Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

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IM Louis Jean
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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

Message par IM Louis Jean »

Bonsoir à toutes et à tous,

Tout d'abord un grand merci à l'arrière petite fille de Fortuné Dalbera qui a autorisé de très bon coeur la publication de ce journal.

Ce journal peut se diviser en trois parties : avant-guerre, mobilisation et fusilier marin, marin. Dans ce sujet je ne retranscrirai que les deux dernières, celles qui concernent la Marine.

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4 août 1914 Toulon - 28 octobre au 16 novembre Dixmude - 15 au 23 décembre Lombaertzyde - 8 au 17 janvier Saint-Georges - 28 janvier 1915 au 1er février Grande Dune - 2 février à fin novembre 1915 Lombaertzyde et Saint-Georges. Coxyde et les Dune comme repos. Dernier tour de tranchées : 27 au 29 novembre 1915. Départ pour Paris le 30 novembre 1915.

Cordialement
Étienne
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IM Louis Jean
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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

Message par IM Louis Jean »

L'arrivée au dépôt - à bord du Marceau - la 9e compagnie de marche - le départ pour le front.

Mon voyage jusqu'à Toulon fut celui de tous les mobilisés ; notre principale occupation était de saluer de nos acclamations les vieux "totors"qui montaient la garde le long de la voie ferrée. J'arrivais à Toulon vers les 5 heures de l'après-midi et, après avoir chargé un petit gosse de mon sac, je pris la direction du dépôt où j'arrivais 1/2 heure après.

La cour d'entrée du dépôt était divisée par emplacement de spécialités, après avoir donné à la porte mon livret de solde et l'endroit de ma provenance, je me dirigeais vers l'emplacement réservé aux cuisiniers et ce n'est que tard dans la soirée que l'on vint nous chercher pour nous mener à l'"aubette" et de là, à 9 heures, à l'habillement puis nous allâmes nous coucher sur des paillasses, et avec des couvertures, dans un hangar. Je passais 2 ou 3 jours au dépôt à ne rien faire puis, avec d'autres camarades, je fus désigné pour aller sur le Marceau qui, avec le Shamrock, le Tourville et le Brennus, servait d'annexe au dépôt.

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Le Marceau
source Gérard Garier

A bord du Marceau je trouvais une quantité d'amis de l'active, entre autre un gentil petit camarade avec qui j'avais fait presque tout mon service, Alfred Portanier. Nous passâmes quelques jours à ne rien faire puis l'on commença à nous envoyer en corvée d'un côté à l'autre.

L'escadre avait presque entièrement quitté Toulon et il ne restait que quelques vieux clous et le France, je crois, qui étaient dans le port ; les quelques bateaux qui étaient là, ainsi que l'escadre, étaient au complet et nous étions encore une quantité d'hommes disponibles à nous morfondre au dépôt où, entre parenthèses, c'était une véritable pagaille ; les corvées que nous fîmes furent plutôt une occasion de nous distraire qu'autre chose, car nous étions une quantité d'hommes pour faire pas grand chose, par contre les mécaniciens et chauffeurs, ainsi que quelques volontaires, "faisaient" le charbon tous les jours, ils ne faisaient pas d'autres services et, en plus de leur solde, ils touchaient 1 franc 50 par jour, avec la permission de sortie, le dimanche de 9 heures du matin à 8 heures 1/2 du soir et les autres jours de 5 heures à 8 heures 1/2.
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IM Louis Jean
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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

Message par IM Louis Jean »

Tous les matins à 6 heures 1/2 nous recevions les journaux, ils étaient de suite pris d'assaut, en lisant les nouvelles une rage me prenait de voir ce qui se passait et de voir autour de moi tant d'hommes à ne rien faire. Je n'étais pas le seul à le penser et nous ne gênions de le dire, nous étions venus pour faire notre devoir et, d'après nous, le devoir consistait à marcher à l'ennemi et non à rester dans un dépôt à balayer les cours.

Nos chefs durent avoir vent de cela car un jour le commissaire principal, après nous avoir réunis, nous fit un petit discours où, entre autre, il nous disait que tout le monde ne pouvait aller au feu à la fois, qu'il fallait du monde sur l'arrière pour faire marcher le service, que sais-je encore, et après nous avoir traité d'Héros Obscurs!!! il nous exhorta à la patience en nous disant que notre tour viendrait.

