Prisonniers de guerre allemands placés à bord des navires marchands pour dissuader les attaques sous-marines?

felix c
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Prisonniers de guerre allemands placés à bord des navires marchands pour dissuader les attaques sous-marines?

Message par felix c »

Lisez à propos de l'officier allemand Hyazinth von Strachwitz où il a été impliqué dans quatre voyages de 1917 - France-Afrique-Grèce dans la cale de navire marchand comme un moyen de dissuasion.

Quelle était la prévalence de cette pratique?
Rutilius
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Prisonniers de guerre allemands placés à bord des navires marchands pour dissuader les attaques sous-marines.

Message par Rutilius »

Bonsoir à tous,


Embarquement de prisonniers de guerre allemands à bord des navires-hôpitaux.


I. — Le 29 janvier 1917, par l’intermédiaire des ambassadeurs d’Espagne et des États-Unis, le gouverne-ment allemand fit remettre une déclaration aux gouvernements français et britannique, par laquelle il les informait de son intention d’attaquer et de couler, sans avertissement, tous les navires-hôpitaux qui navi-gueraient dans une zone déterminée de la Manche et de la mer du Nord, au motif que ces bâtiments mé-connaissaient les obligations de la Convention de La Haye du 29 juillet 1899 pour l’adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève du 22 août 1864, dite « Convention X. » (Publiée en France par le décret du 28 nov. 1900 : J.O. 1er déc. 1900, p. 7.904).

—> http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62611215/f8.image

Cette déclaration se terminait de la sorte : « Il n’y a pas de doute pour le gouvernement allemand que les gouvernements ennemis ont manqué de la façon la plus flagrante aux Conventions de La Haye concernant l’application de la Convention de Genève. En conséquence de la violation de ces Conventions par l’ennemi, le gouvernement allemand serait fondé également à s’affranchir de ses obligations. Toutefois, pour des raisons d’humanité, il veut encore y renoncer, mais il ne saurait plus longuement admettre que le gouvernement britannique continue à transporter sur le théâtre de la guerre ses troupes et ses munitions sous le couvert de la Croix-Rouge. Il déclare dès maintenant qu’il ne tolèrera la présence d’aucun bâtiment-hôpital ennemi dans les limites comprises entre la ligne Flamborough-Head et Terschelling d’une part, et Ouessant et Lands’End d’autre part. Si, après expiration des délais, des navires-hôpitaux sont encore rencontrés dans ces limites, il seront considérés comme transports de guerre et seront attaqués sans avertissement. »

Le 31 janvier, l’Allemagne fit en outre savoir que, d’une manière générale, à partir du 1er février, elle s’opposerait, sans nouvel avis et par tous moyens possibles, à tout trafic maritime autour du Royaume-Uni, de la France et de l’Italie et dans la Méditerranée orientale, mais qu'elle laisserait libre un couloir large de 20 milles en Méditerranée pour permettre aux navires de la Grèce, alors neutre, de gagner la haute mer, demeurée à son égard ouverte à la navigation.

Pour appuyer la déclaration du 29 janvier, le navire-hôpital britannique Asturias fut attaqué et avarié le 20 mars par le sous-marin allemand UC-66 (Oberleutnant zur See Herbert Pustkuchen) à 6 milles au large du phare de Start Point (Comté du Devon, Royaume-Uni). Puis ce fut le tour d’un autre navire-hôpital britannique, le Gloucester Castle, attaqué et avarié le 31 mars dans les parages de l’île de Wight par le sous-marin allemand UB-32 (Oberleutnant zur See Max Viebeg). Ces deux bâtiments étaient pourtant revêtus des marques distinctives prescrites par l’article 5 de la Convention.

Ce même 31 mars, le gouvernement allemand chargea l’ambassadeur d’Espagne à Paris de communiquer au gouvernement français un mémorandum annonçant les nouvelles mesures qu’il avait adoptées contre le supposé usage illicite des navires-hôpitaux par les adversaires de l’Allemagne. Prétendant avoir appris que la France agissait également de la sorte en Méditerranée, il déclarait se voir « obligé d’empêcher de toutes ses forces le trafic des navires-hôpitaux ennemis dans la partie de la Méditerranée désignée comme zone de blocus dans sa déclaration du 31 janvier 1917, en y comprenant systématiquement le couloir grec. » Et, poursuivait-il, « si des navires-hôpitaux ennemis étaient rencontrés dans cette zone, passé une date fixée, les forces navales allemandes les considéreraient aussi comme des belligérants et les attaqueraient sans autre avis ». L’évacuation des blessés et des malades au départ de Salonique demeurait toutefois autorisée par le couloir grec mentionné dans la déclaration du 31 janvier, mais sous réserve du respect de conditions strictes.

II. — Les protestations ne manquèrent pas de s’élever contre ces allégations et prétentions du gouverne-ment allemand, mais aussi contre l’inhumanité des deux attaques en Manche de navires-hôpitaux britan-niques par des sous-marins allemands.

