Bonjour à tous,
Naufrage du 18 Février 1918
Rapport du capitaine
Quitté la baie de Saint Paul le 18 Février à 16h00. Arrivé au point de sécurité à 17h15, point de réunion des 12 navires du convoi destiné à Bizerte escorté par un destroyer anglais et 5 chalutiers anglais.
Le convoi, une fois formé, fait route au N62W vrai. A 17h30 le chef de convoi ordonne de zigzaguer à la vitesse de 7,5 nœuds, selon le diagramme 1.
Temps clair et beau clair de lune. Brise fraîchissant au NW et mer grossissant. A 22h00 le ciel se couvre et la lune est cachée par les nuages. Les navires du convoi conservent leurs postes. BASQUE occupe le poste le plus à droite de la 2e ligne. Voici le plan de formation.
J’étais dans la chambre de veille lorsque vers 23h30 j’entends une très violente explosion. Le navire vibre dans toutes ses parties et est entouré d’une atmosphère irrespirable. Nous étions torpillés. L’officier de quart stoppe immédiatement la machine et ordonne arrière toute. Le télégraphiste lance aussitôt un signal SOS avec l’antenne et la pile de secours. J’essaie de faire fonctionner le sifflet à vapeur, mais en vain. Il n’y a plus de pression aux chaudières.
Lancé deux fusées pour attirer l’attention du convoi. Je n’ai pas fait le signal d’alarme au canon. Les pièces étant chargées en permanence, je craignais d’atteindre un navire de l’escorte.
L’explosion avait été entendue par deux chalutiers : JAMES CONNOR et ALEXANDER HILLS qui quelques minutes après se rangeaient à nos côtés. Malgré la bonne veille exercée, le sillage de la torpille n’a pas été aperçu. Elle a frappé à tribord, par le travers de la cheminée, à 3 m sous la flottaison.
Elle a détruit les canots 1 et 3, brisé la cloison étanche entre la chaufferie avant et la cale 2. Les panneaux de fermeture de l’écoutille arrière de la cale 2 ont été projetés en l’air et une flamme de 20 m de haut a jailli par l’ouverture. En moins de 3 minutes, la chambre des machines, les chaufferies et la cale 2 ont été envahies par l’eau. J’ai donné l’ordre d’être paré aux embarcations et en quelques minutes tous les hommes ont été à leur poste.
Voici le plan du navire
L’erre du navire cassée, les embarcations ont été amenées sur mon ordre. Les hommes désignés pour les 1 et 3 ont pris place dans les 2 et 4. J’ai fait pousser les embarcations en leur donnant l’ordre de rester à proximité du navire, à 100 m sous le vent. Je suis resté à bord avec le 2e capitaine, le 1er lieutenant, le chef mécanicien, le chef de poste TSF. La cale 2 était pleine, mais les autres cales, sondées étaient sèches.
Le destroyer chef d’escorte s’est rangé à tribord et m’a demandé des renseignements. J’ai rendu compte de la situation et lui ai demandé de faire venir un remorqueur pour me remorquer jusqu’à Malte.
A 00h40 le 19, le navire prit subitement de la bande sur bâbord. Par mesure de sécurité, j’ai décidé d’évacuer provisoirement après avoir fait une ronde avec le 2e capitaine dans tous les locaux, postes et cabines, pour m’assurer qu’il ne restait personne. J’ai appelé un canot et y ai embarqué avec mes officiers. Le capitaine du JAMES CONNOR m’a conseillé d’embarquer sur son navire et de prendre le canot en remorque car il trouvait dangereux de rester près du BASQUE. Le sous-marin aurait pu lancer une 2e torpille. J’ai donc embarqué avec mes hommes et le canot a été pris en remorque. ALEXANDER HILLS a recueilli tout le personnel des autres canots et les deux chalutiers se sont éloignés en zigzaguant, sans perdre de vue le BASQUE.
A 02h15, la lune s’étant couchée, je suis retourné dans l’embarcation avec mes hommes et suis revenu vers le BASQUE. Arrivé à une centaine de mètres, j’ai aperçu toute la partie avant du château en flammes. En quelques minutes, l’incendie prit des proportions considérables. La torpille avait dû incendier la soute à linge et le feu a couvé avant de se propager à toutes les cabines et à tout le château.
Je suis retourné sur le chalutier et j’ai dit au capitaine que, si possible, je ferais une tentative pour éteindre le feu et prendre le navire en remorque. Au jour, je suis retourné sur le BASQUE mais, le feu empêchant toute communication entre l’avant et l’arrière, j’ai partagé mes hommes en deux équipes. La pompe mobile à bras a été montée et le feu attaqué. ALEXANDER HILLS nous a pris en remorque et j’a recommandé à son capitaine de nous tenir travers au vent pour localiser l’incendie.
