Verdun ils ne passeront pas

Avatar de l’utilisateur
RADET Frederic
Messages : 2524
Inscription : lun. oct. 18, 2010 2:00 am

Re: Verdun ils ne passeront pas

Message par RADET Frederic »

Bonsoir,
il me paraît assez évident que le commandant en chef n'avait pas d'autre choix en 1916, eu égard au symbole que représentait cette ville dans l'imaginaire collectif. Je pense même que c'est uniquement cet aspect des choses qui l'a déterminé à s'y cramponner et à la défendre
Se cramponner à quoi ? A part à son poste ?

En 1914 Verdun pouvait se prévaloir d’être la plus puissante place forte de France, en 1915 le secteur compris entre l’Argonne et le Saillant de St-Mihiel était devenu un des moins bien défendu du front ouest. C'est un sacré tour de force qu'a réalisé là notre commandant en chef.

Vider les forts, se préparer à les faire sauter, miner les ponts de Charny à Belleray, pas de deuxième ligne, pas de troisième ligne, je n’appelle pas ça vouloir se cramponner.
Le général Buat écrit dans son journal, à la date du 26 février 1916 :
Regardez plutôt du côté de Castelnau qui hérite de ce secteur calamiteux quelques semaines avant le déclanchement de l’offensive allemande, regardez du côté du général Herr qui commande la R.F.V et vous comprendrez à quel point cette région fortifié n’en a plus que le nom.

Cordialement,
Frédéric
Avatar de l’utilisateur
b sonneck
Messages : 2600
Inscription : mar. juin 04, 2013 2:00 am
Localisation : 53- Saint-Berthevin

Re: Verdun ils ne passeront pas

Message par b sonneck »

Bonjour,
[quotemsg]
Surprise et étonnement quand même, comme le remarque Stephan @gosto, à propos de la haine qu'aurait vouée les Français envers les Allemands et le "supprimons la race" !
[/quotemsg]

Je verse au dossier ce passage des carnets de guerre d'Auguste Georget, instituteur mobilisé au330e RI, qui sera tué le 13 avril 1915 à Marchéville et dont j'ai déjà parlé sur ce forum (il écrit ces lignes à la suite d'un ordre du jour de Joffre) :

" 25 décembre 1914. Oui, nous les bouterons hors de France, ces maudits ! Je les hais, mais seulement depuis huit jours, depuis que ma petite est morte, depuis qu’ils m’ont empêché d’aller recueillir son dernier soupir. Quand l’heure aura sonné, j’éprouverai une véritable jouissance à répandre leur sang. Je me repaîtrai de leurs vies de souffrance et ne leur ferai aucun quartier. Qu’elle sonne cette heure ! ".

Soyons honnêtes : il vient d'apprendre la mort de son épouse, au chevet de laquelle il n'avait pas pu se rendre.
Mais il n'empêche. Ces propos sont de la plume d'un syndicaliste engagé, pacifiste, pas soupçonnable a priori de bellicisme outrancier.
Des sentiments de cette nature ont donc parfaitement pu exister et s'exprimer. La preuve...

Cordialement
Bernard
Avatar de l’utilisateur
Stephan @gosto
Messages : 5859
Inscription : dim. oct. 17, 2004 2:00 am
Localisation : Paris | Chartres | Rouen
Contact :

Re: Verdun ils ne passeront pas

Message par Stephan @gosto »

Bonjour,

Il est évident que de tels sentiments ont habité certains combattants. Je pourrais certainement en donner également quelques exemples. En revanche, je suis persuadé qu'ils restent minoritaires, et que ce commentaire, relevé dans le documentaire, ne correspond pas à la réalité telle que nous pouvons la percevoir à travers les très nombreux témoignages laissés par les combattants :
Chez beaucoup de Français s'installe un discours exterminateur qui nous en rappelle d'autres et dont on trouve peu de trace chez les Allemands de l’époque : "supprimons la race" ! s'écrie un poilu 3 fois blessés à Verdun, qu'il n'en reste pas de trace !
Bonne journée.
Stéphan
ICI > LE 74e R.I.
Actuellement : Le Gardien de la Flamme

Image
Avatar de l’utilisateur
b sonneck
Messages : 2600
Inscription : mar. juin 04, 2013 2:00 am
Localisation : 53- Saint-Berthevin

Re: Verdun ils ne passeront pas

Message par b sonneck »

re-bonjour,

Vous avez raison. L'exemple que j'ai indiqué ne visait qu'à signaler que de tels sentiments ont pu exister et être exprimés par quelques individus. Mais rien n'autorise à faire une généralité de quelques cas particuliers. Sur quelles études quantitatives s'appuie celui qui écrit "Chez beaucoup de Français etc." ?...

