Bonjour à tous,
SURPRISE
Rapport complet adressé au Ministre par l’EV1 JOUGLARD, officier en second de SURPRISE
SURPRISE et DACIA ont appareillé de Gibraltar le 28 Novembre à 18h00 et ont fait route sur Madère. A ma connaissance, les instructions du Commandant en Chef de la Division du Maroc étaient :
- Escorter DACIA jusqu’à Dakar et charbonner dans ce port
- Revenir ensuite à Agadir
- Se conformer aux instructions de l’Amirauté pour les routes à suivre.
SURPRISE ne pouvait suivre exactement les instructions de route données au DACIA par l’Amirauté anglaise. Cette route passait très au large de tout port de charbonnage et dépassait de 1000 milles la distance franchissable par SURPRISE.
Dans la nuit du 28 au 29, une fuite de vapeur au joint de robinet de purge du cylindre HP de SURPRISE a forcé les deux bâtiments à retourner au mouillage de Tanger où ils sont arrivés à 11h00 le 29. Avarie réparée, repris la mer à 16h00 le même jour, tous feux masqués la nuit, sauf les feux de côté à éclat atténué. Le 2 Décembre, après une traversée contrariée par de violents coups de vent de SW à NW, atterri sur Porto Santo et fait route à petite vitesse sur Funchal par le chenal entre les Desertas et Madère.
Je dois signaler, en insistant sur ce fait, que d 08h00 à 23h00 pendant la journée du 2, SURPRISE a attaqué le poste anglais de TSF de Madère dans les formes prescrites (Note secrète du Commandant de la 6e Division Légère) sans recevoir de réponse de ce poste. Pendant toute la traversée de Tanger à Madère, SURPRISE, dont la veille TSF était continue, n’a reçu aucun message signalant ou faisant craindre la présence de sous-marins dans les parages de Madère.
J’ajoute que le charbonnage à Funchal était obligatoire pour SURPRISE. Parti de Gibraltar avec 8 tonnes en plus du plein normal de ses soutes le bâtiment avait en arrivant à Funchal 35 tonnes de charbon, quantité insuffisante pour gagner un port voisin, et à fortiori pour continuer la mission qui lui était confiée avec le mauvais temps régnant. L’intention formelle du commandant était de ne rester au mouillage de Madère que le temps strictement nécessaire pour charbonner.
SURPRISE a mouillé à Funchal le 3 Décembre à 07h30, par 25 m de fond, relevant le débarcadère au Nord à 400 m. A 350 m dans le SSW était mouillé le voilier américain ELEANOR A. PERCY, de New York. A 300 m dans l’ENE le KANGUROO. Quelques minutes après SURPRISE, DACIA a mouillé à 300 m dans l’ESE de KANGUROO.
Vers 08h45, un chaland de charbon a accosté SURPRISE à bâbord.
Vers 08h50, plusieurs hommes à bord ont vu distinctement le sillage d’une torpille venant de 2 quarts sur l’arrière du travers bâbord, de la direction de l’arrière du voilier américain. Le bâtiment a été frappé dans le voisinage de la cloison du carré du poste des seconds maîtres mécaniciens. La violence des effets constatés me fait présumer que la torpille a passé sous le chaland de charbon qui, dans l’hypothèse contraire, aurait amorti le choc. Violente explosion, fumée bleue-noirâtre, odeur caractéristique du coton-poudre explosant.
Toute la partie comprise entre la cloison machine-chaufferie et la cloison carré-appartement du commandant semble avoir été détruite. Le mât d’artimon, arraché de son emplanture, a été projeté en l’air. Le chaland a coulé par l’arrière. La partie du bâtiment comprenant appartement du commandant et compartiment de la barre a flotté quelques instants, puis a coulé à pic. La partie située sur l’avant du panneau de la machine a coulé plus lentement, présentant une forte inclinaison sur tribord. Ensuite, le bâtiment s’est redressé transversalement en coulant. L’étrave et une partie de la quille ont émergé. Un temps appréciable après la première explosion, une deuxième explosion plus sourde s’est produte dans la partie arrière. Je l’attribue à la déflagration des munitions des soutes milieu.
Une minute et demie après l’explosion, le bout dehors de beaupré a disparu et la partie avant du bâtiment a coulé au fond. Le mât de flèche de misaine et le grand mât de flèche émergent seuls. Les débris du bâtiment reposent sur le fond et la houle qui règne depuis la perte les roule visiblement (oscillation des mâts) et continue la destruction.
Au moment d l’explosion, les hommes étaient approximativement répartis comme suit :
- Appartement du commandant : commandant (disparu) et 1 homme (sauvé)
- Carré : 2 officiers (disparus)
- Poste des SM mécaniciens : 1 SM et 3 hommes (disparus)
- Machine : 1 SM et 2 hommes (disparus) et 1 homme (sauvé)
- Chaufferie : 6 hommes (sauvés)
- Poste équipage : 16 hommes (sauvés)
- Poste des SM : 1 SM et 1 homme (sauvés)
- Dunette : 4 hommes (sauvés)
- Pont arrière : 1 PM, 1 SM et 6 hommes (sauvé) 4 SM et 7 hommes (disparus)
- Pont milieu : 14 hommes (sauvés) et 3 hommes (disparus)
- Pont avant : 6 hommes (sauvés) et 1 homme (disparu)
- Poulaines : 2 hommes (sauvés)
- + 8 hommes disparus dont la situation est inconnue.
