Re: ANTONIN Quatre-mâts barque Cie Bordes
Publié : lun. mai 26, 2008 10:05 pm
Bonjour à tous,
Quatre-mâts barque ANTONIN (3e du nom)
Lancé le 25 Août 1902 aux chantiers de France à Dunkerque pour l’armement Bordes. Il portait le nom de l’un des trois frères Bordes.
Quatre-mâts barque 3920 tpl 3071 tx JB 2662 tx JN.
Longtemps commandé par le capitaine Bourgain.
Voici l’ANTONIN à Brest en 1914 (probablement accosté à l’épi Grande Rivière) (correction : au port de commerce)
Et les officiers de l’ANTONIN en 1907 (7e voyage)
Debouts de gauche à droite : 1er lieutenant René Le Huédé, second Camille Merlen, Capitaine François Bourgain ; assis : 3e lieutenant Joseph Verove et 2e lieutenant Auguste van Renterghem ; entre eux, avec la bouée le jeune mousse dunkerquois.
Lors du 8e voyage, le 12 Avril 1908, l’ANTONIN va rencontrer des glaces remontées très au nord dans les parages du Horn. Il devra réduire sa vitesse à trois nœuds, gardant seulement ses huniers, pour traverser un océan de glaces ; reprenant de la vitesse le lendemain, et alors qu’il atteignait 12 nœuds, furent soudain aperçus, à un mille de distance, des icebergs dont l’un dépassait 125 m de hauteur. Cela donne une idée des risques encourus sous ces latitudes !
Voici l’ANTONIN en Avril 1908 dans les parages du Horn.
Pendant la guerre , l’ANTONIN, d’abord immobilisé à Brest, va faire deux voyages du Chili sous les ordres du capitaine Lecoq, avant d’être coulé lors du 3e voyage par le corsaire SEEADLER du commandant von Lückner.
C’est au cours de l’un de ces voyages qu’il effectuera sa plus belle traversée : La Pallice- Antofagasta en 72 jours.
La perte de l’ANTONIN
Capitaine Félix LECOQ né le 5 Août 1879 à Saint Père Inscrit à Saint Malo
Second Toussaint LE CORRE né le 25 Mars 1883 à Perros-Guirec
L’ANTONIN quitte Iquique le 18 Novembre 1916 avec un chargement de salpêtre et 50 tonnes de peaux salées pour la maison Gibbs. Il doit se rendre à Brest, à ordres.
Il passe le Horn, puis l’équateur et court tribord amures dans un alizé de NE bien établi.
Récit de l’équipage
Le 3 Février 1917 à 08h00, par 6°35 N et 35° W, aperçu un trois-mâts carré faisant route opposée. A 08h30, il vient sur tribord et hisse le pavillon norvégien. Avons hissé les couleurs françaises et pendant quelque temps les deux navires font routes parallèles. Puis le « norvégien » hisse le pavillon impérial allemand et le signal « ID » signifiant « mettez en panne ou je fais feu ». En même temps il laisse tomber un sabord découpé dans le pavois et dévoile un canon qui tire un coup à blanc.
Nous mettons en panne, n’étant pas armés pour nous défendre. Le voilier cargue toutes ses voiles, vire de bord et vient se ranger à 50 m de nous.
C’est alors que nous avons remarqué qu’il avait un moteur lui donnant une vitesse d’au moins dix nœuds.
Aussitôt une embarcation est venue à bord avec un officier et une dizaine de matelots armés. Ordre nous a été donné de mettre nos embarcations de sauvetage à l’eau et d’y prendre place avec tous nos effets les plus nécessaires afin de nous rendre à bord du croiseur.
A 09h45 tout l’équipage est transbordé à l’exception du capitaine et du second.
Jusqu’à 15h00, les marins allemands ont fait le va-et-vient entre les deux navires, emportant provisions de bouches, toiles, fanaux et divers objets.
A 15h00, l’officier de prise nous fait embarquer sur son canot, ne nous autorisant à prendre que des vêtements.
Puis l’ANTONIN a été coulé de huit coups de canon.
Récit côté allemand
Le 3 Février, l’ANTONIN fit son apparition, courant grand largue dans l’alizé. Fuselage impressionnant par sa rangée de sabords en trompe l’oeil. Couru quelque temps au côté de lui pour voir si ce Français pouvait nous gagner de vitesse ; l’ANTONIN semble se prendre au jeu et déferle ses cacatois. Les yeux fixés sur les voiles, nous gagnons un peu. Impression de régater sur le plan d’eau de Wilhemshaven avec cet oiseau des mers taillé pour la vitesse.
Ce bâtiment respirait la noblesse et inspirait le respect. Il était d’une propreté scrupuleuse , son gréement était en ordre et net , sa coque artistement décorée. Les Français sont les seuls à tenir leurs navires si bien briqués. Le vent fraichissant, l’ANTONIN prend quelques ris dans les basses voiles et cargue cacatois et perroquets volants.
Lancé manœuvre d’arraisonnement.