Cordialement
Bernard
chanteloube
Messages : 1645
Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am

Re: Verdun ils ne passeront pas

Message par chanteloube »

bonjour,

A propos de "consentement et brutalisation" j'avais écrit ceci il y a quelques années pour une revue locale:


Lorsque, en 1929, Norton Cru fit paraître " Témoins ", il appuyait son travail sur trois cent quatre volumes. Deux cent seize avaient été publiés entre 1915 et 1919, les autres dans les dix années qui suivirent. Au sein de ce corpus, comportant les auteurs dont on avait l’habitude de dire qu’ils étaient les meilleurs : Meyer, Delvert, Pézard, Bernier, Escholier, rares étaient les authentiques " Carnets de guerre ", plus rares encore les Correspondances de soldats.
" Volatier [était] le seul soldat homme du peuple, le seul poilu non bachelier, non breveté dont on [avait] publié les impressions " .
Cent ans plus tard, tenant compte de la floraison d'ouvrages postérieurs aux commémorations de 1998 et de 2014, on constate que les centaines de documents publiés dont nous disposons aujourd’hui sont souvent l’œuvre d’hommes habitués à la pratique de la langue écrite. Cela n’a rien de surprenant.

On conviendra qu’un tiers des textes les plus anciens émanent d’officiers, on conviendra aussi qu’ils ont souvent été " revisités " par la censure, des héritiers timorés , des éditeurs prudents.
Depuis 1998 les choses ont beaucoup changé. Des dizaines de nouvelles publications constituent, peu à peu, les sources nécessaires à l’étude de la vie des soldats de 14-18 et de leurs mentalités. Moins littéraires, moins éloignées des préoccupations quotidiennes de la troupe, elles s’inscrivent dans ce mouvement de renouveau, sans pour autant corriger, à notre avis, la sous représentation des " petites gens du peuple ".
Un exemple : emprunté à " Emile Carrière ":
" Parce que je porte le même uniforme qu'eux, les propres ouvriers de mon père se croient immédiatement autorisés à me tutoyer, à me parler grossièrement. Nous vivons tous ici dans un état de promiscuité physique et morale extrême. Nous sommes entassés la nuit, […] nos membres s'enchevêtrent, [que] nos transpirations se pénètrent, [que] nos haleines se mélangent. "
Une conscience aussi forte de la promiscuité est rarement évoquée dans les témoignages issus de soldats venus des milieux populaires.
Un autre exemple, beaucoup plus ancien, est celui de Jacques Meyer qui consacrera, en 1966, quelques lignes de l’avant-propos de son livre " Les soldats de la Grande Guerre " à tenter de démontrer que le terme Poilu était une pure création de l’arrière et que les soldats, selon lui, répugnaient à l’utiliser ; Meyer, officier subalterne, vivait au contact de la troupe mais conservait de son éducation, à l’évidence, certaines délicatesses de langage. Son témoignage, par ailleurs fort intéressant, est, bien sûr, marqué par son origine sociale.
Plus singulier est le cas de Robert Hertz, un disciple de Durkheim. Ses lettres publiées sous le titre " Un ethnologue à la guerre ", révèlent une obsession d'intégration qui le conduit à l'acceptation du sacrifice de sa vie.
" C'est difficile de parler de ces choses si nuancées, mais c'est vrai qu'il y a quelque chose d'admirable dans cette tranquille et gaie acceptation du plus grand risque par nos petits troupiers. C'est une armée de gens qui y voient clair, qui ne se laissent pas bourrer le crâne et qui acceptent tout, résolument, sans faire usage de leur raison si éveillée et si vive, parce qu'il le faut. C'est une bénédiction de vivre parmi eux surtout pour un Juif. Aussi suis-je plein de gratitude et d'amour pour la douce patrie si accueillante, jusqu'à l'excès […] "
Une telle attitude d'extrême soumission au destin est rarement formulée aussi nettement dans les correspondances venues du rang dont nous avons eu connaissance, alors qu’une soumission totale aux desseins de Dieu est répétée de façon très explicite au moins chez l’un des frères Martin-Laval . On ne peut pas dire que ces trois jeunes hommes viennent du peuple !

