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Re: VILLE DU HAVRE Quatre-mâts barque

Publié : jeu. juin 05, 2008 1:30 pm
par olivier 12
Bonjour à tous,

VILLE DU HAVRE

Quatre-mâts lancé le 24 Juillet 1899 aux Forges et chantiers de la Méditerranée, installés à Graville, près du Havre, pour la Société des Voiliers Havrais.
C’était le premier d’une série de 4 voiliers comportant également son sister-ship VILLE DE MULHOUSE, et les ASNIERES et CHAMPIGNY.

Le voici photographié en carénage au bassin.

Image

Caractéristiques

3800 tpl 3109 tx JB 2806 tx JN
Longueur 89,10 m Largeur 13,80 m TE 7 m en charge
3350 m2 de voilure
La jauge considérable s’explique par l’importance de la dunette et du gaillard.

Pris au neuvage par le capitaine Testulat. Navire destiné au transport du nickel de Nouvelle Calédonie.

Le VILLE DU HAVRE fut peu heureux à ses débuts.
Premier voyage : parti du Havre avec des briquettes, dut y revenir et relâcher avec des rivets cassés. Mit 146 jours pour atteindre Saïgon.

1901 s’échoue à Poro, Nouvelle Calédonie, au cours d’un cyclone. Réparations à Sydney, et ne peut revenir à Rotterdam, sa destination, qu’un an plus tard.

1905 se met à la côte par forte brise d’Est, à Boulari (passe d’entrée de Nouméa) sur le récif de Toumbo. Parvient à se remettre à flot grâce au vapeur Saint Antoine.

1907 Surpris par un cyclone, manque de peu de se perdre par 04° sud et 140° W.

Vendu en 1909 à la Société Générale d’Armement de Nantes.

La perte du VILLE DU HAVRE

Extrait du rôle

Quatre-mâts VILLE DU HAVRE
Immatriculé à Nantes n° 418
Armé pour un voyage au long cours le 18 Janvier 1916 à Nantes par la Société Nouvelle d’Armement.
Allant à Buenos Aires
Equipage embarqué en Janvier 1916 à Ipswich

Capitaine Ernest YBERT CLC né le 20 Juillet 1881 à Regneville Inscrit à Granville
Second Joseph ROUVRAIS cap. cabotage né le 20 Mai 1884 à Saint Briac Inscrit à Saint Malo
Lieutenant Célestin LELIEVRE né le 15 Mai 1880 à Périers Inscrit à Granville domicilié à Coutance.
Lieutenant LE GOUGUEC (disparaîtra en 1926 lors du naufrage du MARECHAL DE TURENNE abordé en Manche)
Sd maître Jean-Marie BLANCHARD né le 28/06/85 à Saint Hilaire des Landes inscrit à Saint Malo
Novice Emile MAUGER né le 21/10/1898 à Cherbourg inscrit à Cherbourg

Emile Mauger était le neveu d'un pilote du port de Cherbourg. "Garçon instruit" écrit le capitaine Ybert il sera chargé de la cambuse et deviendra plus tard capitaine au long cours.

« « Navire canonné et coulé en mer le 7 Mars 1916 par 48°48 N et 06°36 W »

Récit de l’équipage

Le VILLE DU HAVRE avait quitté Ipswich le 25 Février 1916 (certifié par le consulat) pour Buenos Aires.
Descend la Manche rapidement, par forte brise de NE, avec grains de grêle et neige.
Le 7 Mars, un coup de canon est entendu sans que rien de suspect n’ai été aperçu par les hommes de veille. Dès que le sous-marin allemand fut reconnu, le capitaine Ybert hissa son pavillon, puis fit mettre en panne sur l’injonction, faite par l’ennemi qui tirait toujours, d’abandonner son navire.
La mer était forte et la première embarcation s’engagea sous la hanche du navire et chavira. Les deux hommes qui étaient à bord, partirent en dérive cramponnés à elle et furent rapidement perdus de vue.
La deuxième baleinière put recueillir les 26 hommes restants. Elle eût la chance d’être aperçue, trente heures plus tard par le vapeur norvégien MARS, de Bergen, capitaine Eriksen, qui allait de Porto à Cardiff avec un chargement de poteaux de mines.
Tous les hommes étaient exténués. Ils furent débarqués à Cardiff et rapatriés en France.

