WALDECK-ROUSSEAU - Croiseur & sujet sur les mutineries

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Ar Brav
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Re: WALDECK-ROUSSEAU - Croiseur & sujet sur les mutineries

Message par Ar Brav »

bonsoir à tous,
un autre marin du waldeck, mon grand père jean pierre né à guern 56 classe 17, affecté sur le waldeck de 1918 à avril 1919, débarqué en roumanie (hopital d'ackermann)pour blessure à la main ainsi qu'à la cuisse suite à l'explosion d'une grenade apparemment ramassée sur le pont pour être jetée(trop tard) à la mer.
je cherche des précision sur ce fait et sur les activités du waldeck de 1918 à fin avril 1919, période troublée par la révolte des mutins de la mer noire et l'affaire andré marty qui à fait un passage sur le waldeck en avril après les évènement du protet.
merci de vos éclaircissements sur ce sujet.
cordialement :hello:
Bonjour Kozman,

Soyez le bienvenu à bord.

je cherche des précision sur ce fait

Il conviendrait, si vous le pouvez, d'être plus précis quant aux dates. Vous pouvez, si vous ne les avez pas déjà, vous procurer sa fiche matricule et le relevé des Etats des Services de votre grand-père afin de situer l'évènement. Pour ce faire, je vous invite à consulter le guide des recherches dans le mémento de recherche placé en tête de rubrique Marine :

pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... _930_1.htm

Puis :

http://www.netmarine.net/guides/genealog/index.htm

et l'affaire andré marty qui à fait un passage sur le waldeck en avril après les évènement du protet.

Je peux vous conseiller quelques ouvrages traitant du sujet des mutineries en Mer Noire et de l'action de la Marine dans la zone :

La flotte des Russes Blancs, Marc Saibène, Marines Editions, 2008
Pour situer le contexte.

La Marine française et la Mer Noire (1918-1919), Philippe Masson, Editions de La Sorbonne, Service Historique de la Marine, 1982
Gros pavé de 670 pages, très difficile à résumer, je vais tout de même tenter de retranscrire un extrait concernant le Waldeck. Euh, çà risque de prendre un peu de temps...

La révolte de la Mer Noire, André Marty, Bureaux d'édition et Editions sociales, Paris.
Il y a au moins 4 éditions, voir surtout celles de 1932 et 1949. L'ouvrage reste néanmoins orienté.

L'affaire Marty, André Marty, Editions les deux rives, Paris, 1955

La révolte vient de loin, Charles Tillon, Julliard, Paris, 1969
Concerne la mutinerie sur le Guichen.

A propos de l'histoire de la grenade, il n'y a pas eu, sauf erreur de ma part, de violences de cette nature lors des troubles survenus sur le Waldeck-Rousseau, d'où l'importance des dates de manière à bien situer les faits.

Voilà dans un premier temps,

Bien cordialement,
Franck
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Ar Brav
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Re: WALDECK-ROUSSEAU - Croiseur & sujet sur les mutineries

Message par Ar Brav »

Re,

je cherche des précision (...) sur les activités du waldeck de 1918 à fin avril 1919

Les documents en ligne relatifs au Waldeck-Rousseau, croiseur-cuirassé : journaux de bord du 18/01/1916 au 02/03/1918 sont accessibles à la cote SS Y 644 ici :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense ... iewer.html

Waldeck-Rousseau, croiseur-cuirassé : journaux de bord du 02/03/1918 au 13/01/1920, cote SS Y 645 ici :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense ... iewer.html

Waldeck-Rousseau, croiseur-cuirassé : journaux de navigation du 12/01/1914 au 27/02/1914, du 24/08/1914 au 24/08/1917 et du 07/02/1918 au 14/01/1920, cote SS Y 646 ici :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense ... iewer.html

Waldeck-Rousseau, croiseur-cuirassé : registres de correspondance du 14/02/1912 au 14/08/1920, cote SS Y 647 ici :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense ... iewer.html

Vous avez là en principe, avec ces documents originaux, de quoi vous faire une idée.

Bonne lecture,

Cordialement,
Franck
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Ar Brav
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Re: WALDECK-ROUSSEAU - Croiseur & sujet sur les mutineries

Message par Ar Brav »

Bonsoir Kozman,
Bonsoir à tous,

Un extrait de l'ouvrage :

La Marine française et la Mer Noire (1918-1919), de Philippe Masson, Editions de La Sorbonne, Service Historique de la Marine, 1982, pages 349 à 367.
Les annotations en bas de page ne sont pas retranscrites.

CHAPITRE VII

L'AFFAIRE DU WALDECK-ROUSSEAU

L'affaire du Waldeck-Rousseau, qui se produit du 26 au 28 avril [1919], confirme certains facteurs qui se sont dégagés lors des mutineries de Sébastopol : la répugnance à mener la guerre en Russie, le rôle de la propagande française, ainsi que la place déterminante tenue par les jeunes matelots. Mais elle jette un éclairage original sur l'existence et les méthodes d'un centre d'action subversif à bord d'un grand bâtiment. Elle pose à nouveau la question de la préméditation.

