YMER - Cargo norvégien et les Sauveteurs de l'ile d'Yeu

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Ar Brav
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Re: YMER - Cargo norvégien et les Sauveteurs de l'ile d'Yeu

Message par Ar Brav »

Bonjour à tous,
Bonjour Marc,

Merci pour ces nombreux liens et références :)

Amicalement,
Franck
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Ar Brav
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Re: YMER - Cargo norvégien et les Sauveteurs de l'ile d'Yeu

Message par Ar Brav »

Bonjour à tous,

En pleine tempête, un canot de sauvetage de la SCNS (ancêtre de la Société Nationale de Sauvetage en Mer) se dirige vers la haute mer, à la force des avirons :

Image

Sources :
Le Marin du vendredi 04 décembre 2009, rubrique "Mémoire de l'histoire", page 30.
Photo : Collection Jean-Yves Brouard.


Le canot de l'île d'Yeu Paul Tourreil sort de son abri à Port-Joinville :

Image

Sources :
Le Marin du vendredi 04 décembre 2009, rubrique "Mémoire de l'histoire", page 30.
Photo : Collection Delpeyroux.


Le canot descend le long de la cale. Il s'agit d'un canot classique construit chez Augustin Normand, insubmersible :

Image

Sources :
Le Marin du vendredi 04 décembre 2009, rubrique "Mémoire de l'histoire", page 30.
Photo : Collection Dr. Courtois.


Bien cordialement,
Franck
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Memgam
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Re: YMER - Cargo norvégien et les Sauveteurs de l'ile d'Yeu

Message par Memgam »

Le canot Paul Tourreil est le quatrième canot de la station de l'île d'Yeu, ouverte depuis 1868 par la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés. Il mesure 9,80 m de long pour une largeur de 2,60 m et il possède une dérive centrale pour améliorer la marche à la voile. C'est le numéro 125 des chantiers Augustin-Normand.
"On a beaucoup écrit sur ce drame, en particulier au sujet des raisons qui ont retardé le départ du canot et sur le fait que le vapeur de service, sous-pression à Port-Joinville, n'a pas été envoyé prendre en remorque le canot...Mais il faut en chercher les vrais raisons dans le froid affreux, la tempête, la grande marée et ses courants violents, et aussi le médiocre état physique de l'équipage. Il faut en tout cas rendre justice au canot qui démontre tout au long de ce drame des qualités étonnantes de tenue à la mer, en particulier sous voile".
Ces lignes sont du docteur Jean Pillet, dans son ouvrage de référence : Le sauvetage au temps des avirons et de la voile, éditions le chasse-marée, 1986, ancien des Hospitaliers Sauveteurs Bretons et à l'origine de la remise en état du canot à avirons Philippes de Kerhallet (1897).
Memgam
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Ar Brav
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Re: YMER - Cargo norvégien et les Sauveteurs de l'ile d'Yeu

Message par Ar Brav »

Bonjour à tous,

Merci Memgam pour ces précisions.

Voici la suite du récit, parue dans l'hebdomadaire Le Marin du vendredi 11 décembre 2009, en rubrique "Mémoire", page 38. L'auteur n'est pas cité.

Bien cordialement,
Franck

Le canot de sauvetage Paul Tourreil, de l'île d'Yeu, revient au port avec les naufragés d'un cargo norvégien. Mais nous sommes en plein hiver 1917 et il faut avancer contre un puissant courant...

Pour illustrer le propos, un cliché de l'équipage du canot de sauvetage de la station SCNS (ancêtre de la SNSM) d'Audierne.
Les marins portent l'équipement classique des sauveteurs : ciré, pantalon large, suroît protégeant la nuque, une ceinture de sauvetage.

Image

Sources :
Le Marin du vendredi 11 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 38.
Photo : Collection SNSM.


En ce 26 janvier 1917, c'est jour de grande marée. Or, dans la nuit, le canot de sauvetage Paul Tourreil, de l'île d'Yeu, sorti chercher l'équipage du cargo norvégien Ymer, ne peut plus revenir au port avec une partie des naufragés car il doit faire face à un puissant courant et du vent contraire. Le patron décide de stopper et d'attendre la fin du jusant. Mais la marée ne remontera que dans 5 heures.
On mouille l'ancre, qui croche dans le fond et retient le canot par une seule amarre. Pour le moment, personne ne s'inquiète. Personne n'a d'ailleurs de raison de s'inquiéter : ni les marins, ni les veilleurs du sémaphore qui observent la scène aux jumelles et comprennent l'action en cours, ni le bateau à vapeur qui transporte des passagers entre Fromentine et Port-Joinville. Comme ce dernier vient d'arriver et n'a pas encore mis bas les feux, il pourrait d'ailleurs venir
à la rescousse.

Mais, à bord du Paul Tourreil, ça se gâte. Le canot, toujours retenu par l'ancre, remue beaucoup sur la mer en furie. Les hommes fatiguent. Trempés jusqu'aux os, harassés, ils ressentent de plus en plus la faim. Le froid mordant commence à les saisir. Le second capitaine norvégien est relativement protégé par ses vêtements imperméables mais ses hommes n'ont pas cette chance. Le grésil tombe, emprisonnant tout sous une gangue de glace.
Et à un moment, catastrophe, l'amarre de l'ancre casse net. Son câble de chanvre a été scié par l'usure. Voilà le canot qui part à la dérive, s'éloignant de l'île. Il est certain que, dans ces conditions, l'équipage n'est pas près de pouvoir revenir...
Les intrépides marins recommencent à s'arc-bouter sur les avirons. Or, plusieurs d'entre-eux, n'ayant pas imaginé passer autant de temps en mer, ne sont pas vêtus convenablement pour une telle épreuve par temps glacial, sans compter qu'ils ont déjeuné léger, ou que leur repas a été interrompu par l'alarme. Rien n'y fait, le canot est poussé vers le large, vers l'ouest-nord-ouest. Sur quelle distance et pendant combien de temps cela pourra-t-il durer ? On pense rallier... Belle-Ile. On hisse la grand-voile et la misaine. Le canot se dirige vaillamment vers sa nouvelle destination. Mais la tempête enfle. Un paquet de mer éteint le fanal et fausse le compas. L'évacuation de l'eau ne se fait plus en raison de l'arrêt des soupapes des tubes ; l'intérieur du canot se remplit à chaque paquet de mer.