Les deux marins partis en dérive étaient

Henri LEROY matelot né le 8 Septembre 1879 à Cancale inscrit à Cancale domicilié à Saint Malo
Augustin GAILLARD matelot né le 28 Août 1897 à Trigavou inscrit à Dinan domicilié à Trigavou.

Ils réussirent finalement à redresser la baleinière chavirée et à y embarquer. Malheureusement, le jeune Augustin Gaillard, 18 ans, mourut de froid dans le canot. Plus robuste, Henri Leroy fut rencontré par le vapeur anglais KARIMATA (nota : en réalité KERMALA) et sauvé.

Tout l’équipage rescapé allait alors être embarqué sur le quatre-mâts ASNIERES. Ils seront capturés par le MOEWE le 2 Janvier 1917.

Voici le VILLE DU HAVRE toutes voiles dehors.

Image

Sous-marin attaquant

Il s'agissait du sous-marin U 32 du commandant Kurt Hartwig

Cdlt

Olivier

Re: VILLE DU HAVRE Quatre-mâts barque

Publié : jeu. juin 05, 2008 5:29 pm
par Yves D
Bonjour Olivier, bonjour à tous
Il y a une erreur de ma faute. Le commandant de l'U 32 était ce jour là von Spiegel. Je corrige ma dbase en conséquence mais n'ayant plus fait la manip depuis qq temps j'ai un peu de mal à me souvenir du processus. Je reviendrai sur ce point dès que OK
Cdlt
Yves

16h20
Normalement cela fonctionne à présent et c'est la dernière version qui doit s'afficher. Si problèmes, contact par MP.
Yves

Re: VILLE DU HAVRE Quatre-mâts barque

Publié : jeu. juin 05, 2008 6:37 pm
par Yves D
Patrouille de l'U 32 du 26.2. au 17.3.1916
KL Edgar Spiegel von und zu Peckelsheim
Secteur sud Irlande et entrée de la Manche. Route aller et retour via le N de la GB
Le 4 mars, entrée W de la Manche, les vapeur anglais Teutonia puis Rothesay sont arrêtés, évacués et coulés d'une torpille.
Le 6, c'est le cotre français Trois-Frères qui est coulé au canon puis le 7 le 4-mâts Ville du Havre subit le même sort. Par ailleurs quatre voiliers neutres seront arrêtés et leurs papiers contrôlés. Deux paquebots ont été rencontrés mais aucun cargo armé n'a été aperçu. Les opérations furent particulièrement contrariées par le mauvais temps note von Spiegel dans son journal.

Source : Arno Spindler, Der Handelskrieg mit U-Booten, vol.3

Re: VILLE DU HAVRE Quatre-mâts barque

Publié : jeu. juin 05, 2008 10:25 pm
par olivier 12
Bonsoir Yves,

Changement de commandant sur le sous-marin bien noté. Je corrige ma fiche.

Cdlt

Olivier

Re: VILLE DU HAVRE Quatre-mâts barque

Publié : dim. mai 03, 2009 12:36 pm
par olivier 12
Bonjour à tous,

Voici (grâce à Edith Ybert que je remercie ici) le rapport de mer du capitaine Ybert relatant la perte du VILLE DU HAVRE, tel qu'on le trouve aux archives de Vincennes

