APPAM Vapeur anglais

olivier 12
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Re: APPAM Vapeur anglais

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Bonjour à tous,

APPAM

APPAM était un vapeur anglais lancé en 1912 au chantier Harland & Wolf de Belfast
7781 t Longueur 129,7 m Largeur 17,5 m
Rebaptisé MANDINGO en 1917 et à nouveau APPAM en 1919.
Démoli en 1936 à Milford Haven.

Ce vapeur, navire à passagers, fut capturé par le croiseur corsaire MOEWE, du capitaine de corvette Nicolas zu Dohna Schlodien, le 15 Janvier 1916.

Voici deux images de l’APPAM

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Et une maquette du MOEWE. (Voir aussi fiches du NANTES, du MARONI et de l’ASNIERES)

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Cette capture fait l’objet d’un important dossier aux archives de Vincennes, en raison des problèmes juridiques qu’elle a entraînés. Voici quelques uns des échanges de notes et de télégrammes.

Note de l’Etat-Major Général, du 2 Février 1916

APPAM a été capturé le 15 Janvier à 14h30, non par un sous-marin mais par un petit croiseur auxiliaire du nom de MOEWE échappé de mer du Nord sous l’apparence d’un tramp steamer. Il a ensuite joué le rôle de croiseur auxiliaire sous pavillon allemand et aurait détruit deux navires britanniques. Il est entré à Norfolk sous pavillon de guerre allemand.

Voici l’arrivée de l’APPAM sur rade de Norfolk et Newport News avec le pavillon de guerre allemand.

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Note de l’EM Général du 5 Février 1916 adressée à Marine Dakar

APPAM a été capturé par PUNGO (nota : autre nom du MOEWE) le 15 Janvier 1916 à 14h30 par 33°19 N et 14°34 W. Le 14 janvier, il avait croisé le vapeur norvégien MARSHLANDS, affrété par la Compagnie Française des charbonnages de Dakar, qui avait quitté Barry Docks pour Dakar avec 1052 tonnes de charbon. Ce vapeur a été vu à Las Palmas le 12 Janvier. Prière d’indiquer la date de son arrivée à Dakar, de contrôler si la quantité de charbon à bord est conforme au manifeste et d’interroger le capitaine sur les incidents du voyage et les radiogrammes envoyés ou reçus.

Note du CF de Blanpré, attaché naval à l’ambassade de France à Washington, au Ministre de la Marine (probablement de 1917)

J’ai l’honneur de vous informer que l’équipage allemand de prise de l’APPAM a été, après rupture des relations Allemagne-Etats Unis, amené de Norfolk à Philadelphie et interné dans l’arsenal en compagnie des équipages des corsaires PRINZ EITEL FRIEDRICH et KRONPRINZ WILHELM. Cet équipage se compose de 26 hommes commandé par le lieutenant Hans Berg.

Voici l’EV Berg débarquant de l’APPAM lors de son arrivée à Norfolk.

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Les équipages des deux autres corsaires se composent de 700 hommes. Dans l’arsenal de League Island, où une partie leur est réservée, ils ont construit un village de huttes où ils habitent. C’est un centre d’attraction et de promenade préférée de la nombreuse colonie allemande de Philadelphie Quelles que soient les précautions prises et la surveillance dont ils sont l’objet, il est étrange que le gouvernement américain n’ait pas trouvé pour l’internement d’un si grand nombre d’ennemis un endroit moins dangereux que l’intérieur d’un grand arsenal américain. Toutefois, depuis le 3 Février, les permissions d’accès aux bateaux et au village allemand ont été retirées. Des permissions sont accordées aux marins dans des limites très restreintes.

Pour expliquer la facilité avec laquelle APPAM, tout comme PRINZ EITEL FRIEDRICH et KRONPRINZ WILHELM, est parvenu à franchir la ligne de croisière et à entrer à Norfolk, il faut lire ce qu’a écrit le New York Time du 3 Février :
« Les capitaines qui naviguent entre les Etats-Unis et les Antilles déclarent que, tandis que les vapeurs de commerce alliés s’abstiennent de se servir de la TSF, toutes les nuits les croiseurs anglais bavardent comme des pies en langage non chiffré. L’APPAM n’a eu qu’à se taire et à les écouter pour savoir où ils étaient. »

(à suivre)

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Bonjour à tous,

Note de la West Afrikanische Pflaneungs Gesellschaft Victoria envoyée au consignataire allemand de New York le 17 Février 1916

Comme vous le savez le vapeur APPAM de la Elder Depster Linie, qui faisait route du Cameroun sur l’Angleterre a été pris par un croiseur allemand et conduit à New York. Il a à son bord une grosse cargaison de cacao. Les informations de nos employés du Cameroun disent que l’exploitation de nos plantations a été continuée par les Anglais et que de grandes quantités de cacao sont dirigées sur l’Angleterre pendant la durée de cette guerre.

Il est vraisemblable que le cacao de l’APPAM est d’origine camerounaise. Nous avons pris contact avec le Ministère Impérial des Colonies et le Ministère des Affaires Etrangères pour faire valoir nos droits sur la propriété de ce cacao. Ils nous ont conseillé de nous renseigner auprès du Consulat Général d’Allemagne à New York. Nous chargeons donc la Société Habicht et Brain, de New York, de la sauvegarde de nos droits. Ils devront sauvegarder nos intérêts de la façon la plus énergique, établir quelle quantité de cacao Victoria se trouve sur l’APPAM, et se procurer les papiers du bord.

Nous sommes la plus grande entreprise allemande de plantations et à nous seuls produisons la moitié de la production totale de cacao du Cameroun. Nous sommes certains que les Anglais ont continué l’exploitation de notre cacao, situé près de la côte et relié à la mer par une ramification de chemin de fer de 20 km. La continuation de l’exploitation est impossible dans les autres plantations situées à l’intérieur du pays.
Notre société ne produit que du cacao à pelure lisse, mais depuis quelques années, nous avions commencé à produire du cacao à pelure rude. Nos sacs de cacao peuvent être facilement reconnus, portant la marque WAPV. Il est possible qu’elle ait été conservée par les Anglais.
Nos employés allemands qui étaient à bord de l’APPAM, emmenés en captivité, seront d’une grande utilité pour indiquer le lieu d’embarquement de ce cacao et son origine.

