Bonjour à tous,
Torpillage du 6 Février 1918
VILLE DE VERDUN. Cie Havraise Péninsulaire. Traversée Dakar – Marseille avec :
- 4400 tonnes de blé
- 800 tonnes d’arachides
- 150 tonnes de peaux vertes
- 25 tonnes de vieux cuivre
- 8 canons de 140 mm
- 200 barriques contenant des arachides
- 111 balles de poisson
Navire armé de deux canons de 90 mm
9 officiers et 41 hommes d’équipage
5 clandestins
1 passager (Capitaine de Frégate VESSIER embarqué à Dakar)
Rapport du second capitaine REBOURS
Quitté Dakar en convoi le 23 Janvier 1918 avec 50 hommes d’équipage. Découvert 5 Sénégalais cachés parmi les marchandises après le départ. Fait route suivant les ordres reçus du chef de convoi.
Alizés de NE très frais et mer houleuse. Mer grosse couvrant les ponts avant et arrière de paquets de mer ; fatigue du navire.
Le 3 Février, rencontré un autre convoi et navigué de conserve jusqu’à Gibraltar. Arraisonné le 4 Février à 13h00 à Gibraltar. Appareillage à 18h30, le capitaine ayant pris les ordres à terre. Fait route sur Marseille en rasant la côte espagnole. Doublé le cap de Gate le 5 Février. Beau temps. Mer calme avec légère brise de NNW. Passé le travers de Carthagène à 21h00 à 2 milles de distance. J’ai veillé personnellement à ce qu’aucune lumière à bord ne trahisse notre présence. Nuit très sombre.
Passé le feu de Torrevejia le 6 Février à 00h45 à 2,5 milles. Fait route au N10E. A 01h30, une torpille est lancée par un sous-marin allemand et nous frappe à bâbord par le travers de la cale soute, emportant les deux baleinières de ce bord. L’eau envahit immédiatement la machine et la chaufferie jusqu’au niveau extérieur.
L’abandon se fait aussi rapidement que possible et en bon ordre dans les embarcations de tribord. Vingt minutes après l’abandon, le sous-marin émerge à quelques mètres de ma baleinière. Un officier allemand saute dans l’embarcation et demande le capitaine. Personne ne répondant, il renouvelle sa demande en français. Un matelot lui dit qu’il est dans l’autre embarcation, qui nous accoste au même moment. Monsieur HERRY, très calme, lui demande ce qu’il veut. L’officier allemand lui demande de monter sur le sous-marin et lui dit : « Vous êtes prisonnier ».
Le navire ne coulant pas, une 2e explosion se produit à 03h15 et je l’attribue au lancement d’une 2e torpille. L’épave est aperçue jusqu’à 04h00 et coule vers 04h19.
Resté sur les lieux du naufrage jusqu’au jour, avec les deux baleinières. Les hommes sauvés sont à moitié nus, mouillés, transis et souffrent beaucoup. Ne voyant plus rien à la surface que quelques épaves, vers 06h30 je fais route sur Torrevejia, quand nous croisons le vapeur italien DANTE ALIGHIERI allant vers Gibraltar. Il veut nous secourir, mais craignant pour lui et ses nombreux passagers, je lui fais signe de continuer sa route. Arrivé à Torrevejia à 08h45. Reçus par l’agent consulaire qui fait tout son possible pour nous secourir.
Sont manquants les chauffeurs DENAERDT Frédéric, 43 ans, DANIEL François, 56 ans, SALEH, Arabe d’Aden embarqué à Cardiff, BEN LASHEN, soutier marocain de Mogador, BISSENTI Gomis, un Sénégalais découvert caché à bord au départ de Dakar et employé comme soutier.
Le consul nous a dirigés sur Marseille où nous sommes arrivés le 13 Février à 17h00.
Déposition du 2e lieutenant François HEUZE, capitaine au cabotage
Je venais de prendre le quart à minuit et à minuit 45 nous avions passé l’E/W du feu de Torrevejia à 2,5 milles et faisions route au N10E.
A 01H25, je venais de passer de bâbord à tribord sur la passerelle pour voir le feu de Tabarca quand l’explosion s’est produite. Le matelot Savéan a aperçu la torpille sur bâbord, mais n’a même pas eu le temps de venir à Td pour me prévenir. Nous étions alors à 3 milles de terre.
Nous venions juste de passer une ligne de 7 pêcheurs qui avaient tous de grands éclairages à l’acétylène. Nous trouvant par leur travers, le bâtiment avait été un instant complètement éclairé. C’est pour éviter le même inconvénient, qu’apercevant un nouveau groupe de sept qui étaient devant nous sur bâbord, le commandant s’est décidé à sortir des eaux territoriales. Mais le sous-marin se trouvait entre le 2e et le 3e feu de cette ligne de pêcheurs. La nuit était très noire.
