Bonjour à tous,
Rapport du LV APPELL, officier en second du MONGE au Vice Amiral, chef d’Etat-Major Général 26 Février 1918
Rapatrié d’Autriche après 2 ans de captivité, je vous adresse un rapport sur la perte du sous-marin MONGE commandé par le Lieutenant de Vaisseau Morillot.
Appareillé de Brindisi le 27 Décembre 1915 à 16h00. Journée du 28 en plongée devant la pointe Platamone, sans rien voir.
Dans la nuit du 28 au 29, fait route à petite vitesse pour recharger nos batteries. A 02h15, à 15 milles au sud de Cattaro, aperçu un groupe de navires dans le NW à 2 ou 3 milles. Nuit claire. Mis aux postes de plongée et venu à droite pour présenter l’arrière à l’ennemi. Ainsi, je diminue la visibilité du bateau et gagne du temps pour la plongée. Le commandant monte presque aussitôt sur le pont. Il fait ouvrir les remplissages et, deux minutes plus tard ordonne 3 m d’immersion et les deux moteurs à 400 ampères. Puis il descend à 5 m et sort le périscope de nuit. Peu après, il commande « Desserrez les freins ». Il avait donc l’intention de lancer une torpille. Quelques secondes plus tard, il commande « Vingt mètres ».A peine avions-nous manœuvré les barres de plongée que nous sommes abordés. Le choc est très violent et une forte voie d’eau se produit au kiosque. Le commandant et le timonier sautent en bas et je ferme le panneau de sécurité. Nous avons embarqué une grande quantité d’eau et le bâtiment prend une pointe en bas assez forte.
Le commandant ordonne « Chassez partout » et met les moteurs en arrière à 400, puis 600 ampères. Mais un seul démarre, les fusibles de l’autre ayant sauté. Nous atteignons alors une profondeur de 60 m et le sous-marin continue à descendre. Le commandant largue les plombs et le bâtiment prend alors une très forte pointe en haut. Tous les fusibles des accumulateurs sautent et l’éclairage s’éteint. On ne se voit même plus au poste de manœuvre éclairé par la seule lampe témoin du compas Sperry. Se croyant perdu, l’équipage crie « Vive la France ». Je fais rallumer l’éclairage de sécurité et crie « A vos postes, nous remontons ».
Le commandant, parfaitement calme, regarde les manomètres et les indicateurs de pointe. Quand nous sommes en surface, il ouvre le panneau de la chaufferie pour voir ce qui se passe à l’extérieur. De mon côté, je fais changer les fusibles des accumulateurs. C’est alors que les Autrichiens ouvrent le feu sur nous. Le commandant referme le panneau et, bien que n’ayant pas encore d’électricité, fait rouvrir les remplissages. Mais un projectile ouvre une voie d’eau sur la coque, près de la tige du périscope. Le bâtiment commence à couler très rapidement. Le commandant fait aussitôt refermer les remplissages et donne l’ordre d’ouvrir les panneaux et d’évacuer.
Le panneau de la chaufferie, coincé par un projectile, ne peut être ouvert. Celui de l’arrière est déjà sous l’eau, mais les hommes ont pu ouvrir celui de l’avant et sortir. Le commandant appelle les hommes de l’arrière. Quand ils sont tous passés, je sors à mon tour, pensant que le commandant me suit. En fait, ce sont deux hommes qui étaient allés tout à l’avant, peut-être pour prendre une ceinture de sauvetage, qui sortent encore après moi. Il s’écoule encore un peu de temps avant que le bâtiment ne disparaisse, mais le commandant, lui, n’est pas venu. Il n’a pas voulu quitté son bâtiment et est mort à son poste de commandement.
Les hommes crient encore « Vive la France ». Les voyant sortis, les Autrichiens cessent le feu. Ils nous recueillent dix minutes plus tard et nous traitent bien. Je ne sais pas comment les deux marins Goulard et Morel se sont noyés. Ils étaient sortis dans les premiers du sous-marin.
Les Autrichiens m’ont dit que l’HELGOLAND filait 21 nœuds et nous avait abordés sans nous avoir vus. Ils étaient même persuadés, au début, d’avoir coulé un sous-marin allemand.
L’abordage s’est produit légèrement sur bâbord arrière. D’après le timonier, le cap du MONGE est resté le même pendant toute l’attaque, S48E, cap qu’il avait en plongeant. Le commandant pensait avoir vu l’ennemi sur l’arrière. Je pense qu’il a voulu attaquer par tube orientable l’un des torpilleurs, mais n’a pas vu l’HELGOLAND qui était sur l’avant et s’est trouvé sur sa route. Quand il l’a vu, il était trop tard.
Je tiens à signaler la conduite de l’équipage du MONGE qui a été parfaite, digne de marins français, digne de l’admirable commandant que nous avions. Tous les ordres ont été exécutés jusqu’au dernier moment sans aucune hésitation. Il n’y a pas eu de bousculade au moment de l’évacuation effectuée par un seul panneau.
J’estime que cette conduite mérite une récompense et vous demande de bien vouloir en accorder une à tous les marins du MONGE. Si les règlements rendent la chose impossible pour ceux qui sont encore prisonniers, je vous demande de bien vouloir la leur accorder au fur et à mesure de leur retour en France.
Signé P. Appell
1ère Armée Navale Ordre n° 259
Le Vice Amiral commandant en chef porte à l’Ordre du Jour de l’Armée Monsieur le Lieutenant de Vaisseau Morillot, commandant du sous-marin MONGE.
Son bâtiment ayant, dans une attaque de nuit, éprouvé des avaries très graves qui le mettaient en danger de couler sur le champ, a su par sa présence d’esprit, son énergie, son habileté technique, à le ramener en surface. A pu ainsi assurer le sauvetage de son personnel. Resté à bord le dernier, a été glorieusement englouti avec son bâtiment.
Les quartiers maîtres Goulard et Morel, du MONGE, ont prêté jusqu’au dernier moment leur concours à leur commandant et sont morts après avoir accompli la tâche qu’ils avaient volontairement acceptée.
Signé : Dartige du Fournet
Voici un site donnant un autre rapport sur la fin du MONGE.
http://sousmarinmonge.perso.sfr.fr/reci ... tMenu1.htm
Cdlt