CHAMPLAIN - Compagnie des Chargeurs Réunis

olivier 12
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Re: CHAMPLAIN - Compagnie des Chargeurs Réunis

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

Et voici une photo de l'UB 128

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et lors de sa reddition aux Anglais le 3 Février 1919. Il fut démoli en 1921.

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Cdlt
olivier
Rutilius
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CHAMPLAIN ― Cargo mixte frigorifique ― Compagnie des Chargeurs réunis (1913~1918).

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Bonjour à tous,

Champlain ― Cargo mixte frigorifique ― Société des Chargeurs réunis (1913~1918), Le Havre.

Cargo mixte frigorifique lancé le 5 août 1913 à Nantes par la société anonyme des Ateliers et Chantiers de la Loire [Siège social : 11 bis, boulevard Haussmann, Paris (IXe Arr.)] pour le compte de la société a-nonyme dite Société des Chargeurs réunis [Siège social en 1914 : Paris, 10, boulevard Malesherbes (VIIIe Arr.)] ; n° de chantier, 472. Francisé le 6 janvier 1914 au Havre, n° 5.024. Immatriculé le 10 janvier 1914 audit quartier, f° 506, n° 1.520.

En 1918, était armé militairement d’un canon de 90 mm à la proue et d’un canon de 140 mm à la poupe.

Torpillé le 21 août 1918 par le sous-marin allemand UB-128 (Kapitänleutnant Wilhelm CANARIS), à 150 milles des Îles Berlingas et à 124 milles à l’Ouest du cap Mondego (Portugal), par 40° 10’ N. et 11° 42’ W. Alors commandé par le capitaine Auguste Fernand Louis LECLÈRE, capitaine au long-cours, inscrit au quartier de Cherbourg, n° 65, qui fut retenu prisonnier à bord du sous-marin, puis interné en Alle-magne.

Caractéristiques générales. — Jauge : 7.802,12 tx jbt, 7.417,82 tx jb et 4.646,59 tx jn. Port en lourd : 9.180 t. Dimensions : 127,38 x 16,42 x 10,53 m. Propulsion : Machine à triple expansion d'une puissance de 4.000 cv ; trois chaudières timbrées à 14 kg ; une hélice. Vitesse aux essais : 14 nœuds.

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Inscription maritime ― Quartier du Havre ― Matricules des bâtiments de commerce (1902~1980), f°ˢ 1.198 à 1.796 : Archives départementales de la Seine-Maritime, Cote 6Psup01_06, p. num. 151.

Jean BAUGÉ & René-Pierre CAUGAN : « Histoire maritime des Chargeurs réunis et de leurs filiales », éd. Barré & Dayez, Paris, 1984, p. 262.

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CHAMPLAIN – Le Havre, f° 506, n° 1.520 - .JPG
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Bien amicalement à vous,
Daniel.
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CHAMPLAIN ― Cargo mixte frigorifique ― Compagnie des Chargeurs réunis (1913~1918).

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Bonsoir à tous,

Le capitaine du cargo mixte frigorifique Champlain
lors de la perte de ce bâtiment


— LECLÈRE Auguste Fernand Louis, né le 21 octobre 1875 à Fermanville (Manche) et décédé le 23 oc-tobre 1950 à Malo-les-Bains (Nord). Capitaine au long-cours, inscrit au quartier de Cherbourg, n° 65.

• Fils de Pierre Auguste Adolphe LECLÈRE, né le 1er août 1844 à Fermanville, capitaine au long-cours, et de Maria Céleste Camille RAOULT, née le 1er mai 1850 à Fermanville, sans profession ; époux ayant contracté mariage dans cette commune, le 3 décembre 1874 (Registre des actes d’état civil de la com-mune de Fermanville, Année 1874, f° 36, acte n° 83 ~ Registre des actes d’état civil de la commune de Fermanville, Année 1875, f° 49, acte n° 91).

• Époux d’Antoinette Christine SIPIETER, née le 4 juillet 1893 à Malo-les-Bains (Nord), décédée le 3 avril 1980 à Rosendaël (– d° –) (Registre des actes de naissance de la commune de Malo-les-Bains, Année 1893, f° 16, acte n° 43), avec laquelle il avait contracté mariage à Malo-les-Bains, le 18 octobre 1930 (Registre des actes de mariage de la commune de Malo-les-Bains, Année 1930, f° 29, acte n° 63).