A 08h30, l’incendie étant localisé, j’ai dit à ALEXANDER HILLS de faire route sur Malte. JAMES CONNOR s’est mis en flèche devant ALEXANDER HILLS et nous avons été remorqués, pièces chargées, exerçant une veille rigoureuse. Les remorques ont cassé trois fois. Les chalutiers gouvernaient très mal et venaient souvent en travers.
A 12h20, un remorqueur de Malte nous a rejoint et a pris une remorque par bâbord. La vitesse augmenta mais ALEXANDER HILLS tomba en travers et je dus couper sa remorque pour qu’il ne chavire pas. Fréquemment les remorques des chalutiers cassent, mais ils sont très habiles et continuent leur manœuvre jusqu’à épuisement complet de leur stock de filins. A 18h00, JAMES CONNOR nous prend une aussière à l’arrière. En arrivant à Marsa Sirocco, nous avions 2 m d’eau dans la cale 1, 2,5 m dans la cale 3 et 1,5 m dans la cale 4. Nous avions une forte bande sur bâbord et il ne restait que 60 cm de franc-bord.
Les huit hommes de service dans la machine n’ont pu évacuer. Un seul a pu remonter, le graisseur Petilloni, gravement brûlé. Il est mort sur ALEXANDER HILLS. Mais il a pu parler un moment et dire que l’officier de quart, Monsieur Achille Vidal, s’est précipité sur la mise en train dès qu’il a entendu le choc. Il aurait pu franchir l’échelle et arriver sur le pont sain et sauf. Mais il est resté à son poste se rendant compte du danger qu’il courait. Il n’a pas failli à son devoir.
Le restaurateur Louis Darrieux, le maître d’hôtel Jean Mourigné et le garçon de carré Fernand Dumas, qui habitaient deux cabines contigües à tribord par le travers des chaufferies, ont reçu des brûlures graves. Ils sont en traitement à l’hôpital Blue Sisters de La valette, comme le matelot Mathurin Lagadeuc qui a le gros orteil du pied gauche écrasé. Il ne se souvient pas comment il a été blessé.
L’évacuation du navire s’est faite rapidement et sans confusion. J’ai eu en la personne du 2e capitaine Henri Mattei, un aide très dévoué et utile qui m’a facilité la tâche. Cet officier est resté depuis le torpillage jusqu’à l’arrivée à Marsa Sirocco, soit pendant 27 heures, sans prendre aucun repos, stimulant le zèle des hommes pour combattre l’incendie, donnant à chacun l’exemple du courage le plus absolu et d’une complète abnégation.
Le 1er lieutenant Emile de la Bernardie, qui était de quart au moment du torpillage, a eu beaucoup de sang froid. Cet officier a dirigé l’équipe de l’arrière pour combattre l’incendie.
Le chef mécanicien Bonamour et le chef de poste TSF Baudonnat ont eu beaucoup de courage pour combattre l’incendie.
Le maîtres d’équipage Raymond Calmette, le capitaine d’armes Toussaint Luciani, le charpentier Augustin Mariotti, le cambusier Antoine Bernardini et le matelot Rinaldo Tatoni ont été d’une vaillance remarquable et ont fait preuve de beaucoup de sang froid. Ainsi, Bernardini n’a pas hésité à diriger sa lance le plus près possible du foyer malgré le danger couru et a fait preuve d’un dévouement remarquable.
Le chauffeur sénégalais Bakary Diallo a aidé le chef mécanicien à pénétrer dans la machine pour aller au secours des hommes restés en bas et pour fermer les portes étanches.
J’attire particulièrement l’attention sur la conduite du maître d’hôtel Jean Mourigné, âgé de 63 ans, atteint de brûlures graves qui ont nécessité son hospitalisation, qui s’est néanmoins rendu à son poste d’évacuation prévu à l’arrière en transportant son camarade Fernand Dumas, plus grièvement atteint que lui et a pu le faire embarquer.
J’ai trouvé auprès des chalutiers anglais une assistance remarquable. Les capitaines de ces deux navires les maniaient avec beaucoup de sang froid malgré les risques qu’ils couraient. A chaque remorque cassée, ils n’hésitaient jamais à en envoyer une autre. C’est grâce à leur zèle que j’ai pu ramener le BASQUE à Marsa Sirocco. Il aurait sinon coulé par de grands fonds et l’effort fait pour le sauver, pendant 28 heures, aurait été vain.
