Les condamnés du 368th infantry

alaindu512010
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Re: Les condamnés du 368th infantry

Message par alaindu512010 »

Bonsoir Eric
Même son de cloche du côté du colonel Brown commandant le régiment noir du 368 américain dans son PC de la sapinière
Le colonel Robert du 270 rac( PC St Thomas )qui devait appuyer le 368 sur le terrain de l 'offensive se rend au PC du colonel américain à la sapinière dans la grosse maison du tulipier ( contre l'arbre sanglant) afin de coordonner leurs actions ,a un moment de la conversation le colonel Brown dit a notre colonel artilleur français de bombarder la zone des 'opérations
le colonel Robert lui répond qu'il ne peut pas bombarder car il y aurait des hommes a l'intérieur de ce périmètre
Brown répond <ça ne fait rien ! ce ne sont que des noirs ! >
TOUT EST DIT
Aucun remerciement a ces hommes du 368 rius ; on peut en parler !
Je remercie Eric de s'être penché sur leur sort!
alain
alaindu 512010
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Eric Mansuy
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Re: Les condamnés du 368th infantry

Message par Eric Mansuy »

Bonsoir à tous,

Le 26 février 1931, George C. Marshall écrit au capitaine Lloyd N. Winters, du 21st infantry, qui l’a contacté en vue d’obtenir son avis sur l’offensive Meuse-Argonne. Après avoir précisé que les études consacrées à cette offensive portent généralement sur ses aspects stratégiques et tactiques, il souligne que les points les plus instructifs concernent en fait la direction des opérations à l’échelon du bataillon et même de la compagnie. Ceci posé, il énonce ce qui a attiré son attention : le terrain, le ravitaillement, le commandement. Sur ce dernier point, ses conclusions sont accablantes : « Peu d’officiers ont compris l’effet délétère qu’ont eu sur leurs hommes leur attitude pessimiste et leur critique de leurs supérieurs. Quand l’inverse s’est produit, les troupes ont souvent réalisé l’impossible. Leur succès était rarement dû à des éléments tactiques ou techniques, si ce n’est la technique du commandement. Dans la majeure partie des cas, il faut noter que la performance des troupes était à la mesure de l’attitude et du comportement de leurs cadres. Il a été rare qu’un cadre déterminé et ingénieux échoue. Il a été rare qu’un cadre découragé, mécontent et critique réussisse. Le courage a été un trait commun, ce qui n’a pas été le cas de la force d’âme et d’une loyauté indéfectible. »

Que la compétence des officiers de la 92nd division, et du 368th infantry en particulier, ait été scrutée à l’épreuve du feu est bien la moindre des choses, si tant est qu’il en soit allé de même dans les autres divisions, et que si des manquements ont été constatés en leur sein, ils aient été également et identiquement relevés et jugés. Les faits, qui sont têtus, semblent prouver qu’il n’en est pas allé ainsi.

Dans son étude intitulée « Not So Easy Over There: The Good, the Bad, and the Ugly of the American Expeditionary Force (1917-1918) », Jared W. Nichols compare les performances de trois régiments au cours de l’offensive Meuse-Argonne : un régiment d’une division de l’Armée régulière (le 16th infantry de la 1st division), un régiment d’une division de la Garde Nationale (le 137th infantry de la 35th division), et un régiment d’une division de l’Armée nationale, de conscription (le 316th infantry de la 79th division).
Parmi les faits signalés concernant la relève de la 35th division par la 1st division, il note : « Des officiers de la 1st division ont cherché des cadres de la 35th division en vue de procéder à une passation de commandement dans leur secteur, et les hommes leur ont déclaré qu’ils ne savaient pas où se trouvaient leurs officiers. » Autre élément d’une particulière gravité, qui montre le degré de délitement de l’exercice de la discipline : « La 1st division a trouvé des stocks abandonnés d’armes en état de marche et d’équipements laissés par les hommes de la 35th division dans leur course effrénée vers l’arrière. »

Geoffrey Wawro en donne le détail, hallucinant, dans « Sons of Freedom. The Forgotten American Soldiers who defeated Germany in World War I » : sur un site, les hommes de la 1st division découvrent 4.000 obus de 155 mm, 4 caissons de 75mm, 9 tonnes d’avoine, 5 tonnes de foin, 600.000 cartouches de Chauchat, 350.000 cartouches de calibre .30, 1.000 obus de mortier, 7 wagons de pelles et de pioches ; les trous d’obus sont remplis de vivres : bacon, saumon en boîte, corned beef, pain moisi. Ailleurs, 120 chevaux, gazés, sont encore alignés, attachés à une corde ; plus loin, 86 autres, près de leurs pièces d’artillerie, ont été fauchés par les tirs allemands. Dans une clairière se trouvent 300 fusils, des mitrailleuses, des pistolets, diverses munitions et grenades, des sacs à dos encore pleins, et des casques portant l’insigne de la 35th division.

Si nombreux sont ceux qui ont fui, et n’en ont semble-t-il pas tous été empêchés par leurs officiers, d’autres ont lutté et ne sont pas tendres envers l’encadrement. L’un de ces hommes déclare en effet : « Ils méritent tous de passer en cour martiale et d’être fusillés, tous ces f… de p…, Traub et tous ceux en-dessous de lui. Grand Dieu, il faudrait enfermer ces salopards pour meurtre, pour nous avoir envoyés là-bas sans appui d’artillerie. »

A la 79th division, la situation n’a guère été plus brillante. Des éléments de la 3rd Tank Brigade, qui arrivent à la rescousse, sont menés par le colonel D.D. Pullen, qui constate que « les officiers de la première vague assurant encore un commandement n’avaient aucune autorité sur leurs hommes. Le meilleur terme pour décrire la situation serait celui de « mutinerie ». »