En elle-même, l'affaire est des plus simples. Le croiseur-cuirassé se trouve alors en surveillance devant Odessa. Il porte la marque du contre-amiral Caubet chargé depuis le 9 avril d'assurer la protection du flanc droit des armées alliées repliées derrière le Dniestr. Un début d'agitation se manifeste le 23 avril, quand l'équipage apprend que l'on vient d'embarquer un officier mécanicien accusé d'avoir fomenté un complot révolutionnaire à bord du torpilleur Protet. Les choses en sont là, quand le 25, le ravitailleur Suippe arrive de Sébastopol. Quelques matelots de ce bâtiment informent aussitôt leurs camarades du Waldeck-Rousseau des incidents qui se sont produits à bord de la 2e escadre. Deux bâtiments auraient hissé le pavillon rouge et seraient rentrés en France. Des groupes se forment à l'avant du croiseur. On entend chanter l'Internationale. Le 26 au matin, un quartier-maître découvre un placard invitant l'équipage à la révolte. Il le lacère et le jette à l'eau. Le libellé en aurait été le suivant : "Nous marchons la main dans la main avec nos frères du Jean Bart et de la France pour la révolution sociale... ". La journée s'écoule calmement.

Toutefois, les hommes tiennent des conciliabules par petits groupes et se taisent au passage des officiers. Le lendemain, dimanche 27, on trouve deux nouvelles affiches, une dans chaque batterie, invitant l'équipage à suivre l'exemple des marins de Sébastopol : « Camarades, secouons cette discipline de fer ; marchons avec nos frères du Jean Bart et rentrons en France ». C'est alors que l'amiral Caubet revient à Sébastopol, à bord du Fauconneau. Déjà averti par TSF de l'effervescence qui règne à bord du bâtiment, il décide de faire débarquer Marty immédiatement. L'opération s'effectue facilement ; par un sabord de charge, Marty se retrouve à bord du Protet qui part aussitôt pour Constantinople.

Le calme semble tout à fait revenu à bord du Waldeck-Rousseau. C'est après le déjeuner, que les premiers incidents sérieux se produisent. Une centaine d'hommes, massés sur l'avant, procèdent à l'élection d'un véritable soviet. Vers 13 heures, une délégation demande à être reçue par le commandant. En dépit de sa répugnance et sur les conseils pressants de l'amiral, celui-ci accepte de se rendre dans la salle d'armes où se trouvent une vingtaine de matelots. Celui qui paraît le chef de la délégation lit une note dont le ton apparaît fort « convenable » et qui proteste même des sentiments respectueux de l'équipage vis-à-vis du commandant et des officiers. Le texte n'en comprend pas moins plusieurs revendications dont la parenté est évidente avec celles des mutins de Sébastopol. On y retrouve le couplage habituel : revendications matérielles et revendications politiques :

1. Incompréhension du rôle que joue la Marine française en mer Noire, sans qu'il y ait état de guerre avec le gouvernement bolchevik ;
2. Conditions d'existence pénibles après quatre années de guerre, pas de descente à terre, trop d'inspections, sévérité du maître d'armes. Démobilisation des hommes des classes 1909-1910 ;
3. Privation de nouvelles, par suite du manque de courrier ;
4. Demande de rentrer en France.

Devant l'amiral, qui a tenu absolument à les recevoir, les délégués maintiennent leurs doléances. Ils en ont assez d'être loin de la France. Ils souffrent de l'existence à bord et de l'absence de courrier. L'amiral et le commandant tentent alors de les raisonner. L'armistice ne signifie pas la fin de la guerre. Si la Marine intervient en mer Noire, c'est parce que les Alliés sont d'accord pour empêcher l'extension d'un mouvement qui retarde la signature de la paix. Les hommes des classes 1909-1910 ne sont pas concernés par les mesures de démobilisation prises par le gouvernement. La demande de rentrer en France est inconcevable. Seul, le commandant en chef peut modifier la répartition des bâtiments sous ses ordres, en conformité avec les instructions qu'il reçoit du gouvernement. Ces propos sont vains. Les matelots restent inébranlables. Avant de partir, ils déclarent que si l'équipage ne reçoit pas satisfaction avant le lendemain, il se rendra maître du bâtiment.

L'amiral doute encore que cette démarche soit la manifestation des sentiments profonds de l'équipage. Décidé à « prendre la direction des opérations », il fait sonner l'assemblée. Les hommes en tenues disparates se rendent aux postes de compagnie avec une mauvaise volonté évidente. La plupart, malgré les exhortations des officiers, se massent à l'avant, sur les tourelles, sur les radeaux. Des cris, des huées fusent de tous côtés. La plupart des officiers mariniers préfèrent rester dans leurs postes. C'est alors que l'amiral paraît, accueilli par « une explosion de cris et de remarques malveillants ». Manifestement « très déconcerté et très ému », il s'adresse à l'équipage. « J'ai vu vos délégués, sont-ils bien envoyés par vous ? » Un "oui" énorme, unanime retentit. Presque toutes les mains se lèvent. Il tente alors de faire appel à leur fierté, à leur honneur, il rappelle les sacrifices consentis pendant la guerre. En vain. L'amiral promet de satisfaire les demandes dans la mesure du possible, il s'engage à obtenir le retour en France, dans les plus brefs délais. Aucune sanction ne sera prise contre les mutins. Peine perdue, le vacarme continue. L'équipage exige le retour immédiat. Comme à Sébastopol, à bord de la France, "un vent de folie semble souffler, même chez les meilleurs".

Les mutins sont alors complètement les maîtres et la situation paraît sans issue. Sur l'heure, il n'existe aucune force, aucun élément sûr pour rétablir l'ordre. Une tentative improvisée peut aboutir à une catastrophe. La crainte de l'amiral Caubet, partagée par tous les officiers, est que l'écho de la manifestation ne soit entendu à Odessa et ne provoque une initiative des bolcheviks. Tout le monde s'inquiète d'une déclaration d'un des délégués. « Nous rentrerons à Toulon et si on ne peut pas, nous accosterons à quai à Odessa ! ». Dans l'état de surexcitation où se trouve l'équipage, on peut redouter de voir le Waldeck-Rousseau livré aux bolcheviks !