En résumé, presque tous les hommes dans la machine, le poste des SM mécaniciens, le carré, le pont au dessus de ses tranches, ont disparu. Le commandant a sans doute été noyé dans son appartement. Une partie des hommes qui se sont jetés à la mer sur tribord avant ont disparu dans le remous causé par l’engloutissement de l’avant.
Huit ouvriers charbonniers qui étaient sur le chaland ont également disparu.
Tous les survivants ont été recueillis par les embarcations du KANGUROO et celles du port accourues immédiatement.
L’équipage de KANGUROO avait mis ses embarcations à l’eau vers 09h00 et se portait à notre secours. Le capitaine et le second étaient restés à leur bord. C’est alors qu’il a été à son tour torpillé et a commencé à couler. Le Capitaine au Long Cours BERNARD a alors rappelé à son bord le QM canonnier Laurent TONNERRE (Groix 1945) et le jeune soutier Michel PROVENZALE (inscrit provisoire à Bordeaux n° 293). Il a armé avec eux la pièce de 47 mm et a tiré 50 coups sur un périscope parfaitement visible à 1000 m. Le but a été encadré avec une grand précision et le feu n’a été interrompu que par la submersion de l’affût. KANGUROO a coulé à fond 45 minutes après l’explosion.
A 09h05, DACIA, à peine évacué par sont équipage est torpillé et coule.
De 09h30 à 11h00, le sous-marin, en surface à moins de 3 milles de terre, bombarde la ville avec des effets insignifiants.
J’avais quitté le bord vers 08h30, chargé par le commandant de me mettre en rapport avec l’agent consulaire de France. Monsieur Doré, médecin de 2e classe, était également à terre où il allait chercher la patente de santé du bâtiment. Après une tentative pour me rendre sur les lieux de l’explosion, tentative arrêtée par le capitaine du port qui avait pris la direction du sauvetage, et après m’être assuré que des embarcations stationnaient toujours au dessus des débris de SURPRISE, j’ai rassemblé les survivants valides sur le débarcadère et les ai dirigés sur l’hôpital où le personnel de la Croix Rouge dirigeait les blessés. Ces derniers ont été immédiatement soignés avec le concours du docteur Doré qui a fait preuve du plus grand dévouement et d’un haut sentiment du devoir.
L’appel des survivants a été fait sur le champ, leur logement et leur nourriture ont été assurés sans retard, sous le bombardement, par les soins de Mr le Consul LABORDERE accouru parmi les premiers et dont le dévouement inlassable ne s’est pas démenti un instant depuis lors. Je tiens à signaler la belle conduite de Mr De CUNHA, gendre du consul, qui s’est porté avec lui sur les débris de SURPRISE quelques instants après le désastre. Depuis, il n’a pas cessé de se prodiguer sans compter pour assurer jusque dans les détails l’entretien des survivants.
J’attire votre attention sur la conduite des hommes suivants :
- ABIVEN, 1er maître mécanicien, dès les premiers instants m’a secondé dans la direction et l’organisation du détachement des survivants avec un zèle intelligent et une grande autorité.
- LE DOUAIRON, second maître canonnier, à peine arrivé à terre, s’est occupé avec sang froid de rassembler les survivants et d’en faire l’appel. Depuis lors, il seconde efficacement le premier maître Abiven dans le commandement du détachement.
- POULMARCH, second maître de timonerie, après l’explosion, a quitté le dernier le poste d’équipage après s’être assuré qu’il était complètement évacué. A terre, seconde efficacement le premier maître.
- BERGER, QM canonnier, accouru à son poste de combat, a dirigé efficacement l’évacuation d l’avant.
- GUILLOU, canonnier breveté, projeté à la mer par l’explosion, a cédé l’espar qui le soutenait à un de ses camarades plus en danger que lui.
- THOMAS, QM de manœuvre, étant lui-même en danger de se noyer, a aidé un de ses camarades à se dégager des agrès qui l’entraînaient.
- DERRIEN, QM fusilier, CHOTARD, canonnier breveté, POZEC, canonnier breveté, recueillis par une embarcation, ont exigé qu’elle revienne sur les lieux et ont ainsi sauvé plusieurs hommes.
La plus grande partie du matériel doit être considérée comme perdue. Les effets retrouvés ont été répartis entre les survivants.
Au sujet des documents secrets je ne puis que vous répéter les termes de mon télégramme chiffré du 5 Décembre. Les principaux documents ont coulé dans un coffret en fer. Au moment où j’ai quitté le bord, n’étaient pas dans ce coffret la table CS 15, le dictionnaire télégraphique, les circulaires secrètes du Ministre, de l’Armée navale et de la Division navale du Maroc. Je n’ai jusqu’à ce jour reconnu aucun de ces documents parmi les objets recueillis. Les livres de la Tactique ont été pendant plusieurs jours aux mains des autorités portugaises. Rien n’a été retrouvé de la comptabilité.
Le rôle de notes de l’équipage, retrouvé à la surface m’a permis d’établir avec exactitude la composition de l’effectif au moment de la perte du bâtiment. Je joins ce document au présent rapport.
Le corps du second maître Guichoux a été retrouvé le 3 Décembre, identifié et inhumé avec les honneurs militaires dans le cimetière de Funchal.
Voici la signature de l’EV1 Jouglard
(à suivre)
Cdlt