Lettres de poilus peu-lettrés

chatlang
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par chatlang »

Bonjour à toutes et à tous,

La question posée par Geneviève plus haut me semble intéressante : n'y aurait-il pas eu d'instructions données à la censure pour rejeter des courriers rédigés dans un sabir qui s'éloigne trop du bon français, clair et intelligible ?

Par exemple, on sait que les chtimis ont hérité du sobriquet qui les désigne du contact avec des soldats d'autres régions dans les tranchées. Se peut-il que des hommes parlant un patois qui les distingue de façon caractéristique puissent s'exprimer correctement à l'écrit, alors que dans leur très grande majorité, ils n'avaient pas le niveau du certificat d'études primaires ?

Si des occurrences dans les lettres des occitans permettent de dire qu'ils pensaient dans une langue et écrivaient dans une autre, la cas des nordistes est autrement parlant, car le passage au bon français demande "simplement" une auto-correction. Or il n'y a jamais rien de plus compliqué que de faire simple.

Parmi les nombreuses lettres de poilus que j'ai pu parcourir, je n'ai pas trouvé de chtimi, ni de patois ou langue régionale. Bien au contraire, je suis généralement impressionné par la qualité de l'écrit en français. N'est-ce pas curieux, voire suspect ?

Pour y revenir, on sait que le fonctionnement de la censure n'avait rien d'improvisé et que, si des lettres ou cartes ont été renvoyées à leur expéditeur (voire détruites) sur ce motif, ordre en a été donné par écrit. Je n'ai rien trouvé qui puisse en attester, mais si quelqu'un avait accès aux archives...

Cdt
chanteloube
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par chanteloube »

Bonjour,

Je vous suis dans votre manière de penser, mais je ne pense pas que les officiers censeurs aient reçu la consigne particulière de couper les courriers qui passaient entre leurs mains pour cause de langues régionales ou de "français douteux"
je dispose d'un corpus d'environs 2000 lettres qui sont des correspondances suivies et 300 qui sont des cartes ou des lettres isolées, l'orthographe et le français sont corrects dans les correspondances suivies mais pour les autres ce n'est pas le cas et l'écrit est souvent phonétique.
Mais il ne s'agit que d'un corpus constitué au hasard des trouvailles.

Ce qui ne pouvait être compris était caviardé sans plus......les lettres censurées lourdement n'étaient pas renvoyées....elles étaient détruites ou transmises à l'échelon sup de censure.
Par contre on renvoyait le courrier des morts avec l'expression terrible : le destinataire n'a pu être joint à temps.

je peux vous assurer, mon expérience me le permet, que les personnes qui ne maîtrisent pas bien la langue écrite ne s'aventurent pas longuement dans la correspondance ou même dans l'écriture tout court. J'ai rédigé, au service militaire, des dizaines de lettres, des demandes d'embauche pour le compte de jeunes soldats qui allaient être libérés ou même voulaient demander à leur petite amie de venir les attendre au bateau.


A bientôt.
CC
Putine
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par Putine »

Bonjour a tous ! :hello:

Je m' interesse beaucoup des letrres, des memoires des poilus ( en France et dans les Balkans ) pendant 1916-1918. Existait-il la liste des ces travaux ?

Merci d' avance ! :jap:

Amicalement
Igor
robin des bois
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par robin des bois »



Un grand bonjour a vous

Voici une lettre de Donatien-Marie, prénoms de l'arrière grand-père de mes enfants :
- il a eu une fille (née le 22/ 09/1914), 3 petites-filles(dont mon épouse) qui lui ont donné 8 arrière-petits enfants (dont 4 chez moi) etc
- il est mort le 12 avril 1916 au " bois des Caurettes en Cumières ou MortHomme" (références sur sa fiche MDH)


Il a écrit régulièrement depuis la fin aout 1914 jusqu'au 12 avril 1916, sauf pendant les 15 jours de sa seule perm (1ere quinzaine de janvier 1916) .. et en septembre 1914 après sa blessure lors de la première bataille de la Marne .

J'ai respecté son orthographe, me contentant seulement d'aller à la ligne, le texte étant en effet écrit "à suivre sans aucune ponctuation"

En sa mémoire :

Donatien Marie Saint Marc le 8 janvier (1914 surchargé 1915)

Chère Marie

Je suis de retour des tranchés
on est arrivé hier au soir vers 11heures
mai on a pris quelque chose pour aller et venir
il a mouiller pendant les deux voyages et il faisait noir noir on se voyait pas à 2 mètres
il y avait de l’eau dans les boyaux pour se rendre au tranchées
les boyaux sont des faussés creusés pour être cacher et garantie des balles pour aller aux tranchers
j’ai passer 3 nuits et 1 /2 sans fermer l’œil, un peu le jour mais pas beaucoup
cette foi ici j’ai vu des boches mercredi l’après midi
on en enttendait un causer dans leur tranché un peu à notre droite mai il causait en allemand
on comprenait rien on ce demandait ce que sa voulait dire
il causait avec la 23eme compagnie de chez nous qui était à notre droite
il en est venu un de la 23e qui nous a dit cela et qu’il aurait recommencer le lendemain jeudi à 10 heures et qu’il aurait remi un pli et que à 4 heures ont lui aurait rendu réponse
je ne le croyais pas car il en est tent dit mais j’ai été obligé du croire car je les ai vu à 10 heures
sa recommencer à causer et on a regarder par dessus la tranché et on les a vu se montrer avec un petit drapeau blanc il était au moins 7 ou 8 peut-être bien une 10ne et un officier allemand c’est avancer et un sergent français arrivant ensemble
ils se sont saluer et donner une poignée de main et l’officier a donné le pli au sergent
et chacun a retourner a sa trancher
et l’officier a dit maintenant la guerre recommence et il a tiré un coup de revolver en l’air.
il demandait si on voulait un moment pour …..


