Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

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IM Louis Jean
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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

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Nous arrivâmes à Paris dans l'après-midi (27 octobre) et, après avoir serré la main de nos compagnes de voyage, nous nous mîmes rang sur le quai, puis nous allâmes nous placer sous le grand hall de sortie de la gare la gare de lyon où nous formâmes les faisceaux. Nous n'y restâmes pas longtemps, guidés par un homme du Grand-Palais qui était venu nous servir de guide, nous quittâmes la gare, par quatre l'arme sur l'épaule. je me rappelle que deux ou trois copains, avec les souliers cloutés qu'ils avaient, glissèrent et prirent un billet de parterre des plus réussis. A la sortie de la gare, nous retrouvâmes nos deux voyageuses qui nous y attendaient, elles étaient dans un taxi et nous accompagnèrent un bout de chemin. Nous allâmes directement au Grand-Palais par la rue du Faubourg Saint-Antoine, la rue Saint-Antoine et la rue de Rivoli.

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Nous y arrivâmes vers les 5 heures. Comme nous arrivions nous croisâmes les permissionnaires qui sortaient ; de les voir avec leur capote, cela nous fit un drôle d'effet, nous n'y étions point encore habitués
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IM Louis Jean
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L'arrivée au Grand-Palais - passage aux mitrailleurs - une sortie à Paris - le départ - l'arrivée sur le front

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Nous rentrâmes au Grand-Palais par la porte cochère qui donne sur les quais et, presque aussitôt nous fûmes conduits dans nos crèches pour y déposer nos affaires ; sitôt après, nous descendîmes dans le hall et passâmes "aux billets", en fait de bectance ce fut plutôt moche.

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http://bibliotheques-specialisees.paris ... Tab=record

Après cela, moi et Portanier, nous allâmes faire un tour sur les terrasses, c'était à peu près 8 heures, il faisait nuit noire, quelques becs de gaz d'allumés par-ci par-là et, dans le ciel, les faisceaux de deux ou trois projecteurs qui faisaient leur ronde. Cela ne ressemblait guère au Paris que j'avais connu naguère. Nous restâmes un moment à prendre l'air puis nous rejoignîmes nos paillasses où ne tardâmes pas à pioncer.

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http://bibliotheques-specialisees.paris ... Tab=record

Le lendemain, sitôt après le jus, l'on commença à nous distribuer notre saint-frusquin, capote - sacs - courroies - gamelle - vivres de réserve - guêtres ... Pour prendre ces articles nous fîmes les quatre coins du Grand-Palais ; en passant pour prendre le pansement individuel le maître infirmier qui les distribuait me dit de rapporter le mien après la guerre et que cela lui ferait plaisir, et à moi donc encore plus.

Nous quittâmes nos couvertures et, en échange, on nous remis un "sac à viande". C'était une demie couverture cousue en forme de sac, ça montait jusqu'au bas du ventre. Celui qui avait inventé cela a fait quelque chose de propre! Il a, sans doute, dû avoir la croix de guerre pour cette trouvaille. Dès que chacun le put, les "sacs à viande" voltigèrent et furent remplacés par des couvertures prises un partout. Après Dixmude, qui avait une couverture blanche, qui une jaune, qui une d'une autre couleur. le seul résultat tangible qui résultat des "sacs à viande" fut que des milliers de couvertures furent esquintées et que les "poilus" qui ne réussirent pas à en avoir d'autres, eurent plus souvent la tremblotte que les chaleurs.
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Après nous avoir distribué 120 cartouches à chacun nous allâmes prendre notre grand sac et chacun en retira ce qu'il voulut pour faire le havre-sac, chacun se débrouilla comme il l'entendit, puis, après avoir rendu le grand sac, "chacun passa aux billets" [dans la marge : à la soupe] et à 2 heures il y eu permissionnaires. Roth, Portanier et moi sortirent ensemble. Nous remontâmes d'abord les Champs-Elysées jusqu'à l’Étoile, car je voulais faire monter Roth et Portanier au sommet de l'Arc de Triomphe, mais nous ne pûmes mettre notre projet à exécution car la porte de l'escalier était fermée. Nous redescendîmes les Champs-Elysées jusqu'au Rond-Point et là nous prîmes le métro qui nous conduisit jusqu'à la place de Clichy.