Heureusement, il ne coule pas grâce à ses caissons d'insubmersibilité. La grand-voile, finalement inutile, est amenée. Puis c'est le tour de la misaine. On met à l'eau l'ancre flottante, sorte de poche parachute qui s'ouvre dans l'eau et retient le canot, bout au vent. Du givre recouvre tout le canot, ses mâts, les avirons, les bancs, les hommes. On apprendra que cette nuit du 26 au 27 janvier, à terre, il fait -15° C...

Croquis d'une ancre flottante retenant un canot de sauvetage de la SCNS. Image extraite du "Manuel du canotier". DR.

Image

Sources :
Le Marin du vendredi 11 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 38.


Bientôt, trois hommes décèdent de froid : deux des marins étrangers rescapés de l'Ymer, qui sont en mer depuis trois jours, et Adolphe lzacard, un des sauveteurs français, père de 7 enfants, qui s'était porté volontaire alors qu'une bronchite carabinée le tenait cloué au lit depuis des semaines.

Soudain, l'ancre flottante est arrachée. Le canot va se perdre. Vite, on en fabrique une autre, sous la forme d'un cadre fait avec les deux mâts et un grand aviron, liés ensemble. Mouillée à l'avant, elle maintient elle aussi le canot face au vent et atténue les effets des vagues, La journée passe ainsi, sous les rafales de neige.
La nuit arrive et le froid augmente. Le feu de Belle-Ile apparait dans le nord-est, à environ 15 milles selon l'estimation des hommes. À minuit, deux marins norvégiens décèdent. Le froid devenant intolérable, le patron décide d'atterrir. Mais il faut replanter les mâts, et pour cela démonter l' "ancre" artificielle, puis hisser les voiles. Ceci ne peut se faire qu'au prix d'efforts surhumains. Or, à peine établie, la grand-voile doit être abattue à cause de la houle et des paquets de mer. On reprend un ris à la voile de misaine. Le canot se dirige vers le nord, très bas sur l'eau.
Les hommes continuent d'agoniser puis de mourir les uns après les autres. Le patron, Noé Devaud, toujours cramponné à la barre, scrute l'horizon. Il attend que la côte du sud Bretagne apparaisse. Mais à ses pieds reposent les corps de trois Norvégiens et de quatre de ses hommes, morts de froid et d'épuisement. Ne faudrait-il pas les jeter à la mer, pour sauver le canot surchargé et les survivants ?
Groix apparaît dans le nord-est mais trop loin. L'île défile petit à petit, à l'est. Puis disparait dans le sud-est...

(à suivre)






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Ar Brav
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Re: YMER - Cargo norvégien et les Sauveteurs de l'ile d'Yeu

Message par Ar Brav »

Bonjour à tous,

Un lien vers un sujet sur le drame du Paul Tourreil, dans l'Encrier du Poilu :

http://lencrierdupoilu.free.fr/index.ph ... &Itemid=63

Et également, à la Bibliothèque du Musée national de la Marine,sous la référence Bib mnM P324/U, un article de Jean-Yves Brouard, « Le drame du "Paul Tourreil" ».
Navires et histoire, n° 26, oct. 2004, p. 109-111.

Bien cordialement,
Franck
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Ar Brav
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Re: YMER - Cargo norvégien et les Sauveteurs de l'ile d'Yeu

Message par Ar Brav »

Bonjour à tous,

Voici la suite et la fin de la relation du drame telle que parue dans l'hebdomadaire Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34. L'auteur n'est pas cité.

Bien cordialement,
Franck

Les Norvégiens de Névez.

Le canot Paul Tourreil de l’île d’Yeu, poursuit sa dérive vers le nord, fin janvier 1917. Dans la tempête, le froid extrême, ses occupants décèdent les uns après les autres.

La navigation se poursuit. Les Glénan se devinent sur la gauche. Le canot se dirigeant vers le nord, on pense arriver sur la gauche de l'embouchure de l'Aven. Un autre marin français décède. La côte se devine loin devant. Un autre Norvégien meurt à son tour. Le canot passe par le travers d'un îlot, l’île Verte.
Devaud le connaît et sait qu'il est désert ; il préfère continuer sa route. Bientôt il élonge Raguénès. Ce bout de terre devient une presqu'île à marée basse. Un pêcheur qui y habite seul avec sa famille, Jean-Marie Marrec, aperçoit le canot. Il comprend la situation. Il fait signe de venir aborder par le nord-ouest.

Le secteur de Raguénès où a atterri le canot de sauvetage. La photo est d’époque :

Image

Sources :
Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34.
Photo : Collection SNSM.



Le second capitaine norvégien, malgré son épuisement, réussit à se traîner vers la terre ferme, jusqu'à un hôtel où il va faire appel aux secours. Devaud descend du canot et aide Marrec à débarquer ses camarades. Les frères Pillet sont presque inanimés. Le pêcheur breton les emporte sur une charrette jusqu'à sa maison mais Émile rend l'âme sur le seuil de la porte (Edmour décédera à son tour douze heures plus tard).
Les premiers soins sont prodigués aux marins ; le fils Marrec, Pierre, racontera plus tard : "Je n'avais que 7 ans à l'époque. Il a fallu que je quitte la maison pour faire de la place. Les naufragés ont pris mon lit. Il fallait les mettre au chaud."