Nota : la ligne de chemin de fer dont parle cette note existait encore dans les années 1960-70. C’était une ligne à voie étroite, fort pittoresque, datant du début du siècle, donc construite par les Allemands. Elle traversait la forêt et la savane et aboutissait au wharf du petit port de Tiko sur la rivière Bimbia. Cette rivière est située au nord de l’embouchure du fleuve Wouri. Une petite locomotive à vapeur tractait des wagonnets qui apportaient alors jusqu’au port les cartons et régimes de bananes venus des plantations situées au pied du mont Cameroun, imposant volcan que l’on apercevait parfois (par beau temps). De nombreux navires bananiers (Cie des Chargeurs Réunis …et autres) ont fait escale à Tiko au cours de ces années-là. La navigation sur la rivière Bimbia, fort étroite, était assez spectaculaire et peu facile. Le pilote de la rivière, un local, embarquait avec son fils, un gamin de 13 ou 14 ans (en 1967) qui prenait la barre comme timonier et suivait les ordres de son père donnés dans la langue du pays. En arrivant à l’appontement de Tiko, l’évitage s’effectuait avec l’étrave plantée dans la vase et les palétuviers de la mangrove.
Souvenirs anciens d’une belle navigation…


Voici une carte de la rivière Bimbia

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Et le chemin de fer de Tiko en 1912

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Rutilius
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Bonsoir à tous,


APPAM — Paquebot — British and African Steam Navigation Company Ltd., Liverpool.


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Library of Congress ~ Prints and Photographs Division ~ Washington, D.C.
Harris & Ewing, photographer – 1916 – Réf. LC-H261- 5173-A [P&P]




Appam, H.M.S. British ship captured by Germans, interned in U.S. ~ Scene at Newport News, Va., when Appam was run into port by Germans : Von Schilling, Vice counsul of Newport News ; collector of port of Newport News ; prince Von Hartzfeld.”


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Library of Congress ~ Prints and Photographs Division ~ Washington, D.C.
Harris & Ewing, photographer – 1916 – Réf. LC-H261- 5214-A [P&P]

Bien amicalement à vous,
Daniel.
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Re: APPAM Vapeur anglais

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Bonjour à tous,

Note du CF Martin, attaché naval à l’Ambassade de France à Washington, au Ministre de la Marine. 3 Février 1916. Affaire de l’APPAM. Description du capteur.

Le croiseur corsaire qui a capturé l’APPAM a une apparence de cargo. Il est neuf et a été construit à Bremerhaven en 1914 pour le transport de fruit et aussi de quelques passagers. Il a été peint en noir le 14 Janvier 1916, mais cette couche très légère recouvre une peinture blanche antérieure.
5000 t environ. 2 mâts très élevés. Installation TSF très développée. Une seule cheminée. Haute manche d’aération sur l’arrière. Pavillon suédois peint sur la coque. Vitesse supérieure à 15 nœuds et en tous cas égale à celle de l’APPAM.
Armement : 6 canons d’environ 6 pouces et 2 tubes lance-torpilles aériens. 4 canons sont dissimulés derrière le pavois mobile de l’avant et 2 sont à l’arrière sous la dunette. Artillerie moderne alimentée par des monte-charges placés aux coins des panneaux de chargement.
Ce croiseur est assisté de 3 éclaireurs sous pavillon neutre, dont 1 norvégien. Ils se tiennent hors de vue du croiseur, suivant le même principe que ceux qui assistaient le KARLSRUHE.
Son commandant serait l’ancien commandant du DRESDEN.

(Nota : information inexacte. Le capitaine de Corvette Nicolas zu Dohna Schlodien avait commandé la canonnière TSINGTAU en Chine, puis avait été officier de navigation sur le SMS POSEN avant de prendre le commandement du corsaire MOËWE. A propos de cet officier dont voici la photo, voir la fiche MARONI)

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APPAM semble avoir été seulement une proie et non un croiseur auxiliaire à quelque moment que ce soit. A l’évidence, cela permet à l’Ambassade d’Allemagne de profiter de l’avantage que lui assure l’article 19 du traité de 1799, renouvelé en 1828, entre les Etats Unis et le Royaume de Prusse.

Le nom du croiseur corsaire reste douteux. On l’a appelé PONGO, puis CONGO, nom sous lequel il aurait été construit. Il a peut-être porté tous ces noms. Ce croiseur est probablement protégé car il n’a à l’évidence pas été installé à la hâte. Il est d’ailleurs possible qu’il ne soit pas le seul construit.

Sur ce corsaire, les prisonniers non combattants sont logés à l’avant, et les combattants à l’extrême arrière. Ces informations ont été en partie recueillies par l’attaché naval britannique à Washington, directement des passagers de l’APPAM.

Note complémentaire du 4 Février 1916

Le nom du corsaire est PUNGO.
Le 16 Janvier 1916, APPAM avait assisté à la destruction par le corsaire du vapeur anglais CLAN MAC TAVISH. Il a ensuite fait route sur Norfolk.

Note complémentaire du 5 Février


Aucune nouvelle du PUNGO, mais des radiogrammes ont été entendus dans la nuit du 4 au 5 Février qui le placerait à 200 milles de Madère. Le CARMANIA a reçu un radiogramme d’un navire marchand qui a croisé un navire suspect, sans feux et stoppé, par 35°00 N et 17°00 W.

Note du 10 Février 1916

Il est bien établi que le commandant de l’APPAM est le lieutenant Hans Berg, domicilié à Apenrade.