Quelques jours se passèrent puis l'on demanda des volontaires pour rejoindre les marins qui se trouvaient aux environs de Paris. De suite, avec Pontarnier, je mis mon nom ; puisqu'en escadre l'on ne voulait pas de nous et bien nous resterions à terre et nous ferions notre devoir pareillement.

Après renseignements nous allâmes trouver le capitaine Barthal, de la 9ème compagnie de formation qui, comme elle devait partir pour Paris, venait de prendre le nom de 9ème compagnie de marche, et nous nous fîmes admettre dans sa compagnie ; le soir même nous quittions le Marceau et nous retournions au dépôt, à la 9ème, nous y restâmes environ deux mois.

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Capitaine Robert Barthal
source Aux Marins
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IM Louis Jean
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Message par IM Louis Jean »

La 9ème, formée avec des volontaires et des inscrits maritimes ayant tous au moins deux ou trois mois de formation militaire, avait une assez bonne tenue, nous fûmes une vingtaine de réservistes à y être incorporés : une dizaine de fusiliers, un cordonnier (Roth ?), un charpentier et trois cuisiniers, moi, Portanier et Mazon, cinq QM mécaniciens. Nous passâmes notre temps, jusqu'au 25 octobre, à faire de l'instruction militaire et à monter la garde dans les différents postes de Toulon : les premiers temps c'était de bon coeur que j'allais à l'exercice puis, à la fin, ça devint fastidieux ; c'était un perpétuel recommencement et l'on ne voyait pas l'heure de notre départ pour le front approcher ; nous avions peur de finir la guerre au dépôt et, plus tard, lorsque nous retournerions chez nous et que l'on nous demanderait où nous étions pendant la guerre nous n'oserions jamais dire que nous étions embusqués dans un dépôt pendant que les copains étaient en train de se faire bravement casser la figure.

Tous les trois jours, et parfois tous les deux, nous partions du dépôt à 8 heures pour faire la relève et nous étions de retour le lendemain vers les 10, 11 heures, pendant ces 24 heures l'on ne s'embêtait pas trop, ça nous sortait du dépôt. Pendant ces deux mois il n'y eu rien à d'anormal signaler, tout se passait tranquillement et, si ce n'est que les sentinelles étaient doublées, l'on ne serait jamais cru à la guerre. Une fois, cependant, aux poudrières du Pont-du-Las, au poste 4, il y eut une alerte, un factionnaire avait cru voir quelque chose, une patrouille partit mais elle revint dans avoir rien vu ; lorsque la relève vint, on l'avertit et les factionnaires reçurent la consigne de redoubler de vigilance. pendant la nuit, l'un d'eux entendit du bruit dans un buisson, il fit les sommations et comme personne ne disait mot il fit feu, un bêlement lui répondit, il avait tué la chèvre du gardien de la poudrière qui s'était détachée et qui se baladait dans l'intérieur de l'enceinte de la poudrière! Pauvre bête!

Une fois nous allâmes à la gare pour assurer le service d'ordre et, une autre fois que nous revenions de garde, l'on nous laissa équipés, faisceaux formés dans la cour du dépôt ; des prisonniers allemands devaient venir dans l'arsenal et ma compagnie devait faire la garde. Nous restâmes tout l'après-midi à attendre, à 4 heures nous mangeâmes sur le pouce et, à 5 heures, avec chacun deux couvertures, nous allâmes en dehors du dépôt, devant l'aubette, continuer notre attente.
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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

Message par IM Louis Jean »

Après que le capitaine Barthal nous eu dit ce que nous aurions à faire dès que le train viendrait nous nous chacun enroulâmes dans nos couvertures et nous ne tardâmes pas à partir pour le pays des songes ; comme j'étais le seul à parler un peu le boche, le capitaine m'avait désigné pour être interprète ; à part lui et moi, personne ne devait adresser la parole ni répondre aux boches. Vers les minuit l'on nous réveilla et nous rentrâmes au dépôt ; l'on venait d'avertir qu'il n'y aurait aucun convoi de prisonniers pour la nuit, depuis 11 heures du matin nous faisions les poireaux pour rien du tout.

Pendant notre séjour au dépôt le père de notre capitaine, qui était colonel du 59e régiment d'artillerie fut tué à la bataille de la Marne, nous fûmes rassemblés et, après nous avoir annoncé cette mort, le capitaine Barthal nous dit qu'il comptait sur nous pour venger son père et qu'il espérait que ça ne tarderait pas.