L'amiral se résout à ne rien brusquer, à gagner du temps, à multiplier les concessions. Il annonce l'appareillage pour le lendemain à Constantinople et il emploie les officiers à rallier petit à petit les meilleurs éléments. Cette tactique se révèle payante. L'équipage se calme, les groupes se dispersent. La vie à bord continue normalement. Les consignes et le service intérieur s'exécutent, les factionnaires sont à leur place et les chauffeurs et mécaniciens de service sont en bas. On relève, cependant, deux incidents symptomatiques. Un chauffeur s'introduit dans le poste de TSF et surveille l'expédition des télégrammes. On signale, en même temps, qu'un des pavillons rouges à disparu d'un des coffres.

(à suivre)


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kozman
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Re: WALDECK-ROUSSEAU - Croiseur & sujet sur les mutineries

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merci beaucoup pour ces précises et rapides réponses, la chasse aux infos continuent, étant marin d'état moi même vous imaginez la passion qui m'animes pour découvrir cette page de l'histoire de ma famille, et ce grâce à vous. je vous suis éternellement reconnaissant.
Félicitation pour votre investissement.
Premier Maître Thierry Pierre petit fils d'aide gabier sur le Waldeck-Rousseau.
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Ar Brav
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Re: WALDECK-ROUSSEAU - Croiseur & sujet sur les mutineries

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(suite)

Après une nuit calme, l'appareillage s'effectue normalement. L'équipage paraît dégrisé. Les délégués prennent progressivement conscience de la gravité de leur geste. Ils redoutent même de se rendre à Constantinople et ils se demandent quel sera l'accueil du général Franchet d'Esperey. Finalement, ils acceptent presque avec soulagement l'idée d'une relâche à Tendra, et ils promettent de s'employer désormais à rétablir l'ordre et le calme. Le commandant fait alors changer de route et l'amiral Caubet se présente à nouveau devant l'équipage rassemblé par les délégués. Il est accueilli par quelques cris de « Vive l'amiral ».

Le Waldeck Rousseau mouille le 18 à 16 heures, en rade de Tendra. On peut croire l'affaire terminée. On vient même de retrouver à sa place le pavillon rouge qui avait disparu du coffre. C'est alors que la crise rebondit. Le croiseur Bruix se trouve lui aussi en rade de Tendra et une « grande fermentation » règne à bord. En fin de journée, il envoie au Waldeck-Rousseau une soixantaine d'hommes venus de Sébastopol et qui lui sont destinés. L'arrivée malencontreuse de ces nouveaux venus relance l'agitation. Un quartier-maître réussit à s'emparer d'un papier qu'un homme du vapeur du Bruix remet à un marin du bord. Ce « factum » appelle l'équipage à la révolte. En même temps, on apprend qu'une centaine d'hommes réunis à l'avant procèdent à l'élection d'une nouvelle délégation plus énergique que la première. L'amiral Caubet et le commandant Chopard décident de réagir immédiatement. Ils constituent à l'arrière du bâtiment une forte garde armée avec les officiers, les officiers mariniers et tous les hommes décidés au maintien de l'ordre. A la tête de cette troupe, ils s'avancent vers l'avant du Waldeck-Rousseau. Impressionnés, la plupart des matelots acceptent de se rallier et passent derrière la garde armée. Il ne reste bientôt plus qu'une trentaine d'irréductibles qui finissent par se disperser à leur tour, un par un.

Cette fois, tout est terminé.

Après le dîner, il reste encore à régler une ultime tentative du Bruix. Le chef de timonerie apporte, en effet, à l'amiral Caubet un signal fait par l'équipage de ce croiseur à celui du Waldeck-Rousseau. "Êtes-vous maîtres de la situation" ? Aussitôt, l'amiral intime l'ordre à l'équipage du Bruix de rentrer dans le devoir. Il fait pousser les feux et armer une pièce de 190 et une pièce de 65 qui sont pointées sur le croiseur. Le mouvement s'exécute à bord du Waldeck-Rousseau sans la moindre protestation. « Le revirement total et rapide de l'équipage apparaît alors aussi surprenant que la soudaineté avec laquelle a éclaté la crise ».

Avant toute autre considération, notons l'effet déplorable provoqué par l'affaire du Waldeck-Rousseau à Constantinople où se trouvent maintenant l'amiral Amet, à bord du Jean Bart. Le commandant en chef de la 2e escadre va durement sanctionner la « défaillance » de l'amiral Caubet. C'est par plusieurs messages expédiés dans la journée du 27 avril que l'amiral Caubet avertit Constantinople des évènements qui se produisent à bord du Waldeck-Rousseau. Pour briser l'agitation, il annonce d'abord son intention de rallier Constantinople. L'équipage du croiseur-cuirassé se trouverait ainsi en contact avec les bâtiments venus de Sébastopol et "il apprendrait la vérité sur les évènements qu'il exagère". La proximité de l'escadre anglaise serait également bénéfique.

