U 39
Sous-marin allemand de la classe U 31 entré en service en Janvier 1915. Commandant de Février 1915 à Octobre 1917 Kptlt Walter FORSTMANN. (Voir son histoire sur ce lien https://uboat.net/wwi/men/commanders/75.html) Il était âgé de 34 ans en 1917.
A coulé 154 navires et endommagé 7. Interné à Carthagène en Mai 1918 sera donné à la France en Mars 1919 et démoli à Toulon en 1923.
Voici la silhouette de l’U 39 dessinée par l’équipage du vapeur français DIANE qu’il avait coulé le 6 Juin 1917.
Les 1er et 2 Octobre 1917, U 39 coula successivement, en moins de 34 heures, 5 vapeurs représentant un tonnage total de 20351 t, record assez rare en un temps aussi court. Il s’agissait des anglais NORMANTON, MERSARIO, ALMORA, NUCERIA et du japonais HIKOSAN MARU. Voici leur histoire.
NORMANTON
Vapeur britannique construit en 1912 au chantier Sir Raylton Dixon & Co de Midddelsbrough
3862 t. Longueur 109,8 m Largeur 15,9 m 1 hélice
1912 Denaby & Cadeby Main Collieries Ltd Hull
1916 Rome Steam Sg Co Ltd Hull
Torpillage du 1er Octobre 1917
Navire affrété par le gouvernement italien.
Chargement de 75 t de divers + charbon et coke
Capitaine Poole PUTT
27 hommes d’équipage tous britanniques sauf 2 Grecs et 1 Hollandais
1 canon de 47 japonais armé par T.C. Brooks, John Chadburn et Henry Jas Barnes.
Rapport du capitaine
Le navire a quitté Milford Haven le 22 Septembre pour Savone, sous escorte.
Le 1er Octobre à 06h30, le navire fait route au N88E à 9 nœuds quand il reçoit une torpille par 35°26 N et 08°15 W. La torpille frappe à bâbord entre les cales 3 et 4. Il est ensuite canonné et coulé par une seconde torpille à 07h20.
Très bonne tenue de tout l’équipage qui évacue en ordre. Les canonniers restent jusqu’au bout à leur pièce mais ne peuvent l’utiliser car les munitions sont stockées à l’arrière qui est sous l’eau.
Le capitaine est appelé à bord du sous-marin. Il constate que le commandant du sous-marin connaît le nom du navire, son tonnage, son port d’armement et toutes ses caractéristiques. Il ne lui demande que des confirmations de ces renseignements. En fait, il possède un exemplaire du Lloyd Register. Le sous-marin porte sur sa coque en petites lettres U 39. Grand sous-marin de 200 pieds, peint en gris. Porte un canon à poste fixe. Vu deux officiers, jeunes, aimables, parlant très bien anglais. 8 ou 9 hommes d’équipage sur le pont.
Tout l’équipage est recueilli 36 heures plus tard, dans les embarcations par le vapeur KIRKDALE (voir ci-dessous) et débarqué à Gibraltar.
MERSARIO
Vapeur britannique construit en 1906 au chantier Doxford & Sons de Pallion.
3847 t. Longueur 106,8 m Largeur 15,3 m 1 hélice.
1906 SS Mersario Co Ltd Glasgow
1915 Reid SS Co Ltd Glasgow
Voici le MERSARIO
Torpillage du 1er Octobre 1917
Navire affrété par l’Amirauté. Chargement de charbon.
Capitaine Elias Jones LLOYD
33 hommes d’équipage dont 7 Russes et 2 Scandinaves. Le reste britannique.
Armé d’un canon de 12 pdr. Canonniers Davies et Ferney.
Rapport du capitaine
Le navire avait quitté Barry Dock le 16 Septembre pour Alexandrie.
Le 1er Octobre à 11h15 le navire fait route au N80E à 8 nœuds quand il est frappé par une torpille. Il coule en deux minutes à la position 35°40 N et 07°38 W. Beau temps. Petite brise de Nord.
Tout l’équipage saute à la mer. Il y a 3 victimes : 1 chauffeur, 1 matelot et 1 service civil. (1 tué par l’explosion et 2 noyés). Le capitaine, qui ne savait pas nager, est soutenu par un chauffeur qui l’amène jusqu’à une épave. Il est ensuite récupéré par un canot. L’équipage, resté longtemps dans l’eau, avait réussi à remettre à l’endroit les deux canots qui avaient chaviré et à monter à bord de ces canots. Ils font route sur la terre et sont récupérés à 18h00 par le français LA SOMME qui les débarque à Gibraltar. La position de récupération est 35°43 N et 07°09 W. (Nota : impossible de savoir s’il s’agit du cargo charbonnier LA SOMME ou de l’aviso SOMME)
Rapport du 3e officier mécanicien
Le sous-marin a fait surface 10 minutes après le torpillage. Il a récupéré le 3e officier mécanicien qui était dans l’eau, complètement épuisé. Il pense que l’officier qui l’a aidé à monter à bord était le 1e lieutenant du sous-marin. Il lui a dit qu’il allait l’emmener prisonnier en Allemagne. Le 3e mécanicien a répondu que si tel était le cas, il préférait qu’on le remette à l’eau. L’Allemand a alors répondu qu’il allait voir si un canot pouvait le récupérer. En tous cas, cet officier parlait exceptionnellement bien anglais. Il a demandé si le navire était bien le MERSARIO et s’il venait bien d’Angleterre. Le 3e mécanicien a répondu oui. Il a ensuite demandé des précisions sur le calibre du canon et si un message radio avait été envoyé. Réponse : je l’ignore.