Pierre Marrec, 87 ans au moment de cette photo, était un témoin de l’arrivée des naufragés dans la maison de son père sur l’île de Raguénès :

Image

Sources :
Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34.
Photo : Collection Jean-Michel Robert.


Cinq marins norvégiens et six marins de l'île d'Yeu sont enterrés dans le cimetière de Névez.
La tombe des marins du cargo norvégien Ymer, aujourd’hui dans le cimetière de Névez (Finistère). L’un d’eux n’a été identifié qu’en 1998. On aperçoit au pied de la croix, une plaque portant le nom des canotiers ogiens également morts dans l’aventure :

Image

Sources :
Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34.
Photo : Collection Jean-Michel Robert.



Pour exprimer sa reconnaissance pour le dévouement dont ont fait preuve les hommes du canot se portant au secours de l'équipage de l'Ymer, le gouvernement norvégien décerne la médaille d’or du sauvetage au patron Noé Devaud et la médaille d’argent du sauvetage à ses équipiers, Olivier Plessis, Pierre Girard, Baptiste Tonnel, Alexandre Gouillet et Emmanuel Tourbé. Jean-Pierre Marrec, le pêcheur, inscrit maritime de Concarneau, se voit également attribuer la médaille d’argent du sauvetage.

Noé Devaud, le patron du canot Paul Tourreil, après le drame de janvier 1917. Il a effectué 17 sauvetages qui lui ont valu diverses médailles, dont la Légion d’Honneur :

Image

Sources :
Le Marin du vendredi 11 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 38.
Photo : Collection SNSM.


Les sauveteurs rescapés, après le drame : le patron Noé Devaud est à gauche :

Image

Sources :
Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34.
Photo : Collection SNSM.


Un canot de sauvetage de l’île d’Yeu s’est appelé plus tard Patron Noé Devaud, en hommage au héros de l’aventure :

Image

Sources :
Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34.
Photo : Collection SNSM.


En 1922, la Norvège finance également l'érection d'un monument sur l'île d'Yeu. Œuvre du sculpteur Stephan Siding, remplacé par une autre sculpture (lire le Marin du 4 décembre), il est inauguré le 5 juillet de cette année-là, conjointement par le Baron de Wedel Jarlsberg, ministre de Norvège, et M. Rio, sous-secrétaire d'État à la Marine Marchande (parmi l'équipage du cargo norvégien Ymer, figurent au moins un marin suédois et un néerlandais).
En 1997, pour le 80ème anniversaire de la dramatique aventure, le club des rameurs de Port-Joinville a organisé un pèlerinage sur le même trajet que le Paul Tourreil, entre l'île d'Yeu et la côte sud du Finistère. Le canot de la SNSM de l'île d'Yeu, le Président Louis Bemard, a accompagné une embarcation mue à l'aviron qui a effectué le voyage avec 8 rameurs et un barreur et qui a été rejointe en mer par une autre unité de la SNSM, la vedette Ar Beg.

À l'arrivée, un officier mécanicien de la Marine norvégienne, diverses associations et personnalités ainsi que Pierre Marrec, l'attendaient pour un ensemble de cérémonies émouvantes.

Fin de l’article.






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Jens
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Re: YMER - Cargo norvégien et les Sauveteurs de l'ile d'Yeu

Message par Jens »

Bonjour à tous les participants de ce post.

Le propriétaire de l'Ymer n'était autre que mon arrière grand père norvégien.
Je reviens de Bergen où j'ai commencé des recherches sur une branche lointaine de mon histoire familiale que la lecture de vos écrits m'a révélé. Encore merci à vous.

J.Lund


Jens
Rutilius
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Re: YMER - Cargo norvégien et les Sauveteurs de l'ile d'Yeu

Message par Rutilius »

.
Bonjour à tous,


Le Morbihannais, n° 79, Jeudi 21 juin 1917, p. 2, en rubrique « Chronique locale ».


« Un beau geste de la Norvège.

On se rappelle qu’en janvier dernier, le bateau norvégien Yser fut torpillé par un sous-marin allemand, près de la côte d’Espagne
(*). Sept marins avaient pris place dans une barque qui fut signalée en détresse au large de l’île d’Yeu.
Malgré le mauvais temps, 12 matelots de l’île se portèrent au secours des naufragés à bord du canot de sauvetage. Malheureusement, une tempête épouvantable se déchaîna et, après trois jours de lutte terrible contre les éléments, le canot vint atterrir sur les côtes du Finistère. En cours de route, 6 Français et 5 Norvégiens étaient morts de froid et de fin.
Ces faits ayant été connus en Norvège, des souscriptions s’ouvrirent et hier, le ministre de Norvège à Paris, baron Wedel Jarlsberg, se rendait à l’île d’Yeu pour remettre officiellement, au nom de son gouvernement, les sommes recueillies aux marins survivants et aux veuves des victimes. Six palmes de bronze, portant les noms des six Français, avec la mention
" La Norvège reconnaissante " furent déposées sur les tombes. Puis le ministre, qu’accompagnait un attaché militaire, un conseiller d’ambassade et de nombreuses personnalités, remit à chacun des survivants et à chacune des veuves, un titre de rente de 800 francs et une somme de 500 francs.
En outre, deux prix annuels de 400 fr. furent institués, à charge pour le maire de les remettre aux deux marins de l’ile d’Yeu dont la conduite serait la plus digne.
Enfin, un monument va être édifié, qui commémorera le souvenir de l’héroïsme des sauveteurs de l’île d’Yeu.
En remettant le produit de cette souscription nationale, le ministre de Norvège a prononcé quelques paroles empreintes de la plus vive émotion :


" Cette journée, a-t-il dit, perpétuera le souvenir de la noble conduite envers la Norvège de la France dans la personne des marins de l’île d’Yeu, et rappellera le dévouement de la Norvège envers la France."