(Aujourd’hui Abenra au Danemark, centre politique et culturel de la minorité allemande du Danemark. Apenrade a été annexée en 1920 par le Danemark, suite au plébiscite du Schleswig décidé par le traité de Versailles, et bien que 55% de la population de la ville ait voté pour son maintien en Allemagne)

Hans Berg est un réserviste de la flotte qui a servi comme volontaire et a été activé au début de la guerre. Auparavant, il commandait le vapeur GAMMA de l’Ahrenkiel und Clausen Linie. Il avait passé la semaine de Noël 1915 chez lui et n’avait pris la mer que début Janvier. Il avait d’ailleurs signalé à sa femme qu’elle n’aurait plus aucune nouvelle de lui pendant plusieurs mois, qu’elle ne devait pas lui écrire et qu’elle ne devait pas s’inquiéter.
Le corsaire était à 150 milles au NW du cap Finisterre le 10 Janvier et à 60 milles au nord de Madère le 15. Hans Berg a pris le commandement de l’APPAM le 16 Janvier.

Le lieutenant Berg avait émis la prétention de garder à son bord des prisonniers, officiers et soldats, ainsi que l’équipage anglais de l’APPAM qui avait résisté à la capture. Chose incroyable, la libération des prisonniers n’a été obtenue que le 3 Février après de longs pourparlers. Finalement, tout le monde, Anglais comme Allemands, a débarqué le 3 Février.

L’Ambassade d’Allemagne a demandé que l’APPAM soit considéré comme prise et non comme corsaire.

L’Ambassade d’Angleterre a demandé au State Department que le bâtiment soit livré au consul anglais de Norfolk, son Excellence Sir Cecil Spring, ceci en vertu de la Convention de La Haye que, soit dit en passant, l’Angleterre n’a pas signée.

Ce 10 Février, le gouvernement américain n’a toujours pas fait connaître sa position. Tout laisse à penser que, conformément au traité de 1828 entre les USA et le Royaume de Prusse, APPAM restera à Norfolk jusqu’à la fin de la guerre.

Complément

Notons qu’il y avait sur l’APPAM (sous commandement anglais) 20 civils allemands dont 3 femmes, 8 prisonniers de guerre allemands des troupes de protection du Cameroun, ainsi que des lingots d’or des mines d’Afrique du Sud pour une valeur de 1 millions de marks.

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Re: APPAM Vapeur anglais

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Bonjour à tous,

Février 1916 Note de l’Attaché naval à Londres, au Ministre de la Marine

Cette note, assez longue, reprend les faits concernant la capture de l’APPAM et le nom exact du corsaire, MOËWE, y est mentionné pour la première fois.
Elle signale que l’Amirauté anglaise demande la restitution de l’APPAM à ses armateurs et l’internement des capteurs.

L’Amirauté précise que l’APPAM ne peut justifier sa relâche dans un port américain qui n’était pas sur la route de l’Allemagne alors qu’il est en parfait état de navigation et que la météo était bonne. La convention de La Haye de 1907 ne peut donc être invoquée. Toutefois, il est reconnu qu’il peut invoquer le manque de vivres et de combustible. Mais il devra alors appareiller aussitôt ravitaillé.

L’Amirauté reconnaît que l’article 23 de la convention de La Haye autorise une puissance neutre à permettre l’entrée dans ses ports d’une prise de belligérants pour qu’elle soit séquestrée en attente de la décision d’un tribunal des prises. Toutefois, elle estime cet article extrêmement discutable car il permettrait alors à un croiseur belligérant de faire d’un port neutre la base de ses opérations de guerre. Cet article avait d’ailleurs été énergiquement repoussé par la Grande Bretagne (nota : qui n’a pas signé la convention de La Haye).

Les Américains de leur côté disent :

1) APPAM ne peut être considéré par les Américains comme un navire de guerre allemand.
2) Le gouvernement américain ne considère pas qu’APPAM, vapeur marchand, a été transformé en navire de guerre étant en haute mer.
3) Il est évident qu’APPAM n’a pas l’armement d’un croiseur auxiliaire et ne peut, avec son armement actuel, être employé dans cette fonction. C’est donc pour les Américains un navire marchand.

En conclusion, l’Amirauté anglaise trouve très étrange qu’en effectuant pas le seul acte que le gouvernement américain aurait trouvé répréhensible, à savoir l’armement en croiseur auxiliaire en haute mer, les Allemands parviennent à priver les Anglais de ce navire pendant la durée de la guerre, et peut-être à en conserver la propriété quand reviendra la paix.

Note de Mars 1916 (non signée) se référant à une lettre confidentielle à Mr Lansing (sans doute consul ou ambassadeur anglais), exposant la position du gouvernement américain.

APPAM, navire anglais a été capturé en haute mer par le croiseur allemand MOËWE et amené à Norfolk sous les ordres du lieutenant Berg. Il prétend rester dans les eaux américaines en vertu du traité prusso-allemand de 1799.
APPAM n’a pas été armé et n’a pas fait acte de guerre.
Une demande de saisie a été introduite par la British African Steamships Company.

Le 2 Mars 1916, Monsieur Lansing a écrit au comte Bernstorff (nota Ambassadeur d’Allemagne aux USA) soulevant une objection fondée sur le traité anglo-américain qui interdit à tout navire pris sur les Anglais de s’abriter dans un port américain autrement que par fortune de mer ou nécessité immédiate.

Le gouvernement américain s’estime libre de toute obligation stipulée par le traité avec la Prusse, du fait que l’APPAM n’a pas été conduit à Norfolk par un navire belligérant ou comme navire belligérant. Il y est venu par ses propres moyens et l’équipe de prise a d’ailleurs été libérée.

