Bonjour à tous,
MAROC
Vapeur de la Compagnie Delmas Frères, 2706 tx
Armé d’un canon de 90 mm modèle 77 à l’avant et d’un canon de 75 mm modèle Transvaal à l’arrière.
MAROC a été autorisé à se rendre sur lest de La Rochelle à Port Talbot en suivant la route directe en raison de son armement spécial.
(Nota : il semblerait que ce navire ait été armé en navire piège et qu’il ait possédé une 2e équipe de canonniers, commandée par l’Enseigne de Vaisseau Guesdon, et non portée au rôle. La liste d’équipage comporte en effet 33 noms, auxquels il faut ajouter Guesdon et le QM canonnier Simon, cités dans l’enquête. Or il y avait en réalité 46 hommes à bord de MAROC)
Rencontre avec un sous-marin le 28 Novembre 1917 à 21h35.
Rapport du capitaine.
Le 28 Novembre 1917 à 21h35, par 51°01 N et 04°40 W ; un sous-marin a lancé une torpille par 5 quarts bâbord arrière. Mis immédiatement la barre toute à droite et la torpille est passée à 10 ou 15 m de l’arrière. Appelé aux postes de combat et fait donner toute la puissance à la machine. Conservé le cap à 45° du cap initial pour présenter l’arrière au sous-marin et ce jusqu’à être très près de terre. Jolie brise d’Ouest, mer houleuse, beau clair de lune.
Deux minutes plus tard, le navire est fortement secoué. Un frôlement de quelques secondes semble ralentir sa vitesse et je crus tout d’abord que le sous-marin avait lancé une 2e torpille qui avait touché la coque sans exploser. Tout le monde était déjà à son poste et personne n’a vu le sillage de cette 2e torpille.
Transmis à Lands End le signal réglementaire qui est répété.
Quatre minutes plus tard, un sillage suspect est aperçu sur bâbord arrière. Tiré dans cette direction, à 700 m, avec la pièce arrière, tout d’abord 1 coup. Le remous persistant et devenant plus fort, tiré deux autres coups.
Un vapeur qui faisait route pour doubler Hartland n’a ni changé de route, ni éteint son feu de poupe malgré les coups de canon qu’il ne pouvait pas ne pas entendre. A 22h30, signalé par Scott à deux vapeurs qui allaient à contre-bord qu’un sous-marin était dans le voisinage. Transmis « Look out for submarine in vicinity ». Signaux restés sans réponse.
A l’arrivée à Port Talbot, la cale sèche n’étant pas libre, fait visiter les fonds par un scaphandrier. La quille de roulis tribord est entaillée dans sa partie arrière, de bas en haut, sur deux pouces et cette entaille paraît toute fraîche. Il suppose que cette avarie est le résultat d’un abordage avec un kiosque de sous-marin plutôt que le fait d’une torpille. Cela laisserait supposer qu’un 2e sous-marin était à tribord, dans le voisinage du premier.
L’équipage a montré beaucoup de calme et de sang froid pendant tout le poste de combat.
Rapport de l’EV GUESDON au CC GUEZENNEC, inspecteur de l’AMBC
Passé Wolf Rock à 13h00. A 21h35, par jolie brise, mer houleuse, nuit très claire, lune brillante, un sous-marin placé à environ 700 m sur bâbord, à 5 quarts sur l’arrière du travers, lance une torpille. Tous les feux étaient masqués, y compris les feux de navigation. La barre mise aussitôt toute à droite la fait passer à 10 m sur l’arrière du couronnement et elle se perd par tribord. Le sous-marin n’a pas été aperçu. 20 minutes avant l’attaque, faisant une ronde de nuit, j’avais veillé avec les jumelles à la place du factionnaire de la pièce arrière envoyé en course et n’avais rien distingué d’anormal. Fait le branle-bas et armé les deux pièces, une à bâbord, côté obscur, et l’autre à tribord, côté fortement éclairé par la pleine lune.
Fermé les cloisons étanches et forcé la machine. Alors que je me rends sur la plateforme arrière pour diriger le tir, le navire est fortement secoué par un frottement de 3 ou 4 secondes qui semble arrêter sa marche. Nous supposons que MAROC a été touché par une seconde torpille dissimulée dans notre sillage, mais qui n’explose pas. Le rapport du scaphandrier contredira cette hypothèse.
Tiré avec la pièce arrière sur un remous anormal et envoyé signal à Lands End avec position 51°01 N et 04°40 W. Ouvert le feu a 700 m, puis 500 m, qui fait disparaître complètement le sillage.
Le scaphandrier indique qu’à 18 m sur l’avant de l’étambot la quille de roulis tribord a été entaillée de bas en haut sur 2 pouces. Il pense que cette avarie n’est pas due à une torpille, mais plutôt à un capot de sous-marin (il dit « smashed by a conning tower »). Il recommande une visite en cale sèche le plus rapidement possible. Cela amènerait à supposer qu’un 2e sous-marin se trouvait au voisinage du 1er, mais à tribord.