Si des responsabilités ont été cherchées au début de l’année 1919 concernant la 35th division, elles ont porté sur la gravité des pertes subies, et tout un chacun, au Capitole, s’est bien gardé de voir « qui avait fauté » aux échelons inférieurs. Quant à la 79th division, elle n’a pas fait les gros titres de la presse en raison de la manière dont le commandement y avait été exercé.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
alaindu512010
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Re: Les condamnés du 368th infantry

Message par alaindu512010 »

Bonsoir Eric
Un extrait de l'étude de Benjamin Doizelet bien référencée avec les cotes du SDH/GR sur la 93 dius
https://journals.openedition.org/rha/7328
la circulaire Linard incluse montre bien l'état d'esprit des autorités américaines a l'encontre des troupes noires
on ne s'étonnera donc plus de l'oubli de certains régiments qui ont combattu et dont la mémoire est effacée de l'histoire
43 soldats noirs du 368 rius de la 92 dius reposent dans la nécropole de Romagne ; il faudrait les honorer et réparer l'oubli
https://view.officeapps.live.com/op/vie ... BROWSELINK
Merci pour ton travail de réhabilitation
amicalement
Alain
alaindu 512010
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Eric Mansuy
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Re: Les condamnés du 368th infantry

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,

L'édition du centenaire de "Finding the Lost Battalion: Beyond the Rumors, Myths and Legend of America’s Famous WW1 Epic", de Robert J. Laplander, vaut le temps de lecture à consacrer à ses 725 pages. L'étude méthodique - pour ne pas dire pointilleuse - des étapes du calvaire du commandant Whittlesey et de ses hommes est excellemment éclairée par les passages consacrés aux opérations du flanc gauche du 308th infantry, autrement dit au 368th infantry montant vers Binarville.

Une synthèse de ce qui s'est produit, remarquablement équilibrée et circonstanciée, est faite par Laplander, et voici, ci-dessous, sa traduction. Nous reviendrons sur certains de ces aspects par la suite. La première carte en ligne dans cet article permet de se repérer en cas de besoin :
https://prisme1418.blogspot.com/2021/09 ... i-des.html

« Alors que le 368th infantry ne tenait pas la cadence à l’Ouest, laissant le flanc gauche du 308th infantry béant dès le début de l’offensive, cela n’a contribué directement qu’au premier encerclement subi par le commandant Whittlesey et ses hommes sur les pentes de l’Homme Mort, dans « la petite poche ». En revanche, cela n’a contribué qu’INDIRECTEMENT à ce qui s’est produit dans la poche du ravin de Charlevaux, au cours de l’épisode officiellement retenu comme celui du « bataillon perdu ». Il n’était d’ailleurs pas du ressort du 368th infantry d’empêcher celui-ci. Les positions contre lesquelles le 368th infantry a été lancé étaient des objectifs extrêmement ardus. Se trouvant hors de l’épaisse forêt d’Argonne, ils étaient sur une portion de terrain plus découvert que celui sur lequel le 308th infantry opérait, et les Allemands y avaient déployé plus de barbelés et le battaient avec des tirs de mitrailleuses plus efficaces qu’ailleurs. Le 368th infantry avait en outre été nanti d’un soutien d’artillerie moindre que les autres unités pour appuyer ses attaques. Toutes ces difficultés rendaient la zone d’opération périlleuse pour n’importe quel régiment, et bien plus encore pour une unité possédant les difficultés inhérentes au 368th infantry, qui les accumulait.
Le problème initial était politique. L’armée américaine de la Première Guerre mondiale était une organisation ségréguée, beaucoup pensant à l’époque que le soldat noir était inférieur (en dépit de nombreuses preuves du contraire depuis la Guerre de Sécession). C’est ainsi que la plupart des troupes noires du corps expéditionnaire se sont retrouvées loin à l’arrière des premières lignes, reléguées à l’intendance et au ravitaillement, et non au combat. Les troupes noires placées en première ligne étaient généralement mises à la disposition des Français (ce qui fut le cas du 368th infantry), y bénéficiant d’un entraînement au combat minimal dans le meilleur des cas, et d’un équipement inférieur à la moyenne.
Le soldat noir était généralement non instruit, ce que nombre de blancs pointaient comme un grave handicap pour un combattant ; cela faisait fi du fait que de très nombreux blancs dans les rangs de l’armée n’étaient pas plus instruits eux-mêmes. Pourtant, malgré le manque de soutien au sein du corps expéditionnaire et en dehors, les soldats noirs continuaient de demander des affectations au combat. C’est pourquoi l’échec du 368th infantry n’est pas imputable à un manque d’esprit offensif des troupes noires, mais aux carences provoquées par l’absence d’outils et d’entraînement nécessaires à une guerre moderne. Ces hommes n’étaient tout simplement pas suffisamment préparés à affronter ce qu’ils ont eu à affronter durant l’offensive Meuse-Argonne.
Le 368th infantry a également été confronté à une autre difficulté, bien plus grande encore, à l’Ouest de la 77th division : celui de la limite, à droite, de leur zone d’opération avec le 308th infantry. Alors que la limite Ouest entre le 368th infantry et le 11e cuirassiers à pied épousait globalement la route de Binarville à Vienne-le-Château, la limite Est entre le 368th infantry et le 308th infantry ne consistait qu’en des lignes sur une carte, rien d’aussi tangible qu’une route. Cela n’aurait pas pris une telle importance si ces lignes sur une carte, délimitant les deux zones d’opération de deux régiments, et coïncidant à la ligne de départ de l’offensive, n’avaient pas vrillé par la suite, ces deux régiments s’éloignant l’un de l’autre. Au moment de l’arrivée au-delà de Binarville, à près de 4 kilomètres des parallèles de départ (sur lesquelles le 368th infantry en était venu à se replier), les deux régiments n’étaient plus séparés que de 80 mètres environ. Ce qui a causé ce défaut d’alignement des attaques reste obscur. Ce qui est clair, en revanche, est qu’il a été considéré de la responsabilité du 368th infantry, liaison entre les forces françaises et américaines, d’occuper et de contrôler cette zone. Cette zone, sans cesse plus vaste, a forcé le 368th infantry à constamment réaligner ses effectifs au fil de leur progression, bien que le flanc gauche du 308th infantry se trouve également à cheval sur sa limite Ouest. Tout cela ajouté à l’incapacité à progresser avec régularité sur un terrain extrêmement difficile dans sa zone d’opération, l’échec était pratiquement inévitable dès le début de l’offensive. Quand la nouvelle de cet échec a été connue aux Etats-Unis, quiconque avait un préjugé racial s’est emparé de l’histoire. Et quand l’épisode du ravin de Charlevaux a pris de l’ampleur, les raisons sous-entendues de la situation périlleuse du 368th infantry ont également pris de l’ampleur : de maigres détails glanés çà et là sur le premier encerclement [du 308th infantry] ont été amalgamés à des détails sur le second encerclement, à Charlevaux. Le 368th infantry avait failli sur le flanc gauche du 308th infantry, non pas en raison d’une quelconque infériorité des soldats noirs en tant que combattants, mais parce que la mission qui était la leur dépassait leurs capacités en tant que régiment, à cause d’une politique racialement archaïque qui ne leur avait pas donné les moyens de l’accomplir.
Leur incapacité à protéger le flanc gauche [du 308th infantry] a provoqué trois séries d’événements qui ont INDIRECTEMENT contribué à ce qui a eu lieu dans le ravin de Charlevaux.
Le premier événement a été l’encerclement sur l’Homme Mort, qui a été partiellement causé par leur échec.
Le deuxième a été leur repli, dû aux précédents échecs, forçant alors les 9e et 11e cuirassiers à pied à tenter de prendre le relais et reformer la ligne avec le 308th infantry (ce qui a eu lieu dès le 29 septembre). Cela a contribué (encore une fois, INDIRECTEMENT) au troisième événement.
Le commandant Whittlesey est encerclé une seconde fois, la plus célèbre, à Charlevaux. Cet encerclement est dû, en partie, à la faiblesse du flanc gauche, les Français y étant confrontés à un ennemi ayant eu le temps de se réorganiser et de se regrouper. Cette situation, comme nous l’avons vu, a pour cause première les échecs du 368th infantry. C’est ainsi qu’il existe un lien indirect entre la célèbre poche du ravin de Charlevaux et la petite poche de l’Homme Mort, en lien direct celle-ci [avec la faiblesse du flanc gauche].
Cependant, une partie des responsabilités liées au premier encerclement revient au 2e bataillon du 308th infantry, et son rôle dans l’après-midi du 28 septembre. En se retirant sur le flanc droit du commandant Whittlesey (en violation directe de l’ordre général n°27), il a ouvert une seconde brèche, certes plus étroite, d’une largeur d’environ 500 mètres. Bien que la majeure partie des preuves de l’infiltration allemande autour de la petite poche se porte sur le flanc gauche, il est on ne peut plus plausible, pour ne pas dire probable, que les Allemands ont procédé à une infiltration méthodique sur les deux flancs, en deux fractions s’étant rejointes sur le chemin longeant le cimetière où le sergent Hitlin [agent de liaison au sein du 308th infantry] les a vus pour la première fois.
De nombreux Allemands se trouvaient certainement dans le ravin du Dépôt des Machines, à l’Est de l’Homme Mort, pour qu’une telle action puisse se produire sur ce flanc, et ils contrôlaient encore sérieusement le ravin du Moulin de l’Homme Mort, sur les pentes Est, malgré leur mouvement de repli entamé vers la Giselher Stellung. »