Fille naturelle de Caroline Louise PETYT, née le 21 novembre 1862 à Dunkerque (Nord), couturière ; légitimée par le mariage de sa mère avec Alfred Émile François SIPIETER, né le 2 mai 1851 à Dun-kerque, employé de commerce, puis marchand de futailles, union célébrée le 12 janvier 1902 à Rosen-daël (Registre des actes de mariage de la commune de Rosendaël, Année 1902, f° 3, acte n° 3).

Distinctions honorifiques

□ Par décision du Commissaire aux Transports maritimes et à la Marine marchande en date du 14 no-vembre 1919 (J.O. 16 nov. 1919, p. 12.946), félicité pour la bonne tenue des postes d’équipage et le bon entretien des machines du cargo Amiral-Troude, de la Société des Chargeurs réunis, bâtiment dont il exerçait alors le commandement.

□ Par décret du 4 août 1932 (J.O. 7 août 1932, p. 8.666), nommé au grade d’officier dans l’Ordre du Mérite maritime.
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Bien amicalement à vous,
Daniel.
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Bonsoir à tous,

Le Marin Combattant, n° 28, Octobre 1937, p. 3.


PRISONNIER A BORD D'UN SOUS-MARIN ALLEMAND

Récit de M. LECLÈRE, Capitaine au long-cours


Commandant le vapeur Champlain, de la Compagnie des Chargeurs réunis depuis le début de la guerre, je fus torpillé et coulé par un sous-marin allemand, dans la nuit du 20 au 21 août 1918, à environ 170 milles au large de Lisbonne.
Ayant quitté mon navire le dernier, quand j’accostai le sous-marin, les autres canots étaient réunis autour de lui, et le second capitaine, M. Pansard avait été pris comme otage.
A mon arrivée, le second rejoignit son canot et je fus envoyé à l'intérieur du sous-marin, tranquille sur le sort de mon équipage au complet. Je savais que les embarcations étaient bien approvisionnées et il faisait beau temps.
Alors commença pour moi une existence dont le souvenir restera toujours à ma mémoire.
Comme il faisait nuit, le sous-marin se maintint quelque temps en surface, attendant le retour d’une équipe partie pour achever de couler mon malheureux navire. Après quelques ordres brefs, un bruit de canot embarqué, et, toujours en surface, on mit les machines en route.
La place qu’on m’avait assignée était dans le poste de l’équipage, au-dessus des accumulateurs.
Le premier compartiment en regardant face à l’avant contenait les appareils de plongée et le poste de T.S.F.
Le deuxième compartiment comprenait le poste et le carré des officiers, et, enfin, le troisième était la chambre des torpilles. Elle en contenait 8.
Sur l’arrière du poste d’équipage, le compartiment des machines, sur l’arrière de celui-ci, la cuisine électrique et enfin, la torpille de fuite.
Au bout d’une heure environ, j’eus la visite du Commandant, un enseigne de vaisseau, parlant bien le fran-çais comme j’avais pu le constater en accostant.
Il me demanda d’abord en allemand si je le comprenais. Ayant quelques notions de cette langue, je pus lui dire que, n’ayant pas pratiqué depuis longtemps, je préférais qu’il m’interrogeât en français.
Mais ce Commandant était sans doute curieux ; car aussitôt il m’adressa la parole en anglais, et cette fois, je lui répondis couramment.
Non encore satisfait, et sans doute pour me faire voir que les Allemands étaient polyglottes, ou savoir quelle langue il pourrait parler sans que je le comprenne, il se mit à me parler en espagnol. A cette époque, je parlais cette langue aussi couramment que le français ; je ne fus donc pas embarrassé et, à mon tour, je lui demandais, en portugais, s’il parlait cette langue. « Oh non ! me répondit-il en espagnol. Sale langue et sales gens ! »
Parbleu, les Portugais étaient nos alliés.
Il me dit alors : « Comme personne ici ne comprend l’espagnol, quand j’aurai quelque chose à vous dire, je vous causerai dans cette langue ! ».
Il me fit venir dans le carré des officiers, où, sur la table, je remarquai une carte marine pliée, et me de-manda combien il y avait de navires dans le convoi dont je faisais partie et quelle route il faisait.
Je lui répondis que je ne pouvais lui donner ces renseignements.
