Bonjour à tous,
ALDEBARAN
Télégramme du 10 Août 1917 13h55 d’ALDEBARAN à BACCHANTE, ANTARES et Marine Paris
12h00 41°12 N 05°50 E Aperçu sous-marin en surface à 8 milles qui a plongé peu après. Gouverné sur sillage nettement visible et mouillé 2 mines anglaises et 5 grenades Guiraud. Resté à portée jusqu’à 13h00. Aucun résultat certain constaté.
Rapport du capitaine sur la rencontre avec un sous-marin le 10 Août 1917
Grâce à notre maquillage, nous avons été régulièrement attaqués et c’est 20 minutes après la disparition du sous-marin que nous avons mouillé nos mines sur un remous bien frais et progressif, suivi de vue depuis un bon moment.
Le 10 Août à 11h55, par 41°12 N et 05°50 E nous avancions seuls à 9 nœuds sur la route recommandée vers le Nord. Nous marchions lentement car dans la matinée un reste de clapotis avait déchiré nos toiles de maquillage avant et arrière. Nous avions réduit la vitesse pour les réparer. La réparation était alors terminée et rien ne s’opposait à ce que nous fussions pris pour un cargo.
Le matelot sans spécialité Pagès, qui était en subsistance à bord en remplacement de permissionnaire, a aperçu à l’œil nu un point noir éloigné, à 2 quarts tribord. L’officier de quart, l’EV Cardin, Lieutenant au Long Cours, l’a examiné à la longue-vue et l’a considéré comme un sous-marin.
Le QM timonier Queret, dont la vue est particulièrement perçante, vérifie à la longue-vue et confirme. Le sous-marin est à 8 milles à l’Ouest en travers de la route. Il semble stoppé et en attente, comme pour observer la méridienne qui est effectivement à 11h40. Quand je suis monté sur la passerelle, il venait de plonger.
Ne doutant pas qu’il allait nous attaquer, j’ai mis en avant toute et nous sommes venus de 20° sur la droite, mouvement imperceptible pour le sous-marin, cap sur le point de la disparition. Mis le personnel aux postes de combat. La rencontre devait se présenter environ 25 minutes plus tard. L’attaque pouvait se produire par bâbord en raison du cap initial du sous-marin et de notre abattée.
Au bout de 20 minutes, alors que le sous-marin pouvait être en position d’attaque, abattu brusquement de 40° à gauche pour le dérouter et nous en approcher rapidement. La vigie signale alors à 1000 m un sillage se déplaçant vers la droite. Tout le monde le voit distinctement. Nous continuons quelques instants pour continuer à nous présenter sous un aspect trompeur et assurer la manœuvre de l’assaillant.
Le sillage n’étant plus qu’à quelques centaines de mètres, nous venons franchement sur la droite et mettons le cap sur l’extrémité très nette du remous.
A ce moment, l’aspirant Provençal, le QM timonier Margat, puis l’EV1 Barnabas voient la tige du périscope et le miroitement d’un éclat à 150 m. L’EV1 Cardin surveillait la barre et j’assurais le service des mines.
Nous avons mouillé coup sur coup :
- Une mine anglaise type D (186 kg amatol et 2 kg coton poudre) Immersion 24 m
- Une mine anglaise type E (45 kg amatol et 8 kg coton poudre) Immersion 15 m
- Une grenade Guiraud double (Perchlorate d’ammoniaque 44 kg et mélinite 1 kg) Immersion 25 m
La mine D ne pouvant se mouiller de la passerelle, c’est moi-même qui l’ai laissée tomber.
Très grande gerbe accompagnée de vibrations violentes de tout l’arrière. Tâche noirâtre sur l’eau, de plus de 100 m de diamètre, avec remous s’agrandissant. Autre gerbe moins importante attribuée à la grenade double. Reste à élucider si les deux mines ont explosé en même temps ou si la mine E n’a pas éclaté. Le QM torpilleur chargé des mines penche pour cette dernière hypothèse. L’aspirant Daynac et le canonnier Gourmelin pensent au contraire que la mine E a bien fonctionné, à intervalle peu perceptible de la mine D.
Nous avons continué à tourner autour de la tache en lâchant 5 nouvelles grenades simples (perchlorate d’ammoniaque 22 kg et Mélinite 0,6 kg) Immersion 25 m, pour chacune d’elles.
Ne voyant plus rien et sachant qu’il y avait un bâtiment grec peu éloigné, nous avons fait route pour le dérouter. Nous nous gardons d’un optimisme outrancier car la seule tache relevée peut provenir d’un résidu d’amatol (60% de trinitotoluène et 40% de nitrate d’ammoniaque), ou d’un enduit intérieur aux mines.
Je crains que le sous-marin, pendant la courte période où nous avons couru sur lui, nous ait identifié grâce à la finesse de nos formes et au groupe d’hommes en blanc réunis à l’avant, et ait en conséquence plongé immédiatement par grand fond. Je ne pense pas que le sous-marin ait coulé, mais il a du être sérieusement secoué, et peut-être avarié.
Il serait intéressant de consulter des spécialistes pour savoir si l’amatol explosant dans l’eau, ou l’huile de schiste qu’emploie les sous-marins allemands, sont susceptibles de produire à la surface de l’eau une tache noire comme celle observée.
Le sous-marin pourrait être celui que l’ANTARES a vu 9 heures plus tard à 20 milles de là. Je constate qu’il est peu offensif et ne nous a nullement troublés, alors que les transports isolés et de petite vitesse ne manquent pas.
Je signale que tout s’est passé ponctuellement à bord. L’équipage, qui a déjà donné des preuves sérieuses d’endurance, est tout réconforté de l’aventure. Je crains toutefois qu’une occasion favorable ne se produise d’aussitôt. Il suffit d’examiner en détail tous les points rapportés pour se rendre compte que nous avons eu beaucoup de chance. Notre rôle de sentinelle mobile et de convoyeur ne se prête pas très bien à de nouvelles surprises et notre silhouette est très probablement connue.
ALDEBARAN va compléter son approvisionnement en mines et grenades. Je demande instamment à recevoir une nouvelle mine D placée sur son mouilleur, engin beaucoup plus puissant, qui peut être mise instantanément en action par l’officier de quart.
Signé : Capitaine de Corvette BOUQUET
Le sous-marin aperçu
N’est pas identifié.
Mais pourrait être l’U 33 du Kptlt z/s Gustave SIESS.
S’il s’agit de ce sous-marin, la rencontre a donc eu lieu le 10 Août et non le 8 comme signalé dans un post ci-dessus, et ALDEBARAN n’a bien sûr pas été endommagé, pas plus que le sous-marin.
A la date du 8 Août rien ne figure dans les archives.
Cdlt