Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

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IM Louis Jean
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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

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Avec Miquel, j'étais parti en ballade pour explorer le terrain ; dans une ferme située quelques cents mètres derrière notre tranchée, je rencontrais un copain du dépôt qui faisait partie de la Brigade depuis le début, ainsi que quelques Belges. Après nous être serré la main je lui demandais ce qu'il faisait par là, il me répondit qu'il se reposait et qu'il était exempt de service. J'avoue franchement que cela m'étonna fort car, dans mon ignorance de la guerre, il ne me semblait pas possible qu'un homme ayant ses quatre membres en bon état pu, de même qu'à la caserne, passer la visite et être exempt pour un petit bobo. Avec les Belges, ils avaient tué une vache et, quand nous les trouvâmes, ils étaient en train de la dépecer pour en tirer quelques beefsteaks. Et le reste, leur demandais-je qu'en faites-vous ? << Celui qui en veut taille dedans et le reste pourrit sur place >>. J'allais d'étonnements en étonnements et je n'avais pas fini. Dire que les hommes ne recevaient pas de viande fraîche et qu'une quantité de bétail se baladait sans maître! Il aurait été facile de le ramasser et d'en faire profiter les bonshommes, mais non! On préférait laisser les hommes la sauter et laisser le bétail se balader jusqu'au jour où un poilu débrouillard en abattait une tête pour prendre un quartier pour son escouade, le reste se gâtait sur place.

Nous retournâmes sur nos pas et nous trouvâmes les copains derrière une autre petite ferme, ils avaient trouvé des pommes de terre et ils les faisaient cuire sur des petits feux qu'ils avaient allumés du côté opposé à l'ennemi ; nous fîmes comme eux et, moitié crues moitié brûlées, nous eûmes le plaisir de nous appuyer deux ou trois patates chacun.

Quoiqu'il n'y eut pas un brin de brouillard, le temps était terne et on ne savait pas s'il était 10 heures du matin ou 4 heures du soir. Comme les boches nous laissèrent tranquille le restant de la journée, nous restâmes à nous balader dans la plaine jusqu'au moment où nous rejoignirent nos trous. Cette journée là, 31 octobre, avait été calme sur tout le front occupé par la Brigade.
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IM Louis Jean
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Le lendemain matin, sans avoir ni jus ni rien, notre détachement rejoignit le poste de commandement des mitrailleuses sur la route de Caeskerke et là, après avoir fait l'appel, on nous désigna pour les sections auxquelles nous devions aller en renfort. Fabre, Miquel, Roumbeau, Morganthi, Anthelme et moi fûmes désignés pour la 1ère section. comme nous ne devions rejoindre nos sections qu'à la tombée de la nuit nous restâmes au poste de commandement qui, tout à la fois, était aussi centre de ravitaillement, là nous eûmes quelques boîte de singe et du biscuit belge ainsi que du sucre. Il y en avait de pleines caisses, nous n'avions qu'à nous servir. Comme nous n'avions rien à faire je rentrais dans la pièce qui servait de bureau au commandant et je demandais au second-maître fourrier, Joly, s'il y avait moyen de faire parvenir de nos nouvelles chez nous et quelle adresse il fallait que nous donnions pour la réponse. De suite, il me renseigna et le commandant, monsieur de Maynard, lui-même me dit comment il fallait faire. A propos de monsieur de Maynard je dirais que, chose moins commune que l'on ne le pense, il était aimé de ses hommes. Assez grand, portant les favoris, il avait grand air, mais malgré cela il s'était toujours montré bon pour ses hommes et comme, d'autre part, c'était un brave, ses hommes l'adoraient. Aussi, lorsqu'il fut blessé d'un éclat d'obus, à ce même poste de commandement, (2 ou 3 jours avant que nous soyons relevés) et évacué fut-il regretté par toute sa compagnie.