L’incendie du château a entraîné la perte de tous les papiers du bord et de tous les vêtements et instruments des officiers du bord, des maîtres et de l’équipage, y compris des deux cuisiniers annamites, des boys de la cuisine et des cinq convoyeurs de l’Armée d’Orient qui avaient une cabine dans le château central.
BASQUE transportait 50 tonnes de peaux de chevrettes chargées à Salonique et 1050 tonnes de manganèse chargées à Milo (mine de Vani).
Les deux canots pris en remorque par les chalutiers ont été abandonnés par suite des ruptures de bosses fréquentes et sur les cinq radeaux, un seul a pu être remorqué jusqu’à Marsa Scirocco.
Nota : il y avait en fait 11 navires seulement dans le convoi, le NEWFIELD en ayant été retiré au dernier moment. Ces navires étaient :
- POLKERRIS
- HATASU (sera torpillé le 27 Septembre suivant par l’UB 49 de l’Oblt Adolf Ehrensberger)
- BASQUE
- TANFIELD
- RAITHWAITE
- CAMBRIAN KING
- CALIFORNIE
- DANUBE
- SUZETTE FRAISSINET
- ELPIDOPHOROS
- PANAMA TRANSPORT
Voici HATASU
Et TANFIELD
Déposition de Henri MATTEI 2e capitaine
J’étais couché au moment de l’accident. J’ai été réveillé par la secousse et j’ai compris de suite que nous étions torpillés. Je me suis aussitôt occupé de la surveillance générale des embarcations, de leur mise à la mer et de l’embarquement des hommes. Avec le commandant, nous avons quitté le bord à 00h45 dans une embarcation contenant le chef mécanicien, le 1er lieutenant, le maître d’équipage, le capitaine d’armes, le charpentier, le cambusier et le matelot Tattoni. Avant de quitter le bord, j’ai fait moi-même une tournée dans tous les lieux accessibles du navire pour voir si tout le monde avait débarqué. Le commandant en a fait une après moi.
Le chalutier JAMES CONNOR nous a recueillis jusqu’au coucher de la lune. Il était entendu que nous retournerions alors à bord pour tourner les remorques. C’était conforme avec ce qui avait été décidé avec le sloop HARRIER, chef d’escorte, et le commandant. Celui-ci avait demandé au commandant du HARRIER de demander des remorqueurs. A 02h45, nous sommes revenus à bord.
La pompe à incendie a fonctionné de 07h00 à 18h00. Le commandant a fait mettre aux postes d’abandon à cause de la gite qui augmentait et de la flottabilité du navire qui diminuait.
Je signale particulièrement la conduite du commandant qui a été admirable de sang froid et de calme et qui a redonné confiance à tous. Il s’est dépensé sans compter pendant l’incendie et le dur travail de remorquage.
Bernardini a été remarquable de zèle, d’entrain et d’activité infatigable.
Je signale aussi qu’en sortant de ma cabine, j’ai entendu le restaurateur Dumas qui gémissait. J’ai entendu le maître d’hôtel qui lui disait : « Appuie-toi sur moi. Je te sauverai mon vieux. Je suis brûlé comme toi, mais ça ne fait rien. » Ce maître d’hôtel est un homme de 64 ans.
Déposition du chef mécanicien Marcel BONAMOUR
J’étais couché au moment de l’accident et j’ai tout de suite eu conscience que le navire venait d’être torpillé. J’ai tourné l’interrupteur de ma lampe, mais il n’y avait plus de lumière. A peine vêtu, je me suis précipité dans la machine, mais il y avait une fumée noire, suffocante, un nuage de poussière et de vapeur. J’ai rencontré en haut de la montée un homme qui se plaignait. C’était le graisseur Petilloni, brûlé à la face, aux mains et au corps. Je l’ai aidé à se transporter derrière et l’ai quitté sur la dunette.
Après avoir un peu respiré, j’ai à nouveau essayé de pénétrer dans la machine. J’ai réussi à descendre, mais ai été arrêté par l’eau qui était déjà au dessus du parquet milieu. J’ai appelé à plusieurs reprises le second mécanicien, Monsieur Vidal, mais n’ai pas eu de réponse. Je me suis assuré que la porte étanche du tunnel était bien fermée.
Je suis remonté sur la passerelle où j’ai trouvé le commandant et lui ai rendu compte de l’état de la machine et de la disparition des hommes et du chef de quart. Je suis allé avec le commandant et un chauffeur assurer la fermeture de la porte étanche de la calette n°2 qui nous servait de soute de réserve. Puis je suis resté à la disposition du capitaine.
Le quart se composait de 4 chauffeurs, 2 soutiers, 1 graisseur et le chef de quart Monsieur Vidal.