Dans un second télégramme, l'amiral se montre plus pressant. Après la manifestation collective qui vient de se dérouler à bord, il insiste pour appareiller le lendemain matin pour Constantinople. Il reconnaît avoir fait de très graves concessions : engagement d'obtenir un retour rapide en France et de ne prendre aucune sanction. « Je crois absolument indispensable, ajoute-t-il, que vous partagiez ma manière de voir et que je parte demain pour Constantinople ». Toutefois, le lendemain matin, l'amiral Caubet annonce l'appareillage du Waldeck-Rousseau pour Tendra. "Tout va bien à bord" ajoute-t-il.

Devant ces messages, qui traduisent un évident désarroi et qui donnent l'impression d'une capitulation à peine déguisée, la réaction de l'amiral Amet va être vive... Le commandant en chef de la 2e escadre donne l'ordre formel de ne pas rallier Constantinople. "Je vous interdis Constantinople où vous déchaîneriez catastrophe". Le rétablissement de L'ordre à bord des bâtiments revenus de Sébastopol est beaucoup trop récent et fragile pour qu'une confrontation puisse avoir lieu. "C'est la concentration des navires, ajoute l'amiral, qui a permis développement et gravité de la manifestation. Elle serait particulièrement néfaste à Constantinople. Exercez autorité avec sang-froid et tact... Faites comprendre que évacuation de Sébastopol, déjà décidée avant manifestation France, est suite d'une liquidation qui ne peut se faire en quelques jours". Le télégramme suivant est encore plus impératif : « Ressaisissez-vous. Votre capitulation tombe sous le coup de la loi... Rétablissez autorité à votre bord, serait-ce par mesure extrême, Que votre équipage soit persuadé qu'il ne reverra pas la France s'il ne se soumet pas au plus tôt et complètement ».

(à suivre)

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Ar Brav
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(suite)

Ces énergiques mises en garde semblent avoir joué leur rôle dans le rétablissement de l'ordre à bord du Waldeck-Rousseau. Elles ont constitué de salutaires avertissements pour l'équipage tenu au courant des messages échangés avec Constantinople, puisqu'un des délégués est resté en permanence pendant deux jours dans le poste TSF et s'est fait communiquer tous les télégrammes. Ces rappels à l'ordre ont encore contribué, à n'en pas douter, à aider l'amiral Caubet à se ressaisir et à prendre les mesures décisives de la journée du 28 avril.

En tout cas, dès le rétablissement de l'ordre assuré, ses réponses ne manquent pas de vigueur et trahissent même une certaine amertume : « Loin d'avoir capitulé, j'ai au contraire ramené dans bonne voie équipage qui dans un moment de folie avait comploté insurrection et que j'avais hier tout entier contre moi, aujourd'hui avec... (?) Commandant ». Malgré l'escale à Tendra et la reprise en main du Waldeck-Rousseau, l'amiral Amet n'en décide pas moins de relever l'amiral Caubet de son commandement. « Votre télégramme n° 394 me fait espérer que vous vous êtes ressaisi. Mais j'estime que ayant eu faiblesse de prendre vis-à-vis de l'équipage un engagement auquel je ne saurais souscrire, vous avez trop gravement compromis pour continuer votre commandement. J'ai donc regret de rendre compte au commandant en chef armée navale que je vous renvoie à la disposition du ministre, Scarpe arrivera mardi 29 avril fin après-midi à Tendra. Veuillez y prendre passage pour gagner Paris par Constantza et Bucarest. Votre chef d'état-major restera à bord pour... et assister commandant Chopard. Votre marque sera amenée à la nuit ».

« Estimant disposer au contraire d'une grande autorité », l'amiral Caubet jugera bon de différer l'exécution de cet ordre, ne serait-ce que pour réprimer l'agitation qui se manifeste à bord du Bruix. L'amiral Amet s'inclinera devant cette prétention jusqu'à ce que « le commandant en chef saisi ait pu apprécier et décider ». Le commandant en chef de la 1ère armée navale approuvera entièrement la conduite de l'amiral Amet. Après cet incident, l'amiral Caubet, profondément ulcéré, quittera la Marine.

Pour en revenir à l'essentiel, les origines de l'affaire, mentionnons simplement les contacts établis, au cours de la journée du 25 avril, entre des matelots du Waldeck-Rousseau et des hommes de la Suippe [écrit Suirpe] arrivés de Sébastopol. Passons encore rapidement sur le rôle de Marty à bord du croiseur. Au cours de son séjour, l'officier-mécanicien du Protet réussit à faire passer un message à un des factionnaires. Ce message est lu, le 22 ou le 23 avril, devant quelques matelots. Il ne sera pas possible d'en reconstituer le texte intégral. Sans nier l'importance du formidable exemple des mutineries de la 2e escadre, ces deux éléments vont fournir surtout un prétexte, une occasion pour déclencher un mouvement préparé depuis quelques temps par un petit groupe organisé.

L'affaire du Waldeck-Rousseau, et c'est ce qui en fait l'intérêt, présente de notables différences avec celles des autres bâtiments ancrés devant Sébastopol. Le croiseur-cuirassé n'a quitté Toulon que depuis six semaines, après un séjour de deux mois. A cette occasion, une grande partie de l'équipage a été changé. Trois cents hommes, parmi les anciens du bord, ont été débarqués et remplacés par de jeunes matelots. Les cadres ont été également profondément renouvelés, qu'il s'agisse du commandant ou de la plupart des officiers. Cinq officiers mécaniciens sur six sont nouveaux à bord. L'équipage du Waldeck-Rousseau ne compte donc pas d'hommes concernés par la démobilisation ou des embarquements trop prolongés. Le séjour à Toulon a permis également de régler le problème des permissions. L'équipage est donc composé en très grande majorité de jeunes, et d'un petit noyau de réservistes des classes 1909-1910, qui ne sont pas concernés par la démobilisation. Arrivé à la fin mars en mer Noire, il n'a pas eu à supporter les conditions d'existence particulièrement dures des autres bâtiments. L'état d'esprit passe pour excellent. « Ce sont des moutons... » a pu affirmer l'ancien commandant.

