Bonjour à tous,
Naufrage du 26 Avril 1918
Rapport du capitaine
Armateur : Affréteurs Réunis. Navire affrété par l’Etat.
Quitté Marseille le Jeudi 25 Avril 1918 à 08h00, navire en parfait état de navigabilité, avec un complet chargement de matériel de guerre pour l’armée d’Orient, à destination du Pirée (Automobiles, locomotives et matériel divers)
Parti en convoi avec MANSOURA, UPANA et ROMANY, escorté par les chalutiers LIBERTE, MARGUERITE II et SAINT JEAN. LEOPOLD DOR est guide de navigation. Sorti du chenal de sécurité à 10h40, pris la formation et navigué en zigzags. Vers 15h00, mauvais temps, mer devenant grosse. Vitesse 7 nœuds et les convoyeurs ont de la peine à suivre. Le chef de convoi ordonne de cesser les zigzags.
A 22h30, changé de route et venu au S17E.
Le lendemain, vent hâlant au NE et mer toujours grosse.
A 16h25, alors que je suis sur la passerelle avec le maître d’équipage, le veilleur avant tribord et celui de la hune signalent une torpille par tribord. J’aperçois en effet à 150 m et 65° sur l’avant une torpille qui vient sur nous en rasant l’eau. Je n’ai que le temps de faire mettre la barre toute à droite et la torpille passe à 4 ou 5 m sur l’avant.
Dès qu’elle est parée, je fais mettre avant toute et bâbord toute afin de m’éloigner de la direction d’où elle est venue et pour présenter l’arrière à l’ennemi. Dès qu’il paraîtra, nous pourrons le canonner. Mais 15 secondes après, nous voyons une 2e torpille venant encore de tribord, à quelques mètres de nous et, contrairement à la première, très profonde dans l’eau. Elle touche le navire par le travers du panneau 2. L’explosion est formidable et la gerbe d’eau monte jusque sur la passerelle et nous recouvre, moi, le maître d’équipage et l’homme de barre, d’eau et de débris de toute sorte.
Dès qu’il est possible de se rendre compte de l’avarie, je juge le navire perdu. Le gaillard est déjà sous l’eau et les panneaux 1 et 2 ont sauté, suite à la pression de l’eau qui s’engouffre dans les cales. Je commande de stopper la machine et mets aux postes d’abandon. La mer étant grosse, l’évacuation du navire est délicate, mais s’opère avec un grand calme et dans un ordre parfait. Le temps presse car le navire s’enfonce de l’avant et je crains qu’il ne coule avant que les baleinières n’aient eu le temps de s’éloigner du bord. Je profite de ce que l’embarquement se fait en bon ordre pour sauter dans la chambre de veille et prendre instructions et papiers secrets qui sont enfermés dans un sac lesté. Je le jette à la mer et le vois couler. J’essaie de me rendre dans ma chambre pour prendre les papiers du bord, mais c’est impossible car l’eau s’engouffre dans le salon. Je reviens sur le spardeck et vois l’embarcation de bâbord, sous le commandement du second capitaine, qui pousse au large. Celle de tribord n’attend plus que moi. Avant de descendre dedans, j’appelle par la claire-voie machine et sur le pont afin de m’assurer qu’il ne reste plus personne à bord. Ne recevant pas de réponse, je vais pour embarquer dans la baleinière qui m’attend, mais suite à l’état de la mer, la bosse de la baleinière a cassé et elle n’est plus accostée. Je suis forcé de me jeter à la mer et suis aussitôt recueilli par mes hommes.
Quelques minutes après, une forte explosion se produit sur LEOPOLD DOR. Ce sont les chaudières qui explosent. Cinq minutes s’écoulent encore et notre pauvre navire prend une position verticale et s’enfonce rapidement dans la mer.
Fait route sur le chalutier le plus proche, MARGUERITE II. Quelques instants après, nous sommes embarqués à son bord. L’embarcation du second est recueillie par LIBERTE.
Je me fais un devoir de signaler la discipline dont a fait preuve l’équipage, et le bon ordre qui a régné pendant les moments pénibles que nous avons vécus, du torpillage au sauvetage. Les commandants des escorteurs, aussi bons que leurs hommes, ont reçu les naufragés avec la plus grande bienveillance et ont tout fait pour nous venir en aide.
