Des antipodes à Verdun

Organisation, unités, hôpitaux, blessés....
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Eric Mansuy
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Des antipodes à Verdun

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,

Il y a 102 ans de cela, la presse des antipodes consacrait quelques articles au rôle quasi confidentiel joué par les sections sanitaires anglaises, en particulier à Verdun. Le 1er janvier 1917, l'un des leurs, l'Australien Robert Keith Wood, était mis en valeur dans les colonnes du Register :
"Avec la Croix Rouge française

M. Robert K. Wood, fils de M. Peter Wood (G. Wood, Fils et Compagnie), sert au sein de la Croix Rouge française. Dans une lettre du 29 octobre à ses parents, il écrit : « Nous avons quitté le front pour quelque temps, notre division prenant un peu de repos. Nous avons connu des moments très chauds. Il ne fait aucun doute que vous avez dû lire ce qui s’est passé lors de la grande attaque française dans le secteur, lancée dimanche dernier. Je peux vous dire que l’excitation était à son comble au moment où, le premier jour, ils sont sortis de la tranchée à 11 heures, ont progressé de 3 miles et ont fait 2.500 prisonniers. Dans la nuit, ils ont pris le Fort de D., puis ont visé le Fort de V., qu’ils ont pris en quelques heures, avec de nouveaux prisonniers à la clef, près de 4.700 au total. Nous étions fous d’excitation. Ce terrain, que les Boches avaient mis 6 mois à conquérir – avec bien du mal et de terribles pertes – a été repris par les Français en moins de 2 jours. Le nombre de blessés a été relativement faible en proportion du nombre d’hommes engagés, ce qui n’a pas empêché les ambulances de faire leur maximum. L’avant-veille de l’attaque, nous avons eu une période agitée. Toutes les batteries ont assuré un bombardement systématique, et en retour, les Boches ont arrosé nos routes pour y frapper nos troupes en route vers les tranchées. L’endroit où se trouvait notre abri a été touché par une paire d’obus, et nous avons dû en partir pour loger ailleurs. Nous avons failli perdre 2 autres autos : un obus en a traversé une, et s’est planté sous une autre, mais sans éclater. Si tel avait été le cas, nous les aurions perdues. Samedi soir, je me dirigeais vers les téléphonistes afin d’appeler des autos quand un obus a touché une maison, dont la moitié a été soufflée sur la route sur laquelle nous étions : j’ai dû rassembler 4 gars et déblayer les débris pour pouvoir passer. De retour du téléphone, les obus pleuvaient et j’ai dû longer la rivière pour être en sécurité. Il en est tombé un à quelques centaines de mètres, dont l’explosion a soulevé des colonnes d’eau. J’ai pris mes jambes à mon cou jusqu’à l’abri le plus proche. Tous nos gars ont eu bien de la chance, aucun n’a été blessé bien que 2 autos aient été frappées par des éclats, qui ont troué leur carrosserie. »"

Image

Le 9 mai 1917, c'est la presse néo-zélandaise, en l'occurrence le Taihape Daily Times, qui mettait leur action en exergue :
"L’activité britannique à Verdun

