Bonjour à tous,
Brick goélette armé par Monsieur COTTON à Saint Nazaire.
Correction au nom du commandant de l'UC 21 : Rheinhold
SALTZWEDEL.
La perte de LEONTINE
La goélette appareille le 24 Mars de La Pallice, en convoi, avec 280 t de poteaux de mine pour Swansea. La nuit suivante, il perd le convoi.
Le 25 à 05h30, le maître d’équipage Auffray, de quart, voit un sous- marin qui passe le long du bord. Il le prend pour un sous-marin français.
A 08h00, le voilier se trouve à 8 milles dans le sud du phare de Pen Men. Très beau temps. Mer belle. Vent de NNE. Horizon embrumé. Le sous-marin est aperçu stoppé en surface à 300 m dans le NNW. Il tire un coup de canon long. Le capitaine comprend que c’est un ordre d’évacuation et donne l’ordre de mettre le canot à l’eau. Il descend dans sa chambre chercher les papiers du bord.
Le second met la barre dessous et fait masquer, puis va aider les hommes à affaler le canot. Le sous-marin, tout proche, voit ce qui de déroule. Mais il ouvre alors le feu à une cadence très rapide, avec des obus à balles. Plus de quarante coups sont tirés et tous portent. Trois matelots et le novice, placés au garant arrière sont tués ou mortellement blessés. Le second, le maître d’équipage et le mousse, placés au garant avant sont grièvement blessés. Seul le matelot Salahun n’est que légèrement touché. Quand le capitaine remonte sur le pont, il découvre le carnage. Il entraîne Salahun et le second, qui a le bras cassé et de multiples blessures, dans le poste avant, tandis que le sous-marin accoste le voilier et que des Allemands montent à bord. Les trois hommes vont alors se cacher dans le puits de descente du charbon, puis dans le peak avant.
De là, ils entendent les marins allemands qui chantent et rient, tandis que le maître d’équipage et le mousse les implorent de leur faire grâce. Le mousse, surtout, pousse des cris apeurés. Un coup de révolver éclate et il se tait. Le capitaine et Salahun sont persuadés que la violence des agresseurs s’est déchaînée sur cet enfant de 14 ans.
Les Allemands placent deux bombes sur la coque, puis s’en vont. La première explose et l’eau s’engouffre dans la goélette. Les trois hommes sortent alors de leur cachette et remontent sur le pont. Le maître d’équipage les avertit qu’une deuxième bombe va exploser. Le capitaine parvient à couper le cordon qui la retient et la jette à la mer. Le sous-marin tire alors des obus incendiaires et tout l’arrière de la goélette prend feu.
Soudain, elle s’incline sur bâbord et se retourne, quille en l’air. Elle continue à flotter en raison de sa cargaison de bois. Les trois survivants, ainsi que le maître d’équipage et le mousse ont été précipités à la mer. Ils s’accrochent tant bien que mal à des espars. Mais le maître d’équipage Auffray, épuisé, lâche prise et disparaît. Le second parvient à hisser le mousse dans le canot rempli d’eau. Le malheureux garçon va perdre connaissance et mourir noyé. Les trois rescapés restant se hissent difficilement sur la coque retournée et, par signes, demandent assistance au sous-marin qui reste immobile près d’eux. Mais les Allemands accueillent ces signes avec des rires et dirigent alors le canon sur eux. Toutefois ils ne tirent pas et s’éloignent finalement en direction d’un vapeur qui approche sans défiance. C’est le vapeur anglais BAYNAEN qui va être coulé sous les yeux des trois survivants accrochés à leur épave.
Vers 15h00, les trois hommes sont finalement recueillis par les canots du BAYNAEN, chargés de naufragés, qui hésitent d’ailleurs à approcher, pensant que cette coque retournée est peut-être le sous-marin. Vers 16h00, tous les naufragés sont recueillis par le dundee n° 1106, de Lorient (le MIRABEAU) qui les dépose dans la nuit à Port Louis.
Quelques détails diffèrent dans les dépositions des trois hommes, surtout à propos du mousse. Personne, en fait, n’a vu ce qui s’est passé sur le pont. Tout le monde confirme les chants, les rires des Allemands, les supplications des blessés et le coup de feu. Mais si Le Glatin et Salahun sont persuadés que l’Allemand a tiré sur le mousse, le second, lui, pense qu’il a achevé un matelot qui était mortellement blessé, ce qui a bien sûr effrayé le mousse qui s’est alors tu. Lorsqu’il est remonté sur le pont, le mousse était vivant, bien que gravement touché par les obus. Ensuite, il a pu le mettre dans le canot et pense que s’il n’avait pas été si sérieusement touché, il aurait sans doute pu le hisser sur la coque et le sauver, car le canot est resté immobile à quelques brasses de l’épave.
