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par olivier 12 » sam. mai 21, 2016 4:04 pm
Bonjour à tous,
REMORQUEUR n° 8
Télégramme du 1er Décembre 1917 10h00 Cherbourg à Marine Paris
Vous transmets communication suivante reçue du chef de division des patrouilles de Normandie
Remorqueur n° 8 remorquant vapeur anglais DESPATCH a sauté le 30 Novembre à 11h00 sur une mine par 49°40 N et 02°09 W. Vapeur DESPATCH endommagé par l’explosion a été remorqué par chalutier CERF jusqu’à 15h30, heure à laquelle il a coulé par 49°36 N et 02°03 W. Equipage du DESPATCH, 4 survivants et 1 mort du remorqueur ramenés à Cherbourg.
Survivants du remorqueur
LEPAUMIER Auguste Capitaine La Hougue 114
BELHOMME Charles Chef mécanicien Cherbourg 2367
LE NORMAND Louis Matelot Granville 3765
HARRACHE Michel Chauffeur La Hougue 3163
Disparus
ORANGE Victor 2e mécanicien Cherbourg 1541
DEWAELE Constant Matelot Dunkerque 2956
CROISIER Léon Matelot Cherbourg 270 (Mort à l’hôpital)
MASCOT Jules Chauffeur Dunkerque 3217
MARION Julien Novice Cherbourg 322
Rapport du capitaine
Le 29 Novembre 1917 à 16h00, reçu du commandant Viard, chef d’exploitation des ports de Cherbourg l’ordre formel de prendre en remorque le vapeur anglais DESPACHT pour le conduire à Saint Malo.
A 16h30, je me suis rendu au poste PRN pour aviser l’officier de mon départ et lui demander les instructions pour le voyage. L’officier de garde, après avoir téléphoné, m’a répondu que le convoi partirait le lendemain à 08h00 et que je pouvais le suivre. Il m’a dit de faire hisser le pavillon W au vapeur.
Le 30 Novembre à 08h00, sorti du bassin et passé en rade vers 08h030. Comme le patrouilleur me laissait passer sans donner d’instructions, j’ai pensé que j’étais en retard pour le convoi et j’ai continué ma route. En doublant le fort de l’Ouest de la digue, j’ai aperçu plusieurs navires au large et, pensant que c’était le convoi, j’ai augmenté la vitesse pour le rejoindre. A 09h30, j’ai vu des navires sortir de la rade de Cherbourg et se diriger vers l’Ouest. J’ai su plus tard que ces navires faisaient partie du vrai convoi qui, au lieu de partir à 08h00 comme on me l’avait dit la veille, n’était parti qu’à 09h00.
J’ai continué ma route et doublé La Hague. Vers 11h30 j’étais sur la passerelle où j’exerçais une veille efficace quand j’ai ressenti un choc excessivement violent. Mon navire s’est incliné sur le côté bâbord et je me suis senti projeté, je ne sais à quelle distance. Assommé par l’explosion, je n’ai aucune connaissance de ce qui s’est passé par la suite.
J’ai repris connaissance sur le chalutier CERF à 16h30 et j’ai appris que sur les 9 hommes composant mon équipage, 4 manquaient. Un 5e, que l’on supposait être Mascot, tellement il était défiguré, était grièvement blessé. Ce malheureux est décédé en arrivant à l’hôpital. Il a été reconnu plus tard comme étant Monsieur Belhomme, mon chef mécanicien.
J’ajoute qu’ayant plus de confiance dans la surveillance que j’exerce moi-même, je suis toujours resté sur la passerelle qui se situe très à l’avant du navire. Quelques instants avant que mon navire ne disparaisse, j’avais relevé Diélette à 5 milles à l’ESE et la pointe NW de Jersey au SW.
Nota : dans le télégramme précédent il faut donc remplacer le matelot Croisier, en réalité survivant, par le chef mécanicien Belhomme, tué. Le chauffeur Mascot, lui, avait disparu.
Dépositions de LENORMAND et CROISIER
Vers 11h30, nous avons abordé une mine à hauteur de la passerelle tribord. L’explosion a été si forte et rapide que nous avons été culbutés au poste que nous occupions. Le bateau a donné de la bande sur bâbord et s’est enfoncé par l’avant. L’eau a gagné l’arrière qui n’avait pas grand mal.
Le bâtiment s’est un peu redressé, puis à coulé par l’arrière, l’avant se dressant à 40°. On a remarqué que du côté tribord il ne restait plus que les membrures. L’avant était tordu vers l’arrière. La passerelle n’existait plus. La chaudière a explosé et le navire a disparu instantanément. Il n’a pas mis plus d’une minute trente pour couler.
Nous nous sommes retrouvés le long du bateau anglais qui coupait ses remorques.Il nous a jeté des bouts de filins et nous a hissés à bord. Pendant ce temps, Harrache portait secours au capitaine.