Le commandant a voulu faire fonctionner le sifflet, mais il n’a pas marché. Il m’a alors envoyé prévenir le chef mécanicien de stopper la machine. Quand je suis arrivé au panneau de la machine, le chef était déjà dedans et avait stoppé.
Le commandant voulait passer Tabarca avant le lever de la lune et nous y serions parvenus si nous n’avions pas été éclairés par les bateaux de pêche. Ce sont eux qui ont permis notre torpillage. Leurs lueurs se reflétaient sur les taches blanches de notre camouflage qui se voyaient alors parfaitement dans la nuit. Nous avions déjà constaté cet inconvénient dans le convoi de Gibraltar où les taches blanches des navires camouflés se voyaient parfaitement, tandis que ceux qui n’étaient pas camouflés demeuraient invisibles. J’estime que ces couleurs claires sont nuisibles.
Déposition du chef mécanicien Edouard MAURICE
J’étais couché au moment de l’explosion. Je me suis levé et, comme la lumière s’était éteinte, j’ai pris une lampe de poche et suis descendu dans la machine.
La chambre des machines était envahie par la vapeur et la machine a stoppé au moment où je suis arrivé en haut de l’échelle. Je suis descendu jusqu’au parquet du milieu de cylindre pour fermer le registre d’arrivée de vapeur. Mais je n’ai pu descendre plus bas car j’avais les pieds dans l’eau. J’ai fermé la porte du tunnel qui était entrouverte pour le graissage et dont la manœuvre se fait au dessus du parquet.
Je suis remonté et j’ai rencontré Monsieur Heuzé qui m’a demandé si la machine était stoppée. J’ai répondu affirmativement, ajoutant que machine et chaufferie étaient envahies et qu’il n’y avait plus rien à faire. J’ai alors vu le chauffeur Saïd Ben Reguig, blessé en haut de la machine et lui ai montré avec ma lampe le chemin à suivre pour sortir. Je suis passé par les coursives extérieures pour me rendre à la chaufferie, mais l’eau arrivait au parquet supérieur au dessus des chaudières. J’ai appelé et personne n’a répondu.
Je suis revenu dans la machine où la vapeur avait disparu. L’eau était au dessus des cylindres. Je suis alors allé prendre un paletot chez moi et suis retourné sur le pont où j’ai retrouvé le capitaine. Ma lampe de poche ne fonctionnait plus. Je me suis rendu à la baleinière tribord arrière.
Plus tard, j’ai appris par les deux chauffeurs qui s’étaient sauvés, Ben Reguig et Ramdani, qu’ils avaient été projetés par l’arrivée brutale de l’eau au dessus des chaudières. L’un d’eux avait pu se sauver par la porte du haut, entre machine et chaufferie. Je ne sais par où est passé l’autre. Le chauffeur qui était dans la chaufferie et les deux soutiers qui se trouvaient dans la cale soute ont dû être tués par l’explosion. Quant au graisseur, je ne sais comment il a disparu.
Il n’y avait plus rien à faire et je pensais que le navire allait couler rapidement. Nous avons reçu l’ordre, dans les embarcations, de ne pas nous éloigner de l’épave. Le commandant du sous-marin a d’abord demandé en anglais où était le capitaine. Il a eu l’air de ricaner quand nous lui avons dit que nous étions français et il s’est alors exprimé en français.
Témoignage du Capitaine de Frégate VESSIER, passager
Le capitaine de VILLE DE VERDUN avait été avisé par la TSF de Gibraltar qu’un sous-marin était dans les parages. Le CF a alors conseillé au capitaine de rester en escale et de n’appareiller que le lendemain pour franchir de jour la zone dangereuse. Mais le capitaine avait reçu l’ordre de toucher Port Vendres le lendemain matin et n’a pu tenir compte de cette recommandation.
Le navire a été torpillé à 01h30 à 4 milles de Torrevieja et à 3 milles de la côte alors qu’il filait 10 nœuds. Il était à hauteur d’une douzaine d’embarcations de pêcheurs, faisant la pêche à la sardine au moyen de projecteurs à acétylène. Le bateau se trouvait fortement éclairé, ce qui a facilité la tâche du sous-marin.
La torpille a été lancée venant de la direction de terre et il est certain que le sous-marin louvoyait à proximité de la côte, dans les eaux espagnoles. Les douaniers et les habitants ont perçu distinctement pendant toute la nuit le bruit du moteur du sous-marin.