« Le merveilleux héroïsme de ses défenseurs, uni à la fermeté d’âme de sa population, a rendu illustre à jamais le nom de cette vaillante cité. Il est du devoir du Gouvernement de la République de proclamer que la ville de Verdun a bien mérité de la patrie. » Telle est la citation de cette jadis riante cité sur la Meuse, à présent horriblement scarifiée, désolée, presque totalement détruite, mais toujours résolument dressée contre les hordes assaillantes. De l’universel concert de louanges au sujet de ce qu’a enduré notre courageux allié au gré des fortunes des mois passés, est omis le fait qu’une unité britannique, qui quoique réduite en taille n’en est pas moins efficace, a eu le privilège de prendre sa part dans ce qui s’y est déroulé. Depuis que le Kronprinz a pris l’initiative, de la manière à la fois la plus hasardeuse et la plus désespérée, des convois d’autos sanitaires organisés, équipés, et menés par le British Ambulance Committee, concourent à évacuer les blessés de la première ligne. Nul autre secteur du front n’a été plus astreignant pour accomplir cette tâche que celui de Verdun. Tous les hommes des sections ambulancières britanniques – officiellement Sections Sanitaires Anglaises, au sein de l’armée française – que ce soit sous les obus de Verdun ou dans les zones montagneuses des Vosges, sont d’origine britannique, nombre d’entre eux venant d’Australie, du Canada, de Nouvelle-Zélande, d’Afrique du Sud, d’Argentine, de Malaisie, de Ceylan, etc. Ils constituent une unité laborieuse et enthousiaste, dont l’activité au service des blessés français n’a pas manqué d’être récompensée. Non seulement des sections ont-elles reçu la Croix de guerre, mais tel a également été le cas, pour leur conduite au feu, de membres de leurs effectifs : pas moins de 48 médailles ont ainsi été attribuées, un homme ayant même reçu la très convoitée Médaille militaire."

Puissent ces maigres traces permettre de tirer des oubliettes de l'Histoire les centaines de volontaires venus en France nous prêter main forte.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
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Turos M J
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Re: Des antipodes à Verdun

Message par Turos M J »

... chaque petite trace mérite d'être commémorée.
Merci pour ce texte.
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Eric Mansuy
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Re: Des antipodes à Verdun

Message par Eric Mansuy »

Bonjour,

Merci pour votre lecture. Autre extrait, traduit du Timaru Herald (journal néo-zélandais) du 21 décembre 1916 :
"Sur le front français
Les impressions d’un homme de South Canterbury


Le conducteur P.V. Sealy, de l’ambulance automobile française, écrit à la date du 14 octobre [1916] :
« Représentez-vous une froide et maussade journée pluvieuse – un vent glacé venu du Nord, plus mordant que le souffle de l’Arctique – et le sifflement et craquement impromptu des obus boches passant au-dessus de nos têtes à la recherche des batteries voisines, une série d’abris de pierre et de bois ou de tanières creusées à même la pente pelée, au pied d’une crête arrosée par l’artillerie, là où nos tranchées serpentent et zigzaguent dans ce qui fut jadis une forêt : vous voyez à présent ce qui m’entoure dans le poste où je prends la garde pour 24 heures, assis à attendre les urgences descendant des tranchées ; la monotonie de la journée n’est brisée que par les visites de l’une de nos autos lors de sa tournée, à 7 heures 30, 10 heures 30, 13 heures 30 et 17 heures, en quête de blessés légers ou de malades.
Verdun a été une formidable expérience, que je n’aurais manquée pour rien au monde malgré toutes ses horreurs, ses obus et son épouvante. Notre convoi y a eu une chance hors du commun : notre « N°2 », qui nous y a relevés, a eu 10 voitures touchées, et les Américains ont eu un tué il y a un ou deux jours seulement, ai-je entendu dire, quoique les combats y aient considérablement perdu en intensité depuis notre départ. L’Américain se faisait montrer la route qu’il devrait emprunter au moment où un obus est tombé.
L’eau, la nourriture, etc., étaient presque épuisées, et en cinq semaines, je n’ai pas ôté mes vêtements une seule fois : après 24 heures de travail – voire plus – et de conduite, épuisé, les pleins d’essence et d’huile effectués sur l’auto, les derniers brancards malodorants retirés, nous voilà roulés dans une paire de couvertures étendues, sans même avoir enlevé ses chaussures.
Après Verdun, j’ai passé trois semaines à l’Hôpital Exelmans de Bar-le-Duc, puis une belle convalescence de 28 jours en Angleterre […].