Il y avait un moment que nous étions réunis au poste de commandement quand le bombardement commença, la route ainsi que le poste étaient copieusement arrosés par les shrapnells. Poussés par la curiosité, nous étions dehors mais le commandant, une badine à la main, se baladait devant sa porte, nous fit mettre à l'abri dans une remise attenante à son poste. Pendant ce temps, et sous le bombardement, une scène comique se passait ; un matelot du convoi, Réveillard, était en train de pourchasser un gros cochon qui se baladait dans la plaine. Après une demi-heure de chasse mouvementée il réussit à l'agripper et, après l'avoir amarré par une patte, il l'emmena devant le poste et là, avec l'aide d'un infirmier, il se mit en devoir de le saigner. Après cela tous deux ramassèrent de la paille qu'ils mirent en tas au milieu de la route puis, après y avoir couché le cochon, ils y mirent le feu pour le flamber. comme la paille était humide elle produisit une fumée noire, aussi le commandant fit-il disperser le feu de suite car les boches pouvaient voir la fumée et s'en servir pour nous canarder plus justement. Pendant cette journée, un obus était venu écorner le toit de la maison où nous nous trouvions et ce n'était guère prudent de faire voir aux boches qu'il y avait toujours du monde dedans.
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Dans l'après-midi, l'arrosage se ralentit un peu, le commandant était toujours à se balader devant sa porte sans souci des shrapnells, sa principale préoccupation était de mettre les hommes à l'abri ; à plusieurs marins qui étaient sortis de leurs trous et qui s'en allaient par la campagne à la recherche d'eau pour boire, il leur fit faire demi-tour, leur disant qu'il valait mieux patienter un peu de la soif que de se faire zigouiller bêtement.

Pendant la journée, quelques blessés étaient passés devant notre poste se dirigeant vers les ambulances ; caché par un rideau de peupliers, on entrevoyait Dixmude et les marmites qui y éclataient ; et comme la route qui y passait était copieusement arrosée, ce n'était pas sans appréhension que nous pensions que le soir venu il faudrait s'appuyer ce bout de chemin.

Dans l'après-midi, et grâce aux infirmiers qui me prêtèrent une gamelle et me donnèrent quelques vivres, je fis un semblant de soupe que je partageais avec les copains désignés pour la 1ère. Depuis notre départ de Paris, à part un peu de café que nous avions pût avoir à Ave-Capelle, nous n'avions rien pris de chaud, aussi y fîmes-nous honneur. Un instant après, l'on vint nous prévenir de nous préparer à partir, j'eus la précaution de prendre quelques biscuits et deux boîtes de singe en prévision de toute éventualité.

Le soir les sections étaient ravitaillées au pont de Dixmude, le second-maître commis, Ramone, y allait le soir avec la voiture de ravitaillement leur porter leurs vivres qui se composaient uniformément de singe, d'un peu de lard, d'un demi pain par homme, de sucre et de café, cela en quantité. Tandis que les Rts de marins touchaient parfois de la viande fraîche nous, mitrailleurs, à par une fois où une vache avait été abattue par un copain et les fois où l'on pouvait avoir soit un cochon ou bien, chose qui devint rare, quelques poulets, nous n'en touchâmes jamais tant que nous fûmes à Dixmude.

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Donc, le soir venu, nous mîmes sac au dos et nous accompagnâmes Ramond qui devait nous faire rejoindre notre section. Le bombardement avait cessé et c'est allègrement que nous fîmes la route. En arrivant au pont nous mîmes sac à terre pour attendre notre section qui était relevée de son poste de la route d'Essen et qui devait venir se placer au pont de chemin de fer. Les quelques maisons qui se trouvaient de ce côté-ci du canal étaient toutes en ruine. Le long du canal, des tranchées étaient creusées et occupées par des marins, de chaque côté du pont des mitrailleuses étaient installées.

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Dans une maison, sur notre droite, se trouvait une fontaine ; à ce moment toute une théorie de sénégalais étaient occupés à faire leur provision d'eau. Ils en remplissaient de grandes cruches puis ils les mettaient en équilibre sur leur tête et s'en allaient les mains ballantes. J'aurais bien été embarrassé pour en faire autant. Parmi eux se trouvait un Européen tout jeunot ; il avait avec lui du vin et du genièvre qu'il avait ramené de Dixmude et il nous en fit profiter.