A la fin du déjeuner qui suivit la cérémonie, le ministre, reprenant le thème de son discours, a salué la France, champion de la civilisation dans le monde, grande entre toutes les grandes, par son amour de la liberté, de la justice et du droit. »

________________________________________________________________________________________________________________________________________________

(*) En fait, arraisonné et détruit le 23 janvier 1917 au moyen de charges explosives par le sous-marin allemand UC-16 (Oberleutnant zur See Egon von Werner), à 60 milles à l’Ouest de Rochefort, alors qu’il se rendait de Santander à Middlesbrough avec un chargement de minerai de fer.

________________________________________________________________________________________________________________________________________________



Les hommages rendus à l’équipage du canot de sauvetage Paul Tourreil, de l’île d’Yeu


Société centrale de sauvetage des naufragés ― Annales du sauvetage maritime, 1er et 2e trim. 1917, p. 17 et 18.


« RAPPORT SUR LES PRINCIPAUX SAUVETAGES ACCOMPLIS DANS L'ANNÉE

par M. le Capitaine de Vaisseau BABEAU (Chevalier de la Légion d’honneur)

ADMINISTRATEUR DE LA SOCIÉTÉ



MESDAMES, MESSIEURS,

Le sanglant tableau, qui se déroule aux yeux du monde depuis bientôt trois années, présente aux imaginations de telles visions d'horreur et de destruction — visions aussi d'héroïsme et de
sacrifice admirables — qu'il ne semble pas que nous puissions nous abstraire un instant des hantises de ce cataclysme sans précédent.

[...]

Tout d'abord, je veux vous retracer le plus tragique, le plus douloureux événement qu’aient jamais eu à enregistrer les annales de notre Société ; il s'est déroulé entre l’île d’Yeu et Concarneau dans les journées et les nuits des 26, 27 et 28 janvier de cette année, à l’heure où sévissait sur nos contrées le froid rigoureux qui a aggravé tant de misères.
Au cours de ces deux affreuses journées, 6 canotiers sur les 12 que comptait l’équipage du canot " Paul Tourreil ", de l’île d’Yeu, sont morts de fatigue et de froid. Je suis sûr d'être l’interprète de cette Assemblée en envoyant l’expression de sa très douloureuse sympathie aux familles si cruellement frappées, en même temps que l’hommage de son admiration et de ses regrets à la mémoire de ces braves qui se nomment :

PILLET (Émile), 49 ans ; PILLET (Edmond), 50 ans ; TARAUD, 47 ans ; IZACARD, 44 ans ; PELLETIER, 46 ans et RENAUD, 26 ans (réformé).

Le " Paul Tourreil ", sorti à 1 heure de l'après-midi pour, recueillir des naufragés montant une baleinière du vapeur norvégien " Ymer " torpillé au large, rejoignit rapidement ces malheureux et les prit à son bord. La mer était assez grosse et les vents droit debout contrariaient la marche du canot, qui dut mouiller vers 5 heures du soir à 1 mille dans le nord de l'île, afin d'attendre le renversement du courant. Pendant qu'il était au mouillage, le vent d’Est fraîchissait, et à 9 heures le câble rongé par le frottement sur les roches du fond cassait, au moment où une furieuse tempête de neige et de verglas s'abattait sur la mer. Nos hommes essayèrent de lutter à l’aviron, mais bientôt épuisés, ils se décidèrent à hisser les voiles et à tenter de gagner Belle-Ile. Malheureusement la tempête les obligeait à ramasser leur voilure et le " Paul Tourreil " devenait le jouet des flots. Trois hommes, dès cette première nuit, mouraient d'épuisement ; 8 autres devaient succomber successivement. Belle-Ile manquée, le patron DEVAUD espéra atteindre Groix : il avait pu rétablir la voilure ; mais il était trop sous-venté et ce ne fut que le lendemain à midi qu'il put atterrir à l’ouest de Concarneau, dans la presqu’île de Raguénès, après être resté 48 heures à la barre par une température de plus de 10° au-dessous de zéro, dans une mer démontée dont chaque vague glacée balayait l’embarcation et ajoutait aux souffrances des malheureux canotiers. Il déploya dans ces circonstances une force d'âme admirable, devant le spectacle de l'agonie de 6 de ses camarades, et de 5 des marins étrangers qu'il avait recueillis.
Bien modeste, en regard de leur mérite, est la récompense que nous offrons à ces hommes dont vous voudrez retenir les noms :

DEVAUD, 52 ans ; GIRARD, 54 ans ; TONNEL, 47 ans ; PLESSIS, 40 ans, réformé ; TURBE, 38 ans, blessé de guerre, et GOUILLET, 16 ans. Nous leur décernons les Médailles d’Or du Vice-Amiral Ernest de JONQUIÈRES, de la Marquise d’ESTAMPES, de M. Georges COPIN, du Baron Jules CLOQUET, de M. G. D. de BEAUREGARD, du Baron de JOEST, et les Prix des amiraux ROZE et JACQUINOT, portés à 4.000 francs par un don généreux de 2.000 francs fait dans ce but par Mme TOURREIL, donatrice du canot " Paul Tourreil ".

Et ce nous est un vif regret que les circonstances ne nous aient pas permis de les faire venir ici à l'honneur, après qu'ils ont été si durement à la peine.
»



Société centrale de sauvetage des naufragés ― Annales du sauvetage maritime, 1er et 2e trim. 1917, p. 54 à et 18.


