Bonjour à tous,
RADIOLEINE
Note secrète d’Août 1917 du Vice-Amiral Lewis Bayly, Commandant en Chef des côtes d’Irlande
Le pétrolier français RADIOLEINE, après avoir été escorté jusqu’au point 49° N 17° W a été torpillé le 23 Juillet à 19h00 par 48°36 N et 17°56 W. Le navire a été abandonné à 20h40 mais l’équipage est resté dans les embarcations à ½ mille du pétrolier. A 03h00 le 24, constatant qu’on ne voyait plus le sous-marin le capitaine et l’équipage sont remontés à bord de RADIOLEINE et l’ont conduit à Queenstown par leurs propres moyens. Le sang froid du capitaine a sauvé un navire de grande valeur.
Attaques du 22 Juillet 1917 et du 23 Juillet 1917.
Rapport du capitaine
Je soussigné Maurice QUEDRUE, LV auxiliaire, commandant le pétrolier RADIOLEINE certifie avoir quitté Rouen le 12 Juillet 1917 à 11h00, navire sur lest, sortant de grandes réparations.
39 hommes d’équipage. Armé de 2 canons de 90 mm et possédant la TSF. Débarqué le pilote au large du Havre à 18h35. Fait route escorté par un torpilleur français et doublé la pointe Sainte Catherine le 13 Juillet à 04h45. Longé la côte anglaise jusqu’au 14 Juillet à 11h00 et arraisonné sur rade de Barry Dock. A 14h30 pris place sur les bouées dans le port.
Après avoir charbonné, quitté le port le 19 Juillet à 06h00. Mouillé sur rade à 07h30. Appareillé pour Queenstown d’Irlande à 11h00, accompagné par 2 destroyers anglais. Mouillé sur rade de Queenstown le 20 Juillet à 10h30.
Quitté Queenstown le 21 Juillet à 09h15 à destination de Newport News (Virginie) escorté par deux destroyers anglais.
La veille à bord est assurée par cinq hommes : 2 à l’avant, 1 à l’arrière, 1 en vigie, 1 sur la passerelle plus le timonier et l’officier de quart. Marche en ligne droite la nuit.
Le Dimanche 22 Juillet à 04h00, repris la route en zigzags par beau temps calme de NE et mer très belle. A 13h55, le lieutenant de quart aperçoit sur bâbord avant, à 800 ou 1000 m une torpille se dirigeant sur le navire. Je suis dans la chambre des cartes et entendant son exclamation j’arrive en quelques secondes à la passerelle. Je vois très bien la torpille et mets aussitôt la barre toute à droite pour me rapprocher de la parallèle suivie par le projectile. La machine pousse les chaudières pour monter à pleine puissance. Le navire répond et la torpille passe à 2 m du gouvernail. Le périscope du sous-marin est aperçu sur tribord arrière. L’officier de tir et les canonniers font feu des deux pièces, deux fois derrière et une fois devant. Les destroyers parcourent la mer autour de nous, mais plus rien n’est vu.
La position était 50°20 N et 12°15 W soit 110 milles au S58W du Fastnet.
A 15h30 repris la route normale. A 49 N et 15 W les deux destroyers nous souhaitent bon voyage. A 17h00 le temps s’assombrit et le ciel se couvre. La nuit vient.
A 19h00 le 23 Juillet, le 2e capitaine est de quart sur la passerelle haute lorsqu’il aperçoit une torpille arrivant à grande vitesse perpendiculairement à RADIOLEINE. Il vient toute à gauche et lance le signal « Aux postes de combat ». Mais la torpille nous atteint sur bâbord par le travers du tank 4. Je finissais de diner et j’arrive sur la passerelle. La machine est déjà à pleine puissance. Je tente de venir l’arrière à la houle pour fuir. Nous tirons au jugé deux coups de canon et le TSF lance le signal prévu. Le navire se couche sur bâbord et n’obéit plus à la barre. Les canonniers ne peuvent plus tirer et le télégraphiste ne peut plus transmettre. Il faut s’accrocher pour tenir debout et le navire revient sur bâbord, tournant sur lui-même. L’équipage est toujours aux postes de combat. Le second capitaine ouvre les tanks bâbord sur ceux de tribord pour tenter de redresser. Pour ne pas chavirer je stoppe et fait arrière.
Je dis au 2e lieutenant d’aviser le second capitaine de mettre les embarcations à la mer. A 19h20, je quitte la passerelle et suis l’embarquement de tout mon personnel. Le calme le plus complet règne à bord et tout s’effectue sans un cri et sans un bruit. Nous prenons le plus possible de vivres en prévision d’une longue traversée. Nos baleinières débordent avec ordre de se tenir à proximité. Nous sommes encore 5 à bord et l’eau arrive aux panneaux des tanks. Je m’attends incessamment à une 2e torpille et donne l’ordre de mettre le youyou à la mer.
Dans la machine, le chef mécanicien a mis les pompes d’alimentation en marche sur les chaudières.