Nous devions rester un mois encore au dépôt, le capitaine Barthal fut du premier départ et depuis j'ai su qu'après avoir fait Dixmude, la compagnie qu'il commandait avait été démolie à Bixschoote vers le 20 décembre et que lui avait été tué ou prisonnier des camarades m'affirmèrent l'avoir vu tomber. [note dans la marge : le capitaine Barthal fut effectivement tué à Bixschoote. Ses papiers lui furent enlevés par le matelot Louis Linden, fait prisonnier ce jour-là.]

A peu près vers la mi-octobre, des bruits de départ commencèrent à circuler, la Brigade était sur le front mais nous ne savions pas encore où. Ce n'est que quelques jours plus tard que nous sûmes que les fusiliers-marins étaient à Dixmude et nous brûlions d'impatience d'aller les rejoindre. Le 22 octobre, de retour de garde, nous apprîmes que la 10e compagnie devait partir sur le front et plusieurs d'entre nous devaient en faire partie. Ils partirent le lendemain à 5 heures du soir.

Dès midi, ils furent rassemblés dans la cour du dépôt avec leur équipement ; ils formèrent les faisceaux puis ils reçurent un havre-sac, 2 couvertures, gamelle, outils ; à 4 heures ils touchèrent deux jours de vivre, puis ils mangèrent un morceau avant de partir.

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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

Message par IM Louis Jean »

Je ne savais pas encore quand mon tour de départ viendrait, pourtant il était proche car deux jours après nous partîmes à notre tour.

Dans la cour du dépôt c'était un remue-ménage, ceux qui partaient et ceux qui restaient fraternisaient ensemble, on se disait au revoir sur le front, on se serrait les mains ; à 5 heures eut lieu le rassemblement puis, précédés par la clique du dépôt et entre deux haies formées par ceux qui restaient au dépôt, la 10e s'ébranla.

Le 25 ce fut le tour de la 9e, le matin nous avions faits nos grands sacs qui étaient dirigés par wagons à bagages sur Paris, où nous les retrouvâmes, puis, après avoir déjeuné, nous nous rassemblâmes dans la cour et nous formâmes les faisceaux. Quelques uns reçurent un sac, ils roulèrent leur couverture dessus, d'autres, comme moi, n'en eurent pas, ils roulèrent leur couverture en sautoir. Quelques copains avaient pu prévenir leur famille aussi bon nombre eurent-ils la visite des leurs, entre autre mon ami Portanier qui eut la visite de son père et de son frère. Il y avait des scènes touchantes, c'est d'ailleurs compréhensible ; une mère qui voit partir son fils en bonne santé et qui se dit qu'elle ne le verra peut-être plus a bien le droit de verser une larme. Pour mon compte, cela ne me faisait absolument rien de partir, j'étais plutôt content, cela sans affectation aucune de ma part. J'avais été plus ému de voir partir la 10ème que de partir à mon tour.

A 2 heures eut lieu, sous le préau du dépôt, un concert donné en notre honneur par Jean Aicard, de l'Académie Française, et par Mayol ainsi qu'une actrice. Des places nous étaient réservées au premier rang ; tout l'état-major du dépôt était là. Le commandant du dépôt nous fit un petit discours où il nous disait qu'il espérait que nous ferions notre devoir etc. etc., il était plus émotionné que nous, nous criâmes "vive la France, vive le Commandant", il était content ; puis, après une petite conférence de Jean Aicard, Mayol nous envoya quelques chansons de son répertoire. Accompagnés de la musique du dépôt, nous poussâmes un "chant du départ" et une "Sambre et Meuse" des plus réussis, puis le concert pris fin. Nous allâmes prendre nos vivres pour la route puis, après avoir soupé, nous nous rassemblâmes autour de nos faisceaux où une distribution d'outils fut faite.
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IM Louis Jean
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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

Message par IM Louis Jean »

Les civils avaient dégagé le dépôt, avant de partir le père et le frère de Portanier me l'avaient recommandé, je leur avait promis de veiller sur lui, puis l'on s'était séparé.

A 5 heures 1/2 le rassemblement sonna, chacun rejoignit son poste, on rompit les faisceaux puis, la tête haute, le jarret ferme, la 9ème quitta le dépôt.

