LUTÈCE — Cargo — Armement A. Lemoine & Fils, Rouen.

Rutilius
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LUTÈCE — Cargo — Armement A. Lemoine & Fils, Rouen.

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Bonjour à tous,


Le capitaine du cargo Lutèce lors de la perte de ce bâtiment


— AMOUR Alexandre Raymond, né le 1er décembre 1861 à Fécamp (Seine-Inférieure— aujourd’hui Seine-Maritime) et décédé le ... à ... (...).

Capitaine au long-cours [Brevet conféré par le Ministre de la Marine en Mai 1886, à la suite d'une session d'examens organisée à Cherbourg et au Havre, les 21 et 24 avril 1886 (J.O. 5 mai 1886, p. 2 070)]. Inscrit au quartier de Fécamp, n° 34.

• Fils de Pierre Alexandre AMOUR, né le 21 mai 1834 à Fécamp, maître au cabotage, et de Nina Charlotte Angélique PIMONT, née le 16 mai 1832 à Fécamp, « ménagère » ; époux ayant contracté ma-riage à Fécamp, le 18 février 1861 (Registre des actes de mariage de la commune de Fécamp, Année 1861, f° 22, acte n° 21 ~ Registre des actes de naissance de la commune de Fécamp, Année 1861, f° 143, acte n° 352).

• Époux en premières noces de Jeanne Marie BAJARD, née le 7 janvier 1873 à Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher) et décédée le 24 décembre 1894 à Fécamp, sans profession, avec laquelle il avait contracté ma-riage à Fécamp, le 28 juillet 1894 (Registre des actes de mariage de la commune de Fécamp, Année 1894, f° 68, acte n° 72 ~ Registre des actes de décès de la commune de Fécamp, Année 1894, f° 41, acte n° 348).

Fille de Benoît BAJARD, né vers ..., cocher, et de Pauline Émélie FOUCART, née vers 1840 à Yerville (Seine-Inférieure — aujourd’hui Seine-Maritime) et décédée le 16 mars 1874 à Paris (VIIIe Arr.), sans pro-fession, son épouse (Registre des actes de décès du VIIIe arrondissement de la ville de Paris, Année 1874, f° 49, n° 383).

• Époux en secondes noces de Justine Georgette Marie FOUCART, née le 12 janvier 1869 à Paris (XVIe Arr.) et décédée le 11 avril 1961 à Paris (XIe Arr.), sans profession, avec laquelle il avait contracté mariage à Fécamp, le 28 juillet 1894 (Registre des actes de naissance du XVIe arrondissement de la ville de Paris, Année 1869, f° 7, n° 37 ~ Registre des actes de mariage de la commune de Fécamp, Année 1897, Vol. I., f° 5, acte n° 6).

Fille de Victor Joseph FOUCART, né vers 1842 à Yerville et décédé le 10 février 1889 à Paris (VIIIe Arr.) (Registre des actes de décès du VIIIe arrondissement de la ville de Paris, Année 1889, f° 36, n° 275), cocher, et de Maria LESUEUR, née vers 1845 à Theuville-aux-Maillots (Seine-Inférieure — aujourd’hui Seine-Maritime) et décédée le 4 mai 1878 à Paris (XVIIe Arr.) (Registre des actes de décès du XVIIe arron-dissement de la ville de Paris, Année 1878, f° 116, n° 915), femme de chambre, son épouse.

Distinctions honorifiques

□ Par décision ministérielle du 21 avril 1915 (J.O. 25 avr. 1915, p. 2.574), félicité pour la bonne tenue des postes d’équipage et le bon entretien des machines du cargo Lutèce.