"Le 5 mars 1916, au matin, nous reçûmes l'autorisation de partir, nous devions passer à 20 milles de Sainte Catherine puis faire route au milieu de la Manche.
Il ventait belle brise de nord-est, aussitôt partis, nous établîmes toute la voilure. Le remorqueur nous largua dans le travers de Sainte-Catherine. Toute la journée du 6 et toute la nuit, le temps fut à grains de neige ainsi que dans la matinée du 7. Nous donnions 11 à 12 nœuds. A midi, ce même jour, le second maître Blanchard, qui était de quart pendant que les officiers prenaient leur repas avec moi, nous cria à la porte de la chambre de veille :
« Un sous-marin par tribord devant ».
Nous nous précipitâmes sur la dunette, l'équipage était déjà sur le pont. Comme nous arrivions en haut, nous entendîmes un coup de canon.
Je distinguais très bien le sous-marin qui était à environ un mille de nous et avait un signal en haut. Je pris ma longue vue et vis le signal AB, premier signal urgent du Code International qui veut dire : "Abandonnez immédiatement".
Comme nous n'étions pas armés, il n'y avait qu'à obéir. Je fis mettre sur le mât immédiatement. Tout l'équipage était de sang froid, la manœuvre s'exécuta comme en temps ordinaire. Le sous-marin tirait sur nous, quelques éclats d'obus tombèrent sur le pont.
Les deux baleinières de sauvetage étaient sous leurs bossoirs en dehors, prêts à être amenées, elles étaient saisies à hauteur des batayolles de la dunette. J'en avais moi-même vérifié l'armement et les approvisionnements la veille.
Je mis mon sextant, les papiers du bord et les fascicules des hommes dans celle de tribord où je devais embarquer et je dis :
« Deux hommes de bonne volonté pour décrocher les palans et passer la baleinière sous le vent du navire. »
Les matelots Leroy et Gaillard sans hésitation prirent place dans la baleinière.
La mer était grosse, la baleinière fut amenée rapidement et les palans décrochés, un paquet de mer la projeta sous la hanche du navire où elle chavira et partit à la dérive, les deux hommes réussirent à se cramponner à la quille.
La baleinière de bâbord avait été amenée facilement, étant abritée par le navire. J’y pris place le dernier et nous avons débordé aussitôt. Le grand pavillon français que j'avais fait hisser au premier coup de canon était toujours en haut.
Le sous-marin passa près de la première baleinière chavirée où les deux hommes étaient cramponnés. Je croyais qu'il allait les prendre et me les donner dans notre embarcation mais il n'en fit rien. Il passa derrière le navire, se mit dans son travers par bâbord et lança une torpille.
Ville du Havre s'enfonça droit, en une minute, et disparut dans les flots avec son pavillon à la corne. Il était midi vingt, le 7 mars 1916 qui était le jour de carnaval. Je me souviendrai toute ma vie de ce carnaval de 1916.
Nous avons essayé d'aller au secours de nos deux camarades que nous apercevions dans le vent à nous car le navire avait dérivé pendant le temps que nous avions pris place dans la baleinière. Nous n'avancions pas et au bout d'une heure nous dûmes renoncer à l'espoir de secourir nos deux infortunés camarades.
Un vapeur passa assez près de nous vers 1 heure, il avait certainement vu disparaître le navire. Il ne se dérangea pas.
