Bonsoir,
Parmi les solutions de fortune destinées à permettre la destruction des réseaux de fil de fer barbelé, responsables de pertes énormes lors des assauts d'infanterie, une des plus étonnantes est constituée par les essais puis l'emploi sur le front des canons lance-amarre (parfois désigné porte-amarre).
Les pertes des malheureux sapeurs "cisailleurs" de fil de fer au moyen de simples pinces coupantes et la difficulté d'aborder les réseaux pour y disposer divers modèles de charges allongées font imaginer une solution originale, le canon lance-amarre dont le lieutenant de vaisseau Gilard fut un des concepteurs, chargé ensuite d'instruire les équipes chargées de la mise en œuvre des matériels et aussi de convaincre les généraux du front dont certains sont sceptiques sur l'efficacité du procédé.
Le principe du canon lance-amarre est simple:
-lancer un grappin, amarré à un fil d'acier prolongé par un filin, au moyen d'un canon léger au milieu d'un réseau de fil de fer.
-ramener le grappin au moyen d'un treuil, le grappin arrachant alors les fils et les piquets.
Le principe est simple mais il faut trouver un canon léger pouvant être amené à distance de tir en cheminant par les boyaux d'accès à la première ligne et capable d'envoyer un grappin à la distance de 150 à 180 m.
Le choix est vite fait, il existe deux matériels pouvant convenir à la tâche:
-le canon de 65 mm modèle 1881 de débarquement de la Marine. L'avantage de ce matériel est sa légéreté, sa facilité de transport à force humaine et la possibilité de démonter le matériel en plusieurs éléments portables à dos d'homme. Les canons de débarquement de la Marine sont répartis à raison d'un ou deux canons sur les grands bâtiments (cuirassés, croiseurs) pour l'appui des compagnies de débarquement employées à terre.
-le canon porte-amarre de modèle unifié en service dans les sémaphores, postes de secours des sauveteurs et même dans certains postes douaniers du littoral. Ces tous petits canons peuvent lancer des amarres afin de secourir les naufragés à proximité du littoral. Il existe un modèle très répandu construit par la Société de Construction des Batignolles dans les années 1880. Il s'agit d'un canon en bronze de calibre 2 à chargement par la bouche reposant sur un affût et des roues en fer.
Les premiers essais du canon de débarquement de 65 mm modèle 1881 sont effectués à Gâvres en novembre 1914, le canon peut lancer un grappin à 180 m dans un réseau mais il est très difficile de le ramener et des ruptures fréquentes du filin sont observées. L'Armée procède à des expériences au Fort de Vaujours en décembre 1914 et les mêmes inconvénients sont enregistrés.
Je n'ai par contre pas trouvé à ce jour les compte-rendus des essais concernant les petits canons porte-amarre du littoral.
Le GQG décide néanmoins l'emploi de ces matériels sur le front et met sur pied 100 équipes d'artilleurs répartis en 25 groupes de 2 sections et dotés de canons des deux types. Le transport s'effectue en affectant 50 camions destinés aux déplacements des matériels et des hommes.
Voici les matériels:
-le canon de 65 mm modèle 1881 de la Marine, ici employé comme canon d'infanterie en première ligne dès octobre 1914:
-le schéma du grappin et le principe de son lancement dans un canon de 65 mm modèle 1881 de débarquement:
-le petit canon porte-amarre du type unifié en service sur le littoral ici chez les sauveteurs et douaniers de Wimereux (Pas de Calais):
-une vue d'un petit canon porte-amarre proposé il y a quelque temps sur un "site de vente bien connu". Le matériel, en excellent état, porte une plaque de la Société des Batignolles indiquant sa date de fabrication qui est "1887":
(à suivre pour l'emploi du matériel sur le front)
Canon lance-amarre
Re: Canon lance-amarre
(suite)
L'emploi des canons lance-amarres a lieu sur le front dès décembre 1914.
Le général de Castelnau, soucieux de trouver une solution au franchissement des réseaux de fil de fer, accueille le lieutenant de vaisseau Gilard et autorise une action de trois canons lance-amarres pour l'attaque du saillant ouest de Gomecourt le 16 décembre 1914. L'expérimentation est un échec, le manque de portée du matériel et la rupture des filins en sont les principales causes.