A suivre.
Bien cordialement,
Eric Mansuy
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Re: Les condamnés du 368th infantry

Message par Scolari »

Bonjour,
Je ne peux apporter d'éléments à votre débat.
superbe post, que je lis normalement, en "silence". Je tenais simplement à vous remercier pour vos remarquables articles et vos échanges de hautes qualités. ça fait du bien à lire ^^

Amicalement,
Frédéric
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Les cadres 5e BILA années 1914 à 1918
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Eric Mansuy
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Re: Les condamnés du 368th infantry

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous (et merci Frédéric),

Outre ce qui figure dans l'ouvrage de Robert J. Laplander, sur lequel je reviendrai, la consultation d’archives de la cote SHD 19 N 1339, mises en perspective avec l’étude de Rexmond Cochrane, « The 92nd Division in the Marbache Sector », met également en lumière, si besoin était, l’échec « programmé » du 368th infantry en Argonne.

L’instruction des unités d’infanterie américaines, telle qu’élaborée en 1917 entre la France et les Etats-Unis, consistait à intercaler des unités américaines entre des unités françaises durant leur phase d’apprentissage de la guerre moderne. C’est ainsi que le 368th infantry, régiment situé à l’extrême gauche de la 92nd division durant son séjour dans les Vosges à la fin de l’été 1918, avait un bataillon de chasseurs territoriaux sur sa gauche, et le 367th infantry sur sa droite. C’est une situation similaire qui se présentera en Argonne, avec le 11e régiment de cuirassiers à pied sur sa gauche et le 308th infantry sur sa droite. A ceci près… A ceci près qu’en Argonne, la donne a totalement changé : l’opposant n’a plus rien à voir, et le terrain et l’action à y mener diffèrent également totalement des Vosges.
Lors de son séjour vosgien, le 368th infantry faisait face à des unités de Landsturm ; en Argonne, ce sont le Landwehr-Infanterie-Regiment 122 et le Reserve-Infanterie-Regiment 254 (face auxquels les Américains se battront néanmoins bravement, d’après ce qu’en écrit Laplander : « Le 27 septembre, côté allemand, au P.C. de l’Infanterie-Regiment 254, l’on apprend que le 368th infantry a été redoutablement efficace à la jonction du LIR 122 et de l’Infanterie-Regiment 254, perçant pratiquement les lignes à cet endroit avant de refluer. »).