Contrairement au témoignage du 2e capitaine du navire torpillé, le CF affirme que VILLE DE VERDUN était à 3 milles de la côte, et donc dans les eaux territoriales espagnoles.
Le sous-marin attaquant
Environ 100 m de long.
Blockhaus très élevé maintenu à l’avant par des câbles d’acier.
1 canon d’environ 120 mm, fixe, sur l’avant du kiosque, à 3 m.
Pas vu de périscope
Peint en noir. Peinture neuve.
Officier habillé en bleu avec casquette à visière plate, calotte haute et recouverte en blanc.
Emergeait et naviguait avec une facilité remarquable
Voici sa silhouette
Ce sous-marin était donc l’U 34 du Kptlt Wilhelm KANARIS
Conclusion de l’officier enquêteur
Quand VILLE DE VERDUN a été torpillé, il y avait à proximité environ 7 bateaux de pêche sardiniers, qui pêchaient à l’aide de phares à acétylène. Le sous-marin se trouvait entre le 1er et le 2e bateau et a même intimé l’ordre à l’un des pêcheurs d’éteindre ses feux. Toutes ces embarcations étaient à 1,5 milles de terre. La clarté de leurs feux a obligé VILLE DE VERDUN à s’écarter pour ne plus être dans leur zone de lumière. Ces pêcheurs espagnols étaient au courant de la présence du sous-marin, mais il ne semble pas qu’ils aient prévenu le capitaine de VILLE DE VERDUN.
Le vapeur devait être à 3,5 milles de la côte.
Observations de l’officier AMBC
Celui-ci reprend tous les éléments des dépositions et estime que la veille était bien faite, mais que la durée de veille des canonniers était trop longue et non conforme au règlement. Il note que d’après le QM canonnier, en dehors des exercices d’entrainement, le personnel n’avait jamais effectué d’exercice en branle-bas de combat. Le QM avait demandé à Dakar, à plusieurs reprises, d’effectuer un tir d’essai des pièces, mais on ne lui avait pas donné satisfaction. De plus, il lui manquait du matériel : lampes, jumelles, et Dakar, qui en était dépourvu, n’avait pu lui en fournir. L’approvisionnement en munitions comportait 200 coups de combat.
Enfin, ce navire armé à Londonderry, en Angleterre, n’avait depuis touché aucun port français, sauf Dakar, et n’avait donc pas les jumelles que délivre l’AMBC. Il possédait des fumigènes du système anglais, dont l’équipe militaire ignorait tout du fonctionnement.
A bord de ce navire, on semblait se préoccuper plus d’une évacuation rapide et en bon ordre que d’une utilisation optimum des moyens défensifs.
Récompenses
Citation à l’Ordre de l’Armée
HERRY François Capitaine
A fait preuve de courage et d’abnégation lors du torpillage de son bâtiment en se présentant pour sauvegarder son équipage, au sous-marin qui l’a fait prisonnier.
(Notons que le capitaine François HERRY, inscrit à Binic, avait déjà été coulé sur le VILLE DU HAVRE de la Havraise Péninsulaire le 5 Janvier 1917 et avait alors pu sauver tout son équipage. Il avait été cité à l’Ordre de la Brigade. Voir ce lien : pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... _1.htm#bas )
)
Citation à l’Ordre de la Brigade
REBOURS Joseph 2e capitaine
A fait preuve d’esprit de discipline et de dévouement en restant avec les deux embarcations auprès de son bâtiment, jusqu’à ce qu’il disparaisse comme lui en avait donné l’ordre son capitaine. A fait ensuite preuve d’abnégation en refusant les secours du vapeur italien DANTE ALIGHIERI qu’il craignait de voir torpillé pendant le sauvetage.
Témoignage Officiel de Satisfaction
MAURICE Edouard Chef mécanicien
A fait preuve d’esprit de devoir et de discipline en descendant dans sa machine pour la stopper et en se portant au secours de son personnel au moment où le bâtiment venait d’être torpillé.
Etat Major et Equipage du VILLE DE VERDUN
Ont fait preuve d’esprit de discipline et de devoir en restant auprès de leur bâtiment, suivant les ordres donnés par leur capitaine. Ont ensuite fait preuve d’abnégation en refusant les secours d’un vapeur italien qui pouvait être torpillé en venant à leur aide.
Voici le paquebot DANTE ALIGHIERI, 9754 t, rencontré par les naufragés de VILLE DE VERDUN dans la nuit du 6 Février 1918
Et lors de son lancement en 1914
Devenu MANJU MARU, ce paquebot fera naufrage le 5 Février 1944 suite à une collision alors qu’il allait de Kure, grande base navale près d’Hiroshima dans la mer intérieure du Japon, à Kobe.
Cdlt