Le canon de 75 anti-char en 1918

ALVF
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Re: Le canon de 75 anti-char en 1918

Message par ALVF »

Bonjour,

Depuis 1917, l'Etat-Major français a craint de devoir affronter des chars d'assaut allemands, ce qui ne se produira en fait qu'à partir du printemps 1918.Les actions des chars allemands, bien décrites par Michel "Tanker" dans ses interventions, ont été ponctuelles et seuls deux modèles de chars ont été employés, les chars de production allemande A7V et les chars anglais Mark IV "Beute Panzerwagen" capturés surtout à l'issue de la contre-attaque allemande de Cambrai car le terrain reconquis de l'attaque initiale britannique était couvert de chars détruits ou avariés voire simplement de chars en panne mécanique.
L'Armée française comptait beaucoup pour agir contre les chars sur le canon d'infanterie de 37 mm modèle 1916 (qui fut d'ailleurs efficace lors de l'attaque du 1er juin 1918 dans le Secteur du Fort de La Pompelle) et encore plus sur le canon de 37 mm américain produit par Bethleem Steel, véritable canon long, ancêtre des canons légers à vocation anti-char.Ce canon fut en fait très peu employé par l'Armée française et beaucoup d'exemplaires construits n'ont même pas franchi l'Atlantique.
Toutefois, la crainte de devoir affronter des chars lourds faisait envisager l'emploi du canon de 75 mm modèle 1897, capable de détruire les chars les plus puissants de l'époque, y compris les chars "monstres", prévus mais non construits en Allemagne à la fin de la guerre.
Le problème est que notre pièce de campagne, comme celle de tous les belligérants d'ailleurs, ne peut "suivre" une cible en déplacement rapide et que dans ces conditions le tir anti-char est inefficace à moyenne et longue distance sur une cible mouvante.Seule une action de masse de l'artillerie est en mesure de neutraliser des chars en mouvement ou à très faible vitesse, voire même à l'arrêt, au moment d'aborder un obstacle ou de franchir une tranchée.
Il était donc nécessaire d'avoir un "75" susceptible d'avoir un grand champ de tir horizontal instantané permettant de "suivre" le char en mouvement.
Il existait bien depuis l'avant-guerre un dispositif de plateforme métallique permettant au canon de 75 de campagne d'effectuer des tirs dans tous les azimuts.Ce dispositif avait été adopté pour la défense des côtes mais la diffusion du "75 approprié au tir de côte" demeurait faible, ces dispositifs étaient toutefois réglementaires à Dunkerque pour la défense du port en 1914 où deux canons de "75 appropriés" remplaçaient les anciens canons de côte de petit calibre pour la défense de la Jetée Est du port.
Je n'ai pas trouvé actuellement la réponse à la question de savoir pourquoi ce dispositif simple, adaptable sans modification au 75 de campagne, n'a pas été adopté pour la guerre terrestre pendant la guerre.
Les services techniques se tournèrent en 1917 vers une formule de circonstance en adaptant un "chevalet de tir pour canon de 75" réalisé en bois et comprenant un cadre vertical appuyé vers l'arrière par des jambes de force.Le support mobile est un triangle en bois tournant sur des charnières dont l'axe est vertical.La pièce débarrassée de ses roues, de ses boucliers, de ses freins de route et des sièges des servants est placée sur le support fixe.
La pièce a un champ de tir de 60° et une tringle de pointage en direction aide aux opérations de pointage.
Ce chevalet, pièce de charpenterie facilement réalisable dans les parcs d'artillerie, devient réglementaire au début de 1918.L'ensemble est décrit en détail dans les Annexes de l'"Instruction sur l'organisation et la construction des batteries" en date du 11 février 1918.
Il ne semble pas que ces dispositifs aient servi lors de l'attaque allemande avec chars du 1er juin 1918 à l'Est de Reims mais leur emploi est certain en Champagne lors de l'assaut allemand Friedensturm du 15 juillet 1918.
Voici à quoi ressemble ce "chevalet de tir pour canon de 75", merci d'avance aux lecteurs qui auraient repéré des mentions indiscutables de son emploi en 1918 et (ou) qui seraient en possession d'une bonne photographie de ce véritable "75 anti-char" utilisable pour la défense d'une ligne de défense ou pour interdire un point de passage obligé du champ de bataille:
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Vue en plan du "chevalet de tir pour canon de 75".
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Canon de 75 modèle 1897 sur chevalet de tir permettant le tir sur une cible en mouvement rapide.