Point de vue allemand

1) La restitution ne saurait être accordée suite à une violation de la neutralité postérieure à la capture
2) APPAM est un navire allemand non soumis à la juridiction du tribunal du district de Virginie.
3) Le traité prusso-américain de 1799 régit le cas

Point de vue anglais

Un navire de prise qui pénètre dans un port neutre pour éviter d’être repris commet une violation du droit des neutres aussi flagrante que si un navire de guerre venait opérer une prise dans les eaux territoriales du neutre.

Conclusion de l’affaire de l’APPAM

Le navire restera aux Etats-Unis jusqu’à la fin de la guerre, mais sera récupéré par les Anglais après l’armistice. Il faut cependant reconnaître que l'affaire était confuse et fut sans doute une aubaine... pour les avocats!

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Rutilius
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Re: APPAM Vapeur anglais

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Bonsoir à tous,


■ L’issue contentieuse de l’ « Affaire du navire anglais "Appam" ».


Journal du droit international, T. 45, 1918, p. 147 à 158.


Du traitement juridique applicable à une prise maritime amenée par un navire belligérant dans un port neutre.

Affaire du navire anglais l’Appam


L’Appam était un paquebot anglais qui se rendait d’un port de l’Afrique occidentale à Liverpool.
Le 15 janvier 1916, il fut surpris par le croiseur allemand Mœwe. A ce moment il se trouvait à environ 1.600 milles du port allemand le plus proche, et à plus de 3.000 milles de Newport News, Virginie, États-Unis d’Amérique. Un équipage armé choisi parmi les meilleurs hommes du Mœwe prit possession de l’Appam, en avertissant les marins du bâtiment anglais que s’ils n’obéissaient pas, ils seraient fusillés et que l’on ferait sauter le navire. L’Appam fut alors confié à un officier, et à vingt-deux marins allemands.
Le Mœwe continua sa route et n’accompagna pas la prise.
La route de l’Appam fut alors complètement modifiée. Des bombes furent placées en différents endroits du navire ; des précautions furent prises pour éviter toute poursuite et pour cacher à l’équipage et aux passagers prisonniers la destination du navire. L’équipage anglais fut contraint, sous menace de mort et de destruction immédiate du bâtiment, à naviguer vers les eaux, alors neutres, des côtes de Virginie, où le bâtiment arriva en bon état et bien approvisionné.
A son arrivée, l’ambassadeur d’Allemagne demanda l’internement du navire et de son équipage anglais, en vertu de l’article 19 du Traité de 1799 entre la Prusse et l’Amérique. Par la suite, les propriétaires du navire anglais saisirent la Cour de district des États-Unis, de leurs revendications écrites concernant le navire et la cargaison, dont la possession passa ainsi aux mains de la Cour pour toute la durée du procès. Dans l’intervalle, un tribunal des Prises allemand avait prononcé la confiscation de l’Appam et l’avait attribué à ses capteurs.
L’affaire fut plaidée par notre, éminent collaborateur, M. Frédéric R. Coudert, counsellor-at-law à New-York, pour les propriétaires de l’Appam et M. Frederick W. Lehmann pour le gouvernement allemand, tous deux avec la collaboration d’autres Conseils distingués.
L’ « opinion » de la Cour suprême des États-Unis est rapportée dans 243 U. S. 124 et infra p. 151. Pour l’ « opinion » intéressante du tribunal de Première Instance, voir 234 Fed. Rep. 389. On la trouvera ci-après.

La question suivante se trouvait nettement posée :
Un navire et sa cargaison, appartenant à un sujet anglais et capturés en pleine mer, au cours d’une guerre, par un croiseur allemand, pouvait-il être amené, par l’officier et l’équipage commandant la prise, dans la zone neutre de la côte des États-Unis, pour y être interné ?
En d’autres termes :
1. – L’utilisation d’un port américain dans ces circonstances constituait-elle une violation de la neutralité américaine ?
2. – Une utilisation de cette nature était-elle justifiée par les traités entre l’Allemagne et les États-Unis ?
3. – Le Tribunal américain compétent siégeant comme Cour d’amirauté avait-il le droit de prononcer la confiscation de l’Appam et de sa cargaison ?

I. – Les capteurs n’ont nullement allégué que le navire était entré dans un port américain dans le but de renouveler sa provision de charbon ou de vivres, ou qu’il y avait été poussé par la tempête ou par la nécessité de réparer des avaries. S’il en avait été ainsi, il aurait été obligé de reprendre la mer dès la cessation de l’état de choses ayant motivé son entrée.
L’Appam fut véritablement amené dans le port à titre de « prise », et le gouvernement allemand soutint la légalité de cette mesure en invoquant l’article 19 du Traité de 1799 entre la Prusse et l’Amérique, confirmé par l’article 12 du Traité de 1828.
Après avoir fait observer que la politique traditionnelle des États-Unis était contraire à l’utilisation de ses ports en méconnaissance des obligations de la neutralité, le Tribunal explique que cette politique, n’est nullement modifiée par l’art. 21 du Traité de la Haye, le gouvernement américain ayant refusé d’adhérer à l’art. 23, qui permet aux prises, convoyées ou non, d’entrer dans des ports neutres, lorsqu’elles y sont amenées pour y être internées en attendant la décision d’une Cour des Prises ; que les délégués américains à la Conférence de la Paix ont refusé d’accepter l’art. 23, craignant qu’un état neutre ne pût, en vertu de cet article, être entraîné à prendre part à une guerre au point de donner asile à une prise qu’un belligérant ne pourrait conduire à un de ses propres ports — prévoyant ainsi le cas actuel.
Le Tribunal a déclaré que les faits démontraient qu’il y avait eu une violation caractérisée des lois de la neutralité, bien que l’entrée de « prises » dans les ports américains n’eut pas été expressément, interdite.