Toutefois, les trois hommes confirment que le sous-marin a tiré sauvagement et semé la mort parmi des hommes sans défenses. Tous confirment les chants et les rires, et que, jusqu’au bout, les marins allemands ont raillé leurs victimes.
Le second et Salahun confirment que le capitaine Le Glatin les a toujours encouragés et a maintenu leur moral.
Suite de l’affaire
Le capitaine Le Glatin va écrire une lettre à son armateur, lettre qui va sans doute déplaire aux Autorités Maritimes, ce qui pourrait expliquer les réactions qui ont suivi.
Il dit notamment :
« … Nous avons été assassinés. Le sous-marin a ouvert le feu sur nous à 08h00 du matin, à 6 milles de Groix, en pleine vue de terre… Un vapeur anglais a ensuite été torpillé par le même sous-marin. Pendant toute la journée de Dimanche, le sous-marin s’est promené en surface, sous nos yeux, sans qu’aucun navire de guerre ne vienne le déranger. Il a pu tirer plus de quarante coups de canon. Le feu qui a pris à bord pouvait nous faire voir de loin… »
L’armateur Cotton va écrire au Ministre pour demander la Croix de Guerre pour son capitaine, et va aussi enfoncer le clou.
Il écrit :
« Monsieur Le Glatin, canonné une première fois le 15 Mars alors qu’il commandait la goélette EUGENE ROBERT a sauvé alors tout son équipage et l’a ramené à l’île d’Yeu. Il a immédiatement accepté le commandement de LEONTINE. Il a essuyé plus de quarante coups de canon, eu six hommes tués et trois blessés sur les neuf de l’équipage. Bien que lui-même blessé et asphyxié par la fumée, il a, par son courage et son énergie sauvé d’une mort certaine les deux hommes blessés qui lui restaient. Il a réussi à jeter à la mer l’une des deux bombes placée par l’ennemi.
Faites une enquête, Monsieur le Ministre, non dans les bureaux mais chez les pêcheurs, chez les habitants des côtes, chez les insulaires… De Belle Ile à l’île d’Yeu, de l’île d’Yeu à Groix ils voient chaque jour des sous-marins évoluer en surface à portée de canon.
Interrogez les navigateurs : tous vous diront que de Brest à Bordeaux, quelque soit la route suivie, jamais ils ne rencontrent un navire de guerre ou un patrouilleur. Il est inadmissible de traiter ainsi nos marins du commerce. »
Conclusions de la Commission d’enquête
Elles sont pour le moins surprenantes.
« Les manœuvres imprudentes du capitaine Le Glatin n’ont pas peu contribué à la perte de son navire. Quand il a perdu le convoi, s’il avait mouillé sur rade du Palais pour attendre un autre convoi, il ne se serait pas exposé à l’attaque du sous-marin.
En présence d’un évènement provoqué par ses fausses manœuvres, il a adopté une attitude passive et résignée qui ne saurait constituer droit à une récompense militaire.
Il est difficile d’expliquer pourquoi, quand le sous-marin a été signalé, il s’est préoccupé de chercher les papiers du bord alors qu’il aurait du rester sur le pont et donner les ordres que nécessitait la situation si grave dans laquelle était le navire. »
(Nota : quand on sait avec quelle virulence les commissions d’enquête stigmatisaient les capitaines qui n’avaient pas sauvé ces sacro-saints papiers, cette interrogation ne manque pas de sel).
Aucune récompense ne sera donc accordée, ni au capitaine, ni à son équipage. Attitude passive et résignée….
Toutefois la Marine estime que la façon particulièrement cruelle dont ces malheureux ont été traités « constitue pour eux des droits à recevoir des marques de sympathie ». Elle va donc débloquer une aide de 15000 francs. Chacun des trois rescapés recevra 1000 f et les familles des six disparus 2000 f.
Le mousse BALAC
Le syndic des gens de mer de Vannes va faire une enquête sur sa famille, dont le compte-rendu se trouve aux archives. Il était domicilié chez ses parents, rue de la Gare à Questembert. Il avait trois sœurs de 20, 12 et 6 ans. Son père était manœuvre journalier, n’avait aucun bien et ne touchait que ses appointements de 9 francs par jour. Seule la fille aînée pouvait venir en aide à ses parents, les deux autres étant trop jeunes pour travailler.
Le syndic estime que cette famille modeste est tout à fait digne d’intérêt et doit recevoir une aide.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’UC 36 du KL Gustav BUCH.
Lorsqu’on voit les conditions du torpillage de L’AMERIQUE auquel il ne laissa aucune chance, le massacre du LEONTINE, le tir sur un canot de l’ETOILE POLAIRE, il semble que ce commandant avait des méthodes expéditives. L’attitude de ses hommes reflétait sans doute celle de leur chef.
Peut-être aurait-il eu des comptes à rendre à la fin de la guerre s’il n’avait été coulé au large d’Ouessant le 21 Mai suivant, avec tout son équipage.
Cdlt