Second élément intéressant de l'affaire : l'existence d'une société secrète à bord, dont le fonctionnement remonte bien avant la signature des armistices. Cette société s'appelle « l'Union fraternelle des travailleurs ». Fondée par une demi-douzaine de matelots, elle se réunit fréquemment dans les cuisines ou dans une tourelle. Elle recueille des cotisations, distribue des cartes soigneusement imprimées et bénéficie encore d'un nom de couverture "Lucullus". Le but avoué de l'association est de préparer pour ses bénéficiaires un banquet monstre, pour fêter la signature de la paix et la démobilisation générale. En réalité, ses objectifs sont fort différents. Il s'agit de mettre fin à l'intervention du bâtiment en mer Noire et d'obtenir le retour en France. Pour atteindre ces objectifs, les moyens sont clairs.

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Si la menace, proférée à plusieurs reprises par un délégué, de conduire le bâtiment à quai à Odessa semble relever surtout du chantage, il n'en reste pas moins vrai que les meneurs ont eu l'intention de s'emparer du bâtiment et de suivre l'exemple supposé de la France et du Jean Bart qui avaient, croyaient-ils, regagné la métropole sous l'autorité d'un simple quartier-maître. Un des délégués avait été chargé de mettre au point des mesures à prendre dans le cas où l'équipage se rendrait maître du navire. Comme sur les bâtiments de la 2e escadre, on retrouve aussi le contraste entre la masse des délégués qui espère obtenir satisfaction par un refus collectif d'obéissance et une poignée d'excités qui envisagent de pousser les choses à l'extrême. C'est ainsi que le matelot Nouveau déclare à plusieurs reprises : « Je ferai mon devoir jusqu'au bout et nous verserons du sang s'il le faut ».

Reste enfin la préméditation ; elle n'est pas niable. Le petit noyau subversif ne cache nullement son intention de déclencher un mouvement à bord du Waldeck-Rousseau, bien avant les mutineries du 19 avril. Indépendamment de nombreuses déclarations de marins, au cours de l'instruction, un document apporte une preuve à peu près certaine. Dans une lettre adressée à un jeune matelot, une mère met son fils en garde contre les projets de révolte de ses camarades. Au cours de son interrogatoire, le jeune marin reconnaîtra avoir averti sa famille de la préparation d'un soulèvement et il précisera que c'est à partir du 13 avril que les dirigeants de l'Union fraternelle attendaient un prétexte pour mettre leur projet à exécution.

A la base du mouvement, on trouve donc six ou sept hommes décidés, les fondateurs de l'Union fraternelle. Ce sont eux qui ont réussi à entraîner vingt-cinq de leurs camarades, qui tous, à l'exception de trois d'entre eux, appartiennent aux jeunes classes. Ils n'ont, par conséquent, rien à attendre sur le plan de la démobilisation. La plupart de ces hommes appartiennent encore au personnel des machines, sauf deux cuisiniers et quelques canonniers. Enfin, dans leur immense majorité, ils sont originaires des régions de l'intérieur et ont déjà une expérience professionnelle et syndicale. Ils connaissent les ressorts de l'action revendicative. Pour s'en convaincre, il suffit d'analyser sommairement les méthodes utilisées pour rallier l'équipage. On y retrouve le couplage politico-social traditionnel.

Pour susciter les adhésions, l'union adopte une devise typiquement syndicale : « Être forts, quand on a quelque chose à demander ». A lire les procès verbaux des interrogatoires, nul doute que le désir de faire échouer l'intervention et obtenir le retour en France ne soit l'objectif principal des fondateurs de l'Union fraternelle. Mais, en plaçant l'affaire sur le plan politique, ils jouent la difficulté. Contrairement à tous les autres bâtiments engagés en mer Noire, le Waldeck-Rousseau est encore le seul à ne pas avoir eu de contact avec la Russie et les Russes, qu'il s'agisse des volontaires, des bolcheviks ou du reste de la population. Pour la masse de l'équipage, la Russie reste quelque chose d'abstrait et d'indéterminé, une côte que l'on contemple à quelques centaines d'encablures. Force est donc d'insister sur le caractère illégal d'une lutte, contraire à la véritable vocation de la France et qui empêche tout un peuple de faire "sa" révolution. Un des tracts saisis est, à cet égard, éloquent :

« Camarades,

On nous berne. Nous sommes forcés à une lutte fratricide. Nous sommes les instruments aveugles d'une tyrannie autocrate. La guerre que nous portons en Russie n'a rien du caractère officiel d'une lutte loyale, elle ne l'est pas et ne peut pas l'être.

Nous nous opposons inconsciemment à l'évolution d'un peuple vers sa liberté. C'est une honte pour nous, les fils de la France, des Rabelais, des Voltaire, des Danton qui ont vécu et sont morts pour leurs idéals de liberté et de fraternité.

Le Jean Bart et la France ont montré ce que la volonté d'hommes conscients de leurs droits et qui ont pour eux la justice peuvent faire. Serons-nous plus lâches qu'eux ? Non ! ».

