Mousse sur le VULCANUS, cargo dont le Capitaine sauva mon grand-père orphelin de la maltraitance et lui permit de devenir marin engagé volontaire dès ses 15 ans à la veille de la Grande Guerre.
- Il quitta Bab-el-Oued et s'embarqua.png (328.23 Kio) Consulté 443 fois
Mon grand-père François Alexandre RAVIS fut recueilli comme mousse sur ce cargo en 1913. Tout au début de 1913, très certainement en janvier, il profita d'une course vers Alger et fugua jusqu'au port depuis l'immeuble de son oncle, un ex-fils de charretier de primo-colon valaisan devenu conducteur de "voitures publiques à cheval" (diligences Alger-Blida dans l'algérois) installé au 2 place Lelièvre à la Cité BUGEAUD de Bab-el-Oued et qui avait dépouillé son propre père et son frère cadet en 1891 de l'entreprise familiale, mettant le premier à l'asile et laissant mourir le second dans la misère fin janvier 1898 en plein hiver dix jours après la naissance de son dernier fils François-Alexandre pendant les manifestations anti-dreyfusardes d'Alger. Cet orphelin de père ayant ensuite perdu sa sœur du typhus en 1903 puis sa mère en 1910, l'assistance publique d'Alger avait aussitôt imposé l'adoption du jeune écolier orphelin de 12 ans à son oncle autocrate fortuné qui avait tenté de refuser et qui depuis trois ans maltraitait son neveu qui n'en pouvant plus choisit de s'enfuir le plus loin possible de ce foyer et jusqu'au port d'Alger avec le secret espoir d'y être secouru. Parmi les adolescents qui s'y trouvaient
https://www.geneanet.org/media/public/a ... r-22115383, il fit la rencontre du mousse du cargo S.S VULCANUS de la Cie. SCHIAFFINO & JOUVET à l'embarcadère des cargos de cette compagnie. Ce cargo récemment racheté et rattaché depuis le 15 juin 1912 à Alger était de retour de Bougie et déchargeait à ses entrepôts depuis le 30 décembre 1912 la cargaison de liège qu'il en avait ramené. Le mousse étant de l'âge de mon grand-père, ils sympathisèrent. François Alexandre qui en avait gros sur le cœur s'épancha et lui conta ses déboires familiaux. Son oncle et sa tante l'avaient déscolarisé, en avaient fait leur garçon d'écurie et le faisaient coucher dans la remise du linge sale, près de l'écurie des mules de leur diligence. Ils le stigmatisait et le méprisait. Le mousse dégourdi du cargo S.S VULCANUS, par compassion ou révolté, se prit de sympathie pour le jeune François Alexandre. Il l'invita à rester manger à bord du cargo et lui proposa de le présenter à son Capitaine. Ce dernier, s'il fut bien le même qu'en 1917 aux commandes du VULCANUS, n'était autre qu'Antoine Marie NAVAROLI (
http://monumentmort.corse.free.fr/fotol7e.php?aki=7473), Capitaine au long-cours, inscrit à Bastia au n° 220 originaire du village de Rogliano, où il était né en 1868, fils d’Étienne NAVAROLI et de Marie Angélique VIVAL, un homme valeureux qui, hélas, disparut précocement en mer le 3 juin 1917 à 48 ans lorsque le S.S VULCANUS fut torpillé par le U-boat allemand U-47 du KL Heinrich METZGER.
http://www.histomar.net/GSM/images/vulc5.jpg Son patronyme NAVAROLI figure sur le M.A.M. de Rogliano et dans le Bulletin paroissial 1918, Année 12, N°142, de ce village.