Dans le même temps, des canons lance-amarres sont employés à plusieurs reprises sur l'éperon de Notre-Dame de Lorette et aussi lors d'une attaque au "V" de Vauquois.
A part d'heureuses exceptions, le manque de fiabilité des matériels, les ruptures de filins et l'insuffisance de puissance des treuils ne permettent pas d'aboutir à la destruction des réseaux.
En mars 1915, de nouvelles expériences, tenant compte des enseignements des attaques précédentes, sont entreprises mais la confiance des combattants envers ce procédé s'effondre rapidement.
En juillet 1915, face à l'échec du procédé, le GQG procède à la dissolution des groupes de canons lance-amarres.
Un nouveau procédé plus efficace s'est enfin révélé: le tir concentré de plusieurs centaines d'obus explosifs de 75 sur un réseau est capable de faire une brèche. En 1916, la mise au point de la fusée instantanée IA (extrêmement sensible) permet de provoquer la détonation de l'obus explosif de 75 au ras du sol et même en heurtant un piquet amenant enfin la solution. Ces formes de tirs, combinées à la puissance de destruction des bombes de l'artillerie de tranchée, permettent notamment l'éphémère percée des premières lignes allemandes lors du 1er jour de l'offensive de la Somme en juillet 1916 (du moins côté français!).
Les documents montrant les canons lance-amarre sur le front sont rares. De même les mentions de leur emploi ne figurent que dans quelques JMO.
Il serait intéressant de rassembler toutes ces mentions, merci à l'avance aux lecteurs qui permettront de faire avancer le sujet!
Voici une photographie montrant une expérience de canon lance-amarre menée en mars 1915, vraisemblablement sur les arrières de la IIe Armée, au moyen d'un petit canon du littoral: Tel quel, l'emploi du canon lance-amarre témoigne de la "grandeur tragique de l'année 1915" où tout était à inventer en face d'un ennemi pourvu d'engins de tranchée efficaces, expérimentés dès le temps de paix.
"Trop peu, trop tard", une constante de la politique militaire française en 1870, 1914 et 1939, sans faire référence à des événements plus récents qui montrent douloureusement la permanence du phénomène!
Cordialement,
Guy François.
L'emploi des canons lance-amarres a lieu sur le front dès décembre 1914.
Le général de Castelnau, soucieux de trouver une solution au franchissement des réseaux de fil de fer, accueille le lieutenant de vaisseau Gilard et autorise une action de trois canons lance-amarres pour l'attaque du saillant ouest de Gomecourt le 16 décembre 1914. L'expérimentation est un échec, le manque de portée du matériel et la rupture des filins en sont les principales causes.
Dans le même temps, des canons lance-amarres sont employés à plusieurs reprises sur l'éperon de Notre-Dame de Lorette et aussi lors d'une attaque au "V" de Vauquois.
A part d'heureuses exceptions, le manque de fiabilité des matériels, les ruptures de filins et l'insuffisance de puissance des treuils ne permettent pas d'aboutir à la destruction des réseaux.
En mars 1915, de nouvelles expériences, tenant compte des enseignements des attaques précédentes, sont entreprises mais la confiance des combattants envers ce procédé s'effondre rapidement.
En juillet 1915, face à l'échec du procédé, le GQG procède à la dissolution des groupes de canons lance-amarres.
Un nouveau procédé plus efficace s'est enfin révélé: le tir concentré de plusieurs centaines d'obus explosifs de 75 sur un réseau est capable de faire une brèche. En 1916, la mise au point de la fusée instantanée IA (extrêmement sensible) permet de provoquer la détonation de l'obus explosif de 75 au ras du sol et même en heurtant un piquet amenant enfin la solution. Ces formes de tirs, combinées à la puissance de destruction des bombes de l'artillerie de tranchée, permettent notamment l'éphémère percée des premières lignes allemandes lors du 1er jour de l'offensive de la Somme en juillet 1916 (du moins côté français!).
Les documents montrant les canons lance-amarre sur le front sont rares. De même les mentions de leur emploi ne figurent que dans quelques JMO.
Il serait intéressant de rassembler toutes ces mentions, merci à l'avance aux lecteurs qui permettront de faire avancer le sujet!