« Commandant, me dit-il, je m’y attendais, et à votre place, j’en aurais fait tout autant ; mais, regardez, je suis bien renseigné. »
En effet, sur la carte dépliée, je vis notre route tracée depuis le départ du canal de Bristol.
Il me raconta alors qu’il était parti de Kiel, avait passé au Nord de l’Angleterre où il avait failli être torpil-lé, et se rendait à Pola, sa base, où il devait arriver vers le 7 septembre.
« Si je vous ai aperçu, c’est grâce à la partie blanche du maquillage de votre coque, frappée par un rayon de lune. Mais je vous pourchassais depuis quelques heures, car votre officier de quartM. Vesval, actuellement Commandant —, m’a donné du fil à retordre avec ses zigzags. A un certain moment, il est venu de 90°, le cap sur moi ; j’ai cru qu’il m’avait vu. J’ai dû plonger et refaire beaucoup de route en surface avant de vous avoir. Maintenant, vous êtes mon prisonnier. J’espère que vous ne serez pas longtemps seul. Vous serez traité comme l’équipage, avec qui vous mangerez, et, si vos contre-torpilleurs ne nous coulent pas, vous débarquerez à Pola dans une quinzaine de jours. »
Ayant réintégré ma place, dans le poste, j’entendis le bruit d’une bouteille de champagne que l’on débou-chait. Sans doute provenait-elle du Champlain !
Ce Commandant a toujours été très correct, et, à plusieurs reprises, a empêché son second de manquer de correction à mon égard.
Le matin et le soir, au moment où l’équipage, en partie sur le pont, s’y attendait le moins, on faisait l’e-xercice de plongée.
Le Commandant m’ayant laissé le peu d’argent que j’avais, ainsi que ma montre-bracelet, je pus constater que, du moment où j’entendais l’ordre : « Tauch Statunen » (« Au poste de plongée ! ») à celui où le périscope était remonté, c’est-à-dire quand le sous-marin était invisible, il ne se passait pas plus de 35 secondes en moyenne ; j’entendais l’eau envahir les ballasts.
L’équipage, sur un ordre, se portait soit devant, soit derrière, jusqu’à ce que le navire soit bien balancé ; tout devenait silencieux, les moteurs électriques ne faisant aucun bruit.
Quand on remontait, le Commandant me faisait toujours rappeler de me boucher les oreilles pour remédier aux variations de pression.
Le lendemain de ma capture, au soir, je fus autorisé à prendre l’air sur le pont. C’était une belle nuit claire de fin Août. Rien en vue.
L’antenne de T.S.F. était dressée et, à la tête que fit le Commandant quand on lui apporta le commu-niqué, je pensais que les alliés continuaient d’avancer rapidement.
Dans le kiosque, trois hommes se partageaient la veille, chacun scrutant un tiers de l’horizon avec des ju-melles à prismes lestées et protégées de telle manière qu’en plongeant, elles restaient sur place. On ne s’en occupait pas. En revenant en surface, les hommes les essuyaient avec un chiffon et du papier de soie.
« Ne croyez pas surtout, me dit le Commandant, qu’en cas d’alerte je vous laisserai sur le pont. Vous descendrez le premier ; je veux prouver que nous ne sommes pas si cruels qu’on le dit ! »
Lui, certainement non, mais d’autres l’avaient été, cruels et sauvages.
Pendant trois jours, le sous-marin guetta les convois à l’ouvert du détroit de Gibraltar : de Saint-Vincent à la Côte d’Afrique.
Plusieurs fois, j’entendis le : « Au poste de plongée ! ». Je vis tout l’équipage, retenant son souffle, prêt à lancer la torpille, mais durant les 17 jours que je passai à bord, il n’en fut pas lancé une seule.
C’est qu’à ce moment, les Allemands avaient une peur terrible des contre-torpilleurs, des avions et des bombes à éclatement sous l’eau dont il avaient muni les navires de commerce.
J’entendais soudain un ordre du Commandant : « Trop près ! Plongez à 15 mètres et stop ! », ou « Plongez ! Un contre-torpilleur arrive sur nous. », ou « Le navire de queue du convoi nous a vus. Vite ! plongez à 20 mètres. »
Le deuxième jour, en traversant le poste, le Commandant me dit que des sous-marins ennemis étaient signalés dans les parages, qu’il allait zigzaguer et qu’il essaierait d’entrer en Méditerranée le lendemain.