II. – D’après le Traité de 1799, la permission d’entrer dans les ports des parties contractantes et d’en sortir, sans être inquiétés, était accordée aux vaisseaux de guerre et à leurs prises. L’Appam était peut-être une prise, mais il n’était certainement pas accompagné d’un vaisseau de guerre.
Ainsi que le dit le tribunal :
« C’était un navire marchand, capturé en pleine mer et envoyé dans un port américain avec l'intention de l’y laisser indéfiniment, et sans moyens de quitter ce port pour un autre,
ainsi que le prévoit le Traité, et ainsi qu’il doit être indiqué dans la commission du vaisseau convoyant la prise.
Certainement un tel usage d’un port neutre est loin de celui visé par un Traité qui ne prévoit qu’un asile temporaire dans des circonstances spéciales, et qui ne peut être interprété comme impliquant l’intention de faire d’un port américain un refuge pour les prises capturées par un gouvernement belligérant. Nous ne pouvons que conclure que le fait de s’être ainsi servi d’un port américain constituait une violation caractérisée des droits de neutre du gouvernement des États-Unis établis en vertu des principes de droit international régissant les obligations des neutres, et qu’un tel usage d’un de nos ports n’était, nullement autorisé par le Traité de 1799 » (p. 153 de l’ « Opinion »)
.

III. – Quant au troisième point, savoir : la question de compétence, la décision du Tribunal est particulièrement intéressante. Il est vrai que dans certains cas analogues les Tribunaux américains s’étaient déclarés compétents [Glass c/. Corvette Betsey, 3 Dall. 6, (1794) ; La Santissima Trinidad, 7 Wheat. 283, 1822. Voir aussi l’ « Invincible », 1 Wheat. 238, 258 ; L’Estrella, 4 Wheat. 298, 308-311 ; La Amistad de Rues, 5 Wheat. 385, 390].
Mais ces violations de neutralité avaient été basées sur une infraction consciente quelconque, et comportaient soit des captures illégales en mer, soit des violations d’autres obligations neutres. Le cas de l’Appam était unique en ce sens que ce navire avait été amené dans un port américain en vertu d’un semblant de droit que l’on prétendait baser sur un traité qui n’avait jamais fait l’objet d’une décision judiciaire. Mais le jugement soutient qu’il n’y a aucune différence de principe « entre de tels cas (comportant une capture illégale en
mer, etc..) et les violations de neutralité de la nature de celle actuellement visée et qui feraient d’un port américain un dépositaire de navires capturés, dans le but de les y laisser indéfiniment ».
Le fait qu’une cour des prises en Allemagne se serait déclarée compétente en l’absence de la prise, n’empêche pas le Tribunal Américain d’assumer la compétence pour établir une violation illégale de droits de neutres, et de disposer du navire ainsi qu’il jugerait à propos. Ceci est un point très intéressant envisagé dans la décision, car jusqu’à présent, il y a toujours eu beaucoup de doute sur la question de savoir si un jugement d’une Cour des prises prononcées en l’absence de la prise même, était valable bien qu’irrégulier.
Le Tribunal américain décide, en pratique, que quel que soit l’effet en Allemagne de la décision de la Cour des prises allemande, cette décision ne peut invalider un jugement américain et priver ainsi de leur bien les propriétaires du navire. Le Tribunal déclare en terminant :
« Si la règle n’était pas telle que ce Tribunal l’a fréquemment déclarée, alors dans le cas d’une guerre générale comme celle qui se poursuit actuellement entre les pays européens,
nos ports pourraient être remplis de prises capturées par l’un ou l’autre des belligérants, en violation absolue des principes de la neutralité qui ont animé ce pays depuis le début. »
La compétence du Tribunal découle de la violation de la neutralité américaine, et les Cours d’Amirauté peuvent ordonner la restitution dans le cas d’une telle violation de neutralité. Dans, chaque cas, la question de compétence et le jugement sont basés sur le droit des Tribunaux américains d’ordonner la restitution aux propriétaires privés dans le cas de violations de neutralité, lorsque les navires faisant l’objet de la violation se trouvent dans notre juridiction, affirmant ainsi nos droits et obligations comme peuple neutre. »
L’affaire a été portée devant la « Suprême Court » des États-Unis siégeant à Washington. Plaidée le 16 janvier 1917, elle a été jugée le 6 mars 1917. On nous saura gré de donner en Annexe le texte de cette importante décision.

Joseph DU VIVIER.

Ancien substitut du procureur de la République de New-York, Avocat à la Cour Suprême de l’État de New-York et à la Cour Suprême des États-Unis d'Amérique.



ANNEXE


JUGEMENT DE LA SUPRÊME COURT DES ÉTATS-UNIS (8 mars 1917)


Affaire du vapeur Appam. — Appel devant la Cour Suprême des États-Unis contre jugement de la Cour de District des États-Unis. — District Est de l’État de Virginie. — N°s 650, 722 — Plaidoirie, 16 janvier 1917 — Jugement du 2 mars 1917 — Juges. — Avocats. Frédéric W. Lehmann, John W. Clifton, Moriom R. Lindheim, Robert M. Hughes et Walter S. Penfield pour les appelants ; Frédéric R. Coudert , James K. Symmers, Howard Thayer Kingbury, Herbert Barry, Floyd Hughes, Ralph James, M. Rullowa et Munroe Smith, pour les intimés.