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source Le cartographe

Boulevard de Clichy, je proposai à mes deux copains de se faire photographier, histoire de laisser un souvenir à nos familles en cas d'accident. Ils furent tous deux de mon avis, Roth se fit photographier seul et moi et Portanier nous nous fîmes prendre ensemble. le photographe devait envoyer les photos à nos familles respectives, deux mois après il ne l'avait pas encore fait ; il fallut que mon père s'en occupa sérieusement pour qu'elles nous fussent envoyées. Après cela, nous continuâmes notre ballade du côté de la place Pigalle, en faisant de temps à autre une petite halte au bistro du coin et visite, moi et ensuite Portanier, à une prêtresse de Vénus. Après cela, nous cherchâmes un restaurant, nous en trouvâmes un dans les environs, c'était un restaurant italien assez chic, à trois nous en eûmes pour une quinzaine de francs. Avant de partir, les patrons nous offrirent une bouteille d'Asti. En quittant le restaurant, et comme nous nous dirigions vers la plus prochaine station de métro, nous tombâmes sur un bec de gaz [argot = agent de police ?], et lorsque nous le quittâmes, il était bien 8 heures 1/2. En arrivant sur le boulevard, nous trouvâmes un civil avec qui nous échangeâmes quelques mots ; il voulut nous payer une tournée mais cela lui fut impossible car après 8 heures l'on ne servait plus à boire aux militaires. En désespoir de cause il me refila une pièce de 2 francs pour la boire à sa santé et, ma foi, je ne la refusai pas, c'était toujours autant de pris. Enfin, nous réussîmes quand même à prendre le métro et vers les 10 heures nous arrivâmes au Grand-Palais où nous aurions dû déjà être là depuis une heure. A la porte l'on nous pris nos noms et nos spécialités et nous allâmes nous plumer.

Le lendemain, sitôt le jus dégusté, nous fîmes nos sacs et descendîmes dans le hall ; un appel eut lieu et l'on reprit de nouveau les noms et spécialités des hommes qui, la veille, étaient rentrés en retard. Sur 250 de la compagnie, il y en avait bien 240, et l'on nous dit que la punition nous suivrait sur le front mais nul de nous n'en entendit jamais parlé, ça passa au bleu.
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Après cela l'on nous divisa en trois groupes, un pour le 1er Régiment, un pour le 2e Régiment et un pour les mitrailleurs. Portanier fut versé au 1er, Roth au 2e et moi aux mitrailleurs. Mon chef de section, monsieur Dupin, était aussi versé aux mitrailleurs ; cela me fit plaisir car c'était un gentil garçon. Le détachement destiné en renfort des mitrailleurs se composait de 43 hommes ; nous échangeâmes nos fusils pour des mousquetons puis, après avoir formé les faisceaux, nous mangeâmes un morceau en vitesse puis nous retournâmes nous mettre en rang ; nous mîmes sacs au dos puis, après un petit speech fait par le commandant du Grand-Palais, nous fîmes un à droite par quatre et nous quittâmes le Grand-Palais pour la gare du Nord ; c'était à peu près midi.

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source militaria1940

Si notre arrivée à Paris passa à peu près inaperçue, il n'en fut pas de même de notre départ ; tout le long de la route nous fûmes acclamés par la population. C'était la première fois que nous portions le sac, et il était chargé, mais malgré cela, quoique nous eussions un bout de chemin à faire et que la capote, à laquelle nous n'étions point encore habitués, nous fit suer à grosses gouttes, nous fîmes le trajet sans nous en apercevoir. A la gare du Nord, les dames de la Croix-Rouge nous distribuèrent à boire et à manger ainsi que des cigarettes et des médailles puis, un moment après, au milieu de nos cris (c'est épatant ce que l'on pousse de cris à la guerre) le train démarra.

