Bonjour à tous,
Rencontre avec un sous-marin du 1er Février 1918
Rapport du capitaine
Quitté la rade du Havre le 31 Janvier 1918 à 06h00. Temps brumeux. Trouvé convoyeur PERTUISANE à la bouée à sifflet. Fait route en suivant les instructions avec zigzags.
A 12h40, un hydravion anglais se pose sur l’eau et fait des signaux de détresse. Le contre-torpilleur PERTUISANE se rend près de lui et je hisse le signal : « Y a-t-il besoin de secours ? » Sur la réponse affirmative de PERTUISANE, je me rends près de l’hydravion et les aviateurs me demandent si j’ai de la place à bord. Avec l’accord de PERTUISANE je les fais embarquer avec difficulté à cause du roulis et du grand volume de l’appareil. Un tiers de l’aile bâbord et le gouvernail restent en dehors du bord. L’hydravion est solidement saisi. Deux embarcations de PERTUISANE l’avaient amené le long du bord. Les aviateurs embarquent sur PERTUISANE et me préviennent qu’il y a quatre bombes armées à bord de l’hydravion.
Remis en route et suivi la côte de très près, convoyé jusqu’au jour le 1er Février. De Lizard à Pendeen, gros temps, mer grosse avec tangage et roulis violents. Après Pendeen, la brise reste forte, mais la mer devient belle à l’abri de la terre.
A 17h10, par 50°45 N et 04°41 W, l’officier de quart me prévient qu’on aperçoit un sous-marin sur l’arrière. Branle-bas de combat, chacun à son poste, augmenté la vitesse et envoyé SOS, attaqué au canon.
Le sous-marin nous attaque aussitôt et un de ses obus tombe et éclate auprès de la TSF, blessant le télégraphiste qui reste évanoui près du poste. Il revient à lui et, quoique blessé, se remet à ses appareils. Nous répondons énergiquement au sous-marin qui fait des zigzags pour dérégler notre tir. De mon côté, je fais des embardées et cela paraît réussir. Après les trois premiers, les obus du sous-marin tombent en dehors du navire. Notre tir se resserre de plus en plus et, complètement encadré, le sous-marin disparaît à 17h40.
Voici les routes successives suivies
Dans la crainte que le sous-marin ne nous suive en plongée et n’émerge la nuit pour nous torpiller, laissé tomber les fumigènes Berger après avoir donné le cap au large sur le Sud de l’île Lundy. Les fumigènes ayant formé leur rideau, revenu vers la terre et suivi la côte le plus près possible. Le rideau a mis un certain temps à se former mais, une fois établi, le vent venant de terre, il s’est allongé vers le large cachant complètement le navire et semblant suivre un navire allant vers le large.
Dans les premiers coups tirés, deux obus sont tombés à bord, l’un près de la cabine de l’opérateur TSF blessant trois personnes et démolissant deux chambres arrière du roof bâbord, l’autre perçant la coque à l’arrière tribord et éclatant dans la longue dunette.
Je ne puis que me louer de la conduite de tout l’équipage en général, qui pendant le combat a eu une attitude et une discipline exemplaires, obéissant exactement aux ordres donnés. Monsieur Rebillaud, officier de tir et Monsieur Francisi, pointeur, ont fait preuve de beaucoup de sang froid dans leur tir. Les blessés sont le TSF L’Hotellier, le cuisinier Marbiala et le boulanger Aveline Philibert, assez sérieusement atteint.
Le sous-marin était au début à environ 5000 m et nous avons tiré 15 à 20 coups.
Arrivé en rade de Ferry Dock à 23h00 le 1er Février et mouillé. Entré dans le port le 2 Février à 09h00 et débarqué l’hydravion dans de bonnes conditions.
