TENAX ― Remorqueur ― Compagnie des chemins de fer de l’État.

[Rutilius]

.
Bonjour à tous,

Tenax – Remorqueur – Compagnie des chemins de fer de l’État.

La rencontre du remorqueur Tenax avec un sous-marin, survenue le 25 janvier 1918 au matin


I. – Le récit qu’en fit L'Ouest-Éclair – éd. de Caen – n° 5.670 du 1er février 1918, p. 3.

« LA GUERRE SOUS-MARINE. – Un sous-marin coulé.

Le patrouilleur remorqueur Tonax [lire : Tenax], patron Lemaître, pilote de la flotte, remorquait un chaland à destination de … Le patron abandonna aussitôt le chaland en faisant couper la remorque et fonça sur le sous-marin boche, qui était encore en surface. Il tira quatre coups de canon, dont les deux premiers furent trop courts, mais le troisième atteignit le sous-marin dans se œuvres vives, et le quatrième donna en plein dans le kiosque, blessant le canonnier du sous-marin ennemi. D’après les marins du Tonax, le matelot allemand aurait été aperçu se jetant à la mer, essayant de se sauver, mais il aura été sucé par les remous du navire qui fut aperçu l’avant en l’air. Il se confirme donc que le pirate aurait disparu. »


II. – La relation des faits par le lieutenant de vaisseau Jean Yves Marie GUÉGUEN, commandant le torpilleur d'escadre Escopette.

• Note n° 52 non datée, Cahier de correspondance du commandant de l’Escopette (Service historique de la Défense, S.G.A. « Mémoire des hommes », Cote SS Y 200, p. num. 1.252).

« A Monsieur le Capitaine de frégate, commandant la 2e Escadrille, au sujet de l’engagement Tenax~Mortagne,

Commandant,

Dans la matinée du 25 janvier, je revenais de Warmouth et était à 7 h. 35 à 15 milles N. La Hague, route sur Cherbourg, 10 nœuds. A 7 h. 50, nous avons entendu une canonnade dans le S. 25 W. et presqu’en même temps reçu un S.O.S. d’un bâtiment attaqué à 6 milles S.-W. de La Hague. J’ai pensé que ce signal était faux et qu’il fallait lire N.-W., et j’ai fait route à 22 nœuds sur le point ainsi rectifié ; en même temps, j’ai lancé le signal : « Secours. 10 milles N.-E. ».
Peu après, le bâtiment (Tenax) rectifiait sa position, comme je m’y attendais. A 8 h 05, il signalait : « Sous-marin coulé ».
A 8 h. 15, je communiquais à la voix avec le Tenax, puis le chaland Mortagne qu’il remorquait de Fower à Cherbourg, puis apprenais ce qui suit : la groupe a aperçu un sous-marin en surface et attendu pour ouvrir le feu qu’il fasse acte d’hostilité. Le sous-marin ayant tiré un coup sur le Tenax, celui-ci coupe sa remorque et fonce sur le sous-marin. La Mortagne ouvre le feu à 2.500 mètres, encadre le but après le 4e coup, croit son 3e coup au but. Le sous-marin plonge et la Mortagne cesse le feu au 10e coup. Le Tenax n’aurait ouvert le feu qu’à 500 mètres, tiré 4 coups, dont le 4e aurait atteint le sous-marin qui aurait disparu en piquant du nez. Le Tenax avait à ce moment une avarie de drosse.
Bien entendu, le Tenax est convaincu d’avoir coulé le sous-marin. Je ne partage pas cet optimisme et pense que l’ennemi, voyant que chaland et remorqueur étaient armés, aura plongé rapidement et disparu comme d’habitude.
Le Tenax m’a dit que ce sous-marin aurait 1.500 tx, 2 canons, et il me paraît inadmissible qu’un seul obus puisse faire couler comme une pierre un pareil adversaire.
J’ai fait deux heures de recherches qui ne m’ont rien fait découvrir et j’en ai averti le Dunois venu me rallier.
Le groupe Tenax~Mortagne a fait route selon mes ordres sur Cherbourg sous ma protection, puis sous celle du Torpilleur 238 et du Chasseur-IX.