Hommes libres du pays le plus démocratique du Monde, continuerons-nous à nous laisser conduire comme du vil bétail sans chercher à comprendre. Revendiquons hautement nos droits. A la honte d'une campagne qui n'a que trop duré déjà, opposons la droiture des sentiments qui nous animent avec la droiture des esprits justes et fiers.

Les camarades de France ont besoin de nous, allons-y.

Partons, nous montrerons que la raison du plus fort n'est pas celle du plus juste. A l'ouvre, camarades, à bas l'autocratie et vive la liberté.

(Faire suivre et jusqu'au moment voulu, SILENCE.) ».

Sans nier l'importance de cet aspect de la propagande, ce document n'en apparaît pas moins assez exceptionnel. Il semble d'ailleurs avoir été donné par un homme du Bruix à un matelot du Waldeck-Rousseau. En fait, les militants de l'Union fraternelle ne tardent pas à se rendre compte que le caractère illégal de la lutte contre le bolchevisme rencontre peu d'écho de la part de leurs camarades, beaucoup moins que le désir passionné de rentrer en France.

(à suivre)
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C'est pourquoi, ils exploitent essentiellement les sujets de mécontentement propres aux matelots du Waldeck-Rousseau : sévérité excessive du maître d'armes, absence de courrier, manque de distractions. Voilà quarante-cinq jours qu'on n'a pas touché un port. La faction devant Odessa ne s'accompagne d'aucune descente à terre. Les meneurs exploitent encore l'impatience des réservistes des classes 1909 et 1910 qui se voient embarqués pour une nouvelle campagne, alors que la démobilisation peut survenir d'un jour à l'autre. En fin de compte, ils jouent essentiellement du désir morbide de l'équipage de mettre fin à une croisière sans attrait et de rentrer en France. Désir qui s'accompagne, il est vrai, chez certains, de la volonté de participer à la lutte politique et sociale en France. En tout cas, c'est sur ce thème qu'insistent les tracts trouvés dans les batteries. En suivant l'exemple de la France et du Jean Bart on est sûr d'obtenir le retour :

1. « Allons, Camarades et frères ! Montrons que nous ne sommes pas des enfants et que ce n'est pas les valses entraînettes (sic) qui nous empêchent de nous révolter. Imitons ceux du France et du Jean Bart. Ce, pour notre bien ».

2. « Camarades !... qu'attendons-nous pour imiter l'exemple de nos frères du France et du Jean Bart ? Que faisons-nous ici ». Rien. Équipage ! Aux armes...

Révoltons-nous contre le joug qui nous réduit à l'état de bête (sic), qui fait de nous des êtres avilis et inconscients. Camarades ! Réveillons-nous de la torpeur dans laquelle nous sommes plongés et imposons par la non exécution d'ordres notre revendication juste : NOTRE RETOUR EN FRANCE ».

Les revendications se situent donc à un double niveau. Pour les meneurs, il s'agit d'obtenir la fin de l'intervention. Pour la masse des équipages, c'est le retour en France qui prime. L'unité d'action permet de concilier ces deux objectifs. Pour obtenir satisfaction, il suffit d'un refus collectif d'obéissance.
Reste le problème des influences extérieures. D'abord celles des bolcheviks. Sur ce point, le doute n'est pas permis. Par l'intermédiaire d'embarcations venues d'Odessa, le soviet de la ville a réussi à faire parvenir des tracts et des mots d'ordre aux marins du Waldeck-Rousseau. Un tract est ainsi transmis par un remorqueur venu le long du bord du Waldeck-Rousseau. Ce texte qualifié « d'excitation à la révolte » par un matelot, est recopié et diffusé. L'évènement se serait produit vers le 19 avril.

Mais, là encore, c'est l'influence française qui paraît bien avoir joué le rôle déterminant. Les promoteurs de l'Union fraternelle sont abonnés à la Vague et au Libertaire, qu'ils se chargent de diffuser parmi l'équipage. Au cours de leur entrevue avec l'amiral et le commandant, les délégués se plaindront autant de ne pas recevoir de lettres familiales que de manquer de journaux et de nouvelles politiques. En tout cas, la surveillance du courrier au lendemain des évènements permettra la saisie de plusieurs lettres qui ne laissent aucun doute sur les relations que les meneurs entretiennent avec des camarades de France. Ceux-ci appartiennent, à n'en pas douter, à des milieux fort avancés dans la lutte politique et syndicale. La correspondance reçue par le matelot Lavieux, un des membres actifs de l'Union fraternelle, est, à cet égard, intéressante.

Ces lettres, datées d'avril et de mai, trahissent la haine de Clemenceau et l'écho profond rencontré par la journée du 1er mai. Elles prouvent une complète identité de vue entre les correspondants. « Ta lettre est bien belle, écrit un camarade de Paris, même je la garderais précieusement, car après ce 1er mai ensanglanté par les flics du Tigre, je crois que le beau jour approche et nos députés vont se débarrasser de ce vieillard maudit »... Une autre est de la même encre. "En France, le peuple commence à se bouger. Je crois que la grève ne va pas tarder, en revanche du 1er mai... ». La suite prouve l'envoi de littérature révolutionnaire à destination des bâtiments de la mer Noire... « Pour les journaux, nous nous sommes arrêtés de te les envoyer (sic), vu ton emplacement. Pour ta combine marche et passe de l'autre côté et n'hésite pas à tirer sur les... tu me comprends ! Surtout, de la propagande, Clemenceau est conspué et doit la trouver mauvaise... ». La missive trahit encore le vieil espoir d'une révolution libertaire.

