Bonjour à tous,
POMONE
Effectuait une traversée Lisbonne-Brest avec un chargement de 1000 tonnes de phosphates et 200 futs de vin.
Le 24 Novembre 1917 à 22h30, route au nord à 6 nœuds
Beau temps, mer calme, petite brise de NE, bonne visiblité.
Venait de passer le feu de Penas.
Quatre hommes de veille avec l’officier de quart. 1 à la pièce avant, 1 à la pièce arrière, 1 sur l’aileron passerelle tribord et 1 sur bâbord.
Rapport du TSF Charles Dauriac
Nous sommes partis d’Alger le 6 Novembre. Nous avons fait escale du 7 au 9 à Oran, le 11 à Gibraltar et le 14 à Lisbonne. Nous avons appareillé de Lisbonne pour Brest le 21 à 17h00 et avons fait une belle traversée jusqu’au 24.
Le 24, ayant terminé ma veille à 22h00, je suis allé me coucher. Un quart d’heure plus tard, j’ai entendu le cri : "Une torpille par bâbord !". Aussitôt, une forte explosion a retenti. J’ai sauté de ma couchette et voulu faire mettre la dynamo en marche. Mais elle se trouvait à la machine et, le compartiment ayant été frappé par la torpille, je n’ai naturellement pas eu de réponse. J’ai averti le commandant de l’impossibilité d’envoyer un signal de détresse. Je suis allé mettre des vêtements pour quitter le navire. Alors que je mettais des chaussures, le navire s’est incliné sur l’arrière. J’ai quitté ma cabine et suis allé à la passerelle.
A ce moment, le navire a coulé d’un seul coup et je me suis retrouvé à l’eau, au milieu de toutes sortes d’épaves. Le remous m’a aspiré, mais j’ai pu faire une provision d’air suffisante pour demeurer sous l’eau. J’ai vu le capitaine disparaître avec moi, et le second capitaine sauter à la mer.
Le sous-marin a fait surface et j’ai essayé de nager vers lui. Mais les épaves faisaient un barrage que je n’ai pu franchir. J’entendais mes camarades autour de moi, mais ne pouvais les rejoindre. Ne voyant pas d’embarcations, j’ai essayé de nager vers la côte où j’apercevais un feu. Mais le froid a ankylosé mes jambes et je ne pouvais plus nager. J’ai continué à appeler, mais mes forces faiblissaient. Ensuite, je ne me souviens plus de rien.
Je suis revenu à moi le matin vers 04h00, tout étonné de me retrouver dans une chaufferie, enveloppé dans une bonne couverture de laine. J’ai appris que j’étais sur le vapeur PACIFICO, de Bilbao, allant de Gijon à San Sebastian, qui m’avait recueilli vers 02h00 du matin. Nos sauveteurs nous avaient vus être torpillés à 4 ou 5 milles du cap Penas, sur la côte des Asturies.
Voyant que j’étais revenu à moi, les mécaniciens m’ont donné du café chaud et m’ont entouré de soins jusqu’à ce que je reprenne tous mes sens. Vers 07h00, j’ai pu me lever et marcher, avec un peu de difficultés. On avait fait sécher les vêtements que j’avais sur moi. Tout le monde à bord fut très gentil pour nous. On ne pouvait faire mieux que ce qui a été fait.
J’ai retrouvé trois camarades du bord et j’ai appris qu’on était malheureusement sans nouvelles du reste de l’équipage. Pourtant, selon mes camarades, une embarcation s’était dirigée vers le sous-marin et l’avait accosté pendant une trentaine de minutes. Ils auraient vu une quinzaine d’hommes dans ce canot, sans pouvoir en identifier aucun. Peut-être s’est il sauvé. Le sous-marin a repêché une barrique de vin qui flottait avant de s’éloigner vers l’ouest en surface. Ni le sous-marin, ni la baleinière n’ont répondu à nos appels. Peu à peu, les hommes qui surnageaient ont disparu, épuisés. Mes camarades ont vu le commandant du POMONE et le novice, accrochés à des madriers, qui ont été entraînés vers le nord par le courant.