De retour au front, je retrouvais ma section non loin au Sud de Verdun, affectée à un secteur important et terriblement intéressant, même si après Verdun, tout semble plutôt calme, quoique les obus tombent à intervalles réguliers sur les routes que nous parcourons, mais ils sont tirés « à l’aveugle » et nous n’avons perdu aucun homme. La contrée est vallonnée, la Meuse serpente dans les vallées, les pentes sont couvertes de forêts et exposent actuellement un parfait mélange de jaune, de brun, de cuivre et d’or. Pourtant, les grands chênes, marronniers, tilleuls, et les vastes sous-bois de noisetiers seront bientôt défeuillés ; le travail de nuit se fait par une plus grande froidure, et nul n’apprécie la perspective d’avoir à travailler bientôt dans la neige. Cette partie du front est très intéressante, et nous avons souvent la chance d’explorer les tranchées. La guerre de tranchées change peu à peu, et la plupart des activités consiste en creusement de mines, échange de torpilles, de têtes-de-Boches, et grenades à fusil, qui sont de bien beaux outils. Résultat de tout ceci : beaucoup de morts, et moins de blessés, car les dernières torpilles en vogue sont des engins bien plus terriblement efficaces que ceux de l’an passé. Les routes que nous prenons nous mènent à proximité des tranchées, et sont prises sous le feu de l’artillerie, tandis que la plupart de nos postes de secours se trouvent dans de véritables villages faits de magnifiques abris, situés dans des forêts battues par les obus. Beaucoup de ces lieux ont l’eau courante et l’électricité. Nous sommes témoins d’une grande activité aérienne et de fréquents combats et tout ceci, couplé aux bombardements, nous évite l’ennui.
Les Français sont tout à fait confiants quant à l’issue finale, même s’il y a 6 mois, il n’était pas rare de croiser un « poilu » abattu, écœuré de la guerre, qui avait hâte que cela s’arrête. Ils étaient alors légion, mais il est devenu rarissime d’en entendre s’exprimer ainsi, et concernant ce que cela durera… « Qui sait ? » comme disent les Français, et nous n’en savons ici pas plus que vous, même si dans une récente conversation avec de nombreux prisonniers allemands, deux de nos hommes ont appris que l’Allemagne ne pourrait plus combattre durant 18 mois, et deux Boches sont allés jusqu’à déclarer que ce serait fini en février ou mars prochain. Aucun parmi ces 300 hommes ne semblait croire en la victoire de l’Allemagne, et la vérité du moment semble leur donner raison, cette prise de conscience nous rapprochant inexorablement de la fin. […]
Une rumeur prétend que notre division (la 128e, armée de Lorraine), qui a été reformée et remise en état depuis Verdun, devrait sous peu partir vers le Nord pour prendre sa part de la percée, et nous nous y préparons tous avec excitation, car je doute que nous connaîtrons de telles horreurs qu’à Verdun, où nous étions, exténués, sur la défensive, alors que nous apprêtons à passer à l’offensive et que c’est au tour des Boches de connaître l’enfer. […] »"

Fait nébuleux, la mort d'un chauffeur de la SSA 18, relatée comme suit dans le JMO du service de santé de la 6e DI : "18 avril [1916]. La SSA 18 a fonctionné 3 nuits et a eu cinq voitures mises complètement hors d'usage (un conducteur tué à son volant dans la nuit du 12 au 13)." Le JMO du service de santé du 3e Corps reprend ces éléments : "15-16 avril. La SSA 18 (6e DI) qui assurait les évacuations du fort de Tavannes à Bevaux a eu cinq voitures mises hors de combat, dont une pulvérisée et le conducteur tué."

L'identité de cet homme ne figure nulle part, et toute piste est la bienvenue !

Bien cordialement,
Eric Mansuy
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Turos M J
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Re: Des antipodes à Verdun

Message par Turos M J »

Je vous remercie également pour ces informations intéressantes.
Maria Joanna
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Eric Mansuy
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Re: Des antipodes à Verdun

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à toutes et à tous,

Autre témoignage intéressant, traduit de l'édition du 2 octobre 1916 du Taranaki Daily News (Nouvelle-Zélande) :