Ces exemples nous démontrent que pour tenter de savoir ce que pensaient les combattants, une voie s’ouvre : accumuler les témoignages. On a, hélas, peut-être, trop attendu, pour s'en préoccuper, même si, depuis quelques années les témoignages qui y étaient enfouis sortent des malles et des greniers.
" Combien d'erreurs ont été répandues sur les combattants ! […] Que ceux qui sont loin du combat ne nous travestissent pas par leur imagination ! Qu'ils ne songent point à décrire des états d'âme où ils n'entrent point et où ils n'ont pas droit de visite ! Qu'ils nous laissent la vérité et le bénéfice d'un esprit que nous payons de notre sang ! "
protestait, avant d'être tué à Verdun, R. Jubert, scandalisé par les élucubrations d'un Barrés
Il n’est pas impossible, non plus, que l’on ait craint des témoignages risquant de mettre à mal l’image des " grands militaires " et cette crainte s’est alors traduite par une méfiance à l’encontre des témoins directs :
" Les historiens se sont toujours méfiés de ce que l'on appelle l'histoire orale, c'est à dire le récit d'un événement par ceux qui l'ont fait ou en ont été les témoins. Méfiance légitime si l'on songe que tout événement passant par le prisme déformant d'une personnalité donnée est filtré par une mémoire qui l'interprète, n'est plus qu'une vérité subjectivée, que toute évocation d'un passé lointain fait nécessairement jouer la sélectivité dans les souvenirs et leur télescopage, transmute la réalité vécue et l'éclaire différemment, gommant ici, idéalisant là, ordonnant les événements selon l'intensité avec laquelle ils ont été ressentis […].
écrit S. Pesquies-Courbier du S.H.A.A dans la revue " ICARE " avant de se poser l’autre grande question :
" L'histoire peut-elle être faite uniquement à partir de documents écrits dont l'objectivité n'est, après tout, pas davantage absolument garantie? Le témoignage d'hommes que l'on interroge sur des événements contemporains n'apporte-t-il pas aussi, malgré‚ ses imperfections, une note nouvelle, donnant à la réalité son poids d'humanité ? "
On a évoqué, au cours d'un colloque (Jean-François Jagielski) le problème de l'altération de la " perception du temps chez les combattants " Cette défiance, en partie légitime, mais trop souvent avancée explique, probablement, le retard pris dans l’étude des mentalités des soldats.
Il va sans dire aussi que certains propos dérangent ou vont à l’encontre des idées reçues ou en vogue. " Les carnets secrets du général Fayolle " ont été expurgés par Henri Contamine lors de leur première publication ! Ils risquaient, pensait-il, avec raison, d’écorner l’image de nos " grands chefs ".
Les recherches historiques récentes ont fait avancer la connaissance des faits bruts; l’ouverture des Archives a permis aux spécialistes de redresser nombre d’erreurs et d’éclaircir bien des zones d’ombre ; ont été explorées des dizaines de pistes concernant les " Traces " laissées par la guerre, dans des domaines aussi divers que la sociologie, la littérature, la musique, la peinture, l’industrie, l’aviation, l’automobiles, l’artillerie, les uniformes et les armes. Remarquons qu’on sait un peu moins de choses sur les profits de guerre, les financements et l’organisation de l’industrie de guerre. On sait beaucoup de choses…mais une interrogation demeure : comment des hommes ont-ils pu se laisser ainsi conduire, en masse, à la mort ?
L’expliquer par une sorte de consentement généralisé n'est pas convaincant au regard des registres de Prévôté.
L’expliquer " par le souci de la défense d'un sol dans lequel [ils] sont enfouis à longueur de journée correspond à la mentalité de paysans-fantassins et paraît d'autant plus nécessaire que des camarades sont morts sur cette terre précieuse […] Défendre le sol, c'est aussi défendre ceux qui sont morts pour lui " ou par le patriotisme inculqué par l'école de la République, est un peu court.
La peur des officiers, du peloton d'exécution, la terreur que faisait régner les gendarmes qui sévissaient sur les arrières des armées sont souvent avancées mais n’expliquent pas tout selon nous.
Il nous semble que " l'impérieux regard des autres" peut aussi être à la base d’une " attitude courageuse ".