□ Croix de guerre.
Dernière modification par Rutilius le sam. juil. 03, 2021 10:56 pm, modifié 1 fois.
Bien amicalement à vous,
Daniel.
olivier 12
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Bonjour à tous,

Torpillage du 3 Février 1918

Image

Rapport du capitaine

Quitté le port de Swansea le 2 Février 1918 à 10h00 à destination de Rouen avec un entier chargement de charbon. Vent de Sud, ciel brumeux et pluvieux, visibilité restreinte, mer houleuse d’Ouest. Au début de la nuit tous mes feux étaient masqués, mais la nuit devint tellement noire et ayant croisé beaucoup de navires, j’ai dû allumer les feux de côté avec le moins d’intensité possible.
J’étais à 1 mille de Hartland Point à 16h30 et à Trevose Head à 21h00. Mon chasse mine qui fonctionnait très bien réduisait ma vitesse à 6,5 nœuds.
A minuit trente, j’étais sur la passerelle et relevait le feu de Godevry à 5 milles dans l’Est, par 50°14,5 N et 05° 31,5 W quand je ressentis à tribord une violente explosion, semblable à celle de 15 jours plus tôt, mais cette fois avec une énorme gerbe d’eau qui est venue se briser sur la passerelle bâbord.
La déchirure de la coque sur tribord montait jusqu’au panneau 1 dont les fermetures avaient sauté. Je venais d’être torpillé à tribord, à 2 m sous la flottaison sans avoir aperçu le sous-marin. La cale 1 pleine d’eau me fit juger que le navire allait couler immédiatement et que je n’avais aucune chance de le sauver. J’ai donc stoppé la machine, sifflé longuement pour donner l’alarme et appelé aux postes d’évacuation. Il ne fallait pas songer à se servir de la TSF.
J’ai jeté à la mer les papiers, dans le sac lesté à cet usage et fait amener les embarcations. Les bâbordais étant de quart, l’embarcation de ce côté fut à l’eau la première. Les tribordais couchés avaient beaucoup de peine à quitter les postes du gaillard qui étaient brisés et, ne les voyant pas venir, j’ai amené l’embarcation moi-même avec un autre homme. Elle fut complète en un instant quand ils arrivèrent. Croyant que tous les tribordais étaient là, j’ai ordonné de pousser en coupant la bosse. Mais des hommes ayant voulu aller chercher leurs ceintures de sauvetage allaient disparaître avec le navire. Ils eurent néanmoins le temps de prendre le radeau sur lequel ils furent projetés au dehors lors de la disparition du navire. Je les ai recueillis moi-même quelque temps après.

Le navire mit 4 ou 5 minutes pour couler et disparut à minuit 35. J’appelai l’autre embarcation pour me rendre compte si nous étions tous là et qu’il n’y avait pas de blessés. Je dis au second capitaine de me suivre et de ne pas nous perdre, et de se diriger vers la terre. Mais dans l’obscurité, nous nous sommes perdus.

Nous fûmes recueillis le lendemain matin à 10h00 par le vapeur russe AGNES qui, après nous avoir donné tous les soins désirables car nous étions complètement mouillés et certains n’avaient que leur chemise, nous déposa à St Yves.
L’embarcation de bâbord fut recueillie à 04h00 du matin par le vapeur français USTARITZ. Ils reçurent les mêmes soins et furent débarqués à Barry Dock le même jour.
Le 5 Février nous nous sommes retrouvés à Southampton et sommes arrivés au Havre le 6 au matin.

Rapport de l’officier AMBC

LUTECE a été frappé à tribord à 00h30.

Il est difficile de se faire une idée de l’ordre et du sang froid qui ont régné à bord au moment du torpillage et de l’évacuation, les déclarations du capitaine étant absolument en contradiction avec celles de l’équipage. Quoiqu’il en soit, le rôle d’abandon était insuffisamment connu par les hommes et, pour certains d’entre eux, totalement inconnu.

Interrogatoire contradictoire du capitaine AMOUR Alexandre

Dans ce long interrogatoire, qui ne va pas se dérouler très bien, la commission d’enquête cherche à éclaircir certains points restés obscurs.
En effet, le Shipping Intelligence Officer de Cardiff, qui a interrogé le 2e capitaine, a certifié que le vapeur ne zigzaguait pas lorsqu’il fut torpillé.