Voici une photographie montrant une expérience de canon lance-amarre menée en mars 1915, vraisemblablement sur les arrières de la IIe Armée, au moyen d'un petit canon du littoral: Tel quel, l'emploi du canon lance-amarre témoigne de la "grandeur tragique de l'année 1915" où tout était à inventer en face d'un ennemi pourvu d'engins de tranchée efficaces, expérimentés dès le temps de paix.
"Trop peu, trop tard", une constante de la politique militaire française en 1870, 1914 et 1939, sans faire référence à des événements plus récents qui montrent douloureusement la permanence du phénomène!
Cordialement,
Guy François.
Re: Canon lance-amarre
Bonjour
Je vous joins une photo de 2 canons porte amare avec leur treuil prise le 7 juillet 1915 au Neufour (argonne) par un médecin du 91 RI (l'auteur de la photo parle de porte amarre) à vol d'oiseau le Neufour est proche de Vauquois Cordialement
Pierre
Je vous joins une photo de 2 canons porte amare avec leur treuil prise le 7 juillet 1915 au Neufour (argonne) par un médecin du 91 RI (l'auteur de la photo parle de porte amarre) à vol d'oiseau le Neufour est proche de Vauquois Cordialement
Pierre
pierre
Re: Canon lance-amarre
Bonsoir,
Merci, Pierre, pour cette photographie très intéressante!
Outre les treuils, le cliché nous montre une version d'un petit canon porte-amarre du littoral monté sur un micro affût à échantignolles, variante jamais vue à ce jour. Le second canon est du type général sur affût à roues en fer.
Cordialement,
Guy François.
Merci, Pierre, pour cette photographie très intéressante!
Outre les treuils, le cliché nous montre une version d'un petit canon porte-amarre du littoral monté sur un micro affût à échantignolles, variante jamais vue à ce jour. Le second canon est du type général sur affût à roues en fer.
Cordialement,
Guy François.
Canon lance-amarre.
Bonsoir à tous,
Autre type de canon lance-amarre utilisé pour le sauvetage des naufragés.
.
Autre type de canon lance-amarre utilisé pour le sauvetage des naufragés.
• L'Excelsior, n° 716, Samedi 30 novembre 1912, p. 5.
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Dernière modification par Rutilius le lun. juin 28, 2021 10:06 am, modifié 1 fois.
Bien amicalement à vous,
Daniel.
Daniel.
Re: Canon lance-amarre
Bonjour et merci pour ce nouveau sujet.
Cordialement.
Cordialement.
Re: Canon lance-amarre
Bonjour,
bel article, mais on ne peut pas parler réellement d ecanon lance amarre, il s'agit là de lance fusées d'où le panache de fumée sur la trajectoire et l'affut fait penser aux affuts de fuséees de la fin du XIX
Cordialement
Pierre-
bel article, mais on ne peut pas parler réellement d ecanon lance amarre, il s'agit là de lance fusées d'où le panache de fumée sur la trajectoire et l'affut fait penser aux affuts de fuséees de la fin du XIX
Cordialement
Pierre-
pierre
Re: Canon lance-amarre
Bonjour,
Et c'est en Angleterre. Les bonnets sont ceux de la Royal Navy.
Et c'est en Angleterre. Les bonnets sont ceux de la Royal Navy.
Cordialement
Yvonnick
Yvonnick
Re: Canon lance-amarre
Bonsoir,
Pour en revenir aux canons porte-amarre de l'Armée française, j'ai cherché si les treuils avaient une origine "réglementaire".
En fait, les seuls treuils réglementaires de l'artillerie sont des treuils à grande puissance (tel le cabestan de carrier) beaucoup trop lourds pour un emploi dans les tranchées.
Toutefois, au chapitre 12 de l'Aide-Mémoire à l'usage des officiers d'Artillerie, on trouve la description d'un treuil de force 1000 kg pour utilisation dans les places fortes dont il est précisé que l'on trouve ces treuils "dans le commerce". Il est donc possible que chaque Direction d'Artillerie ait pu choisir des matériels civils de cette catégorie ce qui expliquerait les légères différences entre le modèle illustré dans l'Aide-Mémoire et celui de la photographie postée par Pierre.
