Bonjour à tous,
DEUX JEANNE – LIBERTE – PEUPLES FRERES
Dundee de Groix pratiquant la pêche au thon.
DEUX JEANNE (écrit sans LES et sans S à JEANNE dans tout le dossier)
Dundee de 50 tx construit en 1914 à Paimpol. Propriétaires : Veuve ETESSE, de Kersaho, Veuve Barin, de Groix, et Baron, de Groix.
Equipage
BARON Pierre Patron
LE FLOCH François Matelot
BERNIER Louis Matelot
NERO Tudy Matelot
NOEL Pierre Novice tous de Groix
LIBERTE
Dundee de 49 tx construit en 1908 à Belle Ile. Propriétaire : Henri CALLOCH
Equipage
STEPHAN Armand Patron
GALLEN Charles Matelot
STEPHAN Gildas Matelot
POEDRAS Jean Mousse tous de Groix, sauf le mousse, d’Auray.
PEUPLES FRERES
Dundee de 41 tx construit en 1897 aux Sables d’Olonne. Propriétaire Pierre TRINFANT
Equipage
BURGAUD Alphonse Patron
BREVELLEC Jules Matelot
JEGOUZO Louis Matelot
LE FLOCH Martin Matelot
LE BORIS Pierre Mousse tous de Lorient sauf le patron inscrit à Noirmoutier.
La perte des dundees 27 Septembre 1917
Le 27 Septembre 1917 les voiliers se trouvent ensemble à 30 milles dans l’ouest d’Ar Men et pêchent dans la formation suivante :
Ils sont très proches, dans un cercle d’environ 300 m de diamètre.
Horizon clair, mais grosse houle de SW.
Un sous-marin est aperçu à 09h00 à 1500 m et ouvre aussitôt le feu. Il tire environ 150 coups de canons et de nombreux éclats touchent la voilure, le gréement et la coque. Les dundees, qui sont équipés d’un canon américain de 57 mm placé dans l’axe, entre les deux panneaux, ripostent. Ils tirent environ 80 à 90 coups, Mais les hommes ne savent pas trop se servir des canons et, de plus, sont terriblement gênés par la houle.
Le sous-marin s’approche et, comprenant que toute résistance est inutile, les équipages évacuent les voiliers et embarquent dans les youyous.
Ils doivent accoster le sous-marin qui fait monter à son bord les trois patrons ainsi que l’équipage de DEUX JEANNE dont le youyou est à moitié plein d’eau.
L’ayant vidé, deux Allemands utilisent ce youyou pour aller poser des bombes sur les trois dundees. Mais ceux-ci étaient déjà désemparés et presque coulés. Personne n’est blessé.
Les équipages sont ensuite répartis dans deux youyous qui font route, à la rame, vers la terre. Le premier arrive à Ouessant à 10h00 et le second à midi le lendemain.
En embarquant sur le sous-marin, les trois patrons voient un 2e sous-marin s’approcher (du type UC 52 selon ce qu’ils disent après avoir vu la photo de ce sous-marin). Les Allemands communiquent entre eux par signaux à bras et au porte-voix, puis ce 2e sous-marin poursuit sa route.
Le commandant du sous-marin demande au patron Baron :
« - Pourquoi n’avez-vous pas hissé votre pavillon ? Et pourquoi avez-vous combattu ? »
« - Mais vous-même n’aviez pas hissé le votre ! Nous n’avons fait que nous défendre. » répond Baron.
Le commandant, qui parle bien français et anglais, demande alors :
« - Connaissez-vous l’UNION REPUBLICAINE , de Groix, dont le patron est Yvon ? »
« - Oui. »
« - Eh bien, je l’ai coulé hier. »
Il demande encore la destination et ce qu’ils pêchaient, puis ce qu’ils pensent de la guerre. Il ajoute : «- Tout cela est de la faute des Anglais. D’ailleurs, si vous aviez été anglais, on vous aurait tous tués… » Mais en fait, les Français ne sont pas molestés et sont même bien traités. On leur donne à boire et on leur offre des cigarettes.
Les trois patrons descendent alors à l’intérieur du sous-marin. Il y a une coursive centrale. D’un côté se trouvent la chambre du commandant et le carré des officiers, sans portes. Baron est logé dans le poste équipage avant où il y a des couchettes et où se trouvent deux tubes lance-torpilles. Il y a deux torpilles par tube, dont une est engagée. Un palan différentiel permet de les manœuvrer.
Stephan et Burgaud sont logés dans le poste équipage arrière où se trouvent aussi deux tubes lance-torpilles.
Il y a environ 20 hommes sur ce sous-marin, y compris le commandant et l’ingénieur mécanicien.
Ils sont vêtus de vêtements en caoutchouc noir et portent des bottes. Les officiers montent souvent à la passerelle vêtus de gros jerseys de laine blancs.
Pendant leur séjour à bord, plusieurs marins allemands qui parlaient français ont essayé d’engager la conversation avec eux et leur ont demandé ce qu’ils pensaient de la guerre. Mais les patrons ont répondu qu’ils n’en pensaient rien et ne s’occupaient que de la pêche.
Il y avait pourtant un jeune télégraphiste qui parlait le français encore mieux que le commandant et qui a été assez prolixe avec le patron Baron. Il lui a dit que le sous-marin patrouillait 40 jours entre Ouessant et Gibraltar, puis rentrait en Allemagne en passant par le nord de l’Angleterre. Il mettait 10 jours pour ce retour. Actuellement, c’était son premier voyage et il était déjà parti depuis 12 jours. Baron ajoute dans sa déposition : « Je ne sais pas s’il se vantait, mais ce télégraphiste m’a dit qu’il y avait une quinzaine de sous-marins en croisière dans l’Atlantique, et certains plus gros que le sien. »
Le petit déjeuner était servi à 07h00. Il comportait café, pain noir (exécrable), fromage de Hollande et confiture (non sucrée).