Déposition du 2e lieutenant Joseph RIVAL
J’étais couché au moment du torpillage et aussitôt sorti j’ai été saisi par une forte fumée. Je me su précipité vers la passerelle où j’ai trouvé le 1er lieutenant. L’ordre venait d’être donné de se rendre aux postes d’abandon. Je me suis dirigé vers le château central pour gagner l’embarcation 4. Dans la nuit, elle paraissait brisée sur ses bossoirs alors qu’avant le torpillage elle se trouvait à son poste de mer, en dehors, prête à être amenée. Elle était alors en dedans des bossoirs et coincée. J’ai embarqué dans la yole qui contenait déjà 15 hommes et nous avons été recueillis par ALEXANDER HILLS avec 30 hommes, jusqu’à Marsa Sirocco.
J’ai assisté Petilloni jusqu’à ses derniers moments. Il est mort le 19 à 20h25. Il souffrait beaucoup, mais sans paraître avoir conscience de son état. Vers 08h00 du matin, au moment où ses souffrances semblaient s’être calmées, il a parlé et raconté que Monsieur Vidal se trouvait auprès de lui, à proximité du magasin de la machine. Il disait : « Il aurait pu monter, mais Monsieur Vidal est allé tout de suite à la mise en train ».
Petilloni était marié et père de deux enfants. Il attendait la naissance d’un troisième.
Déposition du radiotélégraphiste Marius BAUDONNAT
Au moment du torpillage j’étais de service dans le poste TSF. J’ai entendu une forte explosion et j’ai compris que nous venions d’être torpillés. L’antenne principale était tombée. J’ai aussitôt fait l’appel réglementaire à l’aide du poste et de l’antenne de secours. SOS.SOS BASQUE torpillé. Position. Le commandant est alors venu dans le poste et sur son ordre j’ai répété trois fois le signal.
(Nota : l’officier enquêteur note que l’appel n’a pas été entendu, sauf très faiblement par un seul chalutier d’escorte. Baudonnat répond que l’antenne de secours a dû se trouver mise à la masse et que l’énergie de rayonnement a alors perdu de sa force de propagation)
J’ai déchiré le livret bleu du radiotélégraphiste et ai jeté les morceaux à la mer. Puis je me suis mis à la disposition du commandant. Je l’ai accompagné avec une petite lampe de poche dans les rondes faites à travers le bâtiment avant le premier abandon. J’ai été parmi les derniers restés avec lui et nous avons quitté le bord dans la dernière embarcation recueillie par le JAMES CONNOR. La même équipe est revenue sur le BASQUE après le coucher de la lune pour tenter le remorquage. Un incendie s’est déclaré subitement et violemment sur le château central. Le commandant a alors différé sa décision et nous ne sommes revenus qu’au jour pour combattre l’incendie.
Nota : le TSF Baudonnat avait déjà été cité à l’Ordre de l’Armée lors du torpillage du RENAUDIN (citation accordée au navire).
Conclusions de la commission d’enquête
Elle reprend tout le déroulement des faits et signale :
- Depuis le torpillage le capitaine a eu à cœur et comme préoccupation unique de sauver son navire. Il s’y est employé dès qu’il l’a cru possible et sans danger pour ceux qui l’ont aidé dans cette tâche. Il a été un exemple d’énergie et a fait preuve de sang froid et de persévérance
- Esprit de devoir et de sacrifice de Mr. Vidal, second mécanicien de quart, dont Petilloni mourant raconte très simplement la noble conduite : « Il aurait pu monter, mais il est allé à la mise en train ».
- Conduite du vieux maître d’hôtel transportant vers l’arrière son camarade blessé.
- Conduite du cambusier Bernardini qui avec bonne volonté et entrain a donné toute son énergie et toutes ses forces sans compter et avec dévouement.
- Habileté professionnelle et énergie déployées par les capitaines des trawlers JAMES CONNOR et ALEXANDER HILLS dans le remorquage du BASQUE entre 06h00 et 13h00 et du Commander Ellis qui a dirigé la manœuvre de 13h00 jusqu’à l’échouage, de nuit, dans la baie de Marsa Sirocco. Avec le vapeur NORD, c’est le deuxième navire français confié à son habileté dans pareilles conditions, ramené à bon poste d’échouage après une manœuvre pénible et délicate.
Nota : BASQUE a été échoué sur les petits fonds de Pretty Bay, au fond de la baie de Marsa Sirocco, à proximité de l’actuel terminal à containers, juste en face de l’actuel Club de water-polo de Birzebugga
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’UB 52 de l’Oblt z/s Otto LAUNBURG.
Cdlt