Le Capitaine au long cours NAVAROLI du S.S VULCANUS qui tira mon grand-père de sa misère était un bien brave homme autant qu'un homme brave qui perdit la vie pour avoir voulu tenter de sortir ses mécaniciens de la salle des machines de son cargo éventré en 1917. Après avoir attentivement écouté le récit de son mousse et celui de François Alexandre, il décida sans tarder de porter secours à cet orphelin en demandant à son oncle Joseph François RAVIS, d'accepter d'émanciper son neveu pour lui permettre de le recruter comme second mousse au sein de l' équipage du VULCANUS. La situation de cet adolescent pauvre mais non marginalisé se prêtait sans doute aux besoins de main-d'œuvre fiable du Capitaine pour son cargo, en totale similitude avec le début du film
"Les Mutins du Yorick" de 1959 de Georg TRESSLER sorti en 1962 décrivant la précarité des soutiers clandestins des cargos contrebandiers d'Algérie. L'oncle Joseph François, aussi affairiste qu'il l'était devenu dès 1891, ne se souciant avant tout que de ses intérêts tel le père THENARDIER dans
Les Misérables de Victor HUGO, fut trop heureux de pouvoir se débarrasser de ce neveu revêche à ses sévices qui lui rapportait, selon lui, moins qu'il lui coûtait à le nourrir et vêtir, aussi accepta t-il bien vite, se frottant les mains, l'offre inespérée du Capitaine Cap-Corsin du cargo au cabotage en escale à Alger.
Ainsi sauvé de sa maltraitance et émancipé par la bonté de son Capitaine comme Cosette par Jean VALJEAN dans le fameux roman, François Alexandre devint en six mois pupille de la Marine Marchande de l’État à Alger et un futur marin en début de formation sur le tas, et comme promis, se vit engagé comme mousse au sein de l’équipage du cargo S.S VULCANUS de la Cie. SCHIAFFINO & JOUVET sur lequel il embarqua sans baluchon en juillet 1913. Il put alors quitter son dur foyer adoptif négligeant et maltraitant du 2 rue de Séville (place Lelièvre) avec peu de regret mais beaucoup d'amertume car l'oncle qui l'avait déscolarisé habitait juste en face de son école publique Lelièvre où il avait vu durant trois ans ses anciens camarades d'enfance étudier pendant que lui fut forcé de bouchonner et cureter le crottin des mules de son oncle dans son écurie du 13 rue des Moulins. François Alexandre s'embarqua le 17 juillet 1913
https://www.geneanet.org/media/public/a ... d-22274977, dès que l'administration le lui permit, posant son sac sur le gros cargo VULCANUS qui repartit vers Bône pour y prendre un chargement de phosphate et de liège, emmenant à son bord François Alexandre
https://www.geneanet.org/media/public/e ... e-12053032. A bord, il eut à laver les ponts, les soutes, les coursives et faire les corvées parmi les matelots mais il dormait au propre. Ce n'était pas la panacée, mais il était respecté et "nourri-logé-blanchi" au soin de la Marine et ne subissait plus le mépris de son oncle. Il travaillait dans la bienveillance des matelots d'un équipage qui devint désormais sa famille et qui le fit plus tard gagner Marseille où il fut adopté par une autre famille de marins corses, celle de son beau-père, au sein de laquelle il créa la sienne. L'assistance portée par le Capitaine NAVAROLI à la révolte de mon grand-père qui n'acceptait plus sa famille maltraitante fut déterminante en permettant à cet orphelin de se construire un avenir loin du foyer où il avait été méprisé et exploité. Du fait de son jeune âge lors de son embarquement sur le VULCANUS en 1913, il fut certainement en 1985 l'un des derniers survivant des anciens membres d'équipage de ce cargo.
En juillet 1913, c'était la première fois de sa vie qu'il naviguait et allait quitter Alger et le quartier de son d'enfance, la Basetta des pieds-noirs espagnols de la Cité BUGEAUD à Bab-el-Oued. Il se senti et se sut certainement déraciné mais il venait de retrouver une vraie famille parmi les adolescents émancipés qu'étaient les mousses des équipages d'Alger, des garçons qui se devaient d'être plus vifs, dégourdis, résistants, et endurcis que les durs enfants miséreux des rues affamés, moins chanceux qu'eux-mêmes, auxquels ils se retrouvaient confrontés sur les quais de leurs escales.