En effet, le lendemain, vers 21 heures, par une brume intense, nous franchîmes le détroit en surface, les moteurs à toute puissance, et ne plongeâmes qu’au moment où la brume se levant, les projecteurs de Gibraltar balayèrent le détroit. Je n’ai rien oublié de mon séjour à bord de ce sous-marin, mais je frémis encore quand je pense à cette terrible nuit.
En effet, à peine avions-nous disparu de la surface que le navire piqua tout d’un coup. Tout le monde était affolé ; les objets, en tombant, faisait un bruit infernal ; les ordres succédaient aux ordres. Le chef méca-nicien annonçait avec terreur les chiffres du manomètre de profondeur et un Alsacien, qui se trouvait parmi l’équipage, se fit connaître en me disant : « Nous sommes fichus. ». Les parois du sous-marin cra-quaient et l’eau filtrait un peu partout.
Enfin, j’entendis un coup de masse dans la chambre de manœuvre. Il y eut une secousse effroyable et nous remontâmes comme un bouchon.
Au risque de se faire couler par un patrouilleur, tout l’équipage sauta sur le pont. J’entendis une discus-sion orageuse et ce n’est qu’au bout d’une heure environ que le calme revint.
Le Commandant me dit : « Nous l’avons échappé belle. Une soupape était coincée. Quand on a réussi à la manœuvrer, nous étions à 80 mètres. Quelques secondes de plus, j’allais nous faire sauter pour ne pas souffrir. Vous n’avez pas de chance, car si un patrouilleur avait été là, j’étais obligé de me rendre. Mon équipage ne voulait plus descendre, mais maintenant ils sont redevenus raisonnables. »
Sur ce, il me quitta, versa un verre de rhum à tout le monde ; la soupape fut vite réparée et la croisière en Méditerranée commença, pas plus fructueuse d’ailleurs, car aucune torpille ne fut lancée.
Ce fut d’abord entre les Baléares et l’Algérie, où de nombreux convois furent aperçus, mais il manquait toujours quelque chose pour que l’attaque fut possible. Un après-midi, nous étions en surface. Une petite voile apparut à l’horizon. Elle devait être attendue, car le Commandant donna des ordres pour l’appro-cher. Quand nous fûmes à environ un mille, le sous-marin braqua son canon dessus et commença à tourner autour en s’en rapprochant peu à peu, jusqu’à ce que, dans ses jumelles, le mot de passe, inscrit sur une planchette, put être reconnu.
Le Commandant me fit descendre pour que je n’assiste pas à l’entrevue, mais comme l’équipage mangeait et m’offrait même beaucoup d’oranges, je supposai que c’était un espagnol qui les avait ravitaillé.
Quelques jours après, un dimanche midi, le canot fut mis à la mer et les marins capturèrent une tortue que le cuisinier arrangea convenablement.
Tout à coup, un convoi fut aperçu à l’horizon, vers la côte d’Algérie. Le Commandant avait l’intention de l’attaquer, mais la vigie signala une saucisse et le télégraphiste remit au Commandant un radio de cette saucisse signalant notre position au convoi. Nous aperçûmes distinctement les contre-torpilleurs changer leur route et foncer sur nous.
Alors tortue et canot sont rentrés en vitesse, et, plongeant à 20 mètres, nous nous y tenons jusqu’à la nuit.
« Vos ballons veillent bien, me dit le Commandant. C’est bien notre position qui a été donnée, mais à cette profondeur, je ne crains pas les bombes. »
Les journées qui suivirent se passèrent sans incident. La croisière au Sud de l’Italie ne donna pas plus de résultats, et, les radios reçus de Pola, enjoignant au Commandant de rentrer à sa base, il commença à songer au moyen d’exécuter cet ordre.
Il savait que le canal de Malte était miné, mais manquait de renseignements exacts sur la position des mines. Il ne savait trop quelle route suivre, quant un navire-hôpital fut signalé, faisant de l’Est. Immé-diatement, il se met en plongée, laisse passer le navire et le suit jusqu’en dehors de la zone minée.