« Pour le traité de paix, je crois que ça marche bien. Les bourgeois allemands ne marchent pas (sic) et repoussent les conditions, alors les Alliés, le blocus ou la guerre par les armes et au total « Révolution » et une « révolution bolchevique » et pas socialiste étatiste où nous serons plus malheureux qu'avec les bourgeois ». Cette correspondance révèle encore l'action des militants sur place, à Toulon notamment. "Tant qu'aux petits livres, rassure-toi, ils ne restent pas longtemps dans les mêmes mains. Ils font leur travail, à mesure que je les lis, je les passe à beaucoup, autant civils que militaires ". Pour en terminer, deux des correspondants de Lavieux se trouvent au 5e dépôt des équipages de la flotte. Tous deux invoquent la participation à une grève, pour expliquer la suppression de leur sursis...

L'exemple du Waldeck-Rousseau confirme donc l'existence de liens étroits et suivis entre les éléments des organisations avancées de la métropole et les membres des conseils établis à bord des bâtiments. D'autres éléments peuvent encore être versés à ce dossier. Au cours de leurs dépositions, plusieurs matelots du Waldeck-Rousseau soutiendront que le vice-président de l'Union fraternelle, pour provoquer les adhésions, affirmait que les statuts de la société avaient été soumis, pour approbation, à la confédération générale du travail. Un autre affirmera encore qu'un des meneurs avait l'intention d'envoyer un télégramme chiffré à Paris dès la prise du contrôle du bâtiment par les mutins.

(à suivre)
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Re: WALDECK-ROUSSEAU - Croiseur & sujet sur les mutineries

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Quoiqu'il en soit, l'affaire du Waldeck-Rousseau ne manque pas d'intérêt et permet d'apporter un éclairage un peu différent sur trois points essentiels. Dans ce cas précis, les éléments proprement maritimes, abus de corvées, souffrances de l'hiver, embarquements trop prolongés ou retards apportés à la démobilisation ou aux permissions apparaissent pratiquement inexistants. La crise du Waldeck-Rousseau confirme, au contraire, le rôle majeur, joué par les jeunes matelots, fortement politisés, ainsi que l'existence de conseils à bord des grands bâtiments et les liaisons peu douteuses établies avec des organisations de la métropole. Il apparaît encore que l'objectif essentiel des meneurs est bien de faire cesser l'intervention.

Il n'en reste pas moins vrai que pour arriver à leur fin, ils ont été obligés de faire intervenir des arguments d'une nature autre que politique et invoquer d'autres mobiles pour entraîner l'équipage : existence monotone, absence de distractions, discipline jugée trop rigoureuse, "mal du pays". En raison de conditions initialement différentes, il a donc fallu, pour atteindre un objectif strictement politique, recourir à des considérations matérielles et surtout au désir irraisonné, mais passionné de la majorité de l'équipage de rentrer en France.

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Re: WALDECK-ROUSSEAU - Croiseur & sujet sur les mutineries

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CONCLUSION

On ne peut nier que les facteurs proprement maritimes ont joué leur rôle dans les mutineries de la mer Noire. On a pu noter les lenteurs de l'intendance de Toulon à répondre aux demandes de la flotte exposée à des conditions d'existence difficiles. Sur le plan de l'autorité, des négligences, des maladresses ont été commises. Certains officiers ont manqué d'ascendant ou ont fait preuve de réactions discutables. Quant à la maistrance, diminuée, vieillie, fatiguée, elle s'est révélée inférieure à sa tâche. Elle constituait indiscutablement le maillon le plus faible de la chaîne du commandement.

Il n'en reste pas moins vrai que les causes essentielles des mutineries ne sont pas là. Les facteurs maritimes n'ont fait que renforcer un mouvement dont l'origine principale est d'ordre politique et se situe à l'échelon du gouvernement. Le gouvernement a, en effet, commis une lourde erreur en engageant le gros de la flotte en mer Noire, à la veille de l'hiver, loin de ses bases dans les conditions logistiques les plus précaires. Pour la 2e escadre, l'intervention s'est résumée en une improvisation constante et le commandement s'est trouvé dans l'impossibilité de résoudre trois problèmes clés. Pour le charbon, il a fallu pratiquement vivre de la charité britannique. La pénurie de main-d'œuvre n'a jamais permis un fonctionnement satisfaisant des bases de Constantinople, de Sébastopol ou d'Odessa. Enfin, la crise du tonnage permettait à peine de répondre à des mouvements de troupes pourtant singulièrement limités.

Indépendamment des conditions strictement logistiques, la politique d'intervention, décidée sans étude préalable sérieuse, a mis, à maintes reprises, la Marine dans des situations sans issue. Faute de tonnage et compte tenu des problèmes nés de la réorganisation suivant les armistices, l'état-major général s'est montré incapable d'assurer les relèves nécessaires. Le commandement s'est trouvé alors dans la position plus qu'inconfortable de ne pouvoir satisfaire ni le fonctionnement normal du régime des permissions, ni d'assurer les premières mesures de démobilisation, à moins de consentir à la désorganisation complète et à la paralysie de la flotte.

Le gouvernement a encore commis une autre faute en persévérant dans une entreprise vouée à l'échec dès les premières semaines et en maintenant le gros de la flotte dans des régions travaillées par les ferments de la défaite et de la révolution, d'autant plus que la politique alliée dans le sud de la Russie suscitait une opposition croissante de la part des organisations politiques et syndicales de la métropole. Tôt ou tard, le malaise qui sévissait à bord des bâtiments et que l'on retrouvait dans les troupes de terre, allait servir de support à l'action de groupes de meneurs décidés à faire échouer l'intervention contre la Russie bolchevique.