- Les Instructions recommandent aux capitaines la marche en zigzags dans les parages dangereux. Les endroits que vous traversiez étaient très suspects d’après les torpillages précédents. Pourquoi n’avez-vous pas suivi ces instructions.
Parce que la nuit était très noire. De plus, la route en zigzags existait suite à l’irrégularité de la route causée par la maladresse des timoniers qui tenaient la barre.
- Depuis votre départ, il a été constaté que pas une seule fois vous n’avez donné des instructions pour suivre une route en zigzags. Ce fait est constaté et affirmé par le lieutenant Desjardins.
Cela n’est pas exact. J’ai donné moi-même à Monsieur Desjardins le cap sur Lyme Bay et sur Start Point.

- Les mêmes instructions recommandent de masquer complètement les feux. Il résulte de l’enquête que, bien que vous ayez vous-même arrangé les mèches de vos feux de navigation, ces feux étaient insuffisamment atténués.
Je reconnais qu’ils étaient démasqués, mais j’estime qu’ils étaient suffisamment atténués. Je ne pouvais pas naviguer sans feux dans des parages aussi fréquentés, d’autant plus que les navires rencontrés avaient les leurs allumés.

- L’enquête a révélé que vous n’aviez pas aperçu un seul vapeur avant le torpillage et que les pêcheurs rencontrés par vous à Trevose avaient leurs feux de mâts allumés. Il vous eut été facile de naviguer feux masqués dans ces parages délicats.
Je proteste contre l’officier de quart. A Trevose, quand j’ai croisé les pêcheurs, j’ai vu 4 feux verts. Jusqu’à 11h30 j’ai vu des feux verts.

- Il résulte des interrogatoires qu’il s’est écoulé 5 à 6 minutes entre l’explosion de la torpille et l’évacuation du bâtiment. Il s’est écoulé encore 5 à 6 minutes entre cette évacuation et la disparition de LUTECE soit un total de 11 à 12 minutes. Pourquoi n’avez-vous pas utilisé ce temps pour faire, en plus de votre coup de sifflet, un signal d’alarme au canon, ou par signal lumineux, et surtout, pourquoi n’avez-vous pas dès le choc, comme l’impose le règlement, donné l’ordre au TSF de lancer un SOS.
Dès le choc de la torpille, je me suis trouvé seul sur la passerelle. L’officier de quart, Monsieur Bourhis, a déserté son poste, le timonier, Monsieur Bezard, a quitté la barre, et l’homme de bossoir a aussi déserté son poste, de même que les canonniers. J’ai donc sifflé pour donner l’alarme n’ayant aucun moyen de transmettre un ordre.

- Vous avez déclaré à la commission, ce qui a été confirmé par les interrogatoires, que vous avez donné l’ordre d’évacuation 2 minutes après l’explosion. Les hommes avaient donc quitté leur poste avant cet ordre ?
Chacun de ceux que j’indique avait quitté son poste dès l’explosion.

- Votre déclaration actuelle est en contradiction absolue avec celle faite hier devant la commission. Celle-ci, vous rappelant la panique qui s’était produite à bord au premier départ du Havre, vous avez déclaré que cette fois, votre équipage s’était très bien conduit ?
Devant à l’avenir commander un autre bateau et sans doute retrouver les mêmes officiers et marins, je n’ai pas voulu les charger. Il faut bien naviguer… et on tire ce qu’on peut de ces gens-là.

- Il n’en est pas moins vrai que la bonne foi de la commission a été surprise !
J’ai fait pour le mieux. D’autant plus que cela ne sauvera pas le bateau…

- Il a été constaté au cours de l’enquête que :
1) La baleinière tribord, très ancienne, n’était pas en état de navigabilité et faisait eau par l’arrière.
2) Votre radeau, au lieu d’être mobile, était amarré sur vos ordres ce qui a failli paralyser son effet utile.
L’embarcation faisait un peu d’eau, mais nous a sauvés malgré la houle, ce qui prouve qu’elle était en bon état. Si le radeau était amarré, c’est absolument la faute du second, Monsieur Bourhis, qui n’a pas fait son devoir.
- Votre réponse est en contradiction absolue avec celle de Monsieur Bourhis. La commission n’est pas de votre avis en ce qui concerne un manquement au devoir de cet officier. C’est lui en effet, auquel son rôle donne place dans l’embarcation bâbord, qui ne l’a pas prise pour aller couper la saisine du radeau, assurant ainsi un moyen de sauvetage à ceux qui restaient à bord.
Je reproche à Monsieur Bourhis, non seulement d’avoir quitté son poste d’officier de quart sur la passerelle, mais aussi de ne pas avoir pris le commandement de l’embarcation bâbord dont il était chargé. Pourquoi Monsieur Bourhis, alors qu’il était suffisamment fautif de ne pas être à son poste, et Monsieur Desjardins n’ont-ils pas embarqué dans l’embarcation tribord au lieu d’aller soi-disant chercher leurs ceintures de sauvetage comme ils me l’ont déclaré ? Je suis persuadé qu’ils sont en réalité allés chercher des objets précieux dans leurs cabines en prenant le prétexte du radeau.