La manœuvre judicieuse de la barre et la houle ont provoqué l’insuccès du torpillage. Je pense que le profil des 4 masques et la vue des nombreux hommes de veille ont incité le sous-marin à attaquer avec prudence, d’assez loin et trop sur l’arrière.
Le personnel de l’équipe a continué à donner l’exemple par son courage habituel et son sang froid. Grâce à la façon quasi militaire dont le capitaine Auffret entraîne son équipage, le maintien aux postes de combat où d’évacuation s’est fait avec la discipline, l’ordre et le calme le plus parfaits.
Je signale particulièrement le chauffeur Lanusse qui a quitté volontairement son poste près d’un canot de sauvetage pour descendre à la machine activer la chauffe.
Signé : G. Guesdon , Enseigne de Vaisseau commandant la 7e équipe AS.
Rapport du LV POT, commandant le centre AMBC de La Rochelle
Au moment où la torpille a été lancée, il y avait 6 hommes de veille : 1 pièce avant, 1 pièce arrière, 3 sur la passerelle plus l’officier de quart. La torpille a été signalée par plusieurs hommes simultanément, ce qui a permis à MAROC de manœuvrer.
L’Enseigne de Vaisseau de la 7e équipe était à l’arrière et a fait tirer un coup de canon avec le Transvaal de 75 mm auprès duquel veillait le pointeur Quefellec. Celui-ci avait chargé la pièce dès l’alerte. Le coup, tiré à 700 m a paru court.
Quelques instants plus tard l’EV de la 7e équipe a fait tirer 2 coups sur un remous se déplaçant dans le même sens que MAROC, 1er à 700 m long, 2e à 500 m long mais proche du but qui a aussitôt disparu.
Dépositions individuelles
Monsieur OLLIVIER, capitaine au cabotage, officier de quart, a vu le sillage de la torpille à 5 quarts sur l’arrière du travers et a commandé aussitôt « Barre à droite toute ». Entendant le cri « Alerte », le capitaine est monté à la passerelle et a commandé « En avant à toute vitesse » par le porte-voix et le chadburn. Monsieur Guesdon a fait ouvrir le feu. Deux minutes après avoir vu le sillage, nous avons ressenti un choc violent, frottement ou raguage sur le flanc du navire.
Quelques minutes après, aperçu un remous suspect, paraissant nous suivre, qui disparaît au 2e coup de canon.
Monsieur LAVIGNASSE, officier de quart dans la machine, a ressenti deux chocs à deux minutes d’intervalle, le 1er plus violent que le 2e. Il ne peut préciser dans quelle partie du bâtiment. Au cri d’alerte, personne n’a bronché dans la machine. L’allure a été augmentée et le chauffeur Lanusse est même descendu pour activer la chauffe.
L’homme de barre LE DERFF, l’aide canonnier YVON, de veille à la pièce de chasse, le QM canonnier SIMON de veille à tribord sur la passerelle, le canonnier breveté QUEFFELEC, chef de la pièce de 75, ont vu le sillage de la torpille. Personne ne l’a vu couler.
Le matelot MARTIN, descendu dans le poste équipage pour réveiller ses camarades a ressenti deux chocs, le second plus fort que le premier. Le QM canonnier SIMON n’en a perçu qu’un seul.
Rapport de la commission d’enquête
Elle reprend tous les rapports et déclarations et constate que sur le fait matériel de l’attaque, toutes les déclarations concordent. MAROC a bien été attaqué de nuit à la torpille. Les dépositions sont moins concordantes sur les chocs ressentis : le personnel dans la machine dit avoir ressenti deux chocs et les autres un seul.
Ce choc est du à la rencontre d’un corps dur, sous-marin ou épave. Les avaries du vapeur MAROC n’ont pas été plus graves car il y a eu plutôt frôlement que choc.
Le capitaine avait bien organisé son navire au point de vue militaire : veille bien faite, feux masqués. La commission estime que le capitaine Auffret et son équipage ont fait leur devoir. Le fait que MAROC ne zigzaguait pas malgré les instructions formelles est attribuable à l’allure du navire (grand largue par mer houleuse avec fortes embardées, au fait que le navire gouvernait mal étant lège et au voisinage de la terre. Pour ces motifs, la commission n’incrimine pas le capitaine.
Elle décide qu’il n’y a pas lieu d’établir des propositions de récompense.
Récompenses
Témoignage Officiel de Satisfaction du Ministre
AUFFRET Pierre Lieutenant de Vaisseau auxiliaire Paimpol 143
Pour le sang froid et les qualités de manœuvrier dont il a fait preuve lors d’une attaque de sous-marin
Vapeur MAROC
Pour le sang froid et la discipline dont tout son équipage a fait preuve lors d’une attaque de sous-marin le 28 Novembre 1917.
Le sous-marin attaquant
N’est pas identifié.
Mais vu la position très précise, on ne peut penser qu’à l’U 57 du Kptlt Siegfried RITTER von GEORG qui patrouillait dans ce secteur et coulera successivement entre le 28 et le 30 Novembre PERM (Danois), PIERRE (Français), COURAGE et GAZELLE (Anglais), ce dernier à la position 51°12 N et 04°55 W soit à environ une douzaine de milles de la position de l’attaque de MAROC.
Cdlt