Nous étions sur la dernière ligne des vapeurs (Bishop Finistère) aussi je fis tenir avec les avirons le bout à la lame pour tâcher de rester sur cette ligne, seule chance que nous avions d'être recueillis par quelque vapeur. Je fis mettre sur la bosse une drosse composée de deux mâts et de la voile étendue sur l'eau, cela brisait un peu la mer et empêchait la dérive, cela tint environ deux heures puis la bosse cassa et nous perdîmes mâts et voile. Vers 5 heures du soir, nous vîmes encore le sous-marin. Il faisait froid. Les grains de neige se succédaient, la nuit fut terriblement longue. Deux navires passèrent près de nous dans la nuit. Nous avons brûlé des torches et appelé. Ils s'éloignèrent car les sous-marins profitaient de couler les navires pendant qu'ils recueillaient les naufragés. Au point du jour, un vapeur passa près de nous. Nous distinguions le pavillon danois peint sur sa coque. Nous ne réussîmes pas à attirer son attention ou il ne voulut pas se déranger, car il continua sa route.
Une partie de la journée se passa sans rien voir, enfin, vers 3 heures nous vîmes un vapeur venant du nord qui faisait route pour passer un peu au large à nous. Je fis doubler sur les avirons pour nous mettre sur son passage. Nous fûmes recueillis par ce vapeur vers 3h30. Cela faisait vingt-sept heures que nous étions dans la baleinière. Nous hissions notre baleinière sous ses bossoirs en cas d'en avoir besoin .
Le vapeur était le MARS, de Bergen, capitaine Ericksen, portant environ 1200 tonnes. Il venait de Porto, avec un chargement de poteaux de mine dont il avait une pontée et allait à Cardiff. Nous fûmes aussitôt réconfortés. Le capitaine nous fit servir à manger puis les hommes se séchèrent dans la machine. Nous nous trouvions bien, après ce que nous avions enduré. Je constatai que nous avions dérivé d'environ 60 milles dans le sud- sud-ouest.
La brise mollit dans la soirée. La mer tomba un peu et, le 9 mars, en rade de Cardiff, le vapeur reçut l'ordre de continuer sur Newport où nous entrâmes à la marée du matin. Je remerciai chaleureusement le capitaine Ericksen pour la façon dont il nous avait secourus et traités à son bord. Il ne voulut pas me faire de note pour ce que nous avions consommé. Les hommes vinrent également le remercier. (...)
Le lendemain, en réponse à mon télégramme pour lequel je leur annonçais la perte du beau navire qu'ils m'avaient confié, les armateurs me télégraphiaient qu'ils venaient de se rendre acquéreurs du quatre-mâts ASNIERES et qu'il m'en offraient le commandement.
J'acceptai avec empressement et reconnaissance.
J'appris que ma baleinière partie en dérive avait été retrouvée. Les deux hommes avaient réussi à la retourner puis à la vider, il ne restait qu'un mât et un bidon d'huile, tout l'armement était parti à la mer. Le plus jeune, Gaétan Gaillard, qui avait 20 ans mourut de froid et de misère, l'autre Leroy , qui avait 38 ans, plus résistant, avait été recueilli par le vapeur anglais Kermala deux jours après le naufrage. Il était hospitalisé à Londres. Plus tard j'eus connaissance de son rapport. Il avait beaucoup souffert et il avait fait preuve de volonté pour résister au froid et conserver le corps de son camarade dans l'embarcation."