- En arrivant à Southampton, vous n’avez fait aucune déclaration réglementaire au consulat français. Il en est résulté un manque d’information pour le département de la Marine. Des plaintes ont été déposées par des membres de votre équipage pour défaut de subsistance pendant le retour, ce qui aurait pu être évité par un secours du consulat.
Le train est arrivé deux heures en retard à Southampton. D’accord avec le consul il fut arrêté, vu l’heure avancée et le fait que sous serions de très bonne heure au Havre le lendemain, que je remettrai mon rapport à la commission d’enquête. Au sujet de la nourriture, nos marins français habitués à une ample nourriture à bord se sont trouvés affamés lorsqu’on leur a donné un petit morceau de pain anglais.

- L’enquête et les interrogatoires ont révélé un fait grave sur lequel la commission vous demande toute explication nécessaire. Il est matériellement prouvé que lorsque l’embarcation tribord fut mise à l’eau par vos soins et ceux du matelot Lenevez, après avoir donné l’ordre à ce matelot d’y embarquer pour décrocher les palans, vous, capitaine, y avez embarqué le premier de tout votre équipage sans vous assurer qu’il ne restait plus personne à bord.
Je proteste énergiquement contre cette affirmation et déclare que l’embarcation bâbord fut mise à l’eau la première. C’est dans l’intervalle de la mise à l’eau de l’embarcation tribord que ceux qui dormaient ou avaient eu de la peine à sortir des postes brisés sont arrivés à l’embarcation. Les officiers Bourhis et Desjardins étaient présents et chacun a embarqué « en foule » dans l’embarcation. Le chef mécanicien Nadreau, qui était allé chercher son pardessus, a embarqué le dernier par le palan. Je répète qu’à ce moment MM. Bourhis et Desjardins auraient pu embarquer.

- Vous ne répondez pas à la question précise posée par la commission. Avez-vous, oui ou non, embarqué le premier dans l’embarcation tribord après le marin Lenevez ?
Je n’ai pas embarqué dans l’embarcation le premier et je n’ai donné aucun ordre à Lenevez que je n’ai pas vu. J’ai seulement vu Flageul qui coupait les bridures.

- C’est justement, entre autres dépositions, celle du nommé Flageul qui a constaté que vous étiez embarqué le premier dans l’embarcation.
Je proteste énergiquement. Tout cela provient de l’animosité de l’équipage ayant pour cause les dépositions faites par moi à son sujet 15 jours plus tôt.

- La commission n’a pas à entrer dans des questions d’animosité pouvant exister entre vous et votre équipage. Elle constate seulement que les témoignages de Lenevez et Flageul sont formels. Viennent encore s’y ajouter ceux d’hommes qui n’ont jamais été punis par vous comme le maître canonnier Moro, de plusieurs de ses canonniers, des chauffeurs et du cuisinier, bref, de la presque totalité des hommes de cette embarcation. Il serait difficile pour la commission de reconnaître le bien fondé de cette accusation d’avoir quitté votre bord parmi les premiers si tous vos hommes vous avaient vu le dernier à bord ainsi que le commande le devoir et les traditions de la Marine.
Je suis surpris que la commission doute de ma déposition et prête l’oreille aux racontars de marins voulant se venger de peccadilles.