Après environ une heure d'attente notre section arriva ; elle prit ses vivres et nous nous joignîmes à elle. Nous fîmes à peu près 800 mètres et nous arrivâmes au poste qu'elle devait occuper en remplacement de la section qui l'avait relevée sur la route d'Essen. Nous causâmes avec nos nouveaux copains et j'eus le plaisir de retrouver parmi eux un ancien camarade du dépôt, un nommé le Moan, et comme son bidon était assez bien garni il m'offrit un de ces vieux quarts de pinard que j'acceptais de grand coeur puis, après ça, nous nous allongeâmes dans un coin de la tranchée, sur le pont du canal. Quoique n'étant pas trop à notre aise, nous étions beaucoup mieux que dans les tranchées de Caeskerke, aussi de suite fûmes-nous endormis. Cela dura jusqu'au matin où nous fûmes réveillés par l'explosion des premiers obus qui tombaient sur nous.
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L'heure qu'il était exactement, je n'en sais rien, je sais qu'il faisait jour, ce jour particulier à ces pays brumeux où l'on ne sait pas s'il est 8 heures du matin ou 4 heures de l'après midi, et que nous dormions encore lorsqu'un obus, aussitôt suivi d'un deuxième, explosa pas loin de nous. De suite réveillés, nous ramassâmes notre Saint-Frusquin et nous en étions là lorsque d'autres obus vinrent à pleuvoir. Le second-maître de la section nous dit d'évacuer la tranchée et de descendre vivement le long du talus, là, à l'abri du talus, nous trouvâmes toute la section mais nous ne pûmes guère y rester longtemps car les obus allemands tapaient droit dessus et tous les débris, tuiles briques etc... nous tombaient sur la tête. Pour mon compte, je m'étais adossé au mur et j'avais mis mon sac à viande plié en plusieurs morceaux sur la tête il me rendit grandement service car il amortit le choc d'un tas de matériaux qui me dégringola sur le crâne.

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Aussi le second maître, Goffny, nous dit de tâcher nous mettre à l'abri dans les tranchées des compagnies qui étaient en contrebas du talus et nous dit de nous rassembler sitôt le bombardement terminé dans une grange qui se trouvait à 200 mètres de là. Je réussis, avec Miquel, à ma caser dans un bout de tranchée où se trouvaient déjà des camarades des compagnies et où ils nous firent un peu de place. Il y avait un moment que nous y étions lorsque nous vîmes arriver à travers la plaine un chasseur à pied du 8e Bataillon, quoique l'arrosage continuait cela n'avait pas l'air de trop l'émouvoir. Il vint s'asseoir à côté de nous, en dehors de la tranchée, son sac, son bidon, sa musette étaient boches, il avait aussi un superbe casque avec lui. Comme je me trouvais à l'entrée de la tranchée je causais avec lui et l'invitait à se mettre à l'abri avec nous (piètre abri entre parenthèses, 2 branches entrecroisées et un peu de gazon dessus et, une fois là-dessous, on se croyait à l'abri! Mais enfin, tel qu'il était, il nous donnait une impression de sécurité et c'était le principal), mais il déclina mon offre, me disant qu'il était homme de liaison et qu'il devait rejoindre je ne me rappelle plus trop quoi ; après s'être reposé un instant il nous quitta pour remplir sa mission. Tout en n'ayant point peur j'étais encore ignorant des choses de la guerre ; depuis j'en ai fait tout autant que lui mais, pour le quart d'heure, j'avoue franchement que je l'admirais fort.
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Au bout d'un moment, malgré que le bombardement n'aie point cessé nous nous décidâmes, avec Miquel, à rejoindre la grange où nous devions nous réunir. Nous y trouvâmes presque tous les copains, ils avaient fait du café et c'est avec plaisir que nous en avalâmes un quart. Les bonshommes qui étaient là n'avaient pas trop l'air de s'en faire, l'un d'eux, Despagnat, avait démonté son mousqueton et il l'astiquait comme s'il se trouvait à 100 lieues de là ; l'on dira que c'est peu de chose, j'en conviens, mais pour moi, débutant, cela me faisait de l'effet. les marmites tombaient de tous côtés et cela n'avait l'air de n'émouvoir personne, il est vrai que ces gens-là avaient déjà une vingtaine de jours de combat et ils commençaient à être habitués.

Un instant après nous, Gouritain et Pichon vinrent nous rejoindre, ils nous disent qu'ils se trouvaient à quatre dans un gourbi, ils étaient avec Denis et Delaunay, ils avaient les jambes entrecroisées, un obus était tombé juste sur leur gourbi et avait explosé à l'intérieur, eux deux n'avaient rien eu alors que les deux autres étaient réduits en bouillie.