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source Gallica

De même que pour la 10ème, tout le dépôt faisait la haie ; ce fut au milieu des acclamations que nous quittâmes le dépôt. La consigne était de ne point mettre de drapeau au canon de nos fusils mais, à peine la porte du dépôt franchie tout le monde était pavoisé, l'on se figurait d'aller à la fête. Plusieurs qui, sur la route du Pont-de-Las criaient le plus fort furent les premiers à "mettre un bouchon" dès qu'ils arrivèrent sur le front.

Toute la clique du dépôt était en tête, c'est avec elle que nous traversâmes tout le faubourg du Las. Arrivés à Castigneau nous y trouvâmes la musique de la Flotte qui nous y attendait et qui pris notre tête de colonne. Pour aller à la gare nous passâmes par la place de la Liberté et par le boulevard de Strasbourg. c'était noir de monde, dans notre colonne il ne régnait plus aucun ordre, des civils, des soldats de l'Armée de Terre, es matelots, qui restaient à Toulon, étaient mélangés avec nous, nous étions serrés comme des anchois dans un bocal. Tout le long du chemin les cris de "vive la Marine" "vive la France" nous accompagnèrent, des personnes nous portaient des paquets de cigarettes. J'avais Portanier à côté de moi, son frère nous porta à chacun un litre de vin. pour mon compte j'avais presque empoigné une extinction de voix tellement j'avais chanté. Je peux dire sans crainte de démenti que ce n'est pas en pleurant que je suis monté au front. Nous pénétrâmes dans la gare par une entrée des marchandises, aucune personne étrangère à la 9ème ne devait y pénétrer mais, malgré cela, bon nombre le firent. les parents de Portanier étaient du nombre, ils l'embrassèrent une dernière fois, son frère pleurait, puis ils nous serrèrent la main et nous embarquâmes. Sitôt embarqués, les dames de la Croix-Rouge passèrent avec des brocs de thé, des cigarettes, nous en eûmes assez jusqu'à Paris . Quelques uns reçurent même de l'argent, un copain, Fabre, reçut d'une dame un mouchoir brodé avec une pièce de vingt sous nouée dans un coin. Ce qui nous touchait le plus, ce n'était pas la valeur mais bien l'intention.
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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

Message par IM Louis Jean »

Sur le quai, il y avait le préfet maritime de Toulon, le commandant du dépôt (Riquier) et tout un état-major. Ils étaient venus nous saluer avant notre départ. A mon chef de section, monsieur Dupin, qui avait perdu un de ses galons, le capitaine de la 9ème, qui avait remplacé Barthal (parti avec la 10ème) et qui restait à Toulon, lui souhaita bonne chance et lui exprima l'espoir de le voir revenir avec d'autres galons ajoutés à celui qu'il avait perdu.

Les premiers temps que j'étais au dépôt, il était venu un engagé de 17 ans, c'était un poupon, dès qu'il avait eu ses affaires militaires je lui avait donné un coup de main pour s'habiller et pour plier ses frusques. Une autre fois, comme des types du dépôt, le voyant jeune, lui cherchaient querelle, j'avais pris sa défense et je lui avais dit qu'en cas de besoin il n'aurait qu'à s'adresser à moi ; de cela il m'en fut reconnaissant et il ne trouva rien de mieux qu'à se faufiler parmi nous pour pénétrer dans la gare, puis il embarqua dans mon compartiment et, à toute force, il voulut partir avec nous. Il ne voulait pas me quitter, j'eus toutes les peines du monde à lui faire entendre raison et à le faire rester à Toulon. plus tard, il partit à son tour et je ne le revis que le 03/12/1915 à paris, de retour du front. Il avait fait son séjour sur le front sans accident mais il y avait laissé la graisse.

Enfin le train s'ébranla, nous crûmes partir, la musique, massée dans la gare, y allait de toutes ses forces, ce fût une fausse alerte, le train manoeuvrait, trois fois cela se renouvela, la musique ainsi que tous ceux qui étaient sur le quai y allaient de plus belle, enfin, la quatrième fois, le train se décida à démarrer pour de bon et, après un dernier adieu, nous quittâmes Toulon. Beaucoup ne devaient plus le revoir.

Dans mon compartiment nous étions six, moi, Portanier, Tabre (?), Anthelme, Roth et Bruneau. Des six, Bruneau fut le seul à ne pas revenir, à peine arrivé à Dixmude, il fut enseveli sous une maison par une marmite.