- La commission ne prête l’oreille à aucun racontar. Elle se borne à enregistrer les faits qui lui sont signalés et les dépositions individuelles qui lui sont faites. Elle vous demande seulement d’y répondre et de faire votre devoir comme elle fait le sien.
Je suis surpris que l’enquête ne soit faite que par un seul homme, Monsieur de Cuverville, qui a seul dirigé toutes les questions.

Déclaration écrite des membres de la Commission

- Lieutenant de Vaisseau ANDRE
- Capitaine au Long Cours DUVERGER
- Administrateur de 2e classe VALLEE

Les membres de la commission tiennent à affirmer que toutes les questions posées par le Président, le LV de CUVERVILLE, l’ont été en parfait accord avec les membres constituant cette commission.
Ils protestent contre l’attitude violente et incorrecte tenue par le capitaine à leur égard lors des questions qui lui ont été posées dans le seul intérêt de l’enquête dont ils ont la charge.

Rapport de la Commission d’enquête


Ce rapport reprend tout le déroulement des faits, notant que le bâtiment navigue avec ses feux atténués mais démasqués et sans effectuer de zigzags. Elle note que le télégraphiste n’a reçu aucun ordre et que le second a quitté la passerelle sans ordre. Les canonniers de l’avant n’ont eu que le temps d’évacuer le bossoir et ceux de l’arrière sont restés à leur poste. Le chef mécanicien s’est rendu avec un grand sang froid dans la machine et a constaté que toute manœuvre était inutile. Il est remonté dans sa cabine puis s’est rendu au canot tribord dans lequel le capitaine avait pris place l’un des premiers avec une partie de l’équipage et qui se préparait à pousser. Il a pu embarquer le dernier. Le 2e capitaine et le lieutenant, descendus chercher leurs ceintures de sauvetage dans leurs cabines, étaient encore sur l’arrière du navire. Ils ont pu lancer à la mer le radeau et s’y sont réfugiés avant l’immersion du navire.
L’ennemi n’a été aperçu à aucun moment. L’équipage a été recueilli sans qu’il manquât personne à l’appel. Conduit à Southampton, ce n’est qu’au Havre que le capitaine a fait ses déclarations réglementaires.

Il semble que la perte de LUTECE soit due à l’action d’un sous-marin. Le bâtiment avait ses chasse-mines en place au moment de l’explosion.

La Commission constate :

1) Les feux de LUTECE étaient seulement atténués. Le capitaine avait aperçu des feux de pêcheurs et cru devoir démasquer les siens. Pourtant, l’officier de quart déclare n’avoir rencontré aucun feu entre 22h00 et 00h30.
2) Aucun zigzag n’était fait et l’enquête a révélé qu’aucun ordre de zigzags n’avait été donné par le capitaine depuis le départ du Havre.
Cette double inobservation de prescriptions pourtant maintes fois répétées ne peut être considérée comme la seule cause du torpillage, mais elle engage la responsabilité du capitaine.

3) Il n’a pas été prouvé que l’appareil TSF ait été avarié, mais le capitaine n’a pas fait envoyer un signal de détresse, pas même un signal sonore par les canonniers de la pièce arrière, restés à leur poste. Aucun ordre d’aucune sorte n’a été donné dans ce sens et le télégraphiste n’a eu aucune initiative alors que ses appareils, vérifiés la veille, étaient en bon état. L’affichage des points de route était très irrégulier, mais le dernier point avait bien été affiché.

Le bâtiment s’est enfoncé par l’avant et les hommes restés sur l’arrière ont eu avant sa disparition l’impression d’un choc, comme si l’avant avait touché le fond. Il s’est alors incliné sur tribord, restant chaviré jusqu’à sa disparition. L’évacuation rapide du bord a été la préoccupation principale du commandement et de l’équipage.

Les embarcations étaient sur leurs portemanteaux et régulièrement armées. Toutefois, celle de tribord, vieille de 24 ans, avait été avariée dans sa chambre arrière. Le radeau était amarré, contrairement aux prescriptions. Il a fallu que le second capitaine en coupe les saisines alors que, selon le capitaine, ce rôle devait revenir au télégraphiste. Il faut dire que si les rôles de veille étaient bien tenus, ceux des embarcations ne l’étaient pas. Les hommes nouvellement embarqués au Havre ignoraient leurs postes d’évacuation. Aucun exercice d’abandon n’avait été fait.
La Commission a l’impression d’un manque général d’organisation sur ce bâtiment, ce qui est confirmé par le détail de l’évacuation. S’il n’y a pas eu de panique comme au mois de Janvier précédent, il y a eu précipitation, manque d’ordre et insuffisance de commandement.