Le terrain, comme tous les interlocuteurs de l’Inspecteur Général lors de son enquête sur les cours martiales du 368th infantry ont pu le lui dire lorsque interrogés sur le sujet, présentait toutes les difficultés imaginables qui puissent être opposées à un assaillant. Rien de tout cela lors de l’instruction dans les Vosges, où la situation a été décrite en ces termes par Rexmond Cochrane : « La vie en secteur s’est essentiellement limitée à des réparations de tranchées, la construction de nouvelles tranchées et d’abris à l’épreuve des gaz, en particulier dans et près de Frapelle, à la mise en place et à l’entretien de camouflage, et à des patrouilles diurnes et nocturnes. Il était fréquent de voir 20 patrouilles par jour, et sur une durée de 24 heures, 40 patrouilles ont même œuvré, en quête de la dépouille d’un Allemand tombé près des lignes, lors de missions de reconnaissance, de réparations des réseaux de barbelés, et d’interception de patrouilles ennemies. A l’exception de quelques rares coups de main ennemis, le mois passé dans le secteur, entre le 29 août et le 19 septembre, n’a pas été des plus dangereux. »

Quant à la mission confiée au 368th infantry, elle était incongrue et mortifère à plus d’un titre.
Début août 1918, la Mission Militaire Française près l’Armée Américaine a établi, à titre strictement confidentiel, une « notice sur le commandement de la 92e D.I.U.S. » L’on y trouve les descriptions :
- du général Ballou, commandant la division : « Homme froid, autoritaire, réservé avec son entourage dont il est craint ; d’un maniement difficile, très entêté ; Normand d’origine. Ne possède encore que des notions très superficielles des conditions de la guerre actuelle, mais ne cache pas son incompétence de ces complications nouvelles ; réfléchit et s’entoure de renseignements avant de prendre ses décisions, cherche à se perfectionner. »
- de la composition et de la valeur de l’état-major : « Etat-major moyen, seul le chef de G.I., lieutenant-colonel Barnet, très actif, paraît bien au courant. »
- du général commandant la 184e brigade : « Brigadier général Hay : caractère froid, exige de ses subordonnés un travail actif, cherche également à s’instruire et à s’initier aux méthodes de la guerre actuelle. »
- des officiers supérieurs du 368e régiment d’infanterie : « Lieutenant-colonel Terrel : semble peu apte à s’initier aux méthodes de la guerre actuelle. »
Une « notice statistique succincte sur la 92e D.I. U.S. » a également été réalisée, qui s’achève sur ces éléments :
« Débarquement en France du 15 juin au 10 juillet 1918. 10 juillet – 10 août : séjour dans la zone de Bourbonne-les-Bains. Cette période a été employée à l’instruction générale de la division et des spécialités. Des manœuvres de cadres (de brigade et de division) avec troupes représentées et Signal Battalion au complet ont eu lieu à raison de 2 à 3 par semaine en moyenne, dans le but d’exercer les états-majors, le commandement aux divers échelons, et la liaison sous toutes ses formes.
Mais l’instruction de la troupe, au point de vue cohésion des petites unités, s’est ressentie au départ de 50% des officiers supérieurs et de 79 officiers subalternes pour les diverses écoles.
L’insuffisance des cadres subalternes de couleur a été heureusement compensée par l’arrivée vers le 20 juillet d’un contingent de 20 officiers informateurs américains blancs qu’il serait désirable de voir demeurer à la division.
Certains retards dans l’arrivée du matériel (défaut complet de tromblons V.B.) ont eu sur l’instruction des spécialités une répercussion fâcheuse. »

En conclusion, cette division, lors de son instruction à l’arrière, avant même son instruction au front dans les Vosges donc, dispose d’un encadrement de généraux sur lequel les avis sont bien peu louangeurs (c’est un euphémisme), et le 368th infantry est même nanti d’un commandant d’unité penchant vers l’inaptitude (qui ne fera d’ailleurs pas campagne). A fortiori, l’encadrement en officiers supérieurs et subalternes est bientôt la cible de prélèvements nombreux que les remplacements effectués ne peuvent que faiblement compenser. Enfin, les carences matérielles portent un coup grave à l’instruction des unités spécialisées, qui seront effectivement sous-employées en Argonne.

C’est avec ces carences et difficultés, dont Laplander écrit dans son ouvrage qu’elles sont « inhérentes au 368th infantry » que ce régiment part à l’instruction en première ligne dans les Vosges.
Il va y être formé à une guerre qu’il ne mènera pas en Argonne, et de très loin. Mais le fait est, Pétain a rappelé ceci dans sa « Note sur l’instruction des unités d’infanterie américaines rattachées aux grandes unités françaises » en date du 1er mai 1918 :
« […] VIII. Remarques sur certains points de l’instruction
A. Opérations en terrain libre
Le rêve américain est d’opérer en terrain libre, après rupture du front. D’où préoccupation trop exclusive de cette forme d’opérations considérée comme supérieure, et dans laquelle nos Alliés paraissent parfois nous croire peu capables de leur apporter une aide analogue à celle qu’ils attendent de nous pour la guerre de positions. Il semble indispensable :
1. De réagir discrètement contre la notion inexacte de notre inaptitude à la guerre en terrain libre.
2. De canaliser dans une bonne direction, en la maintenant dans la mesure qui convient, la tendance excellente en soi qui consiste à rechercher la lutte à découvert et de les orienter, à ce point de vue, vers la compréhension de la guerre de masses, où l’on est presque toujours encadré et où les petites opérations de service en campagne mentionnées plus haut n’ont guère leur place. »