Position du naufrage 39°35 N 07°06 E
LIBERTE a tiré 2 coups de canon sur le périscope et a lancé deux grenades Guiraud. MARGUERITE II a aussi tiré deux coups de canon et lancé deux grenades.
Déposition du 2e capitaine CHEVALIER
J’étais en train de dîner quand le torpillage s’est produit. Je suis sorti du carré au bruit de l’explosion et j’ai vu le gaillard s’enfoncer et le navire apiquer par l’avant. Le capitaine a appelé aux postes d’abandon et je suis allé aux embarcations pour les faire descendre et j’ai embarqué dans la baleinière de bâbord. Le capitaine nous a dit qu’il n’y avait plus personne à bord et nous avons poussé sur son ordre et avons été recueillis par le chalutier LIBERTE.
Déposition du maître d’équipage HERVIEU
J’étais sur la passerelle avec le commandant. Vers 16h25 j’ai vu un sillage par tribord et le commandant a fait mettre la barre toute à droite. La torpille est passée à quelques mètres sur notre avant et le commandant a fait mettre à gauche toute pour prendre chasse devant le sous-marin. A ce moment-là est arrivée une autre torpille par tribord qui a frappé le navire dans la cale 2. Il est arrivé une gerbe d’eau très forte et j’ai dû me cramponner à la passerelle pour ne pas être entraîné.
L’avant s’enfonçant, le commandant a appelé aux postes d’abandon et je me suis rendu à la baleinière de bâbord avec le 2e capitaine. Nous avons amené la baleinière et les hommes ont embarqué. Nous avons été recueillis par le chalutier LIBERTE.
Déposition du veilleur BERTRAND
J’ai pris la veille à 16h00 et je veillais sur tribord. Vers 16h25, j’ai vu un sillage de torpille venant de tribord et l’ai signalé à la passerelle. La pièce étant chargée, j’étais paré à faire feu. J’ai alors aperçu une 2e torpille venant sur nous par le travers de la cale 2. L’explosion se produisit et l’avant s’enfonça aussitôt. L’eau balaya complètement le gaillard et je suis revenu sur le spardeck avec de l’eau jusqu’à la poitrine. Je me suis rendu au poste d’évacuation.
Rapport de l’officier AMBC
LEOPOLD D’OR est un bâtiment bien commandé. Veille faite de façon sérieuse. Etant donné l’état du temps, il était difficile de découvrir le sillage de la torpille et il ne faut pas s’étonner que la 1ère n’ait été vue qu’à 150 m du bord. La 2e était à une immersion plus grande, environ 4,5 m et n’a été vue qu’à quelques mètres du bord.
Artillerie en bon état. Lors de son dernier passage à Bizerte début Avril, le bâtiment n’avait qu’un canon de 90 mm. A son dernier passage à Marseille, il avait reçu un 95 à l’avant. Les pièces n’ont pas eu à tirer.
Note du CF de Penfentenyo, commandant la 3e escadrille de patrouille, au CV chef des patrouilles de Tunisie
Je vous transmets le rapport du Sd maître chef de quart Roumegieras, qui a pris le commandement du SAINT JEAN le 27 Avril à 08h00 du matin, quand le maître Grall a été tué.
J’ai fait procéder à une enquête sur le SAINT JEAN pour reconstituer les faits.
Le premier maître Grall étant mort, il n’a pas été possible de dire pourquoi SAINT JEAN a pris place derrière le convoi pendant la nuit. Le maître Le Saout est mort lui aussi. Il était de quart de minuit à 04h00 et il n’est pas possible d’établir vers quelle heure SAINT JEAN a perdu le convoi. Le temps était bouché et SAINT JEAN, sans voir le convoi, devait en être à 5000 ou 6000 m. C’est alors qu’il a aperçu le sous-marin et l’a attaqué
Le sous-marin a ensuite effectué la manœuvre classique. Se défilant au feu du SAINT JEAN qui était loin derrière, il a fait une route offensive sur lui et a engagé le combat au canon. Vu l’état de la mer, le tir ne pouvait être que mauvais de part et d’autre.