Les contradictions relevées dans les interrogatoires du capitaine, des officiers et de l’équipage ont créé une véritable difficulté dans l’enquête pour la reconstitution des faits. Ces contradictions ont révélé une hostilité marquée entre le capitaine d’une part, ses officiers et son équipage d’autre part. Les conséquences ont été éminemment nuisibles à la discipline et à la bonne marche des services.

De l’ensemble des témoignages et des dépositions individuelles il résulte que le capitaine s’est borné à s’occuper de l’embarcation tribord dans laquelle il a embarqué un des premiers sans s’occuper de l’embarquement des bâbordais et sans s’assurer que son bâtiment était complètement évacué. Il a fait pousser son embarcation avec 13 hommes seulement alors qu’il restait du monde à bord.

La commission a été heureuse de recueillir des officiers et de l’équipage quelques témoignages favorables sur cette évacuation contraire aux traditions de la Marine, traditions du chef qui par son exemple et son attitude montre que son souci principal est la sauvegarde de son bâtiment et de son équipage, traditions qui depuis la guerre se maintiennent glorieusement dans notre flotte militaire et à bord de nos bâtiments de commerce.

Devant des dépositions précises, le capitaine de LUTECE, au milieu de contradictions diverses, n’a opposé qu’une attitude violente qui a péniblement impressionné la Commission. Ce manque de pondération et de sang froid est la meilleure explication des fautes commises et du manque de liens et de confiance entre l’équipage et son chef.

Sanctions. Récompenses


Pour l’insouciance montrée dans l’observation des prescriptions, les fautes commises et l’insuffisance de commandement lors de l’évacuation du bâtiment, la Commission croit devoir demander une sanction contre le capitaine Amour.

Elle croit nécessaire de rappeler également à l’officier de quart et au timonier qui ont quitté leur poste sans ordre à une meilleure appréhension de la discipline et du devoir.

Lettre du capitaine AMOUR au Contre Amiral SALAUN. 10 Février 1918


Etant sans emploi à la suite du torpillage de LUTECE, j’ai l’honneur de solliciter de votre bienveillance la conservation de mon grade de Lieutenant de Vaisseau auxiliaire.
Je pourrais être affecté au port de Rouen ou du Havre comme instructeur de l’emploi du chasse mine que j’étais arrivé à régler parfaitement, même dans les vitesses réduites de 7 nœuds, ou comme officier de route.

Veuillez agréer….

Lettre du capitaine AMOUR au Contre Amiral SALAUN. 18 Février 1918

J’ai l’honneur de vous annoncer que j’ai été bien surpris d’apprendre que l’enquête faite sur mon dernier torpillage ne m’avait pas été favorable, et je suis cependant certain d’avoir fait tout mon devoir.
J’ai navigué pendant quatre ans au milieu des dangers de toutes sortes. Je me suis battu courageusement deux fois et, quoiqu’ayant subi un torpillage en règle, j’en suis sorti en sauvant tout mon personnel.
N’étant plus mobilisable, j’aurais pu rester tranquillement chez moi et j’ai au contraire cherché toutes les occasions d’être utile à la Patrie en faisant tous mes efforts pour contribuer à la Défense Nationale.

En conséquence, j’ai l’honneur, Amiral, de vous demander de m’autoriser à développer à nouveau mon dernier rapport de mer et d’ordonner qu’une nouvelle enquête soit faite, à mon port d’attache.