Le matelot Henri Leroy, né le 7 Septembre 1878 à Cancale et inscrit à Saint Malo, a écrit un récit de son odyssée à bord de la deuxième embarcation. Ce récit a été publié en 1928 dans un ouvrage d'Edmond Tranin "Les rouliers de la mer". Il y raconte, sous une forme romancée, le naufrage du VILLE DU HAVRE.
Mais le récit ci-dessous provient d'une copie manuscrite de l'original, conservée par le capitaine Ybert.
C'est un beau récit, très émouvant, comportant quelques tournures peu académiques mais qui ont été conservées.
On notera que ni son capitaine, ni son compagnon d'infortune ne connaissent le prénom du jeune matelot. Le premier l'appelle Gaétan et le second Victor. Il s'agissait en fait d'Augustin-Théodore Gaillard, né le 28 Août 1897 à Trigavou et inscrit à Dinan. Il avait 18 ans.

Récit d'Henri Leroy

"Parti de la rade des Dunes le 5 mars 1916 à bord de la Ville du Havre faisant route pour Buenos Ayres avec le remorqueur. Beau Temps, jolie brise de vents de nord. Le lendemain matin vers 9 heures, le remorqueur nous lâche, nous avons mis toutes voiles dehors, le bateau filait une moyenne de 11 nœuds. Le lendemain matin, 7 mars, jolie brise de vents du nord-est. Vers midi moins le quart, l’on entend un coup de canon, le boulet est tombé près du navire. Aussitôt le capitaine commande de mettre les voiles sur les mâts, de façon à arrêter la vitesse du navire, tout le monde était à la manœuvre. Tout à coup voilà un autre coup de canon, suivi de trois ou quatre autres. Chacun s’était muni de sa ceinture de sauvetage, le capitaine commande de mettre les chaloupes à la mer. Nous commençons par celle de tribord, moi j’embarque dedans ainsi que mon camarade, moi à l’arrière et lui à l’avant, de façon à décrocher les palans une fois à l’eau. Le Capitaine me dit :
« Leroy mettez le gouvernail en place ».
Tout à coup je m’aperçois que la chaloupe était collée à l’arrière du bateau et pas moyen de l’en dégager, je dis à mon camarade :
« Coupe la bosse ou nous allons sombrer ».
Je n’avais pas fini la parole que nous voilà sombrés et chavirés, nous voilà à la nage, moi et mon matelot. Nous avons réussi à monter sur la quille de l’embarcation. Pendant ce temps là, je ne sais ce qui se passait à bord, le navire courant toujours un peu de l’avant nous écartait, mais ce que j’affirme c’est que j’ai vu la baleinière de bâbord à l’eau et des hommes dedans . Savoir s’ils y étaient tous, je l’ignore. Nous faisons des appels, mais en vain, car ils ne pouvaient ni nous voir ni nous entendre. Pendant ce temps, le sous-marin monte à la surface et se dirige entre nous, l’autre baleinière et le navire. Il est passé à peu près à 200 m de nous, il me paraissait avoir un pavillon rouge ; il se dirigeait sur le navire probablement pour prendre le nom, puis il s’en écarte un peu. Aussitôt je vois une gerbe d’eau puis, l’eau disparue, la Ville du Havre n’était plus à flot.
« Ce n’est pas cela, que je dis à mon camarade, il faut que nous essayons de retourner notre chaloupe ». Chose qui n’était pas facile. Nous essayons et par sept ou huit fois, pas moyen ; je vois une grosse lame qui s’amène, je dis à mon camarade : « Attention à celle-là ! « Et, par miracle, la voilà retournée. Mais ce n’est pas le tout, il fallait la vider. Avec quoi ? Rien pour la vider. J’aperçois au fond de la chaloupe, à l’arrière, une caisse de biscuits, je prends mon couteau, je coupe un côté. Je vois un bidon d’huile de lin, j’en fais autant, je le donne à mon camarade et nous nous mettons en devoir de vider l’eau. Mais comme la chaloupe était un peu inclinée sur tribord, grâce à nos caissons à air, nous sommes parvenus à la mettre droite et à la vider. Il faisait presque nuit quand nous avons fini. Mon camarade se lamentait en disant :
« On va mourir de froid et de faim.
- Moi qui l’encourageais tout ce que je pouvais, je lui disais : « Peut-être que demain l’on verra un vapeur venir sur nous ».
Et nous voilà au gré des flots, sans pain, sans eau, pieds nus. Voilà la nuit, nuit cruelle, mouillés, trempés jusqu’aux os. Il ne nous restait dans la chaloupe qu’un aviron et le mât, mais la voile était partie. Nous grelottions de froid. Je dis à mon camarade :
« Il ne faut pas se coucher ou l’on va mourir de froid ». Je lui disais toujours : « Ne perds pas courage».
- Je n’en peux plus qu’il me dit, je vais me mettre à l’abri sous les bancs ». Pour son malheur.
- Je lui disais : « Ne t’endors pas ou tu vas geler ». Moi, je ne voulais pas me coucher, je travaillais toujours à vider le si peu d’eau qui restait.