Entraîné – si peu, d’ailleurs – à bien autre chose qu’à « opérer en terrain libre », c’est pourtant ce à quoi le 368th infantry est confronté immédiatement après avoir quitté les Vosges. Les circonstances aggravantes, au sens où elles ont provoqué l’échec, déjà prévisible, de ce régiment, ne manquent pas :
- L’inadéquation, voire le défaut, d’encadrement, comme nous l’avons vu ;
- Les carences en équipements, et par conséquent, les carences dans la formation à l’emploi desdits équipements ;
- L’inadaptation à la mission confiée : le 368th infantry, qui a été instruit à la guerre de positions, reçoit une mission dont la difficulté est doublée, à savoir attaquer « en terrain libre » et assurer la liaison avec l’unité voisine ; cette mission, qui aurait dû incomber à des troupes aguerries, devient donc le fardeau d’un régiment d’autant plus sacrifié qu’il ne possède ni les cartes, ni les points de repères, pour tenter même de l’effectuer. Au sein du Groupement Durand, le 368th infantry se trouve alors placé sur l’aile droite, avec pour mission d’assurer la liaison avec le 308th infantry, tandis que le 11e régiment de cuirassiers à pied, placé à gauche du dispositif, aurait certainement été bien plus à même de mener à bien la double mission qui a échu aux Américains. Enfin, l’emploi des trois bataillons du régiment, à l’attaque ou en réserve, laisse dubitatif au regard des différentes phases de la progression, entre le 26 et le 30 septembre.

C’est finalement une sinistre conclusion qui se fait jour en reconstituant les différentes étapes du calvaire du 368th infantry : il apparaît que les commandements français et américain tout à la fois ont, aux différents échelons, collaboré à la mise en échec de ce régiment. Cet échec a failli coûter la vie à quatre officiers du 368th infantry. Qu’en a-t-il été du sort des responsables des divers manquements au sein du 308th infantry ? A suivre…

Bien cordialement,
Eric Mansuy
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alaindu512010
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Re: Les condamnés du 368th infantry

Message par alaindu512010 »

Bonjour Eric et a tous
Merci Eric pour ce travail remarquable ,cette magnifique synthèse et ces conclusions que je partage entièrement; toi qui ne connaissais pas l'épopée en Argonne de ce 368 rius il y a quelques mois , tu viens de mettre en lumière et au grand jour cet épisode caché dans les profondeurs de l'oubli
La mémoire de ces soldats afros américains DU 368 qui ont servi de boucs émissaires pour cacher les erreurs des commandements tant français qu'américains avec les ordres et contre ordres sera sauve
Ce régiment avait a se battre contre les allemands sur un terrain fortifié ;la ségrégation ;les atermoiements du haut commandement .et aussi contre l'attitude de ses propres officiers
On leur a volé la prise de Binarville au profit du 9 ème cuirassier placé devant eux sans s 'en occuper
mais on a monté en héros ces soldats du 308 du lost Battalion piégé peu glorieusement dans un ravin par la faute du commandement qui avait décidé de retirer la 1ere DCP du front puis la remettre en ligne ,ce qui avait permis l'infiltration des ennemis sur leurs arrières
L'histoire à laissé dans l'ombre les soldats de ce régiment et tu viens de le sortir de l'oubli , merci pour eux

amicalement
Alain
alaindu 512010
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Eric Mansuy
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Re: Les condamnés du 368th infantry

Message par Eric Mansuy »

Bonsoir à tous,

Merci Alain, mais "je rends à César..." : c'est grâce à toi que j'ai pu découvrir et étudier tout cela, sur le papier et sur le terrain. Une très grande part t'en revient largement.

Quelles conclusions tirer de l’emploi du 368th infantry du 26 au 30 septembre 1918 à la lumière de ce qu’en écrit Robert J. Laplander ?

- Des zones d’ombre subsistent.
Laplander cite en effet ce fameux épisode, en date du 26 septembre, qui aurait sans doute pu influer sur la suite des événements pour le 308th infantry, voire, qui sait, lui éviter son premier encerclement : « Vers 17 heures 30, le P.C. du 308th infantry apprend que la division recevra dans la nuit le renfort d’éléments de cavalerie démontée (américaine) pour protéger le flanc gauche de la 77th division. Nul ne sait s’ils sont arrivés : aucune archive ne le confirme ou ne l’infirme. »

En dépit des nombreuses et diverses difficultés auxquelles il est et restera confronté, c’est au 368th infantry qu’il incombe et incombera par la suite de protéger le flanc gauche du 308th infantry.

- Des manquements graves ont eu lieu au sein du 308th infantry, du même ordre qu’au 368th infantry.
Le 27 septembre, à 11 heures, le général Robert Alexander, commandant la 77th division, apprend du général Evan M. Johnson, commandant la 154th brigade, que le 308th infantry, qui devait se porter en avant à 6 heures, n’a pas bougé. Son chef de corps, le colonel Austin F. Prescott, est clairement sur la sellette ; Alexander achève la conversation téléphonique avec Johnson par ces mots : « S’il n’a pas avancé, vous devez immédiatement le relever de son commandement et me l’envoyer sous escorte. »

Le 28 septembre au matin, le général Alexander émet l’ordre général n°27 : « Il a été porté à la connaissance du commandant de la division que dans le cadre des opérations menées le 27 courant, un corps de troupe ayant réalisé un important gain de terrain a effectué un mouvement de retrait après en avoir reçu l’ordre d’une personne non autorisée à le faire, postée à l’arrière. L’incident, documenté, est en cours d’investigation afin que soit identifié l’auteur de cet ordre. Il est instamment rappelé à chaque officier et à tout homme sous ses ordres que le terrain conquis ne doit en aucune manière être abandonné sans qu’un ordre direct, formel et sans ambiguïté, émis par le quartier général, n’y appelle. Une unité occupant le terrain doit être soutenue contre toute contre-attaque, et le terrain doit être tenu. Le Boche a souvent recours à son tour favori consistant à semer la confusion parmi les soldats en criant « Retraite ! » ou « En arrière ! ». Si un tel ordre est entendu au combat, les officiers et les soldats peuvent êtes sûrs qu’il provient de l’ennemi. Quiconque donne un tel ordre est un traître, et il est du devoir de tout officier ou de tout soldat loyal à son pays, et qui l’entend, d’abattre sur le champ celui qui l’a proféré. Nous ne reculons pas, nous avançons ! »

Pourtant, alors que des Allemands s’infiltrent de part et d’autre du 2e bataillon du 308th infantry, celui-ci bat en retraite et, tout à la fois, désobéit à l’ordre général n°27 en abandonnant le terrain conquis deux heures plus tôt, fait perdre le ravitaillement venant d’arriver à grand’ peine, et met en péril le 1er bataillon du commandant Whittlesey.