Veuillez agréer…

AMOUR. 59 rue de Reims. ROUEN

Lettre du matelot Flageul au LV de Cuverville. 2 Mars 1918

Je soussigné FLAGEUL, marin sur le vapeur torpillé LUTECE, ai l’honneur de vous déclarer qu’à l’interrogatoire en votre présence, il y a eu de l’animosité entre le capitaine AMOUR et tous les membres de l’équipage.
La conduite du capitaine a été exemplaire et la nuit était tellement noire qu’on ne peut dire qu’il a embarqué un des premiers comme je l’ai déclaré moi-même.
De même, on faisait toujours de la route en lacets.
En ma qualité de lampiste, je déclare que le capitaine rectifiait lui-même la mèche des fanaux pour qu’il y en ait le moins possible.

Flageul. 51 rue Centrale. ROUEN

Réponse du secrétaire de la Commission d’enquête au matelot FLAGEUL

J’accuse réception de votre lettre du 2 Mars et vous fais remarquer que par deux fois vous avez comparu devant elle. Vos dépositions comme vos interrogatoires été enregistrés officiellement et contresignés par vous.

Vous aviez alors toute latitude de faire toute déclaration paraissant utile. L’instruction concernant LUTECE est maintenant close et la Commission n’a pas à se plier aux mobiles et influences qui vous poussent aujourd’hui à revenir sur des faits suffisamment précisés lors des interrogatoires.

Elle me charge toutefois de vous prévenir que :

- Si vous avez de nouvelles déclarations à faire, vous devez vous présenter à nouveau devant ses membres qui enregistreront un nouveau procès-verbal.
- Toute contradiction avec vos dépositions premières serait constitutive d’un faux-témoignage et de ce fait entraînerait contre vous des poursuites et des sanctions graves.

Lettre du Lieutenant DESJARDINS au LV de CUVERVILLE. 12 MARS 1918.

Comme complément à ma déposition lors de l’interrogatoire sur le torpillage du LUTECE, je crois devoir déclarer que le navire, avec son appareil chasse-mines faisait des embardées de 35° de chaque bord, ce qui peut compter pour de la route en lacets.
Comme suite à ma déposition, j’ajoute que le capitaine, dans son embarcation, est resté le long du bord jusqu’à la disparition du navire. C’est lui qui m’a sauvé avec le second, sur le radeau sur lequel nous étions réfugiés.

Mais à la fin de cette lettre, le lieutenant Desjardins ajoute un post-scriptum révélateur, qu’il souligne :

Je vous prie de ne tenir aucun compte de la présente lettre que je n’ai écrite que sur les instances de Monsieur Amour.

Lettre du LV De CUVERVILLE au Contre Amiral Commandant Marine Le Havre. Lettre transmise par la suite au Ministre. 2 AVRIL 1918.

J’ai l’honneur de vous adresser deux lettres reçues par la Commission au sujet de la perte du vapeur LUTECE, et les accusés de réception envoyés à leurs auteurs.

Le marin Flageul n’a pas cru devoir se représenter devant la Commission.
Quant au lieutenant Desjardins, il a annulé sa déposition en spécifiant par écrit les influences qui l’avaient motivée.

Commentaire

Cette affaire du torpillage de LUTECE nous montre sous un jour très peu flatteur son capitaine.
C’est à l’évidence un homme imbu de lui-même, colérique et toujours certain d’être dans son bon droit et de détenir la vérité.
Ce qui est le plus gênant, et pour tout dire le plus insupportable, c’est que concernant les négligences et les fautes commises, il en fait toujours retomber la responsabilité sur ses subordonnés. Alors qu’il est le maître du bord, premier responsable de la sécurité, de la navigation, de l’entraînement de son équipage, il ne songe qu’à incriminer ses officiers et ses marins. C’est indigne d’un vrai chef et l’on comprend mieux l’atmosphère délétère qui régnait à bord.
Il pousse même la maladresse, pour ne pas dire la bêtise, jusqu’à mettre en cause les membres de la Commission d’enquête.
Enfin, il se livre à une misérable tentative de subornation de témoins ce qui constitue une faute grave.

En fait, cet homme laisse clairement transparaître un profond mépris pour les hommes qu’il commande : « On tire ce qu’on peut de ces gens-là… » ose-t-il dire. Il a tout simplement oublié que sans équipage un commandant n’est rien, et que dans le mot « équipage » figure le mot « équipe ».