Déposition de HARRACHE
Je suis sorti par le panneau de la machine qui était envahie d’eau. En arrivant sur le pont j’avais de l’eau jusqu’au ventre et je suis monté sur la claire-voie machine. J’ai couru vers l’avant et me suis jeté à l’eau. Je suis tombé sur un homme qui était Lenormand ; il m’a appelé en criant : « Harrache, je suis blessé ». J’ai crié : « Tiens bon dessus, prends courage » et j’ai nagé vers les hommes qui demandaient du secours. Le premier était le capitaine. En passant à 10 m sur l’arrière de l’Anglais, un homme m’a lancé une bouée qui m’a servi à amarrer le capitaine. Puis je me suis dirigé vers un autre homme qui appelait au secours, après m’être muni d’une épave pour le mettre dessus. C’était le chef mécanicien, Monsieur Belhomme, que je ne reconnaissais pas à ce moment. J’ai ensuite poussé où j’avais vu Monsieur Orange, le 2e mécanicien, qui paraissait nager ; mais en cours de route, il a disparu. Je suis alors retourné pour ramasser et remorquer les deux que j’avais amarrés avec ma ceinture et les ai amenés à environ 4 m du bateau.
Le canot des Anglais avait été mis à l’eau. Je me suis rendu à son bord où j’ai pris la place d’un vieux qui godillait. J’ai embarqué le capitaine, qui était sans connaissance, puis Monsieur Belhomme, qui geignait encore. En l’embarquant, j’ai vu qu’il avait les reins en sang, les jambes cassées et la figure ensanglantée. Nous avons hissé le capitaine sur le panneau du bateau où je lui ai porté les premiers soins.
C’est alors qu’un torpilleur est venu sur nous et nous a demandé ce qui était arrivé. Nous avons répondu que le n° 8 avait sauté sur une mine et lui avons demandé du secours. Il a répondu qu’il allait nous envoyer un chalutier. Celui-ci est venu vers 12h30 et nous a conduits à Cherbourg.
Rapport du commandant du torpilleur 306, Enseigne de Vaisseau FERRIERE
Le 30 Novembre 1917 à 11h45, le 306 convoyant trois vapeurs pour Saint Malo était par le travers de Jobourg, cap au S20W, ayant en vue à 5 milles sur l’avant un vapeur remorqué. Une forte gerbe d’eau s’est élevée à la place du remorqueur et on ne vit plus qu’un seul bâtiment.
Obliqué immédiatement vers la terre et mis le cap à 22 nœuds sur le lieu de l’explosion. Quand je suis arrivé, il était midi et le vapeur anglais avait déjà recueilli les survivants dont deux au moins étaient blessés.
Personne n’avait rien vu, mais une enquête rapide me permet de penser que l’explosion est due à une mine. La position du vapeur anglais était 9 milles au S36W du phare de La Hague. Donné l’ordre au CERF de prendre le vapeur en remorque jusqu’à Cherbourg et de donner des soins aux blessés.
Rapport du commandant du patrouilleur CERF, Premier Maître Timonier LARS
A 12h20 le 30 Novembre, reçu l’ordre du commandant du 306 d’aller donner la remorque à un vapeur anglais, le DISPACHT, de Belfast, remorqué par le n° 8 qui avait sauté sur une mine.
A 12h45, embarqué mort et blessés du n°8 et pris le vapeur en remorque avec notre câble de drague. Fait route sur Cherbourg.
A 13h45, le bâtiment se remplissant de plus en plus, l’équipage abandonne le navire et embarque sur le CERF. Continué le remorquage.
A 15h30, le navire s’enfonce de 0,60 m en une minute. Je juge prudent de couper la remorque. Le bâtiment n’étant plus qu’une épave dangereuse pour la navigation, je finis de le couler à coups de canon. Mouillé une bouée de stationnement à l’endroit où il a coulé.
Rapport du Capitaine de Frégate de MARGUERYE commandant le DUNOIS et la 2e escadrille des patrouilles de Normandie au CV chef de division.
Ainsi qu’il résulte du rapport du commandant du 306 et des questions posées au commandant du vapeur anglais DISPACHT, il n’est pas possible d’établir que c’est sur une mine dérivante que le n° 8 a sauté, personne n’ayant rien vu.
Le DISPACHT a été avarié par l’explosion de la mine et, selon le capitaine, il avait une remorque très courte. (40 à 50 m)
Le commandant du CERF, après avoir pris le vapeur avarié en remorque l’a vu s’enfoncer, a recueilli son équipage, puis a coupé la remorque quand il s’est enfoncé brusquement de 60 cm.
Le navire a continué à couler lentement. L’arrière avait disparu quand la nuit est venue. Ayant des blessés graves à bord, le commandant du CERF a coulé le bâtiment à coups de canon par des fonds de 38 m car il était une épave constituant un danger pour la navigation.