Le lendemain, 3 septembre, je crois, le Commandant me dit : « Il faut que nous passions le canal d’Otrante demain 4. C’est notre dernier risque, mais il est gros. Il y a des patrouilleurs nombreux, des mines suspendues et des filets qui descendent à 30 mètres. Il y a aussi des avions. Il ne faut pas compter passer de nuit en surface. Nous passerons de jour à 40 mètres de profondeur. » Ce qui fut fait.
Le 4, à 5 heures du matin, nous descendîmes à 40 mètres et fîmes route toute la journée à la vitesse de 5 nœuds à cette profondeur, jusqu’à 7 heures du soir, c’est-à-dire pendant 14 heures. L’air était purifié par un procédé chimique dont j’ignore le principe.
Pendant cette journée, où les moteurs électriques ne stoppèrent pas, le personnel machine visita les moteurs Diesel, faisant le quart de 6 en 6 sans arrêt, vie qu’ils menaient depuis leur départ de Kiel, soit 31 jours.
Ces hommes me donnaient l’impression d’être très fatigués, découragés ; la plupart étaient couverts de boue sale, car il n’y avait que de l’eau salée pour se laver avec un produit spécial.
Cependant, la nourriture était abondante, faite de bonnes conserves, de chocolat à l’eau et de thé à dis-crétion, avec du bon pain conservé en boîtes en fer blanc. Si les prisonniers en Allemagne avaient eu la nourriture que j’avais sur le sous-marin, il n’en serait pas mort autant.
Au moment de remonter après ces 14 heures de plongée, le Commandant me demanda si je ne ressentais aucun malaise. Lui ayant répondu que « non », il me dit : « Pour deux de mes hommes et pour moi, il est temps, car nous avons quelque chose au cœur. »
A 7 heures du soir, nous voilà donc en surface, filant à toute vitesse vers le fond de l’Adriatique. L’équipage, tranquille désormais, chante en cœur sur le pont des airs d’un opéra, le Tode Stadt (La Ville Morte), et voit avec plaisir la fin de la campagne.
Le 5, nous fîmes escale à Cattaro, où tout le monde put se laver et se reposer.
Le 6, nous touchâmes à Spalato et le 7, après un échouage sans gravité d’une demi-heure, nous arrivâmes à Pola.
Au moment de l’accostage, le Commandant de la base, ignorant que je comprenais l’allemand, dit au Commandant du sous-marin : « Vous ne repartirez pas. La guerre est perdue pour nous ! » Les officiers firent une triste mine, mais combien l’équipage me paraissait heureux et ... moi aussi.
Deux heures plus tard, ce même Commandant de la base me faisait venir à son bureau où il m’attendait en sabots, les jambes croisées, fumant une cigarette. Il m’en offrit une et me dit en excellent français : « Eh bien, Commandant ? Qu’en dites-vous ? Y croyez-vous toujours aux Américains ? Quelle blague ! La guerre est bientôt terminée, mais pas comme vous le croyez. Je vais vous faire donner une cabine de 1re classe sur le paquebot Wien, où vous passerez la nuit, et demain, vous partirez par le train pour Karlsruhe, où vous accompagnera un soldat. »
« Vos Américains ! Vous me faites rire. Il n’y en a pas plus de 10.000 chez vous et on nous raconte qu’il en débarque 10.000 par jour ! ».
Ayant compris ce qu’il avait dit en allemand à l’arrivée du sous-marin, je ne pus m’empêcher de sourire.
Le 8 au matin, j’étais donc dans la salle d’attente de la gare, flanqué de mon garde du corps, lorsqu’il me sembla qu’un officier irrédent de service me faisait des signes. Quelques instants après, mon gardien s’ab-senta, et cet officier s’approchant me dit rapidement en français : « Ne vous désolez pas. Vous ne serez pas longtemps prisonnier. Il sont battus. Vous ont-ils donné assez de vivres ? Car il faut compter trois jours de voyage ». « Merci Monsieur, vous me faite bien plaisir ».
Au moment de monter en wagon, je reçus un colis de fruits, qui, à n’en pas douter, venait de cet officier.
De Pola, la voie monte à grande altitude, traversant un pays sauvage. Voyage monotone à côté de mon gardien qui, lui, abondamment pourvu, pouvait se permettre de manger sans arrêt. Enfin, lui ayant passé quelques fruits, il me donna du saucisson et ne tarda pas à s’apercevoir que je ne pourrais lui fausser com-pagnie.
A mesure que le voyage avançait, il devenait plus communicatif et j’allais bientôt savoir pourquoi.