Il y avait 3 officiers sur le kiosque, tous jeunes, bien rasés, mais un peu sales. Après l’avoir interrogé le commandant du sous-marin a remis le 3e mécanicien sur une épave qui flottait, et de là il a été récupéré par l’un des canots.
Le sous-marin était très grand et portait deux canons, un sur l’avant et un sur l’arrière du kiosque. Il y avait un panneau d’écoutille sur l’arrière du kiosque permettant sans doute de descendre dans les emménagements équipage.
ALMORA
Vapeur britannique construit en 1899 au chantier Henderson de Meadowside.
4385 t. Longueur 114,3 m Largeur 15,2 m 1 hélice
1899 Glasgow Nav Co Ltd Glasgow
1913 Donaldson Line Ltd Glasgow
1916 Houlder, Middleton & Co Glasgow
Torpillage du 2 Octobre 1917
Le navire a quitté Barry Docks le 6 Septembre pour Gibraltar à ordres.
Capitaine James CLARK
38 hommes d’équipage dont 1 matelot Russe.
1 canon de 12 pdr armé par H.G. HOWARD et Arthur Robert CRANG.
Rapport d’enquête
Le 2 Octobre à 06h45 ALMORA fait route au N 82 E à 7 nœuds par beau temps et faible brise de NW. Il reçoit une torpille par le milieu, dans les soutes à combustible. La machine est aussitôt envahie. L’équipage évacue dans les embarcations. Celle du capitaine est appelée le long du sous-marin et tous les hommes doivent monter sur le sous-marin. Deux officiers et 4 marins allemands, accompagnés de 2 hommes du cargo se rendent sur ALMORA. Les Allemands chargent l’embarcation de provisions et s’emparent des cartes, des instructions aux opérateurs TSF et du journal privé du capitaine. Le capitaine est interrogé sur son navire : nom, tonnage, ports de départ et de destination, cargaison. Puis les Allemands placent deux bombes sur le vapeur, une dans la cale 1 et une dans la cale 5. Tous les hommes sont remis dans l’embarcation et le sous-marin plonge à 09h30. Tous les documents secrets avaient été brûlés avant l’abandon.
L’embarcation du capitaine avec 18 hommes arrive à Huelva, celle du second avec 18 hommes à Cadix. Un navire de la compagnie les ramène tous à Gibraltar le 10 Octobre.
Sous-marin de 250 à 300 pieds. Peint en gris, peinture vieille et rouillée. Canon de 4 pouces sur l’avant du kiosque. Antenne allant du kiosque à la proue. Kiosque rectangulaire.
Commandant en uniforme, environ 33 ans. Ne semble pas parler anglais. 1er lieutenant, moins de 30 ans, en uniforme, parle un très bon anglais. 2e lieutenant 20 ans, en uniforme avec une étoile sur les manches.
NUCERIA
Vapeur britannique construit en 1914 au chantier Thomson de North Sands.
4702 t. Longueur 116,9 m Largeur 15,9 m 1 hélice
Armateur International Line SS Co Ltd Whitby
Torpillage du 2 Octobre 1917
Le navire a quitté Milford Haven le 25 Septembre pour Gibraltar. Affrété par le Gouvernement.
Capitaine Owen RICHARDS
39 hommes d’équipage dont 22 Britanniques, 15 Grecs 1 Russe et 1 Espagnol Cubain.
Rapport d’enquête
Le 2 Octobre à 12h30 NUCERIA fait route en zigzaguant toutes les 20 minutes lorsqu’il est atteint par une torpille qui frappe sur tribord au milieu du navire. Les machines stoppent aussitôt. La station radio est détruite. Beau temps, légère brise de NW. Le sous-marin fait surface et tire 10 coups en salves de 2 toutes les 2 minutes. L’équipage évacue et le navire coule à 12h50. Deux victimes :
- Le matelot Ronald BAXTER qui saute par-dessus bord et se noie
- L’assistant steward Matthew HILL qui tombe d’une embarcation
Un seul vapeur est à proximité et le capitaine pense qu’il s’agit du SS KIRKDALE.
Voici ce vapeur de 4732 t, construit en 1909 à Glasgow sous le nom de KIRKDALE et qui devint BENALDER en 1919. (A confirmer par des spécialistes)
L’équipage, réfugié dans les embarcations est recueilli le 3 Octobre à 08h40 par 35°59 N et 07°32 W par le HMS CITY OF BELFAST et débarqué à Gibraltar.