« HOMMAGE ET RECONNAISSANCE DE LA NORVÈGE

Lorsqu’en février dernier, la nouvelle se répandit dans la presse française et étrangère que six marins sur les douze qui composaient l’armement du canot de sauvetage " Paul Tourreil " de la station de l’Ile d'Yeu avaient perdu la vie en portant secours aux marins norvégiens de l’ " Ymer " abandonnés en pleine mer, loin des côtes, par la barbarie germanique après la destruction de leur navire, le peuple norvégien tout entier se sentit ému dans les plus intimes fibres de son cœur et voulut témoigner sa reconnaissance aux sauveteurs. Aussitôt le Gouvernement norvégien secondé par la presse organisa à leur profit une souscription qui en quelques jours recueillit plus de 200.000 fr. En même temps, le Ministre de Norvège à Paris, M. le Baron de WEDEL-JARLSBERG adressait au chef du Gouvernement français la lettre suivante
:

Monsieur le Ministre,

Le Gouvernement norvégien a appris avec une vive émotion, les renseignements que je lui ai communiqués relatifs à l’héroïque dévouement déployé par le patron et les hommes du canot de sauvetage de l’Ile d'Yeu pour arracher à la mort l’équipage du bateau norvégien " Ymer ". Il déplore profondément qu’un si grand nombre de courageux marins français aient payé de leur vie leur sublime dévouement.
Je suis chargé de me faire l’interprète de ces sentiments auprès du Gouvernement de la République et de vous prier, Monsieur le Ministre, de vouloir bien faire parvenir aux sauveteurs survivants l’expression de la reconnaissance émue du Gouvernement royal et d’assurer les familles des marins victimes de leur héroïsme, de la part sincère que le peuple norvégien prend à leur deuil.

En remettant cette lettre au Président du Conseil, le Ministre de Norvège annonçait que S. M. le roi de Norvège venait de décerner la médaille de sauvetage en or à M. DEVAUD, patron, et des médailles de sauvetage en argent à MM. PLESSIS, GIRARD, TONNEL, GOUILLET et TURBE, canotiers, ainsi qu’à M. MARREC, inscrit à Concarneau, qui a aidé à l’atterrissage des naufragés et qui, par des soins dévoués, a sauvé les survivants.
Le 18 juin dernier, M. le Ministre de Norvège accompagné du Colonel LORANGER, attaché militaire, de M. de BENTZAN, conseiller d'Ambassade, de M. TARDIF, préfet de la Vendée, de M. PACAUD, député des Sables d’Olonne, des représentants du Ministre de la Marine et du sous-secrétaire d'Etat à la Marine Marchande, arrivait à l’Ile d’Yeu, afin d'aller s’incliner sur les tombes, saluer les familles éprouvées, et remercier les sauveteurs. Il voulait aussi remettre aux survivants de l’héroïque odyssée et aux veuves des victimes les gages de reconnaissance du peuple norvégien, peuple de marins si éprouvé par cette guerre qu’il semble que les belligérants ne peuvent pas l’être davantage.
A son arrivée dans l’Ile, M. MICHAUD, maire de Port-Breton, lui souhaitait la bienvenue, le remerciait, puis le conduisait au cimetière où il déposait sur chacune des tombes des canotiers, une superbe couronne de métal cravatée des couleurs françaises et norvégiennes et portant cette inscription
:

" La Norvège reconnaissante ".

Avant de procéder à la remise des médailles et récompenses, M. WEDEL-JARLSBERG dans un fort beau discours retraçait l’acte d’héroïsme accompli par l’équipage du canot de sauvetage, disait combien le peuple norvégien avait été ému en l’apprenant et en quelle estime il tenait le peuple français et particulièrement sa marine dont les membres n’ont jamais failli au devoir et à l’honneur. Il remettait ensuite officiellement aux survivants les Médailles qui leur avaient été décernées au lendemain du naufrage et les récompenses que la souscription norvégienne a permis de leur attribuer ainsi qu’aux familles des victimes. Chacun et chacune reçoivent un titre de rente de 800 francs et un secours immédiat de 500 francs.
II faisait connaître que le Gouvernement norvégien offrait à titre d’encouragement, 2 Prix annuels de 400 francs destinés à récompenser les 2 personnes de l’Ile d'Yeu ayant montré le plus de courage et de bonne conduite.
En outre, un monument commémoratif sera élevé au cimetière.
M. le Préfet de la Vendée, M. PACAUD et M. le Directeur de l'Inscription Maritime répondaient tour à tour et remerciaient le représentant de la Norvège.
Le Conseil d’administration de 1a Société de sauvetage a vivement regretté de n'avoir pu se faire représenter à cette cérémonie émouvante au cours de laquelle a été célébrée la vertu de ses canotiers ; mais il n’a pas tenu à lui de le faire, aucun avis ne lui ayant été donné de cette cérémonie organisée sous les auspices de M. le Ministre de Norvège. Avec son Président, il adresse au peuple norvégien l’expression de sa reconnaissance à laquelle il associe les 117 stations de la Société dont le matériel et l’organisation facilitent de tels actes d’héroïsme.
»


Société centrale de sauvetage des naufragés ― Annales du sauvetage maritime, 1er et 2e trim. 1918, p. 80.


« Récompenses accordées par le Département de la Marine.

Par décision du 18 mars 1918, prise sur l’avis de la section permanente du Conseil supérieur de la marine, le ministre de la marine a accordé des prix Henri Durand (de Blois) aux sauveteurs ci-après désignés
:

Un prix de 4.000 francs et six prix de 1.000 francs.

DEVAUD (Célestin-Philippe-Noël), patron du canot de
sauvetage de l’Ile d’Yeu .............................................................. 1.200 francs.