D’après les principes ordinaires du Droit international, le procédé qui aurait dû être suivi après la prise de l’Appam était de conduire le navire dans un port allemand où un tribunal des prises de cette nation aurait pu statuer sur sa situation et, le cas échéant, prononcer sa confiscation comme prise de guerre. Au lieu de cela, l’Appam n’a été conduit ni dans un port allemand, ni dans le port accessible le plus proche d’une Puissance neutre, mais a reçu l’ordre de se rendre et s’est rendu dans un port américain distant de plus de 3.000 milles, l’intention étant d’y faire désarmer le navire capturé.
Le navire n’a pas été conduit ici pour une des raisons universellement admises en droit international, c’est-à-dire pour obtenir une provision nécessaire de combustible ou de vivres, ou à cause de la tempête ou de la nécessité d’effectuer des réparations, avec l’intention de repartir dès que le motif de son entrée aurait cessé d’exister. Le but dans lequel l’Appam a été amené dans les « Hampton Roads », et la nature du navire, sont précisés dans l’ordre que nous venons de citer de le conduire dans un port américain et de l’y désarmer et dans une note de S. E. l’ambassadeur d’Allemagne, au secrétaire d’État réclamant le droit de maintenir le navire dans un port américain jusqu’à nouvel ordre (corresp. diplom. avec les gouv. belligérants relativement aux droits et devoirs neutres. Département d’État, Guerre européenne, n° 3, p. 331), et dans une autre communication de l’ambassadeur d’Allemagne transmettant un mémorandum d’un télégramme du gouvernement allemand concernant l’Appam (idem, p. 333) dans laquelle il était déclaré :
« L’Appam n’est pas un croiseur auxiliaire mais une prise. En conséquence, il doit être traité conformément à l’art. 19 du Traité de 1799 entre la Prusse et l’Amérique. L'art. 21 de la Convention de La Haye relativement à la neutralité en mer ne s’applique pas cette Convention n’ayant pas été ratifiée par l’Angleterre et, en conséquence, n’étant pas obligatoire d’après l’art. 28. L’art. 19 sus-énoncé autorise une prise à demeurer dans des ports américains aussi longtemps qu’il lui plaît. Ni le navire ni l’équipage de prise ne peuvent, en conséquence, être internés ; il ne peut non plus être aucunement question de délivrer la prise aux Anglais ».
En vue de ces faits et de cette attitude du gouvernement impérial allemand, il est évident que l’Appam n’a pas été amené ici autrement que comme une prise, capturée en mer par un croiseur de la marine allemande, et l’attitude du gouvernement allemand et la réponse à la plainte démontrent que la prétention de le maintenir ici était basée principalement, sur le Traité de 1799 entre la Prusse et l’Amérique.
Les principes de Droit international admis par ce gouvernement en laissant de côté la question du traité, ne permettront pas que les ports des États-Unis soient utilisés ainsi
par les belligérants. Si une telle utilisation était admise, les ports des pays neutres devien-draient des havres de refuge où les prises capturées par l’un des belligérants pourraient être amenées en toute sécurité et laissées indéfiniment.
Depuis le début de son histoire, ce Pays a eu le soin de maintenir une position neutre entre les Gouvernements belligérants et de ne pas permettre l’utilisation de ses ports en violation des obligations de la neutralité ; ni d’en permettre une telle utilisation au delà des nécessités provenant des risques de mer ou de l’état desdits navires de prendre la mer, ou de leur besoin de provisions ou de vivres. Une telle utilisation est sanctionnée par le Droit international [Note de Dana à Wheaton sur le Droit international, 1866, 8e édition américaine, §. 391 — et est conforme à nos propres usages. — « Moore's Digest of International Law », Vol. 7, 936, 937, 938].
Une politique de neutralité entre les Nations belligérantes a été maintenue depuis 1793 jusqu'à l’époque actuelle. Dans ladite année, le président Washington a catégoriquement refusé au ministre de France l’usage de nos ports pour l’équipement de « corsaires » (privateers) destinés à détruire le commerce anglais. Cette attitude a eu pour résultat la « Neutrality act » (loi de neutralité) de 1794, qui, plus tard, fut incorporée dans la loi de 1818, créant un Code de Neutralité qui, entre autres choses, interdisait l’équipement et l’armement de navires ; l’augmentation ou l’accroissement des équipages de ces navires armés ; ou l’organisation sur notre territoire d’expéditions militaires ; et conférait au président le pouvoir d’ordonner aux vaisseaux de guerre étrangers de quitter nos ports, et de les forcer à les quitter lorsqu’ils en seraient requis d’après le Droit des Nations. [Moore on International Arbitrations ; Vol. 4, 3967 et suiv.].
Cette politique du gouvernement américain a été confirmée par son attitude à la conférence de La Haye de 1907.
L’article 21 du Traité de La Haye stipule :
« Une prise ne pourra être amenée dans un port neutre qu’en cas d’incapacité de prendre la mer, ou poussée par la tempête ou, le manque de combustible du de vivres.
« Elle doit repartir dès que les circonstances qui justifiaient son entrée ont cessé d’exister. Si elle ne repart pas, la Puissance, neutre doit lui ordonner de repartir immédiatement ; si elle n’obéit pas, la Puissance neutre doit employer les moyens à sa disposition pour la remettre en liberté ainsi que ses officiers et son équipage et pour interner l’équipage de
prise.
»
L’article 22 stipule :
« Une Puissance neutre doit également remettre en liberté une prise amenée dans l’un de ses ports dans des circonstances autres que celles mentionnées à l’article 21. »
La Belgique, la France, l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne, les États-Unis et un certain nombre d’autres nations ont donné leur adhésion à ces articles. Ils n’ont pas été ratifiés par le
Gouvernement britannique. Le Gouvernement des États-Unis a refusé de donner son adhésion à l’article 23, qui stipule :
« Une Puissance neutre peut permettre aux prises d’entrer dans ses ports et rades, qu’elles soient convoyées ou non, lorsqu’elles y sont amenées pour y être séquestrées en attendant la décision d'une Cour des Prises. Elle peut faire conduire la prise dans un autre de ses ports.
« Si la prise est convoyée par un vaisseau de guerre, l’équipage de prise peut aller à bord du vaisseau convoyeur.
« Si la prise n’est pas convoyée, l’équipage de prise est laissé en liberté
».
Et dans la promulgation de la Convention, le Président a rappelé la résolution du Sénat y donnant son adhésion, à la condition que :
« L’article 23 soit réservé et exclu, et étant entendu que la dernière clause de l’article 3 de ladite convention implique le devoir d’une Puissance neutre de faire la réclamation y mentionnée relativement à la restitution d’un navire capturé dans les limites de la juridiction neutre et ne se trouvant plus dans cette juridiction ». (36 Stat., pt. II, p. 2438).
Alors que ce traité, en raison de sa non-ratification, ne constitue peut-être pas un engagement obligatoire, il est très éloquent comme indication de l’attitude du gouverne-ment américain lorsqu’il s'agit d’une question de Droit international ; il ressort donc nettement que les prises ne pouvaient être amenées ; dans nos ports, en vertu des principes généraux reconnus en droit international, que si elles étaient en mauvais état pour prendre la mer, ou si elles étaient poussées par la tempête ou avaient besoin de combustibles ou de vivres, et nous avons refusé d’admettre le principe que des prises pouvaient entrer dans nos ports et rades, convoyées ou non, pour être séquestrées en attendant la décision d’une Cour des Prises.
D’après le rapport de la Conférence, il paraît que la raison de l’attitude des délégués américains en refusant d’accepter l’article 23 était que, par suite de cet article, un neutre pouvait être entraîné à participer dans une guerre au point de donner asile à une prise qu’un belligérant ne serait pas à même de conduire à l’un de ses propres ports. [Voir : Scott sur les
« Conférences de la paix », 1899-1907, Vol. II, p. 237 et suiv.
].