Le 1er maître de timonerie LARS a fait preuve de qualités de sang froid, d’initiative et de décision.
Rapport de l’officier enquêteur
Le remorqueur n° 8 a quitté Cherbourg sans prendre le convoi par suite de fâcheuses coïncidences : retard à sortir du bassin, pavillon W hissé sur le remorqué et non sur le remorqueur sans que les Patrouilles en soient prévenues, manque à la consigne ferme de ne pas quitter la rade sans avoir reçu des Patrouilles, en rade Ouest, les ordres de navigation en convoi.
Le service à bord s’est fait au large sans que la veille soit bien organisée. Le temps était beau et les circonstances favorables. Tout en relevant ces deux particularités (convoi manqué et veille assurée par le capitaine seul) la commission estime que la perte du remorqueur n° 8 n’en a pas dépendu.
Elle est due à un engin sous-marin et, puisque les circonstances auraient certainement permis de voir un sillage de torpille, à une mine mouillée.
L’action du capitaine n’a été en rien défaillante et la capacité de commander doit lui être maintenue.
Note pour le Capitaine de Corvette chargé de l’enquête (non signée)
Ce remorqueur a quitté la rade de Cherbourg remorquant le DISPACHT sans avoir, comme il a dû en recevoir l’ordre de la Police de la Navigation hissé le pavillon W pour indiquer à l’officier chargé de la formation des convois qu’il était en partance. Le remorqueur et son remorqué ont appareillé par conséquent sans ordres. Il était cependant prévu pour le départ du 30 Novembre au matin, comme en fait foi une communication du PRN. Il est certain que le remorqueur n° 8 a voulu se soustraire à la navigation en convoi.
Le torpilleur 306 a vu le remorqueur 8 sauter sur la mine qui l’a détruit. Il s’est porté sur le lieu de l’explosion et a donné l’ordre au chalutier CERF de prendre en remorque le DISPACHT. Les rapports de mer des commandants du 306 et du CERF vous ont été communiqués.
Note de l’EV ISIDORE, de la Police de la Rade et de la navigation de Cherbourg
Le steamer anglais DISPATCH, jaugeant 229 tx brut, capitaine Jones Thomas, armateur Thomas B. Stolt and C° de Liverpool, allait de Cherbourg à Saint Malo avec 190 t de divers pour la Cie de Transit.
DISPATCH était entré à Cherbourg le 16 Novembre suite à un affaissement des foyers de la chaudière. N’ayant pu effectuer les réparations, il est parti en remorque du n° 8 le 30 Novembre à 08h45, par mer belle, faible brise de Sud et temps très clair. A 11h30, à 9 milles dans le SSW du cap de La Hague, le remorqueur n° 8 a fait explosion. Le DISPATCH, en raison de la vitesse de 8 nœuds et du peu de distance entre le remorqueur et lui, n’a pu manœuvrer pour l’éviter et est venu l’aborder pendant qu’il sombrait. Le capitaine fit larguer la remorque et mit son embarcation à l’eau pour sauver les naufragés. Il en recueillit 5 dont un cadavre qu’il fit embarquer sur son navire. Au bruit de l’explosion, un torpilleur vint se rendre compte des faits et ramena le patrouilleur CERF qui embarqua aussitôt les naufragés et prit la remorque du DISPATCH.
Par suite de la collision avec le remorqueur, le DISPATCH faisait de l’eau et s’enfonçait lentement. A 15h00, le bateau fut abandonné par son équipage qui embarqua sur le CERF. Le DISPATCH disparut ensuite à 5 milles dans le SW du cap de La Hague. L’équipage du vapeur anglais composé de 8 hommes, ainsi que les 4 rescapés du n° 8, ont été ramenés par le patrouilleur à Cherbourg.
Récompenses
Citation à l’Ordre du Corps d’Armée
HARRACHE Michel Chauffeur La Hougue 5163
Lors de la destruction de son navire par une mine a fait preuve d’une énergie et d’un courage exceptionnels en réussissant à sauver plusieurs de ses camarades, bien qu’il fût lui-même blessé.
Le sous-marin poseur de la mine
C’était donc l’UC 77 du Kptlt z/s Reinhard von RABENAU qui avait mouillé la mine.
On note que le vapeur anglais DISPATCH ne figure pas dans les navires coulés pendant la Grande Guerre sur le site uboat.net. Orthographié de diverses manières dans les différents rapports, on ne le trouve pas non plus sur le site Miramar Ship Index. Il semble bien que son véritable nom soit DISPATCH, comme indiqué par l’officier de la Police de la rade qui devait être le mieux renseigné.
Certes, il a été coulé par canonnage d’un navire français, mais c’est quand même la mine qui est à l’origine de tout…
Cdlt
olivier