Dire exactement la route que nous fîmes me serait impossible ; je me rappelle avoir passé à Beauvais, à Eu et m'être réveillé après avoir passé Boulogne. Nous arrivâmes à Calais vers les 8 heures du matin et à Dunkerque vers les midi. Notre train fut garé vers la gare de marchandises et nous en descendîmes aussitôt. Comme nous ne devions quitter Dunkerque qu'à la nuit, nous formâmes les faisceaux et nous partîmes en exploration dans la gare.
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En nous approchant de Dunkerque nous commencions à entendre le bruit du canon mais celui du train en étouffait le son, il fallait bien faire attention pour le percevoir, une fois arrêté il n'en fut plus de même, nous entendions un roulement ininterrompu : Boum! Boum! Boum!!! Ce n'était plus trop le moment de rigoler car le moment approchait où nous serions dans le pastis. Jusqu'à ce moment l'on ne s'était pas trop fait de cheveux, l'on savait que l'on devait partir un jour et, en attendant, l'on ne s'en faisait une miette, pour l'instant il n'en était pas de même : l'inconnu était là devant nous et même les plus braves, tout en le faisant pas voir, en étaient émotionnés.

Notre train s'était garé à côté d'un bâtiment transformé en ambulance mais tout était bouclé ce qui fait que notre curiosité fut déçue. En face s'en trouvait un autre dont la porte était entr'ouverte, nous y allâmes jeter un coup d'oeil malgré la défense des médecins-majors. Par terre, sur de la paille, c'était plein de blessés et parmi eux quelques matelots. Quelques blessés sortirent, de suite nous les entourâmes et nous les accablâmes de questions. Aucun d'eux ne nous dit une parole de découragement mais ils nous avertirent que c'était dur. L'un d'eux, qui avait le bras fracassé, un lignard, me demanda d'un peu lui remonter son pansement qui avait glissé, chose que je fis avec empressement mais avec gaucherie. A ce moment passaient des prisonniers boches, nous les regardâmes avec curiosité mais nous ne leur dîmes pas un seul mot, il n'en fut pas de même des quelques blessés qui étaient dehors : <<tant qu'ils nous démolissent nous, ça va bien, mais quand ils commettent toutes leurs atrocités envers des femmes et des enfants... Ah les vaches! >>.

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source groix1418

Nous ne restâmes pas longtemps aux alentours de l'ambulance car l'on nous en fit dégager les abords mais, malgré cela, nous en rapportions une impression assez complexe à définir car je crois qu'il y avait un peu de tout là-dedans ; ce n'était pas de la peur mais ce n'était plus l'exubérance du départ de Toulon ; l'heure de notre entrée dans la mêlée approchait et plus d'un se demandait s'il retournerait jamais un jour chez lui.
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Nous quittâmes Dunkerque vers la fin de l'après-midi (4 heures) et le long du trajet qui nous restait à faire nous rencontrâmes beaucoup de soldats belges, ils nous acclamaient de toutes leurs forces, de notre côté nous n'étions pas en reste avec eux. Dès que nous eûmes pénétré en Belgique nous vîmes le long de la voie pas mal de petits gosses, tous, à notre passage, poussaient des cris de << vive la France >>. Nous leur balançâmes quelques boîtes de singe et de sardines ainsi que du pain que nous avions en rabiot, ils nous en remercièrent en redoublant leurs cris.

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source Histoire et militaria 14-18

Du côté de Bray-Dunes nous remarquâmes que pas mal de travaux de défense étaient faits, tranchées dans les dunes, fils de fer barbelés, il y avait aussi un petit fort et pas mal de monde travaillait après. De voir tout cela nous faisait plaisir, nous avion idée que les boches seraient bien reçus s'ils avançaient jusque par là. Nous fîmes route en chemin de fer jusqu'à Avecapelle, situé à une quinzaine de kilomètres de Dixmude. A mesure que nous approchions du front, le son de la canonnade augmentait d'intensité. Comme la nuit était venue nous pouvions, de nos wagons, voir les éclairs des coups.