Au final, si le 368th infantry est bel et bien responsable de l’existence de la brèche ouverte sur le flanc gauche du 308th infantry, c’est par une désobéissance patente à un ordre divisionnaire qu’un officier du 308th infantry a provoqué l’encerclement complet, bouclé par le flanc droit, du 1er bataillon de son régiment. Pour des faits analogues (de repli non autorisé), quatre officiers du 368th infantry ont été condamnés à mort…

- Des coupables (les seuls…) tout trouvés.
Dans la soirée du 29 septembre, le général Johnson téléphone au général Alexander et lui déclare : « Ils [les Allemands] tiennent le ravin avec des moyens considérables, surtout en mitrailleuses, et essaient de toute évidence de nous arrêter sur cette ligne. Je tente de manœuvrer et de les chasser en attaquant leurs arrières. Les Boches ont infiltré les lignes par la gauche et en arrière, et isolé une section en cours de progression. Situation tendue dans ce secteur. » De l’infiltration sur le flanc droit du 1er bataillon du 308th infantry, infiltration ayant permis de boucler son encerclement, il n’est point question : seul le 368th infantry est pointé comme responsable de la situation en cours.

Au petit matin, le 30 septembre, le général Alexander et des membres de son état-major se rendent au P.C. du général Johnson, afin de s’informer des dispositions qu’il a prises en vue de briser l’encerclement du 1er bataillon du 308th infantry. C’est à ce moment que se présentent le général Ballou, commandant la 92nd division, et le général Hay, commandant sa 184th brigade. Ils y apprennent que le 368th infantry n’est pas au niveau qui en était attendu, et que son inefficacité a causé une brèche et un défaut de liaison sur le flanc gauche du 308th infantry ; une fois encore, le repli du 2e bataillon du 308th infantry, sur le flanc droit du 1er bataillon du 308th infantry et en infraction avec l’ordre général n°27, est passé sous silence.

- Le 368th infantry fait sa part.
Pendant ce temps, vers 8 heures, le 1er bataillon du 368th infantry envoie une reconnaissance en direction de la Tranchée du Dromadaire, qu’elle atteint sans encombre. Avec trois compagnies en ligne et une compagnie en réserve, la liaison avec le 9e régiment de cuirassiers étant assurée sur la gauche, l’attaque de Binarville peut être lancée, en lien également avec le 11e régiment de cuirassiers. Pourtant, sans que le 368th infantry en soit informé, la 1re division de cavalerie à pied modifie ses instructions : seuls les 9e et 11e régiments de cuirassiers doivent attaquer Binarville, le 368th infantry rétrogradant vers la Tranchée Tirpitz pour y organiser la liaison avec le 308th infantry. La 77th division est destinataire d’un message le lui apprenant, cette modification étant due à « la retraite précipitée des troupes noires en pleine bataille, dans un mouvement de panique. » Le P.C. du 1er bataillon du 368th infantry n’apprendra ces nouvelles instructions que dans la soirée du 30. Aussi est-ce pourquoi ce bataillon, vers 14 heures, voyant les Français monter à l’assaut, et se conformant aux instructions reçues le 29, part à l’attaque de Binarville. A 16 heures, ce bataillon, aux côtés du 9e régiment de cuirassiers, a dépassé Binarville et atteint la ferme de Rome. Visés par l’artillerie allemande, et Binarville étant rendue inhospitalier sous les obus, les Américains se retranchent à quelques centaines de mètres du village, où ils se trouvent au soir du 30 septembre.
Le 368th infantry est à nouveau pointé du doigt : après n’avoir accumulé que des retards, il a cette fois pris trop d’avance sur les troupes sur sa droite...

La 184th brigade prend la décision d’engager une partie du 367th infantry pour combler la brèche existant entre le 368th infantry et le 308th infantry : cela n’a pas lieu, vraisemblablement suite à un veto français, peut-être dû au colonel Durand, selon Laplander [le JMO du 38e corps indique (erreurs patronymiques comprises) : « Un second régiment noir dépendant de la 92e DUS (général Ballaw) est mis à la disposition du 38e C.A. La brigade noire sera alors regroupée en arrière, sous les ordres du général Hay, et el général Ballaw en conservera le commandement divisionnaire ; son P.C. sera à la Cave. »]

Durant la matinée du 1er octobre, le 1er bataillon du 368th infantry, le seul encore en ligne, se retire conformément aux instructions reçues. Des combats se déroulent pendant toute la journée sur l’étroit front du Groupement Durand, mais sans issue favorable. La gauche du 9e régiment de cuirassiers assure sa progression d’un bon pas pendant que sa droite reste empêtrée au pied de la Cote 205 et aux abords Nord de Binarville. Les Français commencent à comprendre ce à quoi le 368th infantry a été confronté alors que les Allemands déversent sur eux un feu ininterrompu tout au long de la journée.

La formule n’est dénuée ni de sens, ni d’intérêt : le JMO du 9e régiment de cuirassiers cite, pour les journées des 1er et 2 octobre 1918, 58 tués (dont 2 officiers), 171 blessés (dont 3 officiers), 110 disparus (dont 3 officiers), soit 339 pertes.

Chez les Américains du 368th infantry, c’est un caporal de 24 ans, William Griffin, qui est le dernier malchanceux de l’unité à être tué au combat à l’issue de ce calvaire en terre d’Argonne. Sa tombe est à Romagne-sous-Montfaucon.