Le déjeuner, servi à midi, était le seul repas chaud de la journée. Il comportait pommes de terre cuites à l’eau avec du lard (en petite quantité). Par deux fois on a varié le menu avec du thon (volé sur UNION REPUBLICAINE). Allemands et Français ont eu la même nourriture.
Le soir à 18h00, un 3e repas, identique au petit déjeuner, était servi.
Il n’y a rien eu de particulier à signaler les 28 et 29 Septembre.
Mais le 30, un gros vapeur anglais a été coulé. Il s’agissait du DRAKE. Baron, qui était dans le compartiment avant, a vu une torpille être lancée du tube tribord. Elle a apparemment manqué son but.
Le télégraphiste lui a dit que ce vapeur de 8000 tonnes (?) zig-zaguait et que c’est la raison pour laquelle le commandant renonçait à lancer une 2e torpille et avait décidé de le canonner. Il a fallu au moins une bonne centaine de coups pour le couler.
Un marin japonais, sans doute pris de panique, s’est sauvé à la nage et est arrivé jusqu’au sous-marin. Le commandant l’a recueilli et l’a logé dans le poste arrière. (Nota : il semble donc bien que ce marin japonais provenait du DRAKE et non du HERON, puisqu’il a été vu par les Français. Il sera plus tard remis aux embarcations du NEUILLY)
Le reste de l’équipage, des Anglais, est venu accoster le sous-marin dans trois baleinières. Le commandant anglais a été retenu prisonnier à bord et Baron a constaté que le commandant allemand parlait très bien anglais avec lui.
Les trois patrons des dundee ont alors été libérés et mis dans les baleinières avec les Anglais. Le sous-marin a aussitôt fait route sur un autre vapeur qu’il a commencé à canonner (nota : probablement le HERON). Mais on n’a pu voir ce qui est advenu de lui.
Les naufragés ont été recueillis le 30 à 21h00 par le vapeur anglais CRONSTADT qui les a déposé à Gibraltar.
Les Français ont été gardés huit jours à Gibraltar, sans trop savoir pourquoi. Puis on les a mis dans un train pour Hendaye. Là, ils ont eu les pires difficultés pour se faire délivrer un billet pour Bayonne, n’ayant plus un sou en poche. C’est finalement le Commissaire Militaire espagnol qui leur a remis un titre de transport pour Bayonne où ils sont arrivés le 15 Octobre au soir.
Description du sous-marin
Très grand sous-marin de 90 à 100 m de long , ressemblant à la série U 52- U 62.
Avant légèrement surélevé.
Grand blockhaus à deux étages, l’étage supérieur étant surmonté d’une passerelle.
Deux canons d’environ 120 mm sur l’avant et l’arrière du blockhaus. Caisson étanche formant parc à munitions le long du blockhaus, mais les munitions pour la pièces arrière semblent être passées par le panneau arrière.
Pas de garde en fil d’acier. Pas de coupe-filet en dents de scie.
Antenne à double fil.
Dispositif visible sur l’arrière, peut-être pour mouillage de mines.
Les patrons sont incapables de bien décrire l’intérieur du sous-marin et les moteurs. Ils n’ont vu qu’une pompe et les tubes lance-torpilles. Il y avait six torpilles pour les quatre tubes. Deux avaient déjà du être tirées.
Voici le dessin du sous-marin fait par les patrons des dundee. On note la ressemblance avec l'U 89 (fiche A.D.BORDES)
Conclusions de l’officier enquêteur
Les trois dundee se sont défendus de leur mieux et ont été très courageux. Mais ils étaient parfaitement ignorants dans l’emploi de leur armement, surtout par grosse houle.
Il serait à souhaiter que nul patron ou capitaine ne puisse prendre la mer sans avoir été mis au courant de la façon de se servir des armes qui lui sont confiées. (Judicieuse remarque …
)
Récompenses
Le 5 Novembre 1917, 6 Croix de Guerre sont décernées à BARON, STEPHAN, BURGAUD, ainsi que LE FLOCH, GALLEN et BREVELLEC (sans doute les servants des canons).
Un témoignage officiel de satisfaction est en outre décerné à l’ensemble du personnel des trois thoniers pour avoir résisté courageusement à coups de canons au sous-marin qui les attaquait.
Le sous-marin attaquant
C’était l’U 90 du KL Walter REMY, que nous avons déjà rencontré à propos du grand trois-mâts NEUILLY qu’il coula le 1er Octobre et de l’UNION REPUBLICAINE coulé le 25 Septembre, ainsi que de JEANNETTE.
On peut voir la photo du cdt REMY à la fiche NEUILLY et lire l'histoire de cette patrouille.
On peut légitimement penser que le télégraphiste qui s’est confié au patron Baron est Arnold FISCHDICK qui écrivit plus tard un ouvrage sur la guerre sous-marine. Peut-être retrouve t-on trace de cette affaire dans son livre.
Le récit fait par les trois patrons est en tous cas fort intéressant. On se rend compte en particulier que l’Allemagne avait réellement des difficultés pour assurer un bon approvisionnement, même de ses sous-mariniers.
Enfin, il serait intéressant de savoir quel était le 2e sous-marin présent sur les lieux et qui a communiqué avec l'U 90 …
Cdlt