Cordialement,
Guy François.
leuques

Re: Le canon de 75 anti-char en 1918

Message par leuques »

Bonjour

rien à dire de spécial. comme tjrs c'est technique mais ça reste instructif,
intéressant à suivre et 'digeste'

cordialement
ALVF
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Re: Le canon de 75 anti-char en 1918

Message par ALVF »

Bonsoir,

Au début de l'année 1918, environ 350 pièces de 75 modèle 1897 sur chevalet Filloux furent déployées sur tous les emplacements propices au passage des chars en prévision des offensives allemandes attendues, singulièrement en Champagne et dans l'Aisne.
Armés par des Sections de Défense Contre les Tanks (D.C.T), ces canons anti-chars sont installés en première ligne mais n'ont eu qu'une occasion de remplir leur rôle anti-char lors de l'offensive du 15 juillet 1918 en Champagne.Toutefois, pendant les offensives allemandes du printemps et de l'été 1918, ces 75 de D.C.T prennent à partie l'infanterie allemande assaillante en tir direct mais doivent être sabordées en cas de succès de l'attaque ennemie puisque ces pièces sont statiques.
Ces 75 de D.C.T sont souvent placés en casemates soigneusement camouflées et ne se manifestent qu'au moment de l'emploi.
Les photographies de ces 75 de D.C.T sur chevalet Filloux sont rares, j'en ai publié une dans mon petit livre sur le 75 et dans un article de la Revue "GBM".
Voici deux autres photographies, de médiocre qualité technique, prises à la Ferme du Choléra en 1919 par un ancien combattant en pèlerinage.
Ces pièces ont probablement été sabordées le 27 mai 1918 au moment du recul des forces anglaises tenant ce secteur lors de l'offensive allemande.Il est probable que cette Section de 75 D.C.T ait été mise à disposition de nos alliés avec des servants français, habitués à servir ce matériel.
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Il est curieux de constater que ces pièces anti-chars françaises ont été détruites à proximité du lieu d'emploi des premiers chars français en avril 1917.
Si un lecteur a des précisions sur l'emplacement exact de ces 75 de D.C.T et éventuellement sur leur rôle en 1918, je serai extrêmement intéressé, de même que l'ami Michel alias "Tanker" qui a préparé ces photographies pour la publication.
Cordialement,
Guy François.
p Lamy
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Re: Le canon de 75 anti-char en 1918

Message par p Lamy »

Bonjour Guy François,
merci de vos informations toujours très bien documentées;
il existait un obus de rupture AL (André Lefèvre) modèle 1911 je crois, de mémoire (perforant explosif avec fusée de culot). Etait-ce type de projectile qui était mployé pour le combat antichar lors de la première guerre mondiale où son emploi était-il plus réservé au tir contre les ouvrages bétonnés de la ligne de front. Dans ce cas du tir anti-chars, je crois que l'on utilisait en tir direct avec la hausse à zéro pour un tir tendu à courte distance. Excusez mes propos, mes connaissances en artillerie étant assez minces.
Bien cordialement.
P. Lamy
"C'est le Vin qui a fait gagner la Guerre"
Jean-Louis Billet, agent de liaison au 70e BACP
ALVF
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Re: Le canon de 75 anti-char en 1918

Message par ALVF »

Bonsoir,

Tous les obus explosifs tirés par le 75 modèle 1897 sont capables de causer de graves dommages aux chars allemands A7V ou Mark IV de prise ("Beute Panzerwagen") dont les obus A.L des modèles 1916 et 1917 qui sont des obus explosifs à longue portée.
L'obus réservé au combat anti-char est avant tout l'obus de rupture de la Marine modèle 1910, capable de traverser tous les blindages de l'époque jusqu'à plus de 1000 mètres.Les pièces anti-chars font du tir de plein fouet.
Voici un schéma de l'obus de rupture Marine modèle 1910:
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Cordialement,
Guy François.
ALVF
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Re: Le canon de 75 anti-char en 1918

Message par ALVF »

Bonjour,

En continuant d'étudier l'emplacement de ces canons anti-chars de 75 DCT de la Ferme du Choléra en 1918, je trouve un fait peu connu.
En effet, le 27 mai 1918, ce secteur était tenu par la 8e Division d'Infanterie britannique qui se replia rapidement sous la violence de l'assaut allemand.
Du côté allemand, les troupes d'attaque étaient constituées par la 7e Division de Réserve du Groupe Schmettow ( Divisions 50., 52.,7 R.).
L'attaque du Chemin des Dames ne se prêtait pas à l'emploi des chars en dehors du terrain d'attaque du Groupe Schmettow.
Les allemands ont toutefois engagé 4 Abteilungen de chars de prise Mark IV britanniques (Abteilung 11 à 14).
Seul l'Abteilung 11 a obtenu des résultats positifs dans le secteur de la Ferme du Choléra.Il était prévu que cette Abteilung 11 engage 5 chars en soutien du 72 RIR afin de rompre le front britannique et d'atteindre la Ferme du Choléra puis les chars devaient ensuite continuer leur action en soutien du RIR 66 pour conquérir la partie ouest de Berry-au-Bac.
En fait, le 27 mai 1918, seuls deux chars sont en mesure de franchir la 1ère ligne mais le "Bremen" atteint la Ferme du Choléra et est rejoint plus tard par le "Käthe" toutefois l'action des chars vers Berry-au-Bac ne peut être poursuivie.
La seule certitude est qu'un lieutenant allemand des chars, nommé Krug, a été tué lors de cet engagement.
Il serait intéressant de connaître si les canons de 75 anti-chars ont joué un rôle à l'occasion de ce combat.
Malheureusement, je ne connais pas de source accessible concernant le rôle de la 8e Division britannique et celui de la 7e Division de Réserve allemande (singulièrement pour ses régiments 72 RIR et 66 RIR) en cette journée du 27 mai 1918.
Voici une carte des lieux au 27 mai 1918, tirée du livre "Deutsche Siege 1918" Reichsarchiv tome 32-Berlin 1929 (ce livre ne livre aucune précision sur le rôle des chars le 27 mai 1918):
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Un spécialiste de ce secteur du front en saurait-il plus?
Cordialement,
Guy François.
ALVF
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Re: Le canon de 75 anti-char en 1918