Le premier obus du sous-marin est toutefois tombé à bord et a abattu le mât de flèche et l’antenne TSF. Le 2e obus, sans doute à mitraille, a tué le commandant et mis hors de combat ses auxiliaires immédiats le maître Le Saout, second, et le second maître Delille, chef de quart stagiaire. Il n’y a pas eu de grosses avaries sur la passerelle, seulement criblée d’éclats. En perdant à la fois commandant et second, SAINT JEAN n’était plus qu’un corps sans âme.
Le chef de quart Roumeguieras n’a pas eu la surface suffisante pour faire face honorablement à la situation. Alors que seulement deux obus étaient tombé à bord, il a jugé la situation intenable et a tourné le dos à l’ennemi. SAINT JEAN a alors reçu deux autres projectiles. L’un a cassé le mât avant et l’autre la chaîne du bossoir bâbord et les tôleries du bordé. Six hommes ont été blessés, très légèrement d’ailleurs.
Le second maître Roumeguieras a eu un moment de surprise naturel et explicable, mais il ne s’est pas ressaisi et, après avoir laissé passer une occasion unique, il a été obsédé par la fuite. Il est intervenu à plusieurs reprises auprès du second maître mécanicien pour faire activer les feux.
Voir aussi ce lien :
pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... _1.htm#bas
On se rend compte en lisant cette note qu’UB 48, après avoir coulé LEOPOLD DOR et UPADA le 26 Avril vers 16h25 sans que le SAINT JEAN s’en rende compte, a continué à suivre le convoi. Le 27, il a été vu par le SAINT JEAN qui était à la traîne sur l’arrière du ROMANY, et a engagé le combat avec lui à 06h00 du matin. SAINT JEAN ayant pris la fuite, il a finalement coulé le ROMANY.
De tout ce convoi, seul le MANSOURA (de la Mixte) s’en est sorti.
Voici une photo du MANSOURA
Rapport de la commission d’enquête
Elle reprend tout le déroulement des faits et précise :
- La 1ère torpille, après être passée sur l’avant de LEOPOLD DOR, a frappé UPADA par le travers de la cale 1.
- Le capitaine a fait entièrement son devoir et a donné l’exemple du calme et du sang froid. Il a assuré le salut de tout son équipage par très mauvais temps ce qui prouve des dispositions de sauvetage parfaites. Tout le monde à bord a fait preuve de courage et de discipline.
Il résulte des rapports des capitaines de LEOPOLD DOR et de MANSOURA :
- Qu’il faut éviter de mettre en convoi des bateaux de vitesses très différentes. Il faut les faire escorter par des bâtiments de vitesse supérieure ou égale aux leurs.
- L’éclairage en flèche à grande distance a plutôt servi à l’ennemi qu’au convoi. Par mer assez grosse la visibilité d’un périscope est faible à grande distance. La présence de l’escorteur à grande distance en avant du convoi faisait l’office d’un jalonnement. En voyant de loin les fumées du convoi, le sous-marin pouvait s’immerger, l’éclaireur lui servant de point de repère pour attendre d’attaquer le convoi qui se croyait couvert à l’avant.
- Ensuite, le sous-marin a pu faire route en surface, de nuit, sans être vu, et gagner de vitesse le convoi pour couler le ROMANY.
- Il faut éviter de faire exécuter un service régulier au même paquebot car il est certain que, même sans marque extérieure, les sous-marins reconnaissent nos paquebots, devinent leurs routes, et préviennent les autres sous-marins en patrouille.
- Il y a lieu de varier le service des courriers en changeant les jours de départ dans la semaine, et en alternant leurs ports de destination, que ce soit pour ceux de la Transat ou ceux de la Cie Touache…etc. Douane et Poste trouveront le système compliqué, mais cela rendra difficile le service d’espionnage et la vue d’un navire sortant d’un port de France ou d’Algérie ne permettra pas à un sous-marin ou un espion de connaître sa destination.
Récompenses
Citation à l’Ordre de la Brigade
LELIEVRE Henri LV auxiliaire. CLC. Nantes 458
S’est signalé par son énergie lors de deux rencontres de sous-marins et, son bâtiment ayant été torpillé par gros temps, a par des dispositions judicieuses et la fermeté de son commandement assuré le salut de la totalité de son équipage.
Vapeur LEOPOLD DOR
Belle conduite de l’équipage lors du torpillage de son bâtiment, chacun à bord ayant fait preuve de dévouement, de discipline et de sang froid.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’UB 48 du Kptlt Wolfgang STEINBAUER
Cdlt