Tel est ce que Robert J. Laplander a écrit au sujet du 368th infantry dans sa somme excédant les 700 pages sur le « bataillon perdu ». A suivre.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
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Eric Mansuy
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Re: Les condamnés du 368th infantry

Message par Eric Mansuy »

Bonsoir à tous,

Le 8 novembre 1919, The Evening Star publiait un article intitulé « Le Secrétaire Baker défend la bravoure des troupes noires. Il explique que le bataillon du 368e a reçu des ordres erronés par des coureurs » Et de détailler :
« […] le Secrétaire Baker déclare : « Il s’avère que les incidents ont eu lieu durant la bataille au cours de laquelle le 3e bataillon progressait dans des conditions totalement inhabituelles, le jugement des officiers – inaccoutumés au combat, quoique bien formés – pouvant être frappé d’errements ; concernant les deux mouvements de retraite, des éléments circonstanciés prouvent que des ordres de retraite ont été portés en première ligne par des coureurs, bien que des ordres aient été donnés après la retraite du 28 septembre en mi-journée pour que nul n’obéisse plus à un ordre de retraite écrit et signé par un chef de bataillon. L’enquête a démontré qu’aucun ordre écrit de ce type n’a été émis. »

Si un flou – plus ou mois savamment entretenu, pour des motifs politiques ou militaires – a existé au sujet de ces divers ordres, il est d’autant plus intéressant en ce qu’il permet de faire émerger, au regard de sources croisées, comment ils ont été produits et transmis au sein du 368th infantry et du 308th infantry, comment ils ont été discutés dans ces deux régiments, comment ils ont également été exécutés ou « adaptés », voire désobéis. Une fois encore, sans surprise, les résultats désastreux de cette situation au sein du 368th infantry (les condamnations à mort de certains officiers) ont été sans commune mesure avec ce qui a eu lieu dans les rangs du 308th infantry, dont l’honneur n’a ainsi pas été entaché.

Ce qu’a écrit Robert H. Ferrell dans son Unjustly Dishonored est éclairant en ce qui concerne la manière dont les ordres ont été donnés et reçus au 368th infantry, et corrobore les déclarations écrites d’un certain nombre d’officiers de ce régiment :
- Le 27 septembre, le colonel Brown convoque ses commandants. Elser, commandant le 2e bataillon, met en avant la confusion qui règne chez ses hommes et propose à Brown une modification des instructions qu’il vient de donner au sujet de la progression à entamer, telle que dévolue aux divers bataillons. Brown refuse sèchement. Elser demande alors à Brown, qui les a émis oralement, d’écrire ses ordres. Brown s’y refuse absolument.
- Le 28 septembre, vers 15 heures, le 2e bataillon tente une seconde attaque, qui échoue, et se retire à l’arrière de la ligne de tranchées Finlande – Courlande. C’est après ces événements que le colonel Brown relève le commandant Elser sur un ordre verbal et donne au capitaine Burns le commandement du 2e bataillon.
- Le 29 septembre, à 5 heures, Brown donne verbalement ses ordres à Merrill, commandant le 1er bataillon : il doit attaquer à 10 heures. Selon Merrill, lesdits ordres sont confus, et il exige alors de les recevoir par écrit. Cette fois, Brown s’exécute, lui disant : « Très bien, vous dictez les ordres, je les écris. »
- Le 30 septembre, Binarville tombe. Dans son compte-rendu de cette journée, le commandant Merrill écrit : « Sensiblement au moment où le 3e bataillon du 9e cuirassiers français avance sur ma gauche et où le 308th infantry de la 77th division, sur ma droite, est, au Nord, très en avance sur nous, et bien que les derniers ordres que j’ai reçus m’intiment de rester sur mes positions, j’ordonne que mes trois compagnies de première ligne progressent. Les ordres consistent à pousser résolument en direction de la ligne de front, et à tenter d’occuper Binarville avant que les Français ne l’atteignent. »

Que le colonel Brown ait donné des ordres verbalement n’a rien de contraire au règlement du service en campagne. La confiance placée en cet officier par ses subordonnés laisse néanmoins songeur lorsque deux d’entre eux lui en demandent confirmation par écrit, et que le second de ceux-ci, le 30 septembre, désobéit ouvertement à ces mêmes ordres. S’il est légitime de s’interroger sur la manière dont le commandement a été assuré en ces tristes journées de septembre, c’est aussi et surtout parce qu’elle a failli coûter la vie à plusieurs officiers, justement en se fondant sur un dysfonctionnement de l’obéissance à des ordres supposément reçus. Quid de ces ordres transmis verbalement par des coureurs ? Le colonel Brown, et c’est bien le plus fâcheux, n’a jamais été en mesure de répondre aux questions les concernant, si ce n’est en écrivant dans l’un de ses rapports : « Je déplore que la perte de deux registres d’ordres, qui s’est produite durant l’un de nos nombreux mouvements, ne permette pas de présenter tous les ordres donnés par nous. »

Sur la droite du 368th infantry, et alors que les Afro-Américains viennent d’être relevés, le 308th infantry ne va pas tarder à se faire à nouveau encercler. Robert J. Laplander explore et développe le sujet.
Le 1er octobre, à 16 heures, le colonel Stacey (commandant le 308th infantry), à Dessauer Platz, reçoit un appel du général Johnson, qui lui communique ses ordres pour le 2 octobre : « aller de l’avant sans s’occuper ni des flancs, ni des pertes ». Au regard de ce qui s’est produit au cours des 12 dernières heures, et de la conservation et de la défense de la position-clé de la cote 205 par les Allemands, sur la gauche du 308th infantry, le colonel Stacey voit se profiler le désastre : le commandant Whittlesey et ses hommes vont se trouver en l’air, isolés et attaqués sur trois fronts. Laplander écrit : « Au final, le colonel se lance et va droit au but, disant à propos du ravin de Charlevaux : « Mes éclaireurs ont découvert que cette position sera intenable, mon général. » Un bref silence plane sur la ligne téléphonique. « Remettez-vous mes ordres en question, colonel ? » demande le général Johnson. « Non, mon général, répond Stacey, mais si vous envoyez ces hommes là où vous l’ordonnez, vous me donnerez cet ordre par écrit, et de mon côté, je témoignerai par écrit que si vous m’ordonnez d’engager ces hommes dans ces conditions, je le ferai, mais je n’en endosserai pas la responsabilité. » Un autre silence s’installe, à l’issue duquel le général, avant de raccrocher, indique qu’il va lui faire parvenir cet ordre écrit par un coureur.