Voici le CITY OF BELFAST
Le capitaine avait été appelé à bord du sous-marin. Il a vu le commandant et le 1er lieutenant. Ce dernier, très aimable, 27 ans environ, bien rasé, parlait un bien meilleur anglais que le commandant. Le commandant devait avoir 33 ou 34 ans, vêtu d’un treillis kaki. Il demande le port de départ, la destination, nature du chargement et vérifie les renseignements sur un registre du Lloyd.
Grand sous-marin de 250 à 275 pieds. Vu plusieurs numéros dont U 39 et U 59 ainsi que les signes BB6 et BB4 sur la coque. Kiosque rectangulaire. Peint en gris.
L’officier enquêteur note à la main à la fin du rapport : le sous-marin est probablement l’U 39.
HIKOSAN MARU
Vapeur japonais construit en 1892 au chantier Laing Deptford Yard de Sunderland sous le non de CARRADALE.
3531 t Longueur 103,7 m Largeur 13,6 m 1 hélice
1892 CARRADALE Arthur Laing Sunderland Angleterre
1895 HIKOSAN MARU Mitsui Bussan Kuchinotsu Japon
1910 HIKOSAN MARU Mitsui Bussan Mikawa Japon
1916 HIKOSAN MARU Goko Shokai Tarumi Japon
Voici un navire nommé HIKOSAN MARU. Toutefois, je ne suis pas certain qu’il s’agisse de celui coulé en 1917 car il y a eu un second navire du même nom en 1934, construit eu 1902 sous le nom d’ALTO et qui a fait naufrage en 1945. Ce 2e navire était plus petit que le premier, 2028 t et 88 m de long.
Avis aux spécialistes…
Torpillage du 2 Octobre 1917
Quitte Newport le 20 Septembre 1917 pour Marseille via Milford Haven avec 4203 tonnes de charbon. Non armé.
Capitaine HASHIMOTO KIZO de Kobe.
36 hommes d’équipage
Porte le pavillon japonais
Rapport d’enquête
Vent de Nord force 2, temps clair.
Le 2 Octobre à 16h00 fait route à 8 nœuds au SE quand il est frappé par une torpille. Le capitaine fait évacuer dans les canots car le navire coule. Le sous-marin fait surface et, après l’évacuation du vapeur, tire quelques coups de canon sur lui. Le commandant du sous-marin demande au capitaine japonais sa provenance et sa destination et s’il y a d’autres navires à proximité. Le Japonais répond qu’il va à Marseille et qu’il ignore s’il y a d’autres navires (Il parle mal l’anglais).
Il a secrètement confié les instructions de l’Amirauté à un matelot et elles ne seront pas confisquées par les Allemands. Elles sont remises à l’officier enquêteur.
Le capitaine déclare que le sous-marin ressemble à l’image qu’on lui montre de l’U 36. Il portait deux canons et mesurait environ 150 pieds.
Le vapeur a coulé par l’arrière. Les 36 rescapés ont gagné Lisbonne.
L’officier enquêteur ajoute une note manuscrite : « Il s’agit probablement de l’U 39, aussi signalé par le sous-marin G 6 »
La radio allemande a signalé que ce navire avait été torpillé par le sous-marin U 39. De source italienne, on confirme la position 35°28 N et 08°37 W.
Commentaire
Les divers rapports faits par les marins de ces navires sont fort intéressants lorsqu’ils décrivent les officiers du sous-marin. Ils ne se trompent pas sur l’âge du commandant qui avait effectivement 34 ans, mais apportent aussi des précisions sur le 1er lieutenant qui semble les avoir marqués, notamment par son excellente maîtrise de l’anglais. Or on connaît le nom de cet officier. Il s’agissait de l’Enseigne de Vaisseau Karl DÖNITZ (1891-1980), le futur Amiral, grand patron des sous-marins de 1943 à 1945, dernier chef du gouvernement allemand et président du Reich après la mort d’Hitler.
Voici Dönitz, de quart sur le kiosque de l’U 39 en 1917. Il fut embarqué sur ce sous-marin de Janvier à Décembre 1917. Il avait donc 26 ans.
Le voici lors de son arrestation en Mai 1945 après la capitulation allemande. (Derrière lui Jodl et Speer).
A Nuremberg il fut condamné pour crime de guerre et crime contre la paix à dix ans de prison et fut interné à Spandau jusqu’en 1956.
Le crime de guerre qu’on lui reprochait, et qui aurait pu lui valoir la peine de mort, était d’avoir donné l’ordre aux sous-marins allemands de ne pas chercher à sauver les naufragés des navires torpillés. Mais l’Amiral américain Chester Nimitz, le vainqueur de la bataille de Midway et de la guerre du Pacifique, vint déposer sous serment devant le tribunal de Nuremberg et déclara qu’il avait donné lui-même un ordre identique aux sous-marins américains. Dönitz évita donc la peine de mort et il est certain que l’intervention de Nimitz y fut pour quelque chose.
Cdlt