Le commandant von Lückner, car il s’agissait du corsaire SEEADLER, écrit :
« Il commença par nous crier dessus dans un français des moins châtiés qui me surprit autant que mon coup de canon avait du le confondre. Je mis cet excès de verdeur sur le compte de l’émotion. Il n’était pas sans rappeler celui du capitaine Rault, lors de la perte du CHARLES GOUNOD. Il n’avait pas ménagé ses imprécations contre nous, l’Allemagne et tout le Saint Empire ! J’appris ce jour-là que lorsqu’un Français se prend à jurer, cela s’entend de loin ! Son courage et sa valeur en sont presque toujours le reflet. »
L’équipage et les officiers de l’ANTONIN furent réunis au grand salon du SEEADLER où on leur fit part des règles en usage à bord et où on leur distribua leurs logements. Puis on leur offrit une collation en attendant le repas du soir.
L’épreuve du sabordage des voiliers laissait un souvenir amer, tant dans le cœur des Allemands que dans celui des équipages prisonniers. Et cela conduisait Lückner à festoyer le soir même avec ses adversaires, à l’ombre des vaisseaux engloutis, pour en chasser les fantômes…
« -Si je ne puis excuser la perte de mon navire , lui déclara le capitaine Lecoq, je vous pardonne de vous être ainsi joué de moi. »
Louis Lacroix a personnellement interrogé le capitaine Lecoq sur la vie à bord du SEEADLER. Celui-ci lui a confirmé que la nourriture, surtout composée de vivres salés et de conserves enlevés sur les captures était passable, du moins pour les officiers. Le seul gros problème semble avoir été celui de l’eau douce, rationnée au fur et à mesure que le nombre de passagers forcés augmentait.
En dehors de l’imposition d’une stricte discipline, assez compréhensible pour assurer la sécurité du corsaire, les officiers allemands étaient relativement aimables et les marins des différentes nationalités s’entendaient fort bien entre eux. Plusieurs fois par semaine, des concerts d’une heure avec accordéons, mandolines et violons étaient donnés pour tout le monde.
Comme ceux du CHARLES GOUNOD, les marins de l’ANTONIN furent rapatriés sur Rio par le CAMBRONNE, puis sur Brest par le paquebot MALTE.
Voici une vue du pont de l’ANTONIN. L’officier se tenant sur le pont est le 3e lieutenant Alexandre Camaret (8e voyage 1908)
Et un tableau représentant le quatre-mâts
Tous les documents montrant l'ANTONIN et son équipage sont extraits de l'ouvrage de Brigitte et Yvonnick Le Coat "Cap-Horniers Français".
Cdlt
Olivier
Quatre-mâts barque ANTONIN (3e du nom)
Lancé le 25 Août 1902 aux chantiers de France à Dunkerque pour l’armement Bordes. Il portait le nom de l’un des trois frères Bordes.
Quatre-mâts barque 3920 tpl 3071 tx JB 2662 tx JN.
Longtemps commandé par le capitaine Bourgain.
Voici l’ANTONIN à Brest en 1914 (probablement accosté à l’épi Grande Rivière) (correction : au port de commerce)
Et les officiers de l’ANTONIN en 1907 (7e voyage)
Debouts de gauche à droite : 1er lieutenant René Le Huédé, second Camille Merlen, Capitaine François Bourgain ; assis : 3e lieutenant Joseph Verove et 2e lieutenant Auguste van Renterghem ; entre eux, avec la bouée le jeune mousse dunkerquois.
Lors du 8e voyage, le 12 Avril 1908, l’ANTONIN va rencontrer des glaces remontées très au nord dans les parages du Horn. Il devra réduire sa vitesse à trois nœuds, gardant seulement ses huniers, pour traverser un océan de glaces ; reprenant de la vitesse le lendemain, et alors qu’il atteignait 12 nœuds, furent soudain aperçus, à un mille de distance, des icebergs dont l’un dépassait 125 m de hauteur. Cela donne une idée des risques encourus sous ces latitudes !
Voici l’ANTONIN en Avril 1908 dans les parages du Horn.
Pendant la guerre , l’ANTONIN, d’abord immobilisé à Brest, va faire deux voyages du Chili sous les ordres du capitaine Lecoq, avant d’être coulé lors du 3e voyage par le corsaire SEEADLER du commandant von Lückner.
C’est au cours de l’un de ces voyages qu’il effectuera sa plus belle traversée : La Pallice- Antofagasta en 72 jours.
La perte de l’ANTONIN
Capitaine Félix LECOQ né le 5 Août 1879 à Saint Père Inscrit à Saint Malo
Second Toussaint LE CORRE né le 25 Mars 1883 à Perros-Guirec
L’ANTONIN quitte Iquique le 18 Novembre 1916 avec un chargement de salpêtre et 50 tonnes de peaux salées pour la maison Gibbs. Il doit se rendre à Brest, à ordres.
Il passe le Horn, puis l’équateur et court tribord amures dans un alizé de NE bien établi.