- « Enfin qu’il me dit mettez vous à l’abri, on va se réchauffez l’un l’autre ». Enfin je l’écoute, nous nous approchons (tant plus près tant mieux). Une idée me prend d’enlever mon paletot de drap et de nous envelopper les pieds avec. Au bout d’une heure ou deux, ne pouvant plus résister par le froid, je veux me lever, mais pas moyen par les crampes dans les jambes et dans les bras. Mon camarade me disait toujours :
« L’on est bien perdu, on va mourir de froid et de faim ».
Enfin je me frotte et je réussis à me lever, je prends ma boîte et me mets à vider encore un peu d’eau pour me réchauffer et je lui disais : « Ne reste pas là, tu vas mourir «. Il ne m’écoutait pas. Enfin voilà le jour, je dis à mon camarade :
« Il faut que nous installions une voile avec des planches qui retenaient nos caisses à air. Allons, que je lui dis, il ne faut pas rester là ».
Il vient pour m’aider, on essaie de mettre le mât en place, pas moyen. Il me disait : « Je n’en peux plus ». Je lui disais toujours : « Ne te décourage pas comme cela- moi je vis toujours sur l’espoir de voir un vapeur ». Je le regarde bien en face, il était défiguré, sa langue était comme paralysée , il avait les yeux égarés, je lui disais toujours : « Gaillard, prends courage ou tu vas mourir ». Il s’assiait sur un banc et aussitôt il tombe à la renverse, il avait l’écume à la bouche, il était raide. Quoi faire ? Je prends mon couteau, je le saigne à l’oreille, aussitôt il ouvre les yeux, il me regarde les yeux hagards. Je me dis : « Il est congestionné par le froid ». Je le prends, pas moyen d’avoir une parole, je le couche de mon mieux et il referme les yeux, il était environ midi. Pas de vapeur en vue - je voyais bien de la fumée, mais trop loin. Tous-à-coup je vois mon camarade que j’avais mis sur le dos, se retourner sur le ventre. Je vais à lui, il était raide et tout violet.
Voilà la nuit. Vers 7 à 8 heures, je l’entends qui ronflait absolument comme un homme qui dort- drôle de ronflement car, une heure après, il ne disait plus rien- c’était le râle de la mort. Et me voilà tout seul, me disant à moi-même : « Mon tour va bientôt arriver ». Nuit cruelle pour moi, assis sur une caisse à air, grelottant de froid. J’ai dit une prière pour le pauvre malheureux.
Je m’aperçois que le sommeil m’emporte, mais aussitôt je prends ma boîte et je vide encore un peu d’eau pour me réveiller et me réchauffer. Enfin voilà le jour – le jeudi qui était le 9 mars. Tout calme, un peu de pluie, je regarde mon pauvre camarade, je le touche. Il est raide comme un morceau de bois, défiguré complètement, la mort avait fait son œuvre. Je prends les ceintures de sauvetage, je le couvre de mon mieux pour ne pas le voir, car, vous savez, le malheur fait toujours quelque chose. Je n’avais pu rien lui faire le pauvre malheureux. Voilà le soleil qui se montre, un très beau temps ; j’ôte tous mes effets et je les mets à sécher – une idée me prend de couper les manches de mon paletot pour m’en faire des chaussettes. Je les mets au sec- et le reste de mon paletot, je le fixe au bout de mon aviron en guise de signal. Il était environ 1 heure et demie. J’aperçois de la fumée mais pas encore le vapeur. Un quart d’heure après, je vis très bien la coque et ne voyais qu’un mât. Comme de fait, il se dirigeait en plein sur moi, je ne savais comment implorer le bon Dieu, j’étais sauvé. Il approche toujours, je fais des signaux avec ma casquette, il m’accoste.
C’était le Karmala , vapeur anglais, l’on me dit de monter à bord. Il y avait le cuisinier des passagers qui parlait très bien le français. Je lui dis que mon camarade était dans le fond de la chaloupe- mort de froid. L’on me dit : « Montez toujours ». Ils descendent deux hommes dans la chaloupe et ont monté le pauvre malheureux à bord . Le médecin l’a regardé, l’a écouté comme il faut, il est bien mort. Ils ont pris une « chasse », ont dit une prière et l’ont jeté à la mer. Il s’appelait Victor Gaillard, âgé de 19 ans, je ne puis dire exactement où il habitait, car je ne connaissais le pauvre jeune homme que depuis quelques jours.
Que le bon Dieu ait pitié de son âme, car il est mort victime de ces bandits, de ces sauvages de Boches. Tant qu’à moi, il était temps, car j’avais les pieds à moitié gelés, tout violets et enflés- et ils y sont encore. Enfin grâce aux bons soins du docteur, des capitaines, équipage, passagers, je vais beaucoup mieux, je les remercie infiniment. (j’ai dit)
Fait le 11 mars 1916- à bord du vapeur Karmala , Peninsular Orientale Cie Tilbury Dock
Signé : Leroy Henri, matelot à bord du quatre-mâts français Ville du Havre de la Société nouvelle d’armement de Nantes."

