Bonjour à tous,
• Le Journal de Rouen, n° 333, Mardi 28 novembre 1916, p. 2.
Une belle Cérémonie militaire à bord du Saint-Louis
Le Capitaine Léon reçoit la Croix d’honneur
Il y avait fête hier après-midi à bord du Saint-Louis, fête patriotique qui remplissait de joie l’admirable état-major de ce beau navire et son vaillant équipage qui n’avait pas revu, depuis la déclaration de guerre, le port de Rouen qu’il visitait autrefois régulièrement.
Le Saint-Louis, une de plus belle unités de 7.500 tonnes de la Société navale de l’Ouest, qui a un service régulier de Rouen sur l’Espagne, l’Algérie, l’Italie, Cette, Marseille, etc. se trouvait en Méditerranée à l’ouverture des hostilités. Commandé par un homme énergique, M. Émile Léon, capitaine au long-cours, enseigne de vaisseau de 1re classe, doublé d’un état-major d’élite composé de MM. Plusquellec, second capitaine ; Villedieu, premier lieutenant ; Lebastard, deuxième lieutenant ; Frelet, chef mécanicien ; Dubois et Palvadeau, troisième et quatrième mécaniciens, le Saint-Louis fut réquisitionné par le gouvernement pour ravitailler les unités de la flotte de guerre en Méditerranée, depuis les plus petites jusqu’aux plus gros cuirassés. En vingt-sept mois, il effectua vingt-sept voyages sur Milo, Corfou, Bizerte, Malte, etc., au milieu de dangers sans nombre, secourant des navires en perdition, recueillant des naufragés, luttant au canon contre les sous-marins ennemis. Nous dirons plus loin comment le gouvernement a récompensé les services du capitaine Léon, mais nous rendrons, dès maintenant, hommage au dévouement du courageux équipage du ravitailleur Saint-Louis, dont le second capitaine, M. Plusquellec, et le premier lieutenant, M. Villedieu, ont reçu le témoignage officiel de satisfaction suivant du ministre de la Marine :
« A énergiquement secondé son capitaine par les manœuvres effectuées par le Saint-Louis pour recueillir à son bord les naufragés du vapeur Antonie, torpillé par un sous-marin ennemi à l’Ouest de Cerigoto, le 3 octobre 1915. »
A propos de ce sauvetage de l’équipage de l’Antonie, le capitaine Léon reçut du ministre de la Marine la médaille de 1re classe et cette citation :
« A fait preuve de sang-froid et d’énergie en recueillant, au risque d’être coulé lui-même, l’équipage contenu dans une baleinière du vapeur Antonie, torpillé par un sous-marin autrichien à 60 milles à l’Ouest de Cerigoto, le 3 octobre 1915. »
Le 17 avril 1916, le capitaine Léon obtenait de nouveau un témoignage officiel de satisfaction pour s’être porté au secours d’un navire anglais attaqué par un sous-marin et avoir empêché cette attaque.
La place dont nous disposons ne nous permet pas, à notre grand regret, d’énumérer tous les actes de bravoure, souvent très émouvants, accomplis par le capitaine Léon et son équipage.
Enfin, le 2 novembre dernier, le Saint-Louis, après plus de deux ans de navigation dans la Méditerranée, quittait Oran pour venir à Rouen avec une cargaison de vin. Parti par beau temps, il trouva, après avoir passé le détroit de Gibraltar, une mer très dure dans l’Océan ; elle grossit encore dans le golfe de Cadix.
Le 6, le navire ayant doublé le cap Saint-Vincent, et le temps ayant tourné à la tempête, une gerbe d’eau fut aperçue à 400 mètres environ de l’avant du navire, provoquée par la chute d’un obus lancé, à n’en pas douter, par un sous-marin invisible jusqu’alors. Le capitaine Léon venait de donner l’alerte et l’équipage avait occupé les postes de combat ; un deuxième obus tomba à 600 mètres.
Le capitaine aperçut à ce moment, après avoir commandé de forcer l’allure et manœuvré pour éviter l’assaillant, le sous-marin à la crête d’une lame, dans le N.-O. Il disparut ensuite, après avoir tiré un troisième coup trop court de 100 mètres, dans la vague profonde de six mètres. Le capitaine Léon, autant qu’il eut le moyen de l’examiner, estime qu’il s’agissait d’un sous-marin de type U-35.
Le Saint-Louis, armé pour sa défense, tira successivement, tout en manœuvrant, deux coups de canon et en lançant des appels par sans fil. Devant cette réception, le sous-marin abandonna l’attaque et disparut en plongée.
A son arrivée à Rouen, le capitaine Léon eut l’agréable surprise de recevoir la citation suivante concernant son bâtiment :
« Le Saint-Louis a eu l’avantage, le 21 avril 1915 [le 21 août 1915], de recueillir et de prendre en remorque, jusqu’à Bizerte, un ponton de l’État, le Marcetta, trouvé abandonné à mi-route de Toulon à Bizerte.