Signé : Jean Guéguen, lieutenant de vaisseau, commandant l’Escopette. »


III. – Les mentions du Journal de bord de l’Escopette n° 1/1918 – 28 déc. 1917 ~ 30 janv. 1918 – (Service historique de la Défense, S.G.A. « Mémoire des hommes », Cote SS Y 199, p. num. 440).

« Journée du 25 janvier 1918.

[…]

7 h. 55 – Entendu des coups de canon ; fait route dessus, machine 240 tours.

8 h. 16 – Communiqué avec le remorqueur Tenax qui nous dit avoir été attaqué à coup de canon par un sous-marin.

8 h. 30 – Communiqué avec le Torpilleur 238.

8 h. 40 – Communiqué avec le chaland Mortagne. Deux avions nous survolent. Mis le signal U. pour avion (« Sous-marin dans les environs »).

9 h. 30 – Aperçu le Dunois.

11 h. 00 – Rentré Passe W.

11 h. 20 – Amarré aux sous-marins. […] »

[Yves D]

Bonjour Daniel, bonjour à tous
Aucun U-Boot n'a été coulé le 25 janvier. Je partage par contre l'avis du LV Guéguen, il n'est guère vraisemblable qu'un seul projectile même au but en plein kiosque puisse faire couler instantanément un grand sous-marin vraisemblablement de type U selon la description.
Cdlt
Yves
PS Daniel, il doit y avoir erreur sur la date de parution de l'article dans l'Ouest Eclair. Ne serait-ce pas plutôt le 1 février ?

[Yves D]

Re Daniel,
J'ai retrouvé le sous-marin "coulé" !
Il s'agit de l'U 90 du Kplt Walter Remy, un s/m et un Cdt que je connais bien. Il y a deux lignes au sujet de cette rencontre dans Der Handelskrieg mit U-Booten, A.Spindler vol.5 p.32
"25.1
Au large de Cherbourg
Coulé le vapeur anglais Normandy, 618 tonnes, d'une torpille lancée en immersion.
Dans l'après-midi, dans ce même secteur, bref engagement au canon avec un gros remorqueur et une petite unité, armés l'un et l'autre. En raison de la riposte, U 90 prend la plongée. Au cours de cette manoeuvre, un coup au but contre le kiosque qui reste étanche"

U 90 avait appareillé de Heligoland le 16, il avait passé le Pas de Calais et depuis 3 jours il était en chasse au large de Cherbourg. Le 28, il était au N d'Ouessant où il séjournait 4 jours et prenait le chemin du retour ayant épuisé ses torpilles. Retour à W'haven le 7. Au cours de cette patrouille, U 90 a coulé 7 navires pour environ 10000 tonnes et en a endommagé deux, 10000 tonnes aussi. U 90 et son commandant ont survécu à la guerre.
Encore une fois preuve est faite qu'il n'était pas facile de couler un U-Boot !

Dans la section Guerre sous-marine de mon site histomar, il y a une page consacrée à la Jeannette et à son adversaire, l'U 90.
Cdlt
Yves

[Rutilius]

Bonjour Yves,
Bonjour à tous,

Il m' a semblé instructif, afin d'illustrer l'exagération patriotique des faits d'armes à laquelle succombait très fréquement la presse de l'époque, de mettre en paralèlle l'article publié à propos de cet engagement par Ouest-Eclair et la relation sobre et empreinte de doute qu'en fit le lieutenant de vaisseau Guéguen.

Les Cahiers de correspondance des commandants des contre-torpilleurs constituent, lorsqu'ils ont été conservés, une véritable mine d'informations sur l'organisation des convois de navires marchands et sur les incidents plus ou moins graves dont ils pouvaient être émaillés. Mais leur exploitation constitue un véritable travail de moine copiste !

Bien amicalement à vous,
Daniel.