Le PACIFICO a fait route sur Santander où nous avons été débarqués et interrogés par le commandant de la Marine et par les journalistes. Naturellement, je ne leur ai rien dit de confidentiel. Le consul nous a très bien reçus. Nous sommes allés à Bilbao où nous avons pris le train pour la France.
Note de l’officier enquêteur
« De la baleinière et de ses occupants on n’a eu jusqu’à maintenant absolument aucune nouvelle. Au moment du torpillage, le temps était beau et la nuit claire. La côte se distinguait parfaitement au sud et l’on distinguait même vers l’ESE une petite lumière basse qui, je suppose, devait être celle du phare de Santa Catalina, à l’entrée de Gijon. L’embarcation a-t-elle été recueillie ou, ne connaissant pas la côte qui est très mauvaise aux environs du cap Penas s’est elle perdue en cherchant à aborder, nous ne le savons. »
En fait, cette baleinière qui portait 16 hommes est arrivée, probablement le lendemain, dans le secteur de Gijon où deux hommes, blessés ou malades ont été laissés.
Conclusions de la commission d’enquête
Après avoir entendu d’abord 4 rescapés, puis 14 hommes de la baleinière tribord (2 autres étant restés en Espagne) la Commission ne saurait établir un rapport précis du drame qui s’est déroulé dans la soirée du 24 Novembre 1917. Il n’y avait malheureusement rien à faire pour sauver le navire.
Toutefois, les hommes réfugiés dans la baleinière n’auraient du quitter les lieux du sinistre qu’après s’être assurés qu’il ne restait personne à sauver, ce qu’ils n’ont pas fait.
La Commission les en a blâmés.
Elle croit devoir proposer pour la Croix de Guerre les 4 hommes restés dans l’eau pendant quatre heures (DAURIAC, PLEUDANIEL, AUDIE et BOYER) au motif « Pour l’énergie et la résistance dont ils ont fait preuve en se maintenant pendant quatre heures dans l’eau glacée après le torpillage de leur navire englouti en moins de deux minutes ».
Elle propose aussi la Croix de Guerre pour les braves gens qui ont disparu (17) sur le compte desquels on ne saurait se faire aucune illusion. Le sous-marin n’a pas conservé de prisonniers. Il n’y avait qu’une seule embarcation utilisable et le PACIFICO n’a repêché que quatre hommes quand il est arrivé au milieu des épaves qu’il a exploré consciencieusement.
Lettre de 1918 concernant le capitaine Maurice EUGENE (prénommé Paul dans la lettre ?)
« Amiral
J’ai l’honneur de vous transmettre une lettre de Monsieur EUGENE, chef de gare aux chemins de fer de l’Etat à Rouen. Il sollicite une décoration posthume pour son fils, le Lieutenant de Vaisseau auxiliaire Paul EUGENE, commandant la POMONE de la Société des Affréteurs Réunis, tué dans le torpillage du dit vapeur le 24 Novembre 1917.
Je ne puis qu’appuyer très favorablement, en tant que chef du quartier de Rouen, cette demande d’un père malheureux pour son fils qui, quoique tombé au champ d’honneur, n’a été l’objet d’aucune citation et d’aucun témoignage de reconnaissance.
Dans sa vie d’officier de la Marine Marchande, le Capitaine au Long Cours EUGENE jouissait d’une excellente réputation. Il naviguait depuis dix ans pour la Société des Affréteurs Réunis.
Dans sa vie privée, la notoriété publique le cite comme un père de famille qui n’a donné que de bons exemples à tous.
Son père, chef de gare à Rouen, n’avait que ce fils et jouit de la plus haute considération publique en raison de la dignité avec laquelle il supporte son malheur.
Je joins au dossier une copie du rapport de mer fait par un survivant de la POMONE, son acte de décès et un état des services au commerce de Monsieur EUGENE. Ses services à l’Etat n’y figurent pas, mais ce Lieutenant de Vaisseau devait être attaché au port de Cherbourg. »
Cdlt