La veille d’arriver à Munich, mon gardien me donna un bout de saucisson plus long et me demanda si cela me plairait, en attendant le train pour Karlsruhe, de faire une promenade dans Munich. Je fus étonné de cette proposition et lui fit comprendre qu’étant prisonnier, je craignais l’hostilité des gens et qu’on me prit pour un évadé.
Il me fit alors la confidence que sa fiancée était de Munich, mais que, ne pouvant abandonner son prisonnier, il ne pouvait la voir que si je consentais à l’accompagner. Je devinais l’astuce du soldat, me mis à rire et lui dit : « Je veux bien vous suivre si vous m’assurez que je n’aurai pas d’ennuis. » « Ia, ia, pas rien dire à Français à Munich. »
Aussitôt arrivé en gare, vers 8 heures du soir, je crois, accompagné de mon gardien, fusil sur l’épaule, je montai dans un tramway. Après quoi, dans une petite rue, il frappa à une porte avec la crosse de son fusil.
Une jeune femme blonde, pas laide ma foi, vint ouvrir toute réjouie. Le soldat l’embrassa, ô combien ! me fit entrer dans la cuisine, où il m’enferma avec un pichet de bière et quelques sandwichs... et disparut.
Au bout de 2 heures — juste le temps nécessaire pour ne pas manquer le train — et après que j’eus en-tendu un remue-ménage de toutes sortes d’ustensiles, mon gardien vint me chercher ; après qu’il eut serré sa fiancée dans ses bras, tous deux rouges comme des coquelicots, il me fit reprendre le tramway et le train. Personne n’avait fait attention à moi.
Avant de monter dans le wagon, je dus passer devant la Kommandantur allemande dont le bureau était installé en gare. Dans ce bureau était une carte des opérations signalant l’avance et le recul des belligé-rants. Quelle ne fut pas ma joie en constatant le recul important que les Allemands avaient subi depuis 20 jours. Mais aussi, quelle fureur dans les yeux de l’officier allemand auquel mon sourire n’avait pas échap-pé.
A mon arrivée à Karlsruhe, je fus enfermé pendant 15 jours, seul, dans une chambre de l’hôtel Europa, sans voir personne, ne sortant que pour nécessités et accompagné. Puis, le seizième jour, je fus transféré dans une grande salle avec une dizaine de prisonniers fraîche-ment cueillis et sortant, eux aussi, d’une chambre isolée.
Les Allemands avaient muni cette salle de microphones et escomptaient que, privés de causer depuis longtemps, lorsque nous nous trouverions ensemble, nous révélerions des choses intéressantes pour eux. Mais, à peine étions nous réunis, que l’un des dix mettait le doigt sur sa bouche et les Allemands en étaient pour leurs frais.
Quelques jours plus tard, nous fûmes renvoyés dans le camps des prisonniers, puis quand les Allemands reculèrent précipitamment, transférés à Torgau. Là, j’y rencontrai mon collègue et ami Lenormand (*), qui, par la bonne nourriture dont il me fit profiter, me sauva la santé, sinon la vie.
Ma famille et la Compagnie des Chargeurs réunis m’avaient bien envoyé des colis, mais il fallait un tel délai pour les recevoir, surtout au recul des Allemands, que, pendant mes 4 mois de prisonnier, je n’en reçus qu’un seul de chaque expéditeur.
Nous ne fûmes évacués que le 24 décembre 1918. Lenormand rentra au Havre et moi à Cherbourg, tous deux via Hambourg et voie de mer.

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(*) René Pierre LENORMAND, capitaine au long-cours, inscrit au quartier du Havre, n° 358.

Fait prisonnier le 14 septembre 1917 par le kapitänleutnant Robert Wilhelm MORAHT, commandant le sous-marin allemand U-64, après que celui-ci eut arraisonné puis coulé au canon le cargo mixte Amiral-de-Kersaint, bâtiment de la Compagnie des Chargeurs réunis dont René LENORMAND exerçait alors le commandement. Interné le 5 oc-tobre 1917 au camp de prisonniers de Karsruhe (Bade-Wurtemberg). Transféré le 22 octobre 1917 au camp de pri-sonniers de Blankenburg (Harz) (Saxe-Anhalt). Transféré le 7 novembre 1918 au camp de prisonniers de Torgau (Brü-ckenkopf, Saxe).
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Bien amicalement à vous,
Daniel.
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