P.S. : La date de parution de l'article dans Ouest-Eclair est effectivement celle du 1er février 1918. Je corrige en conséquence la référence correspondante.

[Rutilius]

Re, Yves,

Je rédigeais le message qui précède losque vous avez posté le vôtre... Et je suis très lent au clavier !

" 25.1
Au large de Cherbourg
Coulé le vapeur anglais Normandy, 618 tonnes, d'une torpille lancée en immersion.
Dans l'après-midi, dans ce même secteur, bref engagement au canon avec un gros remorqueur et une petite unité, armés l'un et l'autre. [...] "

Petite divergence avec le Journal de bord de l'Escopette qui mentionne : « 7 h 55 – Entendu des coups de canon ; fait route dessus, machine 240 tours. » Alors, matin ou après-midi du 25 janvier 1918 ?

Au cours de cette patrouille, U-90 a coulé 7 navires pour environ 10000 tonnes et en a endommagé deux, 10000 tonnes aussi.

A la date du 23 janvier 1918, le Journal de bord de l'Escopette (p. num. 438) comporte la mention suivante :

« 0 h 52 - Aperçu le vapeur norvégien Oalsund (*) faire explosion ; reconnu qu'il venait d'être torpillé. Poste de combat, machine 180 tours, routes diverses. Sauvé 3 hommes, communiqué avec la Javeline et lui avons remis les 3 hommes sauvés. »

Aucune indication de position, malheureusement.

Bien amicalement à vous,
Daniel.

-----------------------------------
(*) Lire Aalesund.

[Yves D]

Daniel,
Je n'ai pas le KTB de cette patrouille pour donner l'heure exacte de l'engagement du 25 Janvier. Cela dit à cette époque l'heure F et l'heure D étaient en décalage d'une heure, les Allemands avançant d'une heure par rapport à nous. Par contre, Jean Guéguen parle de 8 h du matin soit 9h en Allemagne. Il est aussi possible que Spindler ait commis une erreur de lecture ou d'écriture ; son texte dit seulement "abends" et on pourrait aussi en déduire qu'il s'agit de 8h du soir.
Le Normandy a été coulé à 8 nm ExN (Zv=078) Cap de la Hague 4946N 0144W.
Ci-dessous les navires endommagés ou coulés par U 90 au cours de cette patrouille :
ADMIRAL COCHRANE GBR 6565 22 1 1918 3m S28°E of Berry Head - damaged only 5021N 0325W
VICTOR DE CHAVARRI SPA 2957 22 1 1918 T-7,5m NW Cherbourg 4948N 0145W at 03:45
CORTON GBR 3405 23 1 1918 8m S of Dunnose Head - damaged only
CHARLES (s/v) GBR 78 24 1 1918 16m SW Casquets 4930N 0245W
NORMANDY GBR 618 25 1 1918 8m EbN Cape de la Hague 4946N 0144W
UNION FRA 677 26 1 1918 7m N Sept Iles, 4858N 0330W
LINDESKOV DAN 1254 30 1 1918 6m WNW Ushant 4830N 0517W
MARTIN GUST (s/v) RUS 248 31 1 1918 S-off W Ushant
ARRINO GBR 4484 1 2 1918 T-14m NWbW Ile Vierge 4843N 0454W


Le norvégien AALESUND, 414 tonnes, a été coulé d'une torpille lancée par UC 71 le 23 à 12 nm SWxW (Zv=236) de St. Catherine's Pt 5028N 0133W. Le vapeur était en route de Caen à Barry sur lest.

Cdlt
Yves

[Rutilius]

Bonsoir Yves,

Merci de ce fort utile complément.

UNION FRA 677 26 1 1918 7m N Sept Iles, 4858N 0330W

Ce vapeur ne figure pas encore dans nos tablettes. Selon l'excellent Répertoire des pertes de la Marine marchande élaboré par J.-P. C., ce bâtiment de 677 tx était armé et doté de la T.S.F. ; selon une autre source, il aurait été exploité par l'armement Bordes & fils.