Message par ALVF »

Bonjour,

En relisant les chapitres relatifs aux chars britanniques Mark IV de prise employés par les allemands dans le livre de Maxwell Hundleby et Rainer Strasheim "The german A7V" édité en 1990 par Haynes, je trouve un paragraphe très intéressant relatif à l'action des chars allemands le 27 mai 1918:
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Ce paragraphe explique que l'Abteilung 12 a engagé 5 chars en appui de l'IR 158 de la 50.ID lors de l'attaque du Bois des Buttes.
Ce Bois fut héroïquement défendu par le 1st Battalion du 2nd/Devonshire et 4 chars de l'Abteilung 12 furent détruits par des canons de 75 français du 176e Régiment d'Artillerie.Seul le "Ännchen" a échappé à la destruction.
Cette mention, probablement trouvée dans l'historique de la 8th Division Britannique, prouve qu'il s'agit, sans aucun doute, de canons de 75 DCT sur chevalets Filloux.En effet, la 8th Division ne disposait d'aucun moyen anti-char organique et le 176e Régiment d'Artillerie de Tranchée est le seul de l'Armée française à disposer de batteries de Défense Contre les Tanks (D.C.T).Il apparaît donc certain que les moyens de D.C.T français ont été laissés à la disposition des unités britanniques ayant pris en charge le Secteur s'étendant du Bois des Buttes à Berry-au-Bac au moment de la relève des français par les britanniques en avril 1918.
Ce texte montre aussi que les 75 de D.C.T sur chevalet Filloux étaient bien efficaces comme arme anti-char et qu'ils ont été utilisés avec succès, non seulement en Champagne le 15 juillet 1918, mais aussi dès le 27 mai 1918 puisque les Britanniques affirment que ces 75 ont détruits 4 chars de l'Abteilung 12 le 27 mai 1918.
Reste à trouver l'emplacement exact de ces 75 de D.C.T puisque les 4 chars "Beute" ont été détruits probablement à l'Est du Bois des Buttes
S'agit-il des 75 photographiés plus haut ou bien de ceux d'une autre Section d'une batterie de D.C.T du 176e R.A.T?
L'identification de la batterie du 176e R.A.T serait également la bienvenue car ce fait d'armes semble inconnu des archives françaises.
L'enquête continue...
Cordialement,
Guy François.
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Tanker
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Re: Le canon de 75 anti-char en 1918

Message par Tanker »

Bonsoir Guy,

Le bois des Buttes est le bois situé au Sud-Ouest de la Ville-aux-Bois. (Carte de 1917)

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Cela laisserait entendre que cette attaque de char se situait dans le secteur d'engagement du Groupement Chaubès LE 16 Avril 1917.

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Des canons antichar dans ce bois pouvaient controler les secteurs :
- ruisseau du Ployron, tranchée de la Plaine, la Ville-aux-Bois.
- RN 44, entre la Musette et le ruisseau de la Miette.

Le bois des Buttes et son réseau de tranchées était un verrou défensif important pour tenir la Ville-aux-Bois.

Bonne suite de recherches - Michel
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Liens sur les sujets Artillerie Spéciale de "Pages 14-18" :
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IM Louis Jean
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Re: Le canon de 75 anti-char en 1918

Message par IM Louis Jean »

Bonsoir à toutes et à tous,

Une carte anglaise :

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Hélas sans la position des pièces.

Cordialement
Étienne
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IM Louis Jean
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Re: Le canon de 75 anti-char en 1918

Message par IM Louis Jean »

Bonjour à toutes et à tous,

Une autre carte, française mais annotée par les Anglais (on y lit "1 Coy" = 1 compagnie) et donc vraisemblablement de mai 1918:

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Cordialement
Étienne
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