Environ une heure après, nous vîmes arriver notre chef de section, monsieur Colliou, ainsi que Goffny, ils venaient nous chercher, le bombardement ayant cessé, pour rendre les derniers devoirs à nos pauvres camarades. pendant que quelques uns de nous creusaient une tombe le long du talus du chemin de fer, d'autres déblayaient le gourbi où Denis et Delaunay étaient ensevelis, on les retira en morceaux et on les porta dans le trou que l'on venait de creuser, on les mit l'un sur l'autre puis l'on combla le trou. pendant qu'on les mettait en terre, une partie de la section présentait les armes et, avant de leur jeter de la terre dessus, tout juste 50 centimètres, monsieur Colliou dit ces mots : << Denis et Delaunay adieu, nous vous vengerons! >>.

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Delaunay Yves - Denis Eugène Marie

S'il y avait eu que lui pour cela je crois fort que les mânes de nos deux camarades attendraient encore longtemps cette vengeance. Dans la cave de la maison que nous avions dû abandonner ce matin monsieur Colliou avait établi sa demeure et il avait avec lui une ou deux bouteilles d’élixir d'Anvers que Delaunay avait rapporté la veille au soir de Dixmude et que ce brave Colliou lui avait confisqué. Il alla les prendre puis nous en distribua un petit verre à chacun en trinquant << à la santé de nos deux camarades >>!!!
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Delaunay Yves

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Denis Eugène Marie
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Ce monsieur Colliou! Principal des équipages de la flotte, c'est à dire un grade équivalent à celui de lieutenant (enseigne de vaisseau), tout en ne l'étant pas, était venu à la 1ère section en remplacement de l'enseigne de vaisseau Bernier qui avait été blessé dès les premiers combats et évacué. Avant la guerre, il était lieutenant de pompiers à Brest, c'était un homme assez âgé, toutes sa vie il l'avait passé dans la Marine, c'était le type du rempilé qui, étant arrivé à son bâton de maréchal, veut prendre des allures distinguées et ne réussit qu'à se faire bafouer, et avec ça pas des plus courageux, au contraire, aussi son autorité sur la section était-elle nulle, en un mot il n'avait rien d'un chef. Peut-être voulut-il profiter de ce qui venait d'arriver pour nous faire un petit speech qui nous prendrait par les sentiments, en tout cas c'est le contraire qui en résultat car l'on n'a pas idée d'envoyer un boniment pareil : boire à la santé de deux hommes qui viennent d'être tués! Il fallait s'appeler Colliou pour trouver cela. La section l'avait surnommé Rosalie.

La veille au soir, en rejoignant la 1ère section, nous avions apporté nos sacs avec nous et nous les avions logés dans la maison en question et le matin lorsque le bombardement s'était amené nous les avions laissés là ; à ce moment les mitrailleurs ne portaient pas le sac, ils le laissaient dans la voiture de leur section. La veille, c'est par suite d'un malentendu que nous les avions portés avec nous, aussi allâmes nous les chercher pour les remettre au fourrier pour qu'il les retourne au poste de commandement. C'est dans un joli état que nous les trouvâmes, la moitié de la maison leur était écroulée dessus, il nous fallut un bon moment de travail pour les dégager puis, après, nous nous rendîmes tous de nouveau à la grange où nous étions déjà réunis le matin, là, en ma qualité de cuisinier de profession l'on me bombarda cuisto de la section et l'on m'adjoignit Devautour, l'homme le plus cossard de France et de Navarre, comme second. Mes fonctions consistaient à faire le jus du matin et à le porter aux tranchées de première ligne le matin et, dans la journée, à me débrouiller à trouver soit des patates, soit autre chose, et de les faire cuire puis de le porter au poste de la 1ère à Dixmude. Le lendemain (on faisait un jour de première ligne et un jour de soit-disant repos) l'on se trouverait de nouveau tous réunis et alors l'on ferait la popote en compagnie.

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A la tombée de la nuit, la section se rassembla et se dirigea vers son poste de la route d'Essen après avoir pris, en passant le pont de Dixmude, le pain et le singe qui lui était alloués. Devautour et moi, nous prîmes le café et le sucre et nous nous en retournâmes vers notre grange. Dans un coin il y avait un sommier, nous nous enveloppâmes le mieux que nous pûmes dans nos affaires et nous ne tardâmes pas à pioncer ferme quoique la température fut plutôt fraîche.

Sauf les bombardement les journées du 31 octobre, des 1er et 2 novembre avaient été assez tranquilles.