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A Avecapelle nous descendîmes de wagons, notre chef de détachement, le capitaine de frégate de Jonquières nous rassembla et il nous fit un petit speech, il nous dit que nous devions quitter Avecapelle vers les minuits et, comme nous devions passer par des chemins qui seraient peut-être bombardés, au cas où il nous commanderait de nous coucher, de ne pas hésiter ; il nous dit encore qu'il comptait que nous ferions notre devoir et que nous ferions voir aux boches ce que valaient les marins français. Nous le lui promîmes tous et quelques cris de << vive le commandant >> furent poussés en son honneur.
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Heureux de nous dégourdir les jambes nous partîmes à l'aventure dans le patelin, un tout petit village. Des soldats belges y étaient au repos mais aucun de nous ne connaissait le roulement des tours de tranchées, cela nous semblait drôle de voir si près du feu des soldats qui se baladaient tranquillement ; aussi de suite eûmes nous une mauvaise impression des soldats belges. Ce ne fut que lorsque nous y eûmes passé à notre tour que nous en comprimes la cause. Avis aux personnes qui veulent parler des choses de la guerre sans être bien renseignées, la première imperssion est souvent fausse (je ne crois pas que La Palisse causerait autrement que moi).

Avec quelques copains nous entrâmes dans une maison et, à deux sous le bol, nous eûmes le plaisir de trouver du café chaud. Nous retournâmes à notre train afin de profiter du temps qui nous restait devant nous pour nous reposer un peu. Nous trouvâmes garé à côté de lui un train blindé belge qui venait de bombarder les positions boches, c'était la lueur de ses coups que nous apercevions de nos wagons. Comme de juste, nous allâmes lui faire une visite puis, après un moment de causette avec les artilleurs belges, nous réintégrâmes nos wagons.

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Au milieu de la nuit branlebas, chacun s'équipa puis, du wagon de queue, nous déchargeâmes la mitrailleuse et sa voiturette qui était avec nous. l'on fit l'appel, il manquait deux hommes, je crois qu'ils nous rejoignirent le lendemain ; ils avaient dû s'endormir dans un coin, pour le quart d'heure ils étaient introuvables. En désespoir de cause, nous nous mîmes en route sans plus attendre (nous laissâmes dans le wagons toutes nos gamelles de campement, oubli).
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La canonnade avait entièrement cessé, la nuit les boches ne tiraient pas. La route était sèche et la nuit sans lune, malgré cela on y voyait encore assez bien, c'était un bon temps pour une marche de nuit. Comme les mitrailleurs avaient la voiturette à traîner ils marchaient en queue de colonne et ils se relayaient par équipe. En route, nous croisâmes des fourgons d'artillerie belge qui allaient faire le plein de leurs caissons. Nous fîmes deux haltes de cinq minutes chacune ; enfin nous arrivâmes à un village où se trouvait le cantonnement de l'amiral Ronarc'h, c'était Oudecapelle. Nous fîmes halte et le commandant de Jonquières partit aux ordres. Nous commencions à en avoir assez, aussi aurions-nous été heureux de stopper là mais, au bout d'un moment, l'ordre de "sac au dos" arriva et nous nous remîmes en route. Enfin, au bout d'à peu près une heure de marche, peut-être plus peut-être moins, nous arrivâmes à destination.

Nous laissâmes notre voiturette le long d'une maison à moitié démolie où se trouvait une sentinelle et, guidés par des agents de liaison, nous rejoignîmes nos cantonnements. Nous prîmes à travers champs, il n'y avait rien en vue et chacun se demandait où l'on pouvait bien aller quand, tout à coup, l'on nous dit << vous êtes rendus >>. Il y avait quelques trous à fleur de terre, c'était les tranchées de réserve. Dans une nous prîmes place Miquel, moi et un nommé Perron ; c'était un petit boyau avec deux ouvertures, un peu de paille au fond et dessus quelques branchages recouverts de mottes de gazon ; l'on ne pouvait rester ni couché ni debout, il fallait se tenir accroupi. L'on mit des factionnaires avec l'ordre d'arrêter qui que ce soit ; j'eus la première faction et comme je faisais remarquer à un second-maître qui nous avait servi de guide que tout paraissait bien calme, il me dit : << Oui, la nuit, mais vous verrez demain dès que le brouillard sera dissipé. >> En effet je le vis ; à ce moment c'était vers 4 heures du matin dans la nuit du 30 au 31 octobre.