Dès le 1er février 1917, le gouvernement britannique riposta par un communiqué officiel démentant, « avec la plus grande force, que les navires-hôpitaux britanniques aient été employés au transport de muni-tions et de troupes ou de toute autre manière contraire à la Convention de La Haye » et annonçant que « si la menace devait être exécutée, des représailles seront immédiatement exercées par les autorités britanniques intéressées ».

Pour sa part, le Ministre de la Marine adressa au Ministre des Affaires étrangère, le 3 avril 1917, la lettre suivante :

« Les deux attentats qui viennent d’être accomplis contre les navires-hôpitaux anglais montrent que les Allemands entendent conformer leurs actes à leurs menaces. Nous devons donc nous attendre à les voir prochainement attaquer nos navires-hôpitaux. Je pense que vous estimerez comme moi que nous devons protester énergiquement contre cette nouvelle manifestation d’une sauvagerie qui dépasse de plus en plus la mesure de ce qu’on aurait cru humainement possible.

Mais pour établir de façon indiscutable aux yeux des neutres la fausseté des affirmations allemandes, je vous demande de solliciter qu’une commission de représentants neutres de la Croix-Rouge soit envoyée pour examiner nos navires-hôpitaux. Elle vérifiera ainsi que ceux-ci ne sont pas détournés de leur but et pourra faire telle enquête qu’elle jugerait bonne pour établir qu’il ne l’ont jamais été.

Par ailleurs, je me propose, sauf avis contraire de votre part, donner des ordres pour que des prisonniers allemands parmi les plus notables soient embarqués sur les bâtiments-hôpitaux dont il suivront ainsi le sort. Je vous demande de vouloir bien porter ces dispositions à la connaissance des neutres et demander qu’elles soient communiquées au gouvernement allemand par les soins du gouvernement espagnol. »


III. — Pour donner suite à la proposition ainsi formulée par le Ministre de la Marine, le Département de la Guerre procéda à l’établissement d’une liste des officiers allemands « les plus notables », soit par leur grade, soit par leur situation sociale.

Par un télégramme du 6 avril 1917, le Ministre des Affaires étrangères ordonna à l’ambassadeur de France à Madrid de faire aviser le gouvernement allemand que la date à laquelle devaient être embarqués les officiers allemands avait été fixée au 15 avril suivant. Et le gouverne-ment français publia le 23 avril ce communiqué (L’Écho de Paris, n° 11.939, Mardi 24 avr. 1917, p. 4) :

« Contrairement à toutes les règles du droit des gens et de l’humanité, les Allemands ont décidé et annoncé qu’ils torpilleraient les bateaux-hôpitaux sans avertissement. Dans ces conditions, le gouverne-ment français a fait savoir qu’il embarquerait sur ces bateaux des prisonniers allemands. »

Dans une lettre du 26 avril, le préfet maritime du 5e Arrondissement maritime rendit compte dans les termes suivants au Ministre de la Marine des dispositions qui avaient été prises pour l’installation des prisonniers allemands à bord des navires-hôpitaux Sphinx, La Navarre et André-Lebon :

« L’installation-type a consisté à prendre un groupe de cabines avec salle de bain, w.c. et salle à manger, constituée soit par une cabine suffisamment grande, soit de deux cabines dont on a enlevé la cloison de séparation. Les ordonnances sont à proximité. Une garde de six hommes et un quartier-maître ont été embarqués sur chaque navire pour fournir les factionnaires. »

Le séjour des officiers allemands à bord des navires-hôpitaux français, malgré le confort dont ils jouis-saient, leur semblait pénible. Plusieurs formulèrent des réclamations à cet égard. Ainsi, le 14 juillet 1917, trois officiers allemands embarqués sur le Duguay-Trouin adressèrent au commandant de ce bâtiment la requête suivante :

« Bien qu’il serait injuste de proférer la moindre plainte au sujet du traitement, du logement ou de la nourriture à bord du Duguay-Trouin, le manque de mouvement suffisant, l’existence particulièrement pénible pour nous à la mer, étant donné le peu d’habitude que nous avons de la navigation, ont amené chez nous un état de dépression nerveuse et de fatigue générale. Cette situation, si elle se prolonge longtemps, sera fort préjudiciable à notre santé. »

Pour limiter ces inconvénients, à l’initiative de l’Inspection générale des prisonniers de guerre, il fut alors décidé de limiter à trois mois le temps passé par un prisonnier de guerre allemand à bord d’un navire-hôpital.

IV. — L’embarquement d’officiers prisonniers allemands à bord des navires-hôpitaux, décidé par le gouver-nement français à titre de représailles, ne manqua pas de susciter des mesures de rétorsion de la part de l’Allemagne.