En tout cas, amener un tel treuil en première ligne n'est pas chose aisée puisque le poids de l'engin décrit est de 350 kg.
Voici le treuil illusté Planche XI du chapitre 12 de l'Aide-Mémoire: Cordialement,
Guy François.
Pour en revenir aux canons porte-amarre de l'Armée française, j'ai cherché si les treuils avaient une origine "réglementaire".
En fait, les seuls treuils réglementaires de l'artillerie sont des treuils à grande puissance (tel le cabestan de carrier) beaucoup trop lourds pour un emploi dans les tranchées.
Toutefois, au chapitre 12 de l'Aide-Mémoire à l'usage des officiers d'Artillerie, on trouve la description d'un treuil de force 1000 kg pour utilisation dans les places fortes dont il est précisé que l'on trouve ces treuils "dans le commerce". Il est donc possible que chaque Direction d'Artillerie ait pu choisir des matériels civils de cette catégorie ce qui expliquerait les légères différences entre le modèle illustré dans l'Aide-Mémoire et celui de la photographie postée par Pierre.
En tout cas, amener un tel treuil en première ligne n'est pas chose aisée puisque le poids de l'engin décrit est de 350 kg.
Voici le treuil illusté Planche XI du chapitre 12 de l'Aide-Mémoire: Cordialement,
Guy François.
Re: Canon lance-amarre
Bonjour,
Concernant le premier emploi des canons porte-amarre au front, je pense qu'il s'agit bien de l'expérience tentée le 16 décembre 1914 au saillant Ouest de Gommecourt, à laquelle j'ai fait référence dans mon deuxième message.
Les JMO de la IIe Armée du général de Castelnau et de la 56e Division de Réserve du général de Dartein mentionnent cet emploi avec quelques détails intéressants. Malheureusement, le JMO du 43e R.I.C, mis à la disposition de la 56e D.R, pour exploiter une éventuelle brèche dans les réseaux, manque.
Le tome 2 du livre du général de Dartein "La 56e Division au feu" reprend les grandes lignes du JMO de la Division en précisant quelques noms.
A ce sujet, il donne à l'officier de Marine Gilard, chargé de l'instruction sur les canons porte-amarres, le grade d'enseigne de vaisseau tandis que le beau livre du général Gras consacré à la biographie du général de Castelnau indique qu'il s'agit d'un lieutenant de vaisseau, ce qui me semble plus exact. Le dossier "Leonore" du capitaine de frégate Gilard ne donne aucun renseignement utile sinon que l'intéressé est lieutenant de vaisseau en 1912, vraisemblablement toujours affecté à Rochefort en 1914.
La question de l'emploi des canons porte-amarre dans les autres secteurs du front de décembre 1914 jusqu'à l'été 1915 est toujours à documenter.
Cordialement,
Guy François.
Concernant le premier emploi des canons porte-amarre au front, je pense qu'il s'agit bien de l'expérience tentée le 16 décembre 1914 au saillant Ouest de Gommecourt, à laquelle j'ai fait référence dans mon deuxième message.
Les JMO de la IIe Armée du général de Castelnau et de la 56e Division de Réserve du général de Dartein mentionnent cet emploi avec quelques détails intéressants. Malheureusement, le JMO du 43e R.I.C, mis à la disposition de la 56e D.R, pour exploiter une éventuelle brèche dans les réseaux, manque.
Le tome 2 du livre du général de Dartein "La 56e Division au feu" reprend les grandes lignes du JMO de la Division en précisant quelques noms.
A ce sujet, il donne à l'officier de Marine Gilard, chargé de l'instruction sur les canons porte-amarres, le grade d'enseigne de vaisseau tandis que le beau livre du général Gras consacré à la biographie du général de Castelnau indique qu'il s'agit d'un lieutenant de vaisseau, ce qui me semble plus exact. Le dossier "Leonore" du capitaine de frégate Gilard ne donne aucun renseignement utile sinon que l'intéressé est lieutenant de vaisseau en 1912, vraisemblablement toujours affecté à Rochefort en 1914.
La question de l'emploi des canons porte-amarre dans les autres secteurs du front de décembre 1914 jusqu'à l'été 1915 est toujours à documenter.
Cordialement,
Guy François.