J’immerge tous les papiers secrets. Le choc a été si violent que les portes de la chambre de veille sont faussées et ouvertes et l’eau a emporté la plupart des papiers du navire.
A 18h40, je reste seul à bord et les officiers m’attendent dans le youyou. Je descends, coupe la bosse et nous débordons. Le navire est affreusement déchiré sur bâbord. Nous rejoignons les embarcations et un sous-marin émerge au milieu de nous, mais sans ouvrir son kiosque. Je Donne l’ordre de n’allumer aucun feu et de ne pas quitter le navire, car il demeure notre seule planche de salut. Nous sommes à 400 milles de la terre la plus proche.
A bord de RADIOLEINE les feux sont masqués, mais j’ai laissé le feu des signaux Morse allumé et il va nous servir pour nous guider. Le sous-marin, en demi-plongée, tourne autour de RADIOLEINE. Les heures passent. La houle est creuse et le petit feu du navire apparaît et disparaît. Vers 23h00, nous entendons le battement régulier des moteurs du sous-marin qui navigue en surface et semble s’éloigner. La pression diminue à bord de RADIOLEINE et devient insuffisante pour bloquer la valve du sifflet qui depuis quelques instants fait entendre un bruit sourd, semblable à celui d’un navire lointain. Les hommes sont courageux, ne lâchent pas les avirons et se maintiennent près du navire qui dérive rapidement.
Le 24 Juillet vers 03h00 il fait petit jour. Je me rapproche du navire qui flotte toujours. Avec mes jumelles j’observe le pont où rien n’apparaît. Le navire s’est redressé et nos chiens sont sur la dunette. Je décide d’embarquer pour voir s’il y a des bombes. Toutes les embarcations ont rallié et nous revenons à bord. En petits groupes, nous visitons le navire et rien n’apparaît de suspect. Je fais embarquer le personnel machine, et risquant les chaudières, fait pousser les feux au maximum. Nous rembarquons les 4 baleinières avec beaucoup de précautions. Je remets à poste le compas de la passerelle dont les cercles sont faussés, la rose pliée et la cuvette toute bosselée. Les chronos sont chavirés, le sondeur Thomson, soulevé de son socle est brisé.
A 07h00, je remets en route cap sur l’Irlande. Les chaudières sont très sollicitées, mais il faut sauver le navire. Je vais lentement tout d’abord, puis j’accélère graduellement ayant constaté la stabilité du navire. Tout l’équipage est aux postes de combat et de veille, quart doublé dans la machine
Le 25 Juillet au soir, n’ayant pas d’observations, je navigue à l’estime et me rapproche de la côte d’Irlande, la grande sonde disposée sur le pont. A la nuit tombante, j’aperçois le destroyer américain n° 43 auquel je fais des signaux et demande la route pour rallier le Fastnet. Je fais alors route pour passer à 6 milles au Sud et le destroyer m’escorte jusqu’à 23h15. Ensuite, je le perds dans la brume. Après bien des vicissitudes, je double le Fasnet le 26 Juillet à 04h30, longe la côte et mouille sur rade de Queenstown le 26 Juillet vers 12h30.
Les avaries sont multiples et, en dehors des dégâts flagrants, il y a eu l’ébranlement général qui a causé la rupture de nombreux objets. Je fais toutes réserves sur l’état des chaudières et de la machine qui ont été poussées au maximum pour sauver le navire. Je me réserve d’étendre le présent rapport.
Le sous-marin attaquant
Pour l’attaque du 23 Juillet on sait qu’il s’agissait de l’U 96 du Kptlt Heinrich JESS.
Voici sa silhouette dessinée d’après la description faite par les hommes de RADIOLEINE.
Pour l’attaque manquée du 22 Juillet, il y a de fortes chances pour que ce soit le même sous-marin car le 21 Juillet il avait déjà coulé à une position relativement proche le vapeur anglais PADDINGTON. Il aura donc suivi le pétrolier pendant une nuit et une journée, attendant qu’il ne soit plus escorté. RADIOLEINE aura vraiment eu beaucoup de chance !
Note de la Direction Générale de la Guerre sous-marine au Ministre. Août 1917
J’ai l’honneur de vous adresser ci-jointe copie du rapport de mer du commandant de RADIOLEINE. Le LV auxiliaire Quedrue y relate les deux attaques à la torpille dont il a été l’objet, l’une infructueuse le 22 Juillet à 110 milles au S58W du Fastnet, et l’autre le 23 Juillet à 400 milles du même point.
Sans préjuger des conclusions du rapport d’enquête qui vous sera adressé par le consul de France à Queenstown après interrogatoire du commandant et de l’équipage, je crois devoir vous signaler l’énergie et le sang froid dont chacun a fait preuve et grâce auxquels le navire a pu être sauvé et ramené au port.
Note du CF enquêteur au VA près l’Ambassade de France à Londres. Septembre 1917
Conformément à vos ordres, je me suis rendu le 29 Août 1917 à bord du pétrolier RADIOLEINE en réparations en cale sèche à Newport. J’ai procédé à l’enquête qui doit avoir lieu quand un bâtiment de commerce a pris part à une action de guerre.