Pour conclure, voici un autre cliché du VILLE DU HAVRE dans un port anglais.

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Cdlt

Re: VILLE DU HAVRE Quatre-mâts barque

Publié : lun. juil. 06, 2009 1:53 pm
par olivier 12
Bonjour à tous,

Un autre cliché du VILLE DU HAVRE, probablement dans le même port que le cliché précédent car les hangars paraissent identiques

Image

Cdlt

Re: VILLE DU HAVRE Quatre-mâts barque

Publié : dim. sept. 27, 2009 2:17 pm
par olivier 12
Bonjour à tous,

Un complément sur le dernier voyage du VILLE DU HAVRE avant son naufrage.

VILLE DU HAVRE venait d’effectuer, sous les ordres du capitaine Ybert, un tour du monde complet.
L’itinéraire avait été le suivant :

Saint Nazaire Septembre 14
Bordeaux Septembre 14 pour Atlantique sud, Bonne Espérance, Océan Indien
Newcastle d’Australie Février –Mars 1915 Charge du charbon pour San Francisco

A Newcastle, le voilier retrouve les navires français suivants : VILLE DE MULHOUSE, capitaine Rozé, LAROCHEFOUCAULD, capitaine Malbert, SULLY, capitaine Populaire, FRANCOISE D’AMBOISE, capitaine Calbourdin, NOEMI, capitaine Gloahec, ERNEST REYER, capitaine Rioual et BOUGAINVILLE, capitaine Robert. Beaucoup de ces grands voiliers ne survivront pas à la guerre (voir leurs fiches sur le forum)

Pitcairn 15 Avril 1915
San Francisco Mai 1915

A San Francisco, le capitaine Ybert voit arriver le SULLY qui a mis 100 jours depuis Newcastle, avec le feu dans son chargement de charbon. Le pont en fer brûle les chaussures et les tôles chauffent le long du bord. Le feu pourra être contrôlé mais on débarquera 800 tonnes d’escarbilles.
Quant au FRANCOISE D’AMBOISE, il a du relâcher à Honolulu avec, lui aussi, le feu dans son charbon. Il devra y débarquer 1500 tonnes.
Ces cargaisons de charbon présentaient un grand risque pour les navires et les traversées n’étaient pas de tout repos.

Port Costa dép. 23 Juillet 1915 (Port de chargement du grain en baie de San Francisco) appareille avec un chargement d’avoine
Ipswich 27 Décembre 1915 après 154 jours de mer (via le Horn)

Le capitaine Ybert appareille d’Ipswich pour une nouvelle campagne le 5 Mars 1916 avec l'aide du remorqueur ZWARTE SEE. Il doit prendre un chargement de grains à Buenos Aires pour Londres.
Dans son équipage se trouvent plusieurs matelots qui ont combattu dans la coloniale et ont été blessés dans les tranchées. Guéris de leurs blessures, il reprennent du service au commerce. C’est au cours de ce voyage que le voilier sera coulé deux jours plus tard.

On note que VILLE DU HAVRE avait fait une escale à Pitcairn. Le fait est assez rare et mérite que l’on s’y arrête car le capitaine Ybert en a laissé un récit fort intéressant.

Escale à Pitcairn

« Au départ de Newcastle, passant par le sud de la Nouvelle Zélande, nous fîmes route sur cette île habitée par des descendants des mutins de la BOUNTY. Vers 11h00 du matin le 15 Avril, nous étions encore à 20 milles quand nous vîmes deux baleinières montées chacune par une douzaine d’hommes, qui venaient de Pitcairn. Ils avaient aperçu le navire au point du jour et venaient faire des échanges. Ils demandèrent la permission d’embarquer que je leur accordai. Ils apportaient des régimes de bananes, des noix de coco, du poisson et quelques poulets.
Ces gens vivent en communauté. Il y avait donc le lot de la communauté (20 régimes de bananes, poisson et poulets) puis chaque homme avait quelque chose à échanger. Ils demandent de la farine, des médicaments, du savon et…ont envie de tout.
Je pris le lot de la communauté et leur donnai largement la valeur en farine et médicaments. Puis les hommes firent des échanges pour de vieux vêtements. Pour une savonnette, ils donnaient un régime de bananes. Ils me dirent qu’ils étaient 143 habitants dans l’île et me donnèrent du courrier à poster à Frisco.
A midi, j’invitai le shérif, le pasteur et le plus ancien de l’île à déjeuner au salon et fit servir les autres sur la dunette. C’était une fête pour eux. Il y avait une faible brise et nous avons mis toute la journée pour nous approcher de l’île. A dix heures du soir, les insulaires rembarquèrent dans leurs baleinières puis, avant de pousser au large, nous chantèrent une mélodie pour nous souhaiter un bon voyage et, après trois vigoureux « Hourrah ! » nous quittèrent.
Dix huit jours plus tard, nous arrivions au cap Reyes (entrée de la baie de Frisco) »

On note que le journal de Pitcairn porte bien, à la date du 15 Avril 1915 le passage du "VILLE DU HARVE » (sic)

De pareilles journées rompaient la monotonie des longues traversées et marquaient vivement les esprits des marins.