Bien amicalement à vous,
Daniel.

[Yves D]

Re,re Daniel

Dans le Starke reg. de 1898 :
PEARL BR 1T (10½*)
677 J. H. Wetherall, Goole 185.0 x 29.2
C Wood, Skinner & Co., Ltd., Newcastle (9) #76 104220
04 - UNION Lloyd Bahia Blanca Soc. Anon. de Nav. a Vap., Bahia Blanca AR
09 - Marina Mercante Argentina, Bahia Blanca
17 - Delegrange, G. E. Bates & Cie., Rouen FR
Torp. and sunk by U 90, 26 Jan 1918, 7 miles north of Sept Iles, voy. Cardiff - Rouen, coal

L'Union de l'Armement Bordes est un 4-mâts carré de 3300 tpl, 2233 tx, lancé en 1882 qui fut sabordé le 28.10.1914 vers le point 34S 52W. Par contre je ne retrouve rien sur les circonstances de son sabordage (un raider allemand ?)

Yves

[kgvm]

Not sure whether the name is correct, don't have found any "Tonax". But according to Lloyd's Register 1920 there was a tug "Tenax" of 278 GRT, built in 1908, ex "Bartlett".
Miramarships gives her as owned by French Railways and wrecked 03.12.21, but according to Annuaire de la Marine Marchande 1924 she was lost only in 1924 and owned at this time by Cie. Internationale de Dragages et de Travaux pour la Marine, Cherbourg. Date de Francisation 28.09.17.

[Yves D]

Bonjour à tous
Je pense que Klaus a raison et que ce remorqueur s'appelait Tenax plutôt que Tonax. C'est d'ailleurs un nom qui fut porté par des remorqueurs y compris dans le roman de roger Vercel "Remorques" si je ne me trompe.
Bref, s'agissant de l'U 90 sur lequel je suis un peu plus documenté que sur les autres, j'ai cherché dans le récit publié après la guerre par Arnold Fischdick qui était radiotélégraphiste à son bord si je retrouvais cet incident dans "U-Boot 90 Frontfahrten Erlebnisse" et en effet, il y est rapporté à la page 71.
Je vous en livre la traduction :
Comme s’achevait le deuxième quart de nuit, de 4 à 8, un ordre était donné :” Les servants du canon sur le pont, tous les autres aux postes de plongée !”. Il y avait encore beaucoup de brume et à une distance de 1000 m. nous reconnaissions un remorqueur qui tirait à 50 m. derrière lui un chaland d’environ 2000 tonnes lourdement chargé. Presque au même moment que le départ de notre premier coup de feu, nous apercevions un éclair et une haute colonne d’eau qui s’élevait sur notre avant. Tonnerre ! Le remorqueur s’avérait être une sorte de canonnière qui n’était peut-être pas armé d’un si petit calibre que cela. Nous ne parvenions à tirer qu'un seul coup, le gars en face tirait trop bien. Chapeau ! Les projectiles nous sifflaient aux oreilles et il était grand temps de disparaître sous l’eau car les coups se rapprochaient. En effet, le remorqueur avait largué ses aussières de remorque et fonçait sur nous à toute vapeur manifestement pour nous aborder. Il ne manquait pas d’audace et avait sans doute de l’expérience en la matière. Hardiment, il n’oubliait pas non plus de nous signaler par radiotélégraphie et d’appeler à l’aide. Mais chez nous tout marchait aussi impeccablement.
Nous étions justement en train de nous immerger quand un coup nous atteignait ainsi que nous l’avons remarqué plus tard en découvrant une douzaine d’impacts d’éclats d’obus. Puis U 90 plongeait à une profondeur de 30 mètres tandis que nous pensions que notre bateau était encore une fois protégé par sa bonne étoile.
La rencontre fut chaude tout de même ! Et elle se déroula bien au matin de ce 25 janvier.
Preuve aussi est faite qu'il n'était pas si facile que cela de couler un U-Boot.

Cdlt
Yves