GRARD (Pierre-Auguste), canotier ............................................... 800 »

PLESSIS (Oscar-Charles-Olivier), canotier .................................. 800 »

TONNEL (Jean-Baptiste-Gustave), canotier .................................. 800 »

TURBE (Emmanuel-Auguste), canotier........................................ 800 »

GOUILLET (Alexandre-Gabriel), canotier..................................... 800 »



Décédés :


PELLETIER (Pierre-Alfred-Léonidas), canotier................................. 800 francs

PILLET (Joseph-Emile), canotier .................................................... 800 »

TARAUD (Jacques-Armand), canotier ............................................. 800 »

IZACARD (Adolphe-Alexandre), canotier ........................................ 800 »

PILLET (Edmond-Emmanuel-Georges), canotier ............................. 800 »

RENAUD (Joseph-Ernest-Léon), canotier ........................................ 800 »

Ont fait preuve du plus grand courage en tenant la mer pendant plus de vingt-quatre heures, avec le canot de sauvetage de l’Ile d’Yeu, par une violente tempête de neige et de verglas, pour porter secours aux rescapés du vapeur norvégien Ymer torpillé par un sous-marin allemand dans la baie de Biscaye, et ont vu mourir à côté d’eux six de leurs camarades.
»



L’inauguration du monument commémoratif offert par la Norvège (5 juillet 1922)


Société centrale de sauvetage des naufragés ― Annales du sauvetage maritime, 3e et 4e trim. 1922, p. 194 à 198.


« Le MINISTRE DE NORVÈGE à l’Ile d’Yeu

Inauguration du Monument aux Canotiers de Sauvetage



Il nous faut évoquer encore une fois l’héroïque tragédie du 28 janvier 1917, et rappeler avec quel généreux élan la nation norvégienne multiplia à l’égard de nos canotiers les témoignages de sa reconnaissance. La journée du 5 juillet dernier, dans laquelle eut lieu l’inauguration solennelle du monument commémoratif offert par la Norvège, en fut le digne couronnement.
A 9 heures, le torpilleur d'escadre Enseigne-Roux appareillait des Sables d’Olonne, ayant à son bord le Ministre de Norvège, Baron de WEDEL JARLSBERG ; le Sous-Secrétaire d’État de la Marine Marchande, M. RIO ; MM. GIRAULT, Directeur des services du Travail et de l’Enseignement maritimes ; BAFFREY, préfet de la Vendée ; GOLA, Sous-Préfet des Sables ; MORAND, Sénateur ; BAZIN, député ; HUET, Ingénieur en Chef des Ponts-et-Chaussées ; GRANJON DE LEPINEY, Administrateur-Délégué de la
Société Centrale de sauvetage des Naufragés ; Commandant SCOTT-HANSEN, le vaillant compagnon de NANSEN au Pôle Nord, attaché naval de Norvège à Londres et à Paris ; les Consuls de Norvège à Nantes
et à La Rochelle ; et de nombreuses personnalités de la région.
Le premier acte du Ministre de Norvège, dès son arrivée à l’Ile d’Yeu, fut de se rendre au cimetière, et de déposer une palme d'or, nouée aux couleurs de France, sur chacune des tombes des sauveteurs victimes de leur dévouement. Toutes les maisons de l’île, tous les bateaux de la rade étaient pavoisés et la population entière faisait cortège au Ministre qui, après ce pieux pèlerinage, revint sur la place qui porte désormais le nom de
" Place de Norvège ", où s’érige le monument dû au ciseau du grand sculpteur norvégien Stephan Sinding.
Cette œuvre d’art noble et expressive, en forme de haute pyramide tronquée, porte sur le devant un haut-relief allégorique, qui figure la France recueillant un naufragé ; sur la face opposée l'inscription
: " Aux Marins français, la Norvège reconnaissante " ; sur les côtés, les noms des hommes qui armaient le canot de sauvetage dans la sortie du 26-28 janvier 1917.
Lorsque le cortège eut pris place sur l’estrade dressée à cet effet, le Baron de WEDEL JARLSBERG prit le premier la parole dans les termes suivants
:


MONSIEUR LE MINISTRE,
MESDAMES ET MESSIEURS,

En juin 1917, quand je suis venu apporter aux marins de l’Ile d’Yeu, l’expression émue de la reconnaissance de mon pays pour les admirables sauveteurs de l’équipage du vapeur norvégien Ymer, j'ai demandé à Monsieur le Maire la permission d’ériger un monument destiné à perpétuer la souvenir de l'héroïsme des pêcheurs de votre île.
Je suis heureux qu’il m'ait été donné la grande joie de me retrouver au milieu de vous et de pouvoir, au nom de la Norvège, vous offrir ce monument.
Je suis profondément reconnaissant au Gouvernement de la République d’avoir bien voulu s’associer à l’hommage que mon pays rend à la gloire des marins français, et je prie son éminent représentant, Monsieur le Ministre de la Marine Marchande, d’en accepter l’expression. Je remercie également Monsieur le Préfet de la Vendée et les autorités civiles et militaires présentes à cette cérémonie, ainsi que le Représentant de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés.
Je me félicite d’avoir à mes, côtés les survivants de l’acte sublime que nous exaltons aujourd’hui. Avec son grand talent, notre célèbre sculpteur Stephan SINDING a su traduire le symbole de leur admirable dévouement, qui peut être donné en exemple du plus noble esprit de sacrifice. Il nous montre la France toujours éprise d’idéalisme volant au secours de malheureux en détresse au prix même de la vie de ses enfants. Cette stèle n’est pas seulement un hommage de mon pays au vôtre ; elle sera en outre pour les générations futures un témoignage permanent de l'abnégation surhumaine dont vos marins firent preuve, et il conservera les noms des héros de cette épopée de la mer.
Laissez-moi rappeler comment avec un équipage de fortune vous n’avez pas hésité à prendre la mer ; comment vous avez réussi à accoster la baleinière en détresse et faire trans-porter les Norvégiens qui s’y trouvaient au canot de sauvetage ; comment l’ancre s’est brisée et vous avez été, au milieu de la tempête et une mer terrible qui noyait le canot sous les lames, forcés d’amener la voilure et gagner le large ; et le martyre de cette longue nuit où, baignant jusqu’à la ceinture dans une eau glaciale, vous avez lutté avec les éléments pendant que six canotiers et cinq norvégiens succombaient à vos côtés ; enfin comment vos efforts surhumains ont été couronnés de succès et vous avez pu atterrir à l’Ile de Raguénès.
Dans les luttes effroyables de la grande guerre, les Français ont montré au monde jusqu’à quel point précédemment inconnu peut aller le courage humain. Vous, chers marins de l’Ile d’Yeu, vous avez montré jusqu’où peuvent aller le courage et le dévouement humain dans la lutte avec les éléments. Votre sauvetage de l’équipage de l’Ymer, dans la terrible nuit du 27 au 28 janvier 1917, peut être comparé aux plus sublimes actions de la guerre. Vous avez fait le sacrifice le plus précieux de vous-même, de votre vie, pour sauver vos prochains. Vous avez ainsi inscrit vos noms sur le livre de la gloire Française et vous avez mérité d’être cités à l'ordre du jour de l’humanité.