Récit de l’équipage
Le 3 Février 1917 à 08h00, par 6°35 N et 35° W, aperçu un trois-mâts carré faisant route opposée. A 08h30, il vient sur tribord et hisse le pavillon norvégien. Avons hissé les couleurs françaises et pendant quelque temps les deux navires font routes parallèles. Puis le « norvégien » hisse le pavillon impérial allemand et le signal « ID » signifiant « mettez en panne ou je fais feu ». En même temps il laisse tomber un sabord découpé dans le pavois et dévoile un canon qui tire un coup à blanc.
Nous mettons en panne, n’étant pas armés pour nous défendre. Le voilier cargue toutes ses voiles, vire de bord et vient se ranger à 50 m de nous.
C’est alors que nous avons remarqué qu’il avait un moteur lui donnant une vitesse d’au moins dix nœuds.
Aussitôt une embarcation est venue à bord avec un officier et une dizaine de matelots armés. Ordre nous a été donné de mettre nos embarcations de sauvetage à l’eau et d’y prendre place avec tous nos effets les plus nécessaires afin de nous rendre à bord du croiseur.
A 09h45 tout l’équipage est transbordé à l’exception du capitaine et du second.
Jusqu’à 15h00, les marins allemands ont fait le va-et-vient entre les deux navires, emportant provisions de bouches, toiles, fanaux et divers objets.
A 15h00, l’officier de prise nous fait embarquer sur son canot, ne nous autorisant à prendre que des vêtements.
Puis l’ANTONIN a été coulé de huit coups de canon.
Récit côté allemand
Le 3 Février, l’ANTONIN fit son apparition, courant grand largue dans l’alizé. Fuselage impressionnant par sa rangée de sabords en trompe l’oeil. Couru quelque temps au côté de lui pour voir si ce Français pouvait nous gagner de vitesse ; l’ANTONIN semble se prendre au jeu et déferle ses cacatois. Les yeux fixés sur les voiles, nous gagnons un peu. Impression de régater sur le plan d’eau de Wilhemshaven avec cet oiseau des mers taillé pour la vitesse.
Ce bâtiment respirait la noblesse et inspirait le respect. Il était d’une propreté scrupuleuse , son gréement était en ordre et net , sa coque artistement décorée. Les Français sont les seuls à tenir leurs navires si bien briqués. Le vent fraichissant, l’ANTONIN prend quelques ris dans les basses voiles et cargue cacatois et perroquets volants.
Lancé manœuvre d’arraisonnement.
Le commandant von Lückner, car il s’agissait du corsaire SEEADLER, écrit :
« Il commença par nous crier dessus dans un français des moins châtiés qui me surprit autant que mon coup de canon avait du le confondre. Je mis cet excès de verdeur sur le compte de l’émotion. Il n’était pas sans rappeler celui du capitaine Rault, lors de la perte du CHARLES GOUNOD. Il n’avait pas ménagé ses imprécations contre nous, l’Allemagne et tout le Saint Empire ! J’appris ce jour-là que lorsqu’un Français se prend à jurer, cela s’entend de loin ! Son courage et sa valeur en sont presque toujours le reflet. »
L’équipage et les officiers de l’ANTONIN furent réunis au grand salon du SEEADLER où on leur fit part des règles en usage à bord et où on leur distribua leurs logements. Puis on leur offrit une collation en attendant le repas du soir.
L’épreuve du sabordage des voiliers laissait un souvenir amer, tant dans le cœur des Allemands que dans celui des équipages prisonniers. Et cela conduisait Lückner à festoyer le soir même avec ses adversaires, à l’ombre des vaisseaux engloutis, pour en chasser les fantômes…
« -Si je ne puis excuser la perte de mon navire , lui déclara le capitaine Lecoq, je vous pardonne de vous être ainsi joué de moi. »
Louis Lacroix a personnellement interrogé le capitaine Lecoq sur la vie à bord du SEEADLER. Celui-ci lui a confirmé que la nourriture, surtout composée de vivres salés et de conserves enlevés sur les captures était passable, du moins pour les officiers. Le seul gros problème semble avoir été celui de l’eau douce, rationnée au fur et à mesure que le nombre de passagers forcés augmentait.
En dehors de l’imposition d’une stricte discipline, assez compréhensible pour assurer la sécurité du corsaire, les officiers allemands étaient relativement aimables et les marins des différentes nationalités s’entendaient fort bien entre eux. Plusieurs fois par semaine, des concerts d’une heure avec accordéons, mandolines et violons étaient donnés pour tout le monde.
Comme ceux du CHARLES GOUNOD, les marins de l’ANTONIN furent rapatriés sur Rio par le CAMBRONNE, puis sur Brest par le paquebot MALTE.
Voici une vue du pont de l’ANTONIN. L’officier se tenant sur le pont est le 3e lieutenant Alexandre Camaret (8e voyage 1908)
Et un tableau représentant le quatre-mâts
Tous les documents montrant l'ANTONIN et son équipage sont extraits de l'ouvrage de Brigitte et Yvonnick Le Coat "Cap-Horniers Français".
Cdlt
Olivier