (Belgique)
- Colonel Charles Maxime DOE DE MAINDREVILLE, commandant à la mobilisation du 6e RI disparu le 30 août 1914 à Origny-Sainte-Benoite (Aisne)
- Colonel Ernest Lucien DOURY, commandant à la mobilisation du 5e RI tué à l'ennemi le 14 septembre 1914 au Godat (Aisne)
- Colonel René Louis DOYEN, commandant à la mobilisation du 8e RI tué à l'ennemi le 17 septembre 1914 au combat de la ferme du Choléra (Aisne)
- Colonel François DUBOIS, commandant à la mobilisation du 160e RI disparu le 25 août 1914 à Crévic - Saint-Nicolas (Meurthe-et-Moselle)
- Colonel Louis François Joseph de FLOTTE, commandant à la mobilisation du 48e RI décédé des suites de ses blessures le 22 août 1914 à Ham-sur-Sambre (Belgique)
- Colonel Maurice FOUREST, commandant à la mobilisation du 131e RI, tué à l'ennemi le 9 janvier 1915 à Vauquois (Meuse)
- Colonel Hubert Alexandre Victor GARNIER, commandant à la mobilisation du 112e RI décédé des suites de ses blessures le 20 mai 1916 à l'ambulance 3/5 de Froidos (Meuse) Blessé une première fois le 20 août 1914 au combat de Bidestroff (Moselle)
- Colonel Joseph Marius Auguste GAUTHIER, commandant à la mobilisation du 144e RI décédé des suites de ses blessures (gangrène foudroyante d'une fracture du fémur droit du à des shrapnells) le 25 août 1914 à l'hôpital du Val de Grâce à Paris (Seine) Blessé mortellement le 23 août 1914 au combat de Leers-et-Fosteau (Belgique)
- Colonel Paul Henri Marie GAZAN, commandant à la mobilisation du 115e RI tué à l'ennemi le 27 septembre 1914 à Roye (Somme)
- Colonel Marie Ferdinand Joseph Auguste Louis GERARDIN, commandant à la mobilisation du 113e RI décédé en captivité des suites de ses blessures le 22 décembre 1914 à l'hôpital de Coblence (Allemagne) Grièvement blessé le 22 août 1914 au combat de Signeux (Meurthe-et-Moselle), fait prisonnier, décède quatre mois après.
- Colonel Adrien Gustave HETET, commandant à la mobilisation du 93e RI décédé des suites de ses blessures le 8 septembre 1914 à Herbisse (Aube)
- Lieutenant-colonel Jules HOUSSEMENT, commandant à la mobilisation du 158e RI tué à l'ennemi le 4 novembre 1914 à Kemmel (Belgique)
- Colonel Paul Marie Fournier JACQUOT, commandant à la mobilisation du 166e RI tué à l'ennemi le 25 août 1914 au combat d'Etain (Meuse)
- Colonel François Joseph André Louis LAFFARGUE, commandant à la mobilisation du 130e RI tué à l'ennemi le 22 août 1914 à Virton (Belgique)
- Colonel Pierre Justin Auguste LAMOLE, commandant à la mobilisation du 142e RI tué à l'ennemi le 18 août 1914 à Londrefing (Moselle)
- Colonel Michel Emile LEBLANC, commandant à la mobilisation du 61e RI tué à l'ennemi le 21 décembre 1914 à l'ambulance 6/15 de Montzéville (Meuse) Blessé une première fois le 21 août 1914
- Général de division François Jules Louis LOYZEAU DE GRANDMAISON commandant la 53e division d'infanterie, (ancien colonel commandant à la mobilisation le 153e RI) décédé des suites de ses blessures le 19 février 1915 à Soissons (Aisne) Blessé grièvement une première fois le 20 août 1914.
- Colonel Jean Marie Auguste MAHEAS, commandant à la mobilisation du 88e RI tué à l'ennemi le 9 mai 1915 à Roclincourt (Pas-de-Calais)
- Colonel Jules Armand Georges de MAROLLES, commandant à la mobilisation du 137e RI décédé des suites de ses blessures le 28 août 1914 à Maisoncelles (Ardennes)
- Lieutenant-colonel Claude Symphorien Jean Baptiste MARTINET, commandant à la mobilisation du 99e RI disparu le 25 août 1914 à Schirmeck (Bas-Rhin)
- Colonel Henri Louis MEZIERES, commandant à la mobilisation du 32e RI tué à l'ennemi le 8 septembre 1914 à La Fère Champenoise (Marne)
- Colonel Jean Pierre Camille NAUTRE, commandant à la mobilisation du 75e RI décédé des suites de ses blessures le 9 novembre 1914 à l'hôpital Saint-Charles de Saint-Dié (Vosges)
- Colonel Eugène PEREZ, commandant à la mobilisation du 2e RI décédé des suites de ses blessures le 6 septembre 1914 à l'hospice mixte de Sézanne (Marne)
- Lieutenant-colonel Jean Joseph René Georges Marie Daniel PONCET DES NOUAILLES, commandant à la mobilisation du 47e RI tué à l'ennemi le 9 septembre 1914 à Charleville (Marne)
- Général de brigade Jean Baptiste Joseph PROYE, commandant la 45e brigade d'infanterie (ancien colonel commandant à la mobilisation le 43e RI) décédé des suite d'une maladie le 10 décembre 1915 à l'hôpital auxiliaire n°227 (2 rue Rouget de Lisle) à Paris (Seine)
- Colonel Marie Célestin Louis Henri Ange RABIER, commandant à la mobilisation du 85e RI tué à l'ennemi le 24 septembre 1914 à Faucoucourt-en-Santerre (Somme) Blessé le 20 août 1914 à Verdenal (Meurthe-et-Moselle)
- Lieutenant-colonel Ernest Marie SOUVERAIN, commandant à la mobilisation du 52e RI l décédé des suites de ses blessures le 19 octobre 1915 à Vitry-le-François (Marne)
- Général de brigade Jean Paul Ernest STIRN, commandant la 88e brigade d'infanterie (ancien lieutenant-colonel commandant à la mobilisation le 33e RI) tué à l'ennemi le 12 mai 1915 à Berthonval (Pas-de-Calais)
- Colonel Louis Emile Etienne Ary TOURRET, commandant à la mobilisation du 95e RI tué à l'ennemi le 24 août 1914 à Ortoncourt(Vosges)
Je sais que je vais faire réagir beaucoup de personnes, mais je constate que le chiffre de 26,58 % de décès des chefs de corps à la mobilisation se rapproche des chiffres connus des décés pour les classes 1911 (24,1 %) 1912 (27,7 %) et 1913 (26,9 %) présentes sous les drapeaux au moment de la mobilisation. Pour tous ces hommes quittant les casernes en ces premiers jours du mois d'août 1914, la mort n'a pas, il me semble, choisit ses victimes... Officiers supérieurs, subalternes ou hommes de troupe ont été très durement "décimés" sur les divers champs de bataille. Un homme sur quatre ne reviendra pas.
Je reconnais les limites de cette analyse, mais je voulais tout de même vous la soumettre, afin que nous puissions y réfléchir et sans esprit de polémique...
Je vais d'ailleurs continuer l'inventaire des chefs de corps décédés. Dans les jours qui viennent je vous soumettrai la liste que je possède, peut-être pourriez vous m'aider à la compléter avant la sortie prochaine des tomes du répertoire cité plus haut.
Bien cordialement
Guilhem LAURENT