On insiste beaucoup sur l’omission de la part de ce Gouvernement de proclamer que ses ports n’étaient pas ouverts à la réception de prises capturées, et l’on prétend que faute d’interdire l’entrée de prises dans nos ports, l’autorisation d’y entrer doit être présumée. Mais quel que soit le privilège qui puisse résulter de cette circonstance, il ne justifie pas la prétention d’utiliser un de nos ports comme lieu où des prises peuvent être maintenues indéfiniment, surtout lorsqu’aucun moyen de les en faire sortir n’est indiqué sauf l’augmentation de l’équipage, ce qui serait une violation nette des règles de neutralité établies.
En ce qui concerne l’argument, en faveur des demandeurs, que l’article XIX du Traité de 1799 justifie l’entrée et le séjour de l’Appam dans un port américain, dans les circonstances que nous avons énoncées ci-dessus, il semble qu’en réponse à une note de S. E. l’Ambassadeur d’Allemagne, énonçant cette prétention, le secrétaire d’État américain, en tenant compte du traité, a émis un avis différent (Correspondance Diplomatique avec les Gouvernements belligérants, supra, p. 335, et suiv.), et nous croyons que cet avis est justifié par l’examen des termes du traité. L’article XIX du Traité de 1799, en se servant de la traduction adoptée par le Département d'Etat américain, est ainsi conçu :
« Les vaisseaux de guerre, publics et privés, des deux parties, pourront conduire librement, où il leur plaira, les navires et effets pris à leurs ennemis, sans être obligés de payer aucuns droits de douane, charges ou frais aux fonctionnaires de l’Amirauté, des Douanes, ou autres ; et Iesdites prises ne seront pas arrêtées ni examinées et ne feront l’objet d’aucune procédure légale lorsqu’elles viendront ou entreront dans les ports de l’autre partie, mais pourront à n’importe quelle époque être librement conduites par le vaisseau preneur aux endroits indiqués dans sa commission, que l’officier commandant ledit vaisseau sera obligé de montrer. Mais conformément aux traités existant entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, aucun vaisseau qui aura fait une prise contre des sujets britanniques n’aura le droit de se réfugier dans les ports des États-Unis, mais s’il y est forcé par des tempêtes, ou tout autre danger ou accident de mer, il sera obligé de repartir aussitôt que possible ». [La clause concernant les traités entre les États-Unis et la Grande-Bretagne n’est plus en vigueur, ayant été omise du traité de 1828. Voir Recueil des Traités en vigueur, 1904, p. 641 et 646].
Nous croyons que l’analyse de cet article démontre clairement que la permission accordée s’applique aux vaisseaux de guerre et à leurs prises, qui ne doivent pas être arrêtées, ni
examinées, ni faire l’objet d’aucune procédure légale, lorsqu’elles entrent dans les ports des hautes parties contractantes, afin qu’elles puissent être librement conduites par le vaisseau
preneur aux endroits indiqués dans sa commission que l’officier commandant ledit vaisseau est obligé de montrer. Lorsque l’Appam est entré dans le port américain il n'était pas sous la garde d’un vaisseau de guerre de l’empire d’Allemagne.
C’était un navire marchand, capturé en pleine mer et envoyé dans un port américain avec l’intention de l’y laisser indéfiniment, et sans moyens de quitter ce port pour un autre ainsi que le prévoit le traité et ainsi qu’il doit être indiqué dans la commission du vaisseau convoyant la prise. Certainement, un tel usage d’un port neutre est loin de celui visé par un traité qui ne prévoit qu’un asile temporaire dans des circonstances spéciales, et qui ne peut être interprété comme impliquant l’intention de transformer un port américain en refuge pour les prises capturées par un Gouvernement belligérant. Nous ne pouvons que conclure que le fait de s’être ainsi servi d’un port américain constituait une violation caractérisée des droits de neutre du Gouvernement des États-Unis, établis en vertu des principes de droit international régissant les obligations des neutres, et qu’un tel usage d’un de nos ports n’était nullement autorisé par le Traité de 1799.
Il reste à savoir si, dans ces circonstances, une Cour d’Amirauté des États-Unis avait la compétence et la juridiction pour ordonner la restitution du navire et de la cargaison à un propriétaire privé.
La première autorité sur cette question parmi les décisions de ce Tribunal se trouve dans l’affaire Glass c/. le sloop Betsey (3 Dall. 6), jugé en 1794. Le commandant du corsaire français, le citoyen Genet, avait, paraît-il, capturé en pleine mer le sloop Betsey et l’avait envoyé à Baltimore, où les propriétaires du sloop et de la cargaison avaient déposé, devant la Cour de District de Maryland, une plainte en restitution, parce que le navire appartenait à des sujets du roi de Suède, une puissance neutre, et que la cargaison appartenait conjointement à des Suédois et à des Américains. La Cour de District s’était déclarée incompétente, la Cour de Circuit avait confirmé cette décision et l’affaire était venue en appel devant ce tribunal. L’opinion unanime a été énoncée par M. le Juge Jay lorsqu’il a déclaré que les Cours de Districts des États-Unis, siégeant comme Cours d’Instance ou comme Cours des Prises, possédaient les pouvoirs de Cours d’Amirauté ; lorsqu’il a maintenu la juridiction de la District Court de Maryland et a émis l’avis que ladite Cour était compétente pour examiner et décider la question de savoir si restitution devait être faite aux demandeurs, conformément aux lois des nations et aux traités et lois des États-Unis.
La question est venue à nouveau devant ce tribunal dans l’affaire de la « Santissima Trinidad » décidée en 1822, relatée 7 Wheat. 283. Dans cette affaire, il a été décidé qu’une capture illégale revêtait le caractère d’un dommage (tort) et que les propriétaires primitifs avaient droit à la restitution lorsque le bien capturé était amené dans notre juridiction. L’opinion fut prononcée par M. le juge Story, et après une discussion complète de l’affaire, le tribunal émit l’avis qu’une telle capture illégale, si elle était amenée dans la juridiction des tribunaux des États-Unis, était soumise à la confiscation et à la restitution aux propriétaires, et l’éminent juge déclara :
« Si, en effet, la question était entièrement nouvelle, elle mériterait un examen très sérieux à l’effet de savoir si une réclamation basée sur une violation de notre juridiction neutre, devrait être présentée par des particuliers, ou en toute manière, autre que par l’intervention directe du Gouvernement même. Dans le cas d'une capture effectuée dans les limites de la juridiction d’un territoire neutre, il est bien établi que la question ne peut jamais être mise en litige entre les capteurs et les capturés. Elle ne peut être soulevée que sur une réclamation du souverain neutre, soutenue devant ses propres tribunaux, ou devant les tribunaux ayant la connaissance de la capture comme prise. Et par analogie avec ce mode de procédure, il peut sembler que l’interposition de notre propre gouvernement aurait dû être sollicitée avant que nos tribunaux aient pu prendre connaissance du dommage. Mais la pratique depuis le début dans les causes de ce genre (C’est-à-dire depuis une période de près de trente années) a été uniformément contraire, et il est maintenant trop tard pour la modifier. Si un inconvénient quelconque en résultait, pour des raisons de politique d’état ou de discrétion exécutive, c’est au Congrès qu’il incombe d’appliquer à sa guise la réforme convenable » (p. 349).
« ... Quelle que soit l’exemption quant au navire public lui-même et son armement et ses munitions de guerre, les biens de prise qu’il amène dans nos ports sont soumis à la juridiction de nos Tribunaux, à l’effet d’examen et d’enquête et, en cas de réclamation bien fondée, à l’effet de restitution à ceux qui en ont été dépouillés par une violation de notre neutralité ; et si les marchandises sont débarquées d’un navire public dans nos ports, avec la permission expresse de notre Gouvernement, cela ne change pas la situation, puisque cela ne comporte pas la garantie qu’en cas de capture illégale elles seront exemptées du fonctionnement ordinaire de nos lois » (p. 354).