Rapport de l’officier AMBC
Il reprend toutes les données du rapport du capitaine et précise :
L’armement du 14 arrière a commencé le feu dès le branle-bas, sous la direction de l’officier de tir. Le 1er coup a été tiré avec une hausse de 4500 m, mais le QM pointeur Gourbesville voyant très mal la cible, et l’ayant perdue de vue, le servant de culasse Francisi s’offre à le remplacer. Le tir reprend après réglage de la dérive et hausse de 1600 m de la portée. Ayant observé deux coups long, la hausse est réduite de 500 m. Le sous-marin est encadré et plonge. Le vapeur a tiré 13 coups et le sous-marin 20.
Le vapeur s’échappe alors derrière un rideau de fumée.
L’officier de tir, Monsieur Rebillaud a conduit son tir avec calme, appliquant strictement la méthode réglementaire, et a réussi à faire plonger le sous-marin.
Le servant de culasse a fait preuve d’une initiative intelligente en remplaçant le pointeur qui ne distinguait pas très bien le but.
Embardées et fumigènes employés de manière judicieuse.
Service de veille conforme.
L’acuité visuelle du pointeur Gourbesville est à vérifier lors de son retour. Il faudra le remplacer si besoin est.
D’après analyse des éclats d’obus, le sous-marin était armé d’une ou deux pièces de 105 mm. Visibilité trop mauvaise pour apprécier leur nombre exact.
Rapport de la commission d’enquête
Elle note que le point n’était pas donné régulièrement au TSF au voisinage des côtes. Elle reproche au capitaine cette manière de faire qui a conduit à donner un premier point erroné dans la surexcitation causée par l’alerte, point rectifié dans un deuxième temps.
Mais elle constate aussi une manœuvre habile et un commandement énergique, ainsi que le sang froid, la discipline et la belle tenue de tout l’équipage, et en particulier du TSF.
Concernant le TSF, elle précise : Mr. L’Hotellier était sorti de sa cabine pour aller vérifier dans la machine la dynamo, car son poste ne fonctionnait pas. Il était sur le pont quand le 2e obus a explosé à 1 m de lui. Il est resté trois minutes sans connaissance, puis s’est relevé avec le tympan de l’oreille droite crevé et six éclats d’obus dans la jambe. Il est alors descendu à la machine, a remplacé le plomb de la dynamo qui avait sauté et est remonté dans sa cabine d’où il a envoyé le SOS. Il n’est allé se faire panser qu’à la fin de l’alerte qui a duré une heure.
Le boulanger Aveline a été grièvement blessé par de multiples éclats d’obus ce qui a nécessité trois semaines d’hospitalisation.
Récompenses
Citation à l’Ordre de l’Armée
LHOTELLIER René Opérateur TSF Saint Malo 8346
Blessé grièvement à son poste de combat, a montré de belles qualités de courage, d’énergie et de dévouement dans l’accomplissement de son devoir.
Citation à l’Ordre de la Division
ROBILLARD Alexandre LV auxiliaire Capitaine
Lors d’une attaque de sous-marin a fait preuve d’une courageuse énergie et de qualités de commandement qui lui ont permis de forcer l’ennemi à plonger et de conserver son bâtiment.
Citation à l’Ordre de la Brigade
REBILLAUD François Lieutenant Officier de tir
S’est signalé par son énergie et ses qualités d’officier de tir lors de l’attaque de son navire par un sous-marin qui a été contraint de plonger.
Témoignage Officiel de Satisfaction
Vapeur AMIRAL RIGAULT DE GENOUILLY Chargeurs Réunis
Pour la discipline et l’énergie dont tout son personnel a fait preuve lors de l’attaque de ce navire par un sous-marin le 1er Février 1918.
TOS du Ministre et Promotion
FRANCISI Ignace Matelot canonnier
Est promu d’office au grade de Quartier Maître canonnier ayant fait preuve d’initiative et d’énergie lors de l’attaque de son bâtiment, en assurant en lieu et place du chef de pièce le pointage de son canon. A encadré le sous-marin qui a dû plonger.
Prime allouée au navire : 7500 f
Le sous-marin attaquant
N’est pas bien déterminé. (Peut-être U 46)
Cdlt