J’ai pris connaissance du journal de bord, du journal machine, et interrogé un à un le capitaine, les officiers et tout l’équipage. Le seul absent était Mr. Maurice FOURNOT, second mécanicien, en permission en France et qui n’a pu rejoindre à temps.
Il résulte de tous les interrogatoires que le rapport du capitaine expose avec beaucoup d’exactitude et de précision les différentes circonstances critiques par lesquelles l’équipage a passé tant au moment du torpillage qu’à bord des embarcations de sauvetage, puis en navigation sur un bâtiment fortement avarié. Ce qui m’a frappé à bord de RADIOLEINE, c’est la tenue et la discipline comparable à celle de nos bâtiments de guerre. En interrogeant les hommes, j’ai été heureux de constater l’excellent esprit qui règne à bord et la confiance que le capitaine a su inspirer à tout le personnel. Chacun connaissait son devoir, chacun était prêt à le faire. Quand l’heure du danger est venue, il n’y a eu aucune hésitation, aucune défaillance. L’attitude de tout l’équipage de RADIOLEINE fait le plus grand honneur à son capitaine.
RADIOLEINE a été torpillé à plus de 400 milles de toute terre, et l’équipage a exécuté tous les ordres avec calme et sang froid. Obligé de quitter le navire qui menaçait de chavirer, il a pu regagner le bord après une nuit passée dans les embarcations et le ramener au port après une navigation difficile.
Je vous soumets les propositions de récompenses suivantes.
Récompenses
Inscription au tableau spécial de la Légion d’Honneur
QUEDRUE Maurice Lieutenant de Vaisseau auxiliaire
Son navire ayant été torpillé et, de ce chef, fortement avarié, est parvenu grâce à son sang froid et à ses belles qualités de commandement à le ramener au port, parcourant 400 milles dans des circonstances particulièrement délicates. Croix de Guerre.
Citation à l’Ordre de l’Armée
MAHEO Emmanuel 2e capitaine Auray 4219
A fait preuve des plus belles qualités d’énergie et de commandement lors du torpillage de son bâtiment qu’il a grandement contribué à sauver.
Citation à l’Ordre du Corps d’Armée
DUCHATEL Charles Chef mécanicien Le Havre 3695
LEVEN Edouard 1er chauffeur Brest 4301
Pour le sang froid, l’énergie et l’autorité vraiment exceptionnelle dont ils ont fait preuve lors du torpillage de leur bâtiment qu’ils sont parvenus à conserver.
Citation à l’Ordre du Régiment
LE FAHLER Joseph 2e lieutenant Vannes 627
POIRIER Louis Chauffeur Saint Nazaire 4873
QUINET Pierre Chauffeur Marseille 8627
CABIOCH Yves Soutier Morlaix 8501
BON Charpentier – Pompier Le Conquet 2248
Pour l’attitude énergique et particulièrement dévouée dont ils ont fait preuve lors du torpillage de leur bâtiment qu’ils sont parvenus à conserver.
Témoignage Officiel de Satisfaction
FALCH Raymond TSF
Pour l’intelligente initiative et l’énergie dont il a fait preuve lors du torpillage de son bâtiment.
Vapeur RADIOLEINE
Pour la belle attitude et la parfaite discipline de son équipage, grâce auquel ce bâtiment a pu être conservé malgré les graves avaries résultant d’un torpillage.
Lettre de l’armateur à l’Amiral commandant la Marine à Marseille. 7 Août 1917
Nous avons l’honneur de vous remettre le rapport de mer de RADIOLEINE que nous gérons depuis l’origine pour la Société Pétroles-Transports de notre ville. Notre pétrolier est immatriculé à Marseille et c’est un navire de la flotte marchande marseillaise. Il transporte essence et autres produits de pétrole depuis l’Amérique jusqu’en France pour le Gouvernement français en vue des besoins de la défense nationale.
La lecture du rapport de mer vous montrera, Amiral, ce qui s’est passé sur ce navire et quelle est la cause de son importante avarie. Il a été torpillé à 700 km de la côte anglaise en faisant route sur le golfe du Mexique où il allait prendre un chargement de pétrole pour Rouen. Ce rapport de mer vous montrera les dangers courus ainsi que la belle, louable et intelligente conduite du capitaine, de son état-major pont et machine et de son équipage Vous apprécierez comment le capitaine a pu sauver son navire et le ramener dans un port anglais où il est actuellement en réparations. Il vous paraîtra certainement que capitaine, officiers et équipage ont bien mérité du pays et que des récompenses leur sont dues.
Nous venons solliciter de vous, Amiral, de vouloir bien les proposer à Monsieur le Ministre de la Marine telles que vous les jugerez convenables. Nous nous en remettons à votre justice et à votre esprit de bienveillante protection envers nos officiers et marins.
RADIOLEINE était assuré pour trois millions par l’Etat Français, assureur.
Veuillez….
Signé Gustave Graiver, Administrateur Délégué.
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