Une ambulance de New Plymouth employée à Verdun
Conduite par un Néo-Zélandais


M. A. Marshall, d’Inglewood, vient de recevoir une lettre d’un vieil ami, installé à Gisborne, qui faisait un voyage de retour aux sources peu de temps avant la guerre, et s’est porté volontaire pour servir comme chauffeur pour les Français. Il a connu des moments extrêmement difficiles, et relate les faits suivants, qui ne manquent pas d’intérêt :
« Une nouvelle auto est arrivée il y a deux jours, sur laquelle est peint « The Gift of New Plymouth, Taranaki, New Zealand ». J’en ai reçu la charge, et j’espère qu’elle rendra de dignes services. Etrangement, le chauffeur qui m’accompagne, un gars de 23 ans du nom de Fairbourne, habite New Brighton, qui est également son lieu de naissance. Je conduis depuis quelque temps une voiture en tous points semblable, et je ne m’attends donc à aucun souci. La nouvelle voiture, immatriculée 32887 par les Français, est américaine, à savoir une GMC de 20 chevaux. Elle peut transporter huit blessés en sus de ses deux conducteurs, mais seuls quatre d’entre eux peuvent être couchés. Elle n’a que trois rapports et une faible démultiplication, ce qui implique de constants changements de vitesse. Elle ne dépasse pas, au mieux, les 20 miles à l’heure, mais est tout à fait adaptée à ce type d’usage, aussi est-ce pourquoi la GMC est à présent l’une des marques usitées au sein de nos ambulances du front. J’étais l’an passé avec une ambulance britannique intégrée à l’armée française. J’ai ensuite été muté dans une ambulance française, et je fais maintenant partie d’une section de la Croix Rouge britannique rattachée à l’armée française.
La censure est on ne peut plus stricte envers nos courriers, aussi ce que je vais écrire risque-t-il d’être supprimé, mais comme il faut deux mois pour qu’une lettre atteigne la Nouvelle-Zélande, peut-être se montrera-t-il plus laxiste pour l’occasion.
L’an dernier, je conduisais une auto offerte par l’île de Jersey, où je compte bien des amis, et il les intéressait beaucoup de savoir où elle était et ce qu’elle faisait. Les personnes qui ont souscrit à cette nouvelle auto seront elles aussi heureuses d’être informées, et si la censure m’y autorise, je précise que nous sommes sur la ligne de feu près de Verdun. L’endroit exact où nous nous rendons est la Cote 304 qui, comme vous le savez, a vu se dérouler les combats les plus furieux plus qu’aucun autre lieu, à l’exception du Mort Homme. Le danger relatif au travail des ambulanciers est très exagéré : nous sommes ici depuis trois semaines et n’avons pas perdu un seul homme. La section française que nous avons relevée y est restée deux mois, et a eu cinq tués et huit blessés sur 40 conducteurs, mais il faut dire qu’ils ont joué de malchance, car la bataille était ici bien plus rude avant que les Britanniques ne mettent la pression en Picardie. »

Bien cordialement,
Eric Mansuy
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Eric Mansuy
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Re: Des antipodes à Verdun

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,

Je reprends les éléments auxquels j'ai fait allusion le 4 janvier dernier : "18 avril [1916]. La SSA 18 a fonctionné 3 nuits et a eu cinq voitures mises complètement hors d'usage (un conducteur tué à son volant dans la nuit du 12 au 13)." / "15-16 avril. La SSA 18 (6e DI) qui assurait les évacuations du fort de Tavannes à Bevaux a eu cinq voitures mises hors de combat, dont une pulvérisée et le conducteur tué."

De toute évidence, ce conducteur était français, non britannique : il doit s'agir de Georges Maury, conducteur de 2e classe du service automobile du 8e ETEM, tué au fort de Tavannes le 13 avril 1916.

Un cas nous rappelant que des Français ont également oeuvré au sein des SSA anglaises, de manière parfois totalement insoupçonnable, comme l'a fait Pierre Auzéas, dont le registre matricule porte : "A contracté le 5 février 1915 un engagement non recevable avec l'armée anglaise (British Ambulance Committee)."

Bien cordialement,
Eric Mansuy
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