Si je m'étends si longuement sur les petits incidents de mes premiers jours de front c'est qu'alors tout m'était inconnu et, de ce fait, un rien prenait à mes yeux une importance assez forte et puis tout cela était nouveau pour moi, un rien me mettait l'esprit en éveil. plus tard, lorsque après avoir fait plusieurs jours de tranchée sans incident aucun, à part l'habituel bombardement, les torpilles, parfois des tués ou des blessés, je ne trouvai rien de nouveau à écrire chez moi. Je voyais les copains nouvellement arrivés noircir des pages entières ; de même que moi à mon arrivée un rien les mettait en émoi, deux mois après il n'y paraissait plus, on finissait par s'habituer à tout et l'on trouvait tout naturel d'exécuter certains faits que les premiers jours on aurait trouvé très hasardeux. L'homme qui est sur le front depuis un certain temps et qui a pris part à quelques affaires sérieuses n'a plus la même mentalité qu'un bonhomme de l'arrière, il est arrivé à un point où il se f..t de tout, c'est un mélange de fatalisme, de résignation, et surtout d'habitude. demandez à un type du front son appréciation, il vous dira qu'il en a marre et qu'il voudrait bien que cela finisse vite, mais comme cela est en dehors de sa volonté il laisse courir les évènements et s'en fait le moins possible. Il sait qu'il est là pour se faire casser la gueule, aussi souhaite-t-il la bath blessure pour se tirer des pattes.

Pour mon compte, c'est plein d'enthousiasme que j'étais partis pour le front mais à la fin il avait finit par s'émousser. C'était mécaniquement que je faisais mon boulot, un peu le cafard, un peu la façon dont nous étions traités et aussi la fatigue, avec ça voir tous les jours des camarades qui tombaient sans pouvoir prévoir la fin des hostilités, il y avait de quoi vous couper les bras. pour nous remettre un peu de vigueur il fallait une bonne petite alerte, c'était le meilleur des stimulants.


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Avant l'aube, nous fîmes notre jus et nous partîmes le porter aux copains, il y avait quelque chose comme dans les 1300 mètres à s'appuyer. Dès que nous eûmes franchi le pont de l'Yser et que nous nous trouvâmes dans la ville même, je pus me rendre compte par moi-même du travail fourni par l'artillerie boche, pas une seule maison d'intacte, sur notre route des trous de marmites formidables. Nous traversâmes la ville et, après avoir distribué le jus aux hommes de l'échelon qui était resté en ville, nous arrivâmes aux tranchées de la route d'Essen ou ma section se trouvait avec des <sénégalais et nous fûmes les bienvenus.

La tranchée se composait d'un boyau avec quelques légers abris pour les hommes et pour les deux pièces de la section. Cela n'avait aucune ressemblance avec les tranchées que nous fîmes plus tard, il est vrai que l'on ne pensait pas y rester une éternité, c'était du provisoire. Sitôt notre café servi, nous fîmes demi-tour pour revenir en arrière car le jour se levait et, comme il n'y avait pas de boyau de communication, il aurait pût être dangereux de s'en revenir en plein jour sur ce terrain entièrement découvert. En retraversant Dixmude, nous le trouvâmes bondé de Marins qui partaient pour attaquer le château de Woumen.

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source Forum Eerste Wereldoorlog

L'attaque qui avait commencé la veille avait échoué. Nos 75 avaient bien fait tout leur possible, mais cela n'était guère suffisant contre les travaux de défense des boches, aussi quand notre infanterie attaqua fut-elle bien reçue par l'ennemi. Notre gain au bout de la journée était d'environ 200 mètres. A cette attaque avait participé le 8e chasseurs à pied, le 151e d'Infanterie ainsi que des marins. Les hommes que nous venions de croiser en route partaient pour reprendre l'attaque. Arrivés à notre grange depuis un instant, nous rencontrâmes aussi des hommes du 151e qui attendaient que l'on ait fini de poser des petites passerelles sur l'Yser pour prendre les boches à revers. Malgré que les 75 faisaient leur possible notre attaque n'avançait guère et, à la nuit, j'appris par un blessé du 8e que les boches était beaucoup plus retranchés que ce que l'on se figurait. Sur la route de Caeskerke c'était une véritable procession de blessés qui passait ; qui par ses propres moyens, qui amené par quelques camarades ; les aumôniers et ambulanciers belges ne faisaient que faire la navette entre le pont de Dixmude et les ambulances ; et l'on peut croire que ce n'était pas un amusement car ce bout de chemin était particulièrement arrosé.

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source Forum Eerste Wereldoorlog
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