Du 18 juillet au 05 août 1913 puis du 06 août au 09 septembre 1913, sur la ligne Alger-Bône-Alger, François-Alexandre fut annoté "mousse débutant", du cargo S.S.VULCANUS naviguant au cabotage
(n° d’armement 336). Il commença de successifs cabotages estivaux entre les ports d'Algérie et de Tunisie, après quoi, la marine marchande, via la Cie. Générale Transatlantique, lui offrit l'opportunité d'une meilleure place qui permit à François Alexandre de quitter, pour un temps, le cargo de son Capitaine Cap-Corsin bienfaiteur, mais il le retrouva à nouveau avant 1917, et Antoine Marie NAVAROLI le repris encore une fois à son bord. Il n'avait pas eu à se plaindre de ce garçon qu'il avait manifestement prit en grande sympathie. Celles ou ceux qui ont connu la bonté et totale probité de François-Alexandre ne s'en étonneront pas. (Sources : Livrets maritimes de François Alexandre RAVIS + son récit oral dont 2 enregistrements audio en 1971 et 1975.)
On retrouve la description du cargo S.S VULCANUS en 1912 dans un entrefilet d'un quotidien d'Alger:
"Le Vulcanus a 75 mètres de long et sa portée est de 2.500 tonnes. Il est arrivé d'Espagne avec 2.100 tonnes de pyrite qu'il vient d'achever de débarquer. Après son passage au bassin pour la visite de sa coque, il sera affecté plus particulièrement au transport des phosphates entre Tunis, Bône, Alger et Oran. C'est le plus fort des 12 navires que compte la Compagnie de navigation côtière algérienne". Source : Le Sémaphore algérien du 14 mai 1912. En 1915, le vieux cargo transportait en effet 2500 tonnes de phosphates entre les ports d'Algérie et Tunis (Source : publicité retrouvée, parue dans
"Le Sémaphore algérien" du 1er janvier 1915). L'image de cette publicité figure à la page 1 de ce sujet.
Il y eut aussi, semble-t-il, un second S.S VULCANUS de la même Cie. SCHIAFFINO & JOUVET, affrété juste un peu plus tard à la veille de la guerre, et qui succéda au premier, avec un tonnage plus faible de 1500 tonnes mais ce n'est pas celui de cette page ni celui qui recueillit François Alexandre.
Bien que d'un plus gros tonnage, le cargo VULCANUS de 1912 de 2500 tonnes ressemblait certainement au cargos SCHIAFFINO de la CNM donc il devrait ressembler à l'image de composition reconstituée ci-dessous à partir du cargo BORÉE qui ressemble à l'image la plus fiable l'identifiant
https://www.geneanet.org/media/public/l ... o-19601824 donnée par Yves DUFEIL sur la page racontant le torpillage du VULCANUS
https://www.histomar.net/GSM/htm/vulcan.htm et qui ressemble aussi à celle de la couverture de son livre poignant et déchirant en ligne décrivant le terrible naufrage de ce cargo au lien donné par Marc
https://www.calameo.com/read/000802552266d5215b6f2
- Le Cargo VULCANUS Cie SCHIAFFINO & JOUVET Bougie-Bône-Alger en 1912.jpg (484.18 Kio) Consulté 447 fois
Plus tard, le 13 septembre 1913, mon grand-père embarqua au port d’Alger comme mousse de carré à bord du S.S VILLE DE TUNIS, premier du nom, (n°d’armement 745, port d’attache : Marseille)
https://www.geneanet.org/media/public/c ... s-23487050. En 1914 et 1915, trop jeune, il n'était pas encore mobilisable, mais il tenait à naviguer et n'avait d'ailleurs pas d'autre choix pour continuer à être gardé au sein de la marine marchande. Il se porta donc engagé volontaire dès le début du conflit, en 1914. Il ne fut ni soldat d'infanterie dans les tranchées ni appelé dans la marine de guerre, mais voulut se retrouver sur le front et "participer", alors il fut successivement embarqué comme novice de passerelle, soutier, puis chauffeur et participa à divers transport de troupes, d'armes et de ravitaillement sur le front des Dardanelles, depuis Sète
(dénommé alors encore "Cette") puis au Havre, à Rouen, et enfin à Marseille. Il s'embarqua sur les lignes d'avitaillement-ravitaillement de guerre qu’assurèrent de 1915 à 1918 ces cargos réquisitionnés des ports du Nord ou de la Méditerranée qui en convois escortés de croiseurs, transportèrent des troupes, armes, munitions, et soins infirmiers sur le front de guerre des Balkans dans la Campagne de Serbie en Macédoine via le détroit des Dardanelles, passage maritime qui donna son nom à ce front de guerre. De 1915 à fin 1917 voire jusqu'à l'armistice de 1918 il travailla aux rues de chauffe des machines et apprit son métier dans le stress des tirs d'obus ou de torpilles des sous-marins U-Boot de l'ennemi allemand. Il subit deux violents assauts fatals à ses derniers cargos mais en sortit indemne.