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Fiche MdH de Bruneau Louis Georges Auguste
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Memgam
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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

Message par Memgam »

Bonjour,

Source : Jean-Charles Meyer, Au cartahu, les cartes postales anciennes racontent la vie quotidienne des marins, Editions Serre, 1984.

Cordialement.

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Memgam
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IM Louis Jean
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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

Message par IM Louis Jean »

De Toulon à Paris - de Paris à Dixmude

C'est ému on ne peut plus que je quittai Toulon, la manifestation faite en notre honneur par la population Toulonnaise nous avait profondément touchés et c'est plein d'enthousiasme que nous partîmes, animés des meilleurs sentiments. Nous bavardâmes un moment, chacun racontant ses impressions ; en passant à La Ciotat Roth, qui y laissait quelques parents, versa quelques larmes puis, se ressaisissant, il se remit à faire choeur avec nous. Il avait eu un moment de sensibilité bien excusable car, après tout, nous n'étions pas sûrs d'en revenir et, sans pour cela être un feignant, il était bien permis de garder dans son coeur une place pour les siens. Nous nous installâmes de notre mieux dans notre wagon, deux couchèrent par terre, Anthelme et Fabre, un dans un filet, Roth, et moi et Portanier chacun sur une banquette et Bruneau lui resta assis dans un coin, il ne partageait pas notre exubérance ; tout en étant prêt à faire son devoir comme les copains il n'aurait pas demandé mieux que de rester à Toulon. pauvre vieux, il devait avoir l'appréhension de ce qui devait lui arriver.

Nous arrivâmes à Lyon le lendemain dans le courant de la journée, je ne me rappelle plus trop l'heure qu'il était, notre train fut garé à Lyon-Vaise, nous y eûmes une distribution de café aromatisé avec un peu de rhum. Nous restâmes en gare quatre ou cinq heures, plusieurs trains de troupe, infanterie, cavalerie, ainsi que des Indous s'y trouvaient aussi. Parmi les poilus de l'Infanterie, nombreux étaient ceux qui montaient au front pour la deuxième fois ; leur train partait avant le nôtre, ; quand il partit nous échangeâmes de bruyants "au revoir" "bonne chance" etc. Pour employer un terme cher aux "communiqués", le moral des troupes était excellent.

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source Musée d’Histoire Militaire de Lyon

Dans l'après-midi nous partîmes à notre tour, à partir de Lyon nous croisâmes plusieurs trains de matériels de guerre qui revenaient du front, il y en avait du français et du boche, le tout dans un état pitoyable. Nous croisâmes aussi plusieurs trains de blessés ainsi que des trains de prisonniers boches. Suivant ce que c'était nous poussions des acclamations qui nous étaient largement renvoyées ou bien des cris d'eng... ce n'était guère chevaleresque de notre part, je l'admets, mais enfin on le faisait quand même, on ne pensait guère aux sentiments à ce moment-là.

Enfin la nuit vint, nous nous disposâmes à piquer une romance le plus commodément possible ; les wagons de tête de notre train nous étaient réservés, ceux de l'arrière étaient pour les voyageurs civils et, comme ils étaient bondés, à chaque station nous étions dérangés par des personnes qui, à toute force, voulaient pénétrer dans nos compartiments. Vers les minuit, une dame et une demoiselle ouvrirent notre compartiment, partout le train était archicomble, nous n'eûmes pas le coeur de les empêcher de monter, nous nous serrâmes un peu et nous leur fîmes place. Ça alla bien jusqu'au jour, plusieurs personnes étrangères à la 9ème avaient pris place dans nos wagons, aussi le matin l'ordre vint de les faire descendre et le capitaine d'armes, le brave (au dépôt) Laurent Mathurin fit la tournée, à plusieurs reprises pour leur faire quitter les wagons qui nous étaient réservés. Dans notre compartiment, nous ne l'entendions pas de cette oreille, nous avions lié connaissance avec nos compagnes de voyage et, comme elles allaient jusqu'à Paris, nous comptions bien faire le voyage ensemble. Aussi, dès que l'on apercevait la silhouette de notre brave Mathurin nous enfermions nos passagères dans les WC et nous les en délivrions après son passage.

Elles nous rendirent plusieurs fois service car le long de la route il nous était impossible de nous ravitailler ; les buffetiers ayant reçu l'ordre de ne pas nous délivrer ni vin ni bière. Aussi, pour tourner la difficulté, y envoyons-nous une de ces dames, chose qu'elles faisaient de bon coeur.
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