Heureusement, de tels officiers sont rarissimes à bord des navires.

Cdlt
olivier
Rutilius
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LUTÈCE — Cargo — Armement A. Lemoine & Fils, Rouen.

Message par Rutilius »

Bonsoir à tous,

□ Voir ici les éléments biographiques se rapportant à Joseph Félix DESJARDINS, embarqué 3 février 1918 en qualité lieutenant sur le cargo Lutèce lorsque fut torpillé ce bâtiment :

Bien amicalement à vous,
Daniel.
Rutilius
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LUTÈCE — Cargo — Armement A. Lemoine & Fils, Rouen.

Message par Rutilius »

Bonjour à tous,

Lutèce — Cargo — Société d’armement A. Lemoine et ses fils, Rouen (1893~1918).

Cargo en acier lancé le 12 juillet 1893 par le chantier de Wear Dock de la société Samuel Peter Austin & Son, Ltd., de Sunderland (Royaume-Uni), pour le compte de la société d’armement A. Lemoine et ses fils, de Rouen ; n° de chantier : 180. Immatriculé le 28 août 1893 à Rouen, f° 229, n° 686 ; francisé le 18 avril 1894 au même quartier, n° 24.674. Signal distinctif : K.B.R.W.

Initialement armé au cabotage le 24 août 1893 au Consulat de France à Newcastle, puis le 28 août 1893 à Rouen, n° 387 ; désarmé le 2 septembre 1894 au même quartier, n° 402. Capitaine Pierre Marie AUFFRET, né le 14 juillet 1861 à Pléhédel (Côtes-du-Nord — aujourd’hui Cotes-d’Armor), capitaine au long-cours, inscrit au quartier de Paimpol, f° 37, n° 74.

Réquisitionné à Rouen avec tout son équipage le 1er mars 1916. En 1917, armé défensivement de deux canons de 95 mm, respectivement placés à l’avant et à l’arrière.

Torpillé et coulé le 3 février 1918 à 0 h. 30 par le sous-marin allemand U-46 (Oberleutnant zur See Leo HILLEBRAND) à 5 milles du phare de l’île de Godrevy (Cornouaille, Royaume-Uni), par 50° 14’ N. et 5° 31’ W., alors qu’il allait de Swansea à Rouen avec un chargement de charbon. Capitaine Alexandre Raymond AMOUR, capitaine au long-cours, inscrit au quartier de Fécamp, n° 34. Aucune victime.

En dernier lieu, armé au cabotage international le 29 janvier 1917 à Bordeaux, n° 92 ; désarmé le 5 février 1918 à Rouen, n° 30, avec effet au 3 février 1918, jour de sa perte.

Caractéristiques générales. — Jauge : 1.345,83 tx jb et 738,53 tx jn. Dimensions : 247.0 x 35.3 x 15.1 ft [75,28 x 10,75 x 4,60 m]. Propulsion : Machine à triple expansion de 900 cv ; une hélice. Vitesse : ... nd.

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Inscription maritime — Quartier de Rouen — Matricules des bâtiments de commerce — 1892~1900 — f°ˢ 199 à 892 : Archives départementales de la Seine-Maritime, Cote 7P5_46, p. num. 35. [f° 229, n° 686]

Inscription maritime — Quartier de Rouen — Désarmement des bâtiments de commerce — 1894 — n°ˢ 287 à 543 — 2 septembre 1894, n° 402 : Archives départementales de la Seine-Maritime, Cote 7P6_166, p. num. 334.

Inscription maritime — Quartier de Rouen — Désarmement des bâtiments de commerce — 1918 — n°ˢ 1 à 109 — 5 février 1918, n° 30 : Archives départementales de la Seine-Maritime, Cote 7P6_213, p. num. 344 à 361.


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Bien amicalement à vous,
Daniel.
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markab
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Re: LUTÈCE — Cargo — Armement A. Lemoine & Fils, Rouen.

Message par markab »

Bonjour,

Le navire a l'indice (1) dans la base de données.

A bientôt.
Cordialement / Best regards
Marc.

A la recherche des navires et des marins disparus durant la Grande Guerre.
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