Le 11 mai 1917, le gouvernement allemand fit parvenir à l’ambassadeur de France auprès de la Confédé-ration helvétique, par l’intermédiaire de l’ambassadeur du Royaume d’Espagne dans cet état, une note verbale qui se concluait ainsi :

« Pour répondre aux mesures auxquelles le gouvernement impérial s’est vu contraint d’avoir recours, mesures justifiées par les abus dont ses ennemis s’étaient rendus coupables, le gouvernement français a embarqué sur des navires-hôpitaux passant la Méditerranée soixante-dix officiers allemands, prisonniers de guerre, dont un général et quinze officiers supérieurs. En présence de cette nouvelle infraction, le gouvernement impérial s’est vu obligé de faire transporter trois fois autant d’officiers français, de rang correspondant, dans les districts industriels de l’Ouest, et cela dans des endroits particulièrement exposés aux attaque des aviateurs ennemis. Ce n’est qu’à son très grand regret et bien à contrecœur que le gouvernement impérial s’est vu forcé, dans l’intérêt des officiers allemands, menacés par le procédé illégal français, de prendre cette mesure que le gouvernement impérial a l’honneur de prier l’ambassade royale d’Espagne de bien vouloir communiquer au gouvernement de la République française. »

V. — Pour le règlement de cette affaire, intervint alors le Roi d’Espagne, dont la médiation permit d’aboutir à un arrangement accepté par tous les belligérants.

Après des négociations laborieuses entre, d’une part les gouvernements français et britannique, et d’autre part, le gouvernement impérial allemand, menées par l’entremise de la diplomatie espagnole, fut en effet adopté le 17 août 1917 le modus vivendi suivant :

« A partir du 10 septembre 1917, les forces navales respecteront les navires-hôpitaux en Méditerranée, qui n’auront plus à être escortés par des navires armés. S. M. le Roi d’Espagne a consenti à mettre à bord des délégués qui constateront que les navires-hôpitaux sont exactement utilisés aux fins qui leur sont propres, et qui garantiront par leur présence la parfaite exécution des règles de la Convention de La Haye. A partir de la même date, les officiers allemands prisonniers de guerre seront débarqués du navire-hôpital sur lequel ils étaient. De son côté, le gouvernement allemand fera évacuer simultanément les prisonniers français de toutes les localités dans lesquelles ils avaient été envoyés en représailles. »

A la suite de cet accord, le Ministre de la Marine télégraphia le 2 septembre aux autorités maritimes françaises que le 10 suivant, tous les officiers allemands retenus prisonniers sur des navires-hôpitaux devraient en être débarqués. Il précisa, en outre, qu’à compter de la même date, lesdits bâtiments seraient tenus de se conformer strictement au dispositions de la Convention X de La Haye, mais qu’ils pourraient désormais naviguer de nuit avec des feux clairs et qu’il n'était plus besoin de les faire escorter par des navires de guerre ou des navires armés.

A cette date, tous les prisonniers allemands furent donc débarqués des navires-hôpitaux français, à l’exception de ceux qui se trouvaient à bord de l’Asie et de la Flandre, alors ancrées en rade de Salonique, qui ne regagnèrent un camp en France que le 26 septembre.

D’autre part, des officiers de marine espagnols furent immédiatement dépêchés à Toulon par leur gouvernement. Ils furent embarqués sur les différents navires-hôpitaux français, un délégué demeurant néanmoins à terre pour pourvoir aux éventuels remplacements. Dès le 7 septembre, l’État-major général de la Marine avait envoyé à leur propos aux autorités navales en Méditerranée les instructions suivantes :

« Ils devront être traités avec les égards dus à des officiers d’un pays ami et la plus grande liberté leur sera laissée pour accomplir leur mission. Ils pourront notamment assister aux embarquements et débarquements de malades et de matériel et, s'ils demandent à opérer des vérifications relatives à l’observation de la Convention X de La Haye, le commandant et le médecin-chef des navires-hôpitaux leur accorderont les facilités nécessaires. »

Par une note de l’Ambassade d’Espagne en France datée du 1er septembre 1917, les officiers espagnols avaient pour leur part reçu pour instructions « de demeurer constamment sur les navires, non seulement pendant toute la durée des voyages, mais aussi quand ils seront à l’ancre, afin d’éviter que le gouvernement allemand puisse alléguer le défaut d’accomplissement de la condition de leur présence permanente à bord. » Par conséquent, il leur était prescrit de ne débarquer pour raison de santé que dans des cas graves et après avoir prévenu suffisamment à temps pour qu’un remplaçant put leur être donné.
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D’après Jean GALLOY, Docteur en Droit : « L’inviolabilité des navires-hôpitaux et l’expérience de la guerre 1914~1918 », Librairie du Recueil Sirey, Paris, 1931, p. 107 à 121.
Dernière modification par Rutilius le ven. juin 08, 2018 9:11 pm, modifié 2 fois.
Bien amicalement à vous,
Daniel.
felix c
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Re: Prisonniers de guerre allemands placés à bord des navires marchands pour dissuader les attaques sous-marines?

Message par felix c »

Pardonnez ma réponse tardive. Merci beaucoup pour cette information
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