A 22 heures, le capitaine Weld – adjoint du colonel Stacey – porteur de l’ordre d’opérations du 2 octobre, pénètre dans l’abri de commandement de l’Homme Mort. Il y trouve le commandant Whittlesey, le capitaine McMurtry, le capitaine Stromee, le lieutenant Cullen et quelques autres lieutenants fraîchement arrivés, en conciliabule autour d’un poêle, dissertant sur les événements de la journée. Il leur lit ce qui les attend : « La progression reprendra le 2 octobre à 6 heures. Votre objectif est la ligne 294.5 – 276.6. Vous prendrez cet objectif et le tiendrez à n’importe quel prix en attendant le soutien. »
Weld tend l’ordre à Whittlesey au milieu du silence. Les officiers présents se regardent du coin de l’œil dans la lueur vacillante des lampes à huile. Malgré le compte-rendu des lourdes pertes de la journée écoulée, transmis au commandement en fin de journée, rien n’a été compris. Malgré les carences observées sur les flancs durant cette journée, et la résistance allemande sur la cote 205, rien n’a été modifié dans l’esprit du commandement. Tout le monde comprend que les hommes vont être envoyés dans une nasse où ils seront exposés à un inévitable feu nourri. L’opération n’est autre que suicidaire.
Le lieutenant Cullen brise le silence : « Alors ce sera encore la même chose. Nous serons isolés encore une fois. » Le capitaine Weld, sans regarder quelque officier que ce soit en particulier, répond : « Cette possibilité a été prise en considération, mais l’attaque est néanmoins ordonnée. »
A 22 heures 30, dans la pénombre, une procession tente de trouver son chemin vers Dessauer Platz : des coureurs guident le commandant Whittlesey, à la ceinture duquel se tient le capitaine McMurtry, vers le P.C. du colonel Stacey. Dès leur arrivée, Whittlesey déclare à Stacey que cet ordre est insensé et ajoute que, en surcroît de ce dont il lui a été rendu compte en fin de journée, toute progression dans le ravin causera l’annihilation des deux bataillons en un rien de temps. Le colonel Stacey reconnaît qu’en effet, la tâche semble ardue, mais qu’il a toute confiance en Whittlesey et en ses hommes. Le commandant tente d’argumenter : les compagnies C et G ont déjà subi de lourdes pertes dans la journée, dans les barbelés qui jalonnent les pentes. « C’est absurde ! » réplique Stacey. L’attaque aura lieu comme prévu, les liaisons seront assurées par les Américains sur la droite, et par les Français sur la gauche. Whittlesey tente de discuter ce dernier point. Mais il n’est pas question de palabrer plus longtemps : Stacey lui ordonne, ainsi qu’à McMurtry, de disposer.

Laplander fait remarquer dans l’une de ses notes que le général Robert Alexander, commandant la 77th division, a fait un copieux usage de la terminologie « les unités progresseront sans tenir compte des troupes sur leur droite et sur leur gauche ». Au gré des circonstances, il lui est cependant également arrivé d’ordonner au général Johnson de faire ralentir le 308th infantry dans sa progression afin que le 307th infantry puisse rester à sa hauteur et consolider la ligne de la brigade. Le 1er octobre au soir, il n’en est plus question, et l’ordre a empiré pour les troupes qui le reçoivent : ce ne sont plus uniquement les liaisons qui importent peu, mais aussi les pertes…

Incohérence des ordres, méfiance – voire défiance – envers les supérieurs, déni des réalités, impéritie, méconnaissance du terrain et de l’adversaire, injonctions contradictoires… Au 368th infantry tout comme au 308th infantry, rien ne semble avoir été fait pour éviter que certaines situations ne tournent au drame, malgré le sursaut de quelques officiers, sursaut qui aurait pu coûter très cher en termes de désobéissance et d’insoumission dans ces deux unités mais n’ont, au final, comme nous l’avons vu, frappé que des victimes expiatoires, et dans un seul de ces deux régiments. Une fois encore, deux poids, deux mesures, et au détriment du 368th infantry : car au sein de la 77th division, cet ordre, plusieurs fois émis et mis en application, selon lequel « les unités progresseront sans tenir compte des troupes sur leur droite et sur leur gauche », a bel et bien existé, mais avant que le second encerclement ne vienne transfigurer les victimes en héros au risque d’éclabousser des voisins qui n’avaient pas fauté. Et pourtant, face à certains ordres et à leur incongruité (c’est peu dire), tous ces hommes, quelle que soit leur origine, ont été sacrifiés de manière égale, et la mort n’a pas mégoté.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
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alaindu512010
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Re: Les condamnés du 368th infantry

Message par alaindu512010 »

Bonsoir Eric
Encore un beau travail d'analyse sur un fiasco militaire transformé en légende tenace
Des erreurs de commandement qui font de ces victimes envoyées au casse pipe , les héros du lost battalion

le 11 novembre 2021 une gerbe est déposée au pied du monument du lost battalion de la 77 dius près de l'étang de Charlevaux
dans la foulée une gerbe est déposée au pied du monument du 9 ème cuirassier libérateur du village par la municipalité de Binarville

conclusion

le 368 rius est toujours condamné a l'oubli

merci à Eric pour ce travail intègre et studieux
alaindu 512010
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