M. MICHAUD, maire de l’Ile d'Yeu, exprima la gratitude de ses concitoyens à l’égard de la Norvège, et pria le Ministre d’agréer le titre de citoyen de l’Ile d'Yeu qui lui a été décerné par le Conseil Municipal.

D’autres discours furent prononcés par M. le Sénateur MORAND, par M. le député BAZIRE. Puis, M. GRANJON DE LÉPINEY parla au nom de la
Société Centrale de Sauvetage :


MONSIEUR LE MINISTRE DE NORVÈGE,

Je suis l’interprète de M. le Vice-Amiral TOUCHARD, Président de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés en vous disant qu’il est profondément touché du geste qui vous ramène pour la seconde fois sur les tombes de nos canotiers de l’Ile d’Yeu.
Le drame du 28 janvier 1917 est le plus tragique qu’aient eu à enregistrer les annales de notre Société. Les jeunes, les valides étaient à la guerre. Pour manœuvrer les avirons du canot de sauvetage, il ne restait au pays que des hommes d’une vigueur et d’une résistance diminuées. Une tempête d’une violence inouïe, qui souffla de terre pendant trois jours, et qui maintint constamment le thermomètre à plusieurs degrés au-dessous de 0, eut raison de leur courage ; et six d’entre eux succombèrent d’épuisement et de froid.
Lorsqu’après avoir atterri à l’îlot de Raguénès, où furent débarqués les corps des victimes, le Paul Tourreil vint dans le port de Concarneau, je l’y trouvai entouré d’une couche de glace ; les routes de Bretagne étaient recouvertes d’un verglas qui les rendait impraticables aux voitures, si bien qu’on y circulait difficilement, même à pied.
Dans l’affreux déchaînement de la guerre mondiale qui accumulait les hécatombes humaines, la mort de six marins pouvait être peu remarquée. Il n’en fut rien. Les circonstances du drame, qui avait son origine dans la sauvage guerre sous-marine allemande, suscitèrent en Norvège un puissant élan d’indignation et de pitié ; et quelques mois plus tard, vous veniez en personne, Monsieur le Ministre, bravant les champs de mines et les sous-marins, porter aux veuves des victimes et aux sauveteurs survivants les amples gages de la reconnaissance de votre pays.
Par la cérémonie solennelle de ce jour, à laquelle M. le Sous-Secrétaire d’État de la Marine Marchande nous fait \par sa présence le grand honneur d’associer le Gouvernement français, vous couronnez votre œuvre. Le monument que vous remettez à l’Ile d’Yeu demeurera, pour porter témoignage aux générations futures, en même temps que de l’atroce barbarie de la guerre sous-marine, de la généreuse fraternité du noble peuple norvégien. Qu’à travers la vaste mer qui, loin de nous séparer, nous unit, aillent au roi de Norvège et à la nation norvégienne nos remerciements émus et l'expression de notre vive et constante amitié.


Enfin, M. le Sous-Secrétaire d’État RIO dit toute son admiration pour les marins dont il a partagé la vie pendant vingt-deux ans ; il exalte leur dévouement et leur esprit de sacrifice. " Aussi, quand nous entendons le flot monter sur nos grèves, nous ne pouvons nous empêcher d'envoyer notre douloureux souvenir aux héros que la mer a gardés ".
Un banquet, où d’autres discours furent prononcés, clôtura cette émouvante cérémonie. Puis, le Ministre de Norvège, accompagné par les chaudes acclamations de la population de l’Ile, prit place à bord du canot de sauvetage, toujours commandé par le patron Noé DEVAUD, qui le ramena à bord de l’Enseigne-Roux.
A 17 heures l’Enseigne-Roux mouillait de nouveau en rade des Sables d’Olonne.
»
Bien amicalement à vous,
Daniel.
Jens
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Re: YMER - Cargo norvégien et les Sauveteurs de l'ile d'Yeu

Message par Jens »

Merci pour toutes ces nouvelles informations.

Je rentre tout juste de Berlin, et surtout de la visite de son fameux musée Deutsche Technik Museum où sont exposées des maquettes et des bateaux (remorqueur à vapeur) grandeur nature du début de siècle.
Beaucoup d'infos sur la marine allemande avec un sous marin de poche authentique pour un seul équipage.

Je ne manquerai pas de vous tenir au courant du développement de mes recherches et de la concrétisation d'un projet qui m'est cher.