Force est enfin de constater que les avertissements n'avaient pas manqué et que le gouvernement a été régulièrement averti des risques qu'il y avait à prolonger l'intervention. Au niveau le plus élevé, Franchet d'Esperey, Berthelot, ont multiplié les mises en garde. Le gouvernement semble ne pas en avoir tenu compte. En tout cas, il n'a pas daigné faire parvenir de réponse. Il est tout de même étonnant de constater que, de décembre à avril, les exécutants n'ont pas reçu la moindre instruction et se sont trouvés livrés à eux-mêmes. Le 21 avril, alors qu'il n'y a plus aucune illusion à se faire sur l'ampleur du mouvement, le vice-amiral Gauchet, commandant en chef de l'armée navale, en est réduit à expédier le télégramme suivant : « Il importe que le gouvernement me fasse connaître d'une manière précise la politique suivie en mer Noire, l'étendue et le but de notre opération, qu'il en informe également l'amiral Amet et qu'il nous donne les moyens nécessaires pour assurer l'exécution de ses ordres ».

Sur le plan purement maritime, le gouvernement a encore été tenu régulièrement au courant de la dégradation du moral des équipages depuis le début de janvier 1919. Le 5 mars, l'amiral Gauchet adresse au ministre un volumineux dossier comprenant les rapports de l'amiral Amet, du contre-amiral Lejay et du commandant des torpilleurs de la 2e escadre. Tous constatent un mécontentement croissant, une « nonchalance » et un laisser aller » certains. Tous invoquent les mêmes raisons : suppression radicale des permissions, embarquement prolongé, difficultés initiales de ravitaillement et rigueur des missions en mer Noire, enfin, pour les mobilisés, maintien sur des unités éloignées des côtes de France. "II n'est pas aisément donné à ces équipages, ajoute le commandant des torpilleurs, de comprendre comment, l'armistice n'amenant aucune détente dans le métier, ils se trouvent au contraire entraînés dans des opérations qui diffèrent de celles des mois précédents qu'en ce qu'elles les conduisent dans des régions plus lointaines et plus inhospitalières et qu'elles cessent d'avoir à leurs yeux un but indiscutable comme l'était celui de la guerre et aussi un terme".

Enfin, tous ces rapports préconisent les mêmes remèdes : régularité des courriers, amélioration de la nourriture et de l'habillement, envoi de films et de livres et surtout, retour régulier des bâtiments en France, rétablissement des périodes d'embarquement de deux ans, modification du régime des permissions. Reprenant un des souhaits du commandant de la 2e escadre, l'amiral Gauchet estime que « le meilleur effet sur le moral des équipages serait le remplacement à bord des navires en campagne de tous les réservistes par du personnel de l'active, mais cela ne pourra se réaliser que si l'on consent à une diminution du nombre total des bâtiments armés ».


Dans son rapport de fin mars, l'amiral Amet reviendra encore sur le problème de la dégradation du moral des équipages en des termes dépourvus de toute ambiguïté. « Les demandes de personnel faites par la 2e escadre ne recevant pas satisfaction en temps utile, la démobilisation ne peut se faire normalement. Il est à craindre que son arrêt ait des répercussions fâcheuses sur le moral des équipages. Au moment où les facultés de nos navires en mer Noire devraient être très au-dessus de la normale pour faire face aux besoins de la situation, elles se trouvent très au-dessous de cette normale. Il peut en résulter les plus graves conséquences ». Aucune de ces mises en garde ne sera suivie d'effet. L'amiral Gauchet ne pourra que le déplorer dans un télégramme adressé à Marine Paris, le 22 avril 1919.

En définitive, les mutineries de la mer Noire apparaissent comme le résultat d'une rencontre entre des facteurs de nature et d'intensité différentes :

- Une lassitude générale née des conditions d'une campagne imprévue, pénible et d'une durée indéterminée ;
- Une démobilisation des esprits et des énergies survenant à la suite d'armistices assimilés à la paix ;
- Une désorganisation du commandement et une crise de l'autorité nées de la mutation de la Marine au cours de la guerre et aggravées par le nouveau régime des permissions et les premières mesures de démobilisation. En avril 1919, l'armée navale ne répond plus aux exigences d'une campagne lointaine, délicate sur le plan politique.

Ce malaise sensible à tous les niveaux et débouchant sur le désir « maladif » de rentrer en France n'aurait, cependant, pas suffi à déclencher un mouvement d'une telle ampleur. L'exemple du Waldeck-Rousseau, récemment arrivé de Toulon avec un équipage entièrement renouvelé, montre le rôle essentiel des considérations politiques. Celles-ci se résument en une revendication majeure : le refus de l'intervention armée en Russie. Sur ce point, on ne peut négliger la propagande bolchevique, dans la mesure où celle-ci a été l'origine d'un sentiment de sympathie des matelots à l'égard de la population, beaucoup plus que de la doctrine bolchevique. Il n'en reste pas moins, comme le prouve l'intensité variable du mouvement à bord des navires et le rôle déterminant des jeunes issus des régions industrielles de l'intérieur, que ce sont les incitations d'origine française qui ont tenu la place essentielle, qu'elles se soient exercées sur place, par l'intermédiaire du comité de Jacques Sadoul, ou à partir de la métropole.

(à suivre)

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