De sauver l’équipage complet du vapeur français Antonie qui venait d’être coulé par un sous-marin le 3 octobre 1915.
De se porter au secours du vapeur anglais Esneh, le 18 janvier 1916, alors qu’il était attaqué par un sous-marin allemand, et d’avoir fait fuir ce sous-marin.
Le 6 novembre 1916, de lutter contre un sous-marin allemand en pleine tempête, et par son tir, d’avoir obligé le submersible à plonger. »
Enfin, tout récemment, par arrêté ministériel du 10 novembre, le capitaine du Saint-Louis était inscrit au tableau de la Légion d’honneur pour le grade de chevalier avec cette mention :
« M. Émile-Philippe Léon, enseigne de vaisseau de 1re classe auxiliaire, commandant le ravitailleur Saint-Louis n° 5. A, par son courage et sa résolution, sauvé plusieurs fois son navire attaqué par des sous-marins. Avait déjà à son actif plusieurs actes de courageuse assistance à des bâtiments torpillés. Croix de guerre. »
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La remise de Croix
C’est à l’occasion de la remise de croix au capitaine Léon que le Saint-Louis, amarré en ce moment au bassin au bois, était en pleine animation hier après-midi. En poupe et en proue, le pavillon national flottait, frémissant à la brise. Un détachement de marins de la flotte de guerre s’était rendu à bord pour rendre les honneurs.
C’est le capitaine de vaisseau de Marguerye, président de la commission du port de Rouen, qui comman-dait le cuirassé Suffren portant le pavillon de l’amiral Guépratte, aux Dardanelles, à qui le grand chancelier de la Légion d’honneur avait confié mission de remettre la croix au capitaine Léon. Lui-même, on s’en souvient, fut élevé à la dignité de commandeur, au mois de juillet dernier, pour cette citation :
« A mené son bâtiment au feu avec autant de brillant que d’énergie, dans un violent duel d’artillerie engagé à petite distance contre des forts puissamment armés ; a été cité à l’ordre de l’armée. »
Salué à son arrivée à bord par la sonnerie et batterie des clairons et tambours du 74e d’infanterie, envoyés par la Place, le capitaine de vaisseau monta sur le panneau de la cale arrière, face au récipiendaire derrière lequel, l’épée à la main, se sont placés les légionnaires de la Marine, MM. : le lieutenant de vaisseau Mascart ; le commandant du port Lespierre ; l’enseigne de vaisseau Gaignet.
On remarque également, dans cette partie du navire, avec l’état-major et l’équipage, MM. :
Bouteleu, principal au Havre de la Société navale de l’Ouest, représentant le directeur à Paris, souffrant ; Viou, associé de M. Clamagerau (transports maritimes) ; Gardanez, administrateur adjoint de la Marine ; Moureau, inspecteur de la navigation ; Ernest Deshayes, courtier maritime, président du Syndicat de la Vallée de la Seine ; Gloria et Lacoste, membres de la Chambre de commerce ; Augelé et Héraud, capitaines visiteurs ; Lory, inspecteur principal des Douanes, et Tranier, capitaine des Douanes ; Borde-Fretigny, armateur ; Dupendant, pilote-major ; Lagarde, conseiller municipal ; Fischer, ingénieur de la Chambre de commerce ; Quittard, capitaine Eon, du vapeur Saint-Pierre, des officiers du port et nombre de personnes appartenant à des services de la Marine.
Le capitaine Léon habite Rouen. Aussi était-ce une grande joie pour Mme Léon et les trois enfants du vaillant marin de pouvoir assister à cette cérémonie.
Le capitaine de vaisseau de Marguerye, après avoir fait ouvrir le ban, et prononcé la phrase sacramentelle, épingle sur la poitrine du récipiendaire la croix de chevalier de la Légion d’honneur à côté de la médaille de sauvetage de 1re classe ; il lui remet ensuite la croix de guerre avec palme. Dans une allocution où percent la sympathie et l’affection qu’il porte aux courageux marins de la flotte commerciale, l’officier supérieur félicite avec chaleur le nouveau légionnaire et donne à ses auxiliaires de judicieux conseils sur l’attitude que doivent avoir les équipages à l’égard des pirates de la mer. Il complimente également Mme Léon à qui le personnel du Saint-Louis remet des fleurs.
A son tour, M. Bouteleu s’adresse au capitaine du Saint-Louis ; il excuse le directeur, M. Bosquet, retenu à Paris par son état de santé, et lui remet, au nom du conseil d’administration de la Société navale de l’Ouest, une croix en diamants. Il dit toute sa satisfaction d’avoir été chargé de cette mission et lui adresse les félicitations du conseil, du directeur et de tout le personnel.