Cdlt

Re: VILLE DU HAVRE Quatre-mâts barque

Publié : mar. déc. 08, 2009 9:52 pm
par olivier 12
Bonjour à tous,

Voici la liste d'équipage complète du VILLE DU HAVRE

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Ajouter LEBORGNE Jean-Marie Matelot Saint Brieuc 36 ans

(Il y avait 28 hommes d'équipage en tout)

Cdlt

Re: VILLE DU HAVRE Quatre-mâts barque

Publié : jeu. janv. 28, 2010 7:12 pm
par Memgam
Un complément sur le le capitaine au long cours Ernest Edouard Ybert né à Regneville (Normandie), le 20 juillet 1881.
Il a commencé sa carrière comme garçon de cabine en 1895, à 14 ans. Après son service miitaire à Toulon en 1901, il passe de marin à capitaine au long cours en six ans, obtenant son premier commandement en 1909 sur le Général de Boisdeffre. C'est ensuite le René Kerviler, puis Ville du Havre, coulé le 7 mars 1916. Il prend alors Asnières qui sera coulé le 2 janvier 1917 (cf le forum).
Sa carrière sur les grands voiliers s'arrête là. Il termine la guerre dans la Marine française. En 1919-1922, il devient directeur d'un chantier naval à Brest. Il s'associe avec deux anciens collègues CLC, Louis-Marie Malbert et Louis Gourio pour acheter une ancienne corvette française, le Bayonnais et lui donne le nom de Capitaine Jules Rioual, un de leurs amis disparu comme commandant du voilier Ernest Reyer, coulé par l'U 69 le 17 avril 1916. Le navire faisant naufrage l'année suivante, Ernest Guibert s'engage dans une carrière plus cahotique, dans le transport des spiritueux, des passagers, sur des yachts, dans le commerce interlope de la guerre d'Espagne. Il décedera en 1951, deux ans après Malbert connu pour sa seconde carrière de 1924 à 1931 comme capitaine du remorqueur d'assistance Iroise basé à Brest.
Le capitaine Ybert est un peu le fil rouge de l'ouvrage de Patrick Ahern "Full sail beyond the three Capes, the french bounty ships in Australia, 1898-1925, Patrick Ahern 2008. Il y figure en photo avec son équipage et on le trouvera en jeune dandy à côté de Malbert, tous deux en chaussures blanches et canotiers dans le livre de Jean-François Pahun "Louis Malbert", Editions Larivière, 2004.

Re: VILLE DU HAVRE Quatre-mâts barque

Publié : sam. févr. 13, 2010 3:30 pm
par edithybert
Quelques précisions sur les débuts au long cours et la la carrière "plus cahotique" des années 1920-1930 d'Ernest Ybert:
-Avant son service militaire à Toulon, il est marin sur l'Adolphe de la compagnie Bordes, commandé par Olivier Gosse, et fait son premier voyage au long cours (Afrique du Sud, Australie, Chili) de novembre 1899 à mars 1901.
-Après une tentative de transport et de commerce de spiritueux à Saint-Pierre-et-Miquelon : second puis capitaine des PLM 23 et PLM 17 (transport de charbon) de 1925 à 1927, puis commandement des avisos Lunéville puis Belfort assurant le transport du courrier pour l'Aéropostale entre les îles du Cap Vert (puis Dakar) et Recife, au Brésil en 1928-1929. Ensuite, cabotage en Méditerranée puis navigation sur des yachts de la compagnie Valoussière de 1932à 1935.
Sur l'épisode du commerce sur l'Azelma en 1937, pendant la guerre d'Espagne, je ne sais s'il peut être qualifié d'"interlope". Le récit donné par le CLC Ernest Ybert mentionne des livraisons de vivres, mais l'incarcération de plusiseurs mois de l'armateur en Espagne demeure inexpliquée.