Dans les affaires subséquentes devant ce Tribunal, on ne s’est pas écarté de cette doctrine [« L’Invincible », 1, Wheat, 238, 258 ; « The Estralla », 4, Wheat, 298, 308-311; « La Amistad de Rues » 5, Wheat. 385, 390].
On insiste sur le fait que ces cas comportaient des captures illégales en mer, ou des violations d’obligations neutres ne provenant pas de l’utilisation d’un port par l’envoi dans ce port d’un navire capturé et son maintient dans ledit port en violation de nos droits comme Neutres. Mais nous ne voyons aucune différence de principe entre de tels cas et des violations de neutralité de la nature de celle dont il s’agit en l’espèce provenant du dessein de transformer un port américain en dépositaire de navires capturés, dans le but de les y maintenir indéfiniment. Et nous ne pouvons non plus admettre, malgré l’insistance du Conseil du demandeur que la Cour des Prises de l’Empire d’Allemagne soit exclusivement compétente pour déterminer le sort de l’Appam comme prise légitime. Le navire était dans un port américain et, d’après notre pratique, dans la juridiction et la possession de la Cour de district qui avait entrepris de statuer sur la prétendue violation de droits neutres, avec pouvoir de disposer du navire en conséquence. Le Tribunal étranger, dans de telles circonstances, ne pouvait évincer la juridiction du tribunal local et ainsi annuler son jugement. [« The Santissima Trinidad », supra, p. 355.].
Si la règle n’était pas telle que ce tribunal l’a fréquemment déclarée, alors dans le cas d’une guerre générale comme celle qui se poursuit actuellement entre les pays européens, nos ports pourraient être remplis de prises capturées par l’un ou l’autre des belligérants en violation absolue des principes de la neutralité qui ont animé ce pays depuis le début.
La compétence du tribunal découle de la violation de la neutralité américaine, et les Cours d’Amirauté peuvent ordonner la restitution dans le cas d’une telle violation de neutralité.
Dans chaque cas, la question de compétence et le jugement sont basés sur le droit des Tribunaux américains d’ordonner la restitution aux propriétaires particuliers dans les cas de violations de neutralité, lorsque les navires faisant l’objet de la violation se trouvent dans notre juridiction, affirmant ainsi nos droits et obligations comme peuple neutre.
Il s’ensuit que le jugement dans chaque cas doit être confirmé.
Bien amicalement à vous,
Daniel.
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Yves D
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Re: APPAM Vapeur anglais

Message par Yves D »

Merci Daniel !
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La guerre sous-marine 14-18, Arnauld de la Perière
et autres thèmes d'histoire maritime.
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