Bien à vous.

Jens
lannroz
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Re: YMER - Cargo norvégien et les Sauveteurs de l'ile d'Yeu

Message par lannroz »

Bonjour à tous,

Voici la suite et la fin de la relation du drame telle que parue dans l'hebdomadaire Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34. L'auteur n'est pas cité.

Bien cordialement,
Franck

Les Norvégiens de Névez.

Le canot Paul Tourreil de l’île d’Yeu, poursuit sa dérive vers le nord, fin janvier 1917. Dans la tempête, le froid extrême, ses occupants décèdent les uns après les autres.

La navigation se poursuit. Les Glénan se devinent sur la gauche. Le canot se dirigeant vers le nord, on pense arriver sur la gauche de l'embouchure de l'Aven. Un autre marin français décède. La côte se devine loin devant. Un autre Norvégien meurt à son tour. Le canot passe par le travers d'un îlot, l’île Verte.
Devaud le connaît et sait qu'il est désert ; il préfère continuer sa route. Bientôt il élonge Raguénès. Ce bout de terre devient une presqu'île à marée basse. Un pêcheur qui y habite seul avec sa famille, Jean-Marie Marrec, aperçoit le canot. Il comprend la situation. Il fait signe de venir aborder par le nord-ouest.

Le secteur de Raguénès où a atterri le canot de sauvetage. La photo est d’époque :

http://img269.imageshack.us/img269/6954 ... uratte.jpg

Sources :
Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34.
Photo : Collection SNSM.



Le second capitaine norvégien, malgré son épuisement, réussit à se traîner vers la terre ferme, jusqu'à un hôtel où il va faire appel aux secours. Devaud descend du canot et aide Marrec à débarquer ses camarades. Les frères Pillet sont presque inanimés. Le pêcheur breton les emporte sur une charrette jusqu'à sa maison mais Émile rend l'âme sur le seuil de la porte (Edmour décédera à son tour douze heures plus tard).
Les premiers soins sont prodigués aux marins ; le fils Marrec, Pierre, racontera plus tard : "Je n'avais que 7 ans à l'époque. Il a fallu que je quitte la maison pour faire de la place. Les naufragés ont pris mon lit. Il fallait les mettre au chaud."

Pierre Marrec, 87 ans au moment de cette photo, était un témoin de l’arrivée des naufragés dans la maison de son père sur l’île de Raguénès :

http://img94.imageshack.us/img94/593/pa ... temoin.jpg

Sources :
Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34.
Photo : Collection Jean-Michel Robert.


Cinq marins norvégiens et six marins de l'île d'Yeu sont enterrés dans le cimetière de Névez.
La tombe des marins du cargo norvégien Ymer, aujourd’hui dans le cimetière de Névez (Finistère). L’un d’eux n’a été identifié qu’en 1998. On aperçoit au pied de la croix, une plaque portant le nom des canotiers ogiens également morts dans l’aventure :

http://img44.imageshack.us/img44/5648/y ... snorve.jpg

Sources :
Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34.
Photo : Collection Jean-Michel Robert.



Pour exprimer sa reconnaissance pour le dévouement dont ont fait preuve les hommes du canot se portant au secours de l'équipage de l'Ymer, le gouvernement norvégien décerne la médaille d’or du sauvetage au patron Noé Devaud et la médaille d’argent du sauvetage à ses équipiers, Olivier Plessis, Pierre Girard, Baptiste Tonnel, Alexandre Gouillet et Emmanuel Tourbé. Jean-Pierre Marrec, le pêcheur, inscrit maritime de Concarneau, se voit également attribuer la médaille d’argent du sauvetage.

Noé Devaud, le patron du canot Paul Tourreil, après le drame de janvier 1917. Il a effectué 17 sauvetages qui lui ont valu diverses médailles, dont la Légion d’Honneur :

http://img193.imageshack.us/img193/6247 ... nnoede.jpg

Sources :
Le Marin du vendredi 11 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 38.
Photo : Collection SNSM.


Les sauveteurs rescapés, après le drame : le patron Noé Devaud est à gauche :

http://img138.imageshack.us/img138/6185 ... pescan.jpg

Sources :
Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34.
Photo : Collection SNSM.


Un canot de sauvetage de l’île d’Yeu s’est appelé plus tard Patron Noé Devaud, en hommage au héros de l’aventure :

http://img694.imageshack.us/img694/8575 ... aucano.jpg

Sources :
Le Marin du vendredi 18 décembre 2009, rubrique "Mémoire", page 34.
Photo : Collection SNSM.


En 1922, la Norvège finance également l'érection d'un monument sur l'île d'Yeu. Œuvre du sculpteur Stephan Siding, remplacé par une autre sculpture (lire le Marin du 4 décembre), il est inauguré le 5 juillet de cette année-là, conjointement par le Baron de Wedel Jarlsberg, ministre de Norvège, et M. Rio, sous-secrétaire d'État à la Marine Marchande (parmi l'équipage du cargo norvégien Ymer, figurent au moins un marin suédois et un néerlandais).
En 1997, pour le 80ème anniversaire de la dramatique aventure, le club des rameurs de Port-Joinville a organisé un pèlerinage sur le même trajet que le Paul Tourreil, entre l'île d'Yeu et la côte sud du Finistère. Le canot de la SNSM de l'île d'Yeu, le Président Louis Bemard, a accompagné une embarcation mue à l'aviron qui a effectué le voyage avec 8 rameurs et un barreur et qui a été rejointe en mer par une autre unité de la SNSM, la vedette Ar Beg.

À l'arrivée, un officier mécanicien de la Marine norvégienne, diverses associations et personnalités ainsi que Pierre Marrec, l'attendaient pour un ensemble de cérémonies émouvantes.

Fin de l’article.





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