Il aurait dû être une adolescent dans sa famille à Alger avant ses 18 ans, mais comme orphelin qui n'en avait plus, il ne pu que naviguer sans cesse en apprentissage pour se former et être gardé à bord. La Marine Marchande était devenue sa famille d'adoption. Il ne fit donc jamais ses "classes" militaires et ne fut pas plus appelé plus tard à les faire du fait de sa participation volontaire au ravitaillement de la Grande Guerre. Son dossier militaire algérois de 1913
https://www.geneanet.org/media/public/f ... es-9719604 est ainsi resté vierge de tout émargement d'affectation, non parce qu'il était déjà domicilié à Marseille en 1914, ni parce que son dossier était resté à Alger, mais simplement parce qu'avant 1916 il n'avait pas atteint l'âge pour être mobilisé et être appelé à combattre sur le front, un dossier resté vierge qui malgré sa blessure reçue en 1917 rendit certainement sa légitime demande d'obtention de la pension et Croix du Combattant engagé volontaire très longue à obtenir lors de sa retraite.
Embarquements de François-Alexandre RAVIS entre 1914 et 1918 :
On voit que le 24 janvier 1915 il embarqua à Cette (Sète) comme novice de passerelle sur le chalutier S.S. EUGÉNIE qui fut plus tard, le 18 mars 1916, réquisitionné comme patrouilleur auxiliaire
viewtopic.php?p=567139 et dont on ne retrouve, hélas, aucune photographie. Le 20 février 1915 il fut engagé au port du Havre comme novice à la chauffe sur la HAVRAISE
viewtopic.php?p=534856, le 17 novembre 1915 il fut promu chauffeur et embarqua à Rouen, semble t-il, sur le S.S. JACQUES FRAISSINET
viewtopic.php?p=351219, puis le 18 mai 1916 il arriva à Marseille au bassin de la Joliette où il fut pris "clandestinement" comme soutier sur le S.S LANGUEDOC de la S.G.T.M.
viewtopic.php?t=44556 en dépit de son jeune âge, peut-être pour faire face à un désistement de dernière minute (deux jours avant que le ce malheureux cargo ne soit poursuivi-touché par des obus-arraisonné-et finalement dynamité). Une semaine après en avoir réchappé, il fut engagé comme soutier le 29 mai 1916, à Marseille-Joliette sur le cargo S.S MOSSOUL des Messageries Maritimes
https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?p=573105 avant d'y être blessé au crâne d'un éclat de la torpille qui coula le cargo et fut recueilli-ramené à Marseille. Par chance il sortit de la Grande Guerre rescapé après ces deux derniers funestes embarquement.
Ci-dessous, deux rares images de 1892 retrouvées du quai d'attache de la Cie SCHIAFFINO et JOUVET (écrit JOBEZ ???) à l'Est du port d'Alger ou le cargo VULCANUS débuta ses cabotages fin 1912. C'est sur l'un de ces deux quais que François-Alexandre rencontra le mousse du VULCANUS et s'embarqua en juillet 1913. A cette date, ces pontons devaient encore avoir peu changé :
- Le quai SCHIAFFINO & JOBEZ des lignes côtières (et non JOUVET), les docks du VULCANUS de 1913 (photo de 1892).jpg (97.85 Kio) Consulté 447 fois
- Le quai SCHIAFFINO & JOBEZ des lignes côtières (et non JOUVET) du VULCANUS de 1913 (photo de 1892).jpg (88.14 Kio) Consulté 447 fois