Quoi qu’il en soit, la multiplication de mutilations volontaires est un indicateur fort de ce refus du sacrifice. Et ce, en dépit des mesures draconiennes que le commandement prend et des condamnations à mort qu’il exige des tribunaux militaires pour endiguer l’épidémie.
Devant autant de difficultés d’analyse, comment faire pour mieux comprendre " l’homme-soldat "? Dresser un portrait du Poilu est-il possible ?
Qu’y a-t-il de commun entre un artilleur de " la Lourde " et un " crapouilloteur de tranchée ", entre un capitaine entraînant ses hommes au combat en Champagne et un commandant préparant des canevas de tir, au calme, dans un bureau de l'Artillerie Divisionnaire ?
Qu’y a-t-il de commun entre le fantassin d'août 14 marchant au canon et celui de Salonique embourbé dans les marais du Vardar ?
Placés dans des situations très diverses, les hommes ont réagi de multiples façons et seule la juxtaposition de leurs " mémoires " permet, nous semble-t-il, d'avoir une idée de ce que furent les attitudes des soldats face aux aspects multiples que revêtit, à ses différentes périodes, cette guerre. Cette juxtaposition est, aujourd'hui essentielle.
Elle seule permet d'échapper à la tentative de dire ce qu'était un " vrai " Poilu . Elle seule formera barrage aux dérives venues du passé et aux tentatives de réécriture de l'histoire qui se font jour depuis quelques années.
Elle seule contourne les querelles intestines entre " consentistes brutalistes " et ceux qui pensent qu’une discipline féroce contraignait les soldats à l'obéissance. A ce propos, nous reprendrons les termes de Rémy Cazals et Frédéric Rousseau :
" […] une approche séduisante de l'histoire de la Grande Guerre est proposée par deux historiens. […]. -Dans 14-18, retrouver la guerre-, leur dernier ouvrage, Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker prétendent opérer sur la guerre de 14 le même type de subversion du regard que sur la Révolution française "
Au moment où s’ouvrent les Archives des Conseils de Guerre, au moment où, précisément, on constate que les informations sur les motivations des justiciables en sont souvent absentes, tout bien pesé, nous inclinons à penser, comme le général Bach, que l'étude systématique des correspondances qui ont survécu au temps est un des bons moyens d'affiner notre connaissance " des hommes-soldats de 14-18 ".
D'abord parce que leur spontanéité garantit leur sincérité, ensuite parce que si leurs auteurs ont échappé à la mort, elles s'étendent sur de longues périodes et mettent en évidence, au fil du temps et des expériences, l'évolution des mentalités et des comportements.
Au sujet des lettres publiées, N. Cru affirme :
" En lisant les lettres, il faut toujours se dire que l'auteur est peut-être allé plus loin dans son texte réel que dans celui que nous lisons. Cela constitue une faiblesse […] largement compensée par les avantages que seules les lettres peuvent avoir. Elles donnent certitude que la version des faits racontés, I’ expression des sentiments, sont bien celles de la date de la lettre, sans qu’aucune révision postérieure aux événements ne soit venue modifier le récit ou la pensée. L'impression immédiate, de premier jet […]"
Audoin-Rouzeau explique que " le contrôle postal constitue le seul moyen de les appréhender [les correspondances] en masse " . Toutefois, nous reprenons à notre compte une phrase de Marc Bloch tirée de " Métier d’historiens " :
" L’objet de l’histoire est, par nature, l’homme. Disons mieux : les hommes. Plutôt que le singulier, favorable à l’abstraction, le pluriel, qui est le mode grammatical de la relativité convient à une science du divers. […] ce sont les hommes que l’histoire veut saisir [....] " !
Et nous suggérons tout aussitôt qu’il serait utile d’organiser, encore mieux, la détection des milliers de lettres qui dorment encore dans les tiroirs des " Archives familiales " d’où il faudrait les tirer ou qui s’empoussièrent sur les rayons des Archives départementales où il faudrait aller les étudier.

Nous pensons, en revanche, que l’étude des Carnets personnels, doit être menée avec circonspection depuis que nous savons que le Professeur Emile Carrière lisait parfois son carnet à ses camarades .

A bientôt.
Répondre

Revenir à « Presse - Radio - Télé »