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Après avoir fait mon heure de faction et réveillé mon remplaçant je réintégrai mon trou et, malgré le manque de confort, je réussis quand même à prendre un semblant de repos. Au jour, tout le monde sortit de ses trous mais de suite l'on nous les fit réintégrer à nouveau, car l'endroit où nous étions était facilement repérable par l'ennemi et, dès qu'il a percevait le moindre mouvement, ne serait-ce qu'un homme traversant la plaine, un arrosage en règle en résultait. Pour le moment, le brouillard n'était pas encore dissipé, il nous laissait tranquille. Comme j'avais encore quelques vivres du Grand-Palais dans ma musette, nous en profitâmes pour casser une croûte. Ce jour-là nous ne reçûmes pas de vivres, nous n'étions portés sur aucune liste ; aussi ceux qui avaient gaspillé ceux reçus à Paris serrèrent-ils leur ceinture. Dans un trou, à quelques pas de nous, se trouvait monsieur Dupin ; je lui offris une boîte de sardine et un morceau de pain qu'il accepta avec plaisir. Pendant qu'il avait été avec nous à Toulon, il s'était toujours montré chic type aussi j'étais très heureux de lui rendre ce service.

[Dans la marge :] Mr Dupin. Élève-officier monté au front avec les galons de second-maître, il n'y resta guère ; il fut renvoyé sur l'arrière (dépôt ou École Navale) pour y recevoir les galons d'officier. Il y avait aussi, en 1915, un quartier-maître qui, dans le civil, était lieutenant au long cours. Lui aussi fut rappelé et eut les galons d'enseigne de vaisseau. A l'ambulance, à Coxyde, en 1915, un élève-docteur à qui il manquait une inscription pour être toubib (Fournier) fut également rappelé. je le revis à Toulon, en décembre 1915, avec deux galons d'or sur les bras. A Coxyde il était simple matelot infirmier. Là il me certifia que des ordres avaient été donnés pour évacuer le moins de monde possible et que des tuberculeux étaient maintenus au front.

pendant ce temps le brouillard s'était évanoui, ce fut le signal du "branlebas", de tous côtés les marmites tombaient, avec Fabre j'étais sorti de mon trou et, sans souci du danger, nous regardions les explosions. Le tir qui avait commencé par notre droite se dirigeait dans notre direction mais, notre curiosité nous tenant toujours là, ce ne fût que lorsqu'un éclat vint nous tomber devant le nez que nous nous décidâmes à nous ramasser. Dans mon trou j'eus un spectacle qui me montra ce que la peur peut faire d'un bonhomme ; c'est un spectacle qui n'est pas des plus jolis.


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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

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Comme je l'ai dit précédemment, nous étions trois dans le même trou : Miquel, Perron et moi, en rentrant dedans je vis Perron, fusilier breveté et breton par dessus le marché, accroupi par terre, la tête entre les jambes de Miquel, à chaque explosion d'obus il se lamentait << ça se rapproche, le prochain est pour nous, on va tous être tués ici etc... >> A la fin, nous l'avons envoyé par principe car il nous tapait salement sur les nerfs. J'admets très bien que l'on puisse "avoir les foies" mais pas de cette façon-là car, alors, cela devient honteux.

Pour mon compte, sans forfanterie aucune, c'était plutôt de la curiosité que je ressentais qu'autre chose et, comme je suis encore assez fataliste, je ne me suis jamais fait trop de mauvais sang sur ce qui pouvait m'advenir ; en ajoutant à cela un peu de sang-froid et de raisonnement j'ai pu tirer mes 14 mois de campagne sans perdre l'appétit.

Après nous avoir copieusement arrosés pendant pas mal de temps, l'ennemi finit par cesser son tir et cela nous permit de faire à nouveau surface. Chez nous il n'avait occasionné aucune perte, il n'y a qu'à notre gauche qu'il avait esquinté deux bonshommes. De même que mes camarades, j'étais étonné du peu d'effet du bombardement ennemi. Contrairement à ce que disaient les journaux français du moment, tous les obus boches, à part bien entendu ceux qui tombaient dans la vase, explosaient à merveille ; seuls leurs shrapnells éclataient un peu haut et par cela avaient peu d'effets. le manque d'efficacité du bombardement provenait de la difficulté qu'il avait de tomber juste sur un de nos gourbis ; il fallait un hasard pour qu'un obus tombe juste dessus.

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source L'Homme Libre sur Gallica
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