(désolé : je ne dispose pas de la suite..
et en tant que « pièce rapportée », je n’ai pas le fonds sous la main ; il est en garde chez une autre de ses arrière petites-filles )



robin des bois
Putine
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par Putine »

Merci bien robin des bois ! :)
robin des bois
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par robin des bois »

Bonjour à vous

Sur une autre, qui parle beaucoup de colis et de ravitaillement ( dont beurre, chocolat, tabac, "boudinerie"...)
et où il dit ceci :
[Ce sont peutetre bien des rapors de cuisiniers mais si jamais qu’on marcherait de l’avant je serait peutêtre bien comptent dan avoir a manger et d’avoir ma boite pour le conserver ]

il y a aussi ce passage qui, à mon avis, peut apporter un élément de réponse sur la disparition quasi systématique des "lettres des épouses "
Y avait-il des consignes, voire des ordres , ou d'autres raisons ? Honnêtement je ne le sais pas .

Voici cet extrait tiré d'une lettre portant l'entête suivant : " D. 4 février 1915"

[ Il faudra rien me mettre sur tes lettres qui insulte les boches car j’aime les garder un peu dans mes poches et j’arriverait d’être pris prisonnier et que je penserais pas les jeters ce serait peutêtre pas bon
ce n’est pas que je pense être pris mais sa bien arriver à d’autres
mais je ferait tout pour qu’il ne mette pas la main sur moi ces salopios là,
si tu veux les insulter mai moi cela sur un petit bout de papier je le déchirerait aussitôt après l’avoir lu.]


robin des bois
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par robin des bois »

Le 6 février Donatien Marie est visiblement " au repos" .
Il en profite pour envoyer une sorte de lettre circulaire à sa "Chere Marie, Père, frère,tante et toute la famille"

4 pages d'un texte serré et très lisible toujours au "crayon de bois"

Les thèmes abordés sont très différents des lettres adressés à sa seule épouse ; voici les 2 premières pages

en sa mémoire .. pour le faire revivre dans la notre :

[Le 6 février 1915

Chère Marie, Père, frère, tantes, toute la famille

Je vai vous parler un peu de mon dernier voyage des tranchées
Je n’est pas eu de misère
Vous ne pouvez pas vous figurer ce que c’est bien installé les tranchers si près des boches
J’étais à peu près à 80m de ses cochons
Le 2eme jours j’ai d’abord apperçu une pioche qui se levait en l’air après une pele qui jetait de la terre
c’éttait un de ses animals qui était à travailler un peu
après j’ai commencé à lui voir la tête
je me suis préparé tout de suite pour essayer de l’amocher
un moment je lui voyait toute la tête il ne bougeait pas
j’ai bien pris mon temps ou pointer mon fusil appuyer et je lui est lâcher le coup
je ne sait pas ce qu’il est devenu je l’est toujours pas revu
apprès cela il m’a été rendu un coup de fusil qui venait presque de l’endroit ou j’avait tirer ce boche
je regardait toujours si je l’aurait vu alors j’ai vu la fumer mais sa lui était impossible de me voir
il ne savait pas au juste où j’était je n’est fait qu’entendre la balle siffler
après j’ai été chercher un bout de boi et j’ai installer mon affaire que je n’avait qu’à poser mon fusil il était en jou sur l’endroit où il avait tiré et je crois que celui qu se trouvait la aura pas dormi la nuit
après de tmpes en temps je disai bande de vaches en même temps bing
les nuits longues comme elles sont on a le temps de ruminer

par moment je pensais dans ma sœur ( *) qui est avec eut la bat
qu’est-ce qui lui font
peut-etre rien maintenant sil ont besoin d’elle encore
mai toujours avant de s’en aller je pense bien ce qu’ils lui feront je ne veu pas le dire mais vous aller le comprendre
le Colonel nous avait dit l’autre jour que c’éttait pas des hommes qu’on avait devant nous
c’ettait des pilleurs des assassins il assassine des enfants viole les filles et les femmes peut-e^tre vos femmes ou vos sœurs a quelques uns d’entre vous
je pense souvent dans Marie la pauvre Marie que devient-elle avec une bande de salop pareille vous croyer que quand j’en voirait un des ses andouilles là je n’essaierait pas le tuer aussi
alors dabor c’est mon devoir

ce qui m’ennuie il ya des moments qu’on est mener « cest »(sec ?) je n’ose pas le dire
on a un bon Colonel avec lui je marcherait dans l’endroit le plus dangereux sans esiter
il sait la manière de prendre ses hommes toujours à la douceur
avec lui on aurait toujours du courage

mais on en a d’autres plus bas ce n’est pas qu’ils seraient mauvais gars mais c’est des enfants (**)
ils ‘amusent ensemble et quand ils commandent c’est toujours un ton sévère toujours essayer de faire peur souvent ils parlent de la prison bien souvent à tort

maintenant on est au repos .... ]



( *) sa sœur Marie : elle était " bonne soeur " (de la Sagesse) dans une maternité et/ou crèche en Belgique !!
Comme je l'ai connue et rencontrée dans les années 70, j'atteste qu' elle ne semblait pas avoir été victime de " turpitudes" de la part des "Boches" !!
En tout cas elle ne me l'a pas dit .... elle était très sympa .

(**) le 251e Ri est un régiment de réserve (série 200- sans doute du 51eme) appartenant à la 69eme DI

Putine
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par Putine »

C' est tres interessant robin des bois ! :)
robin des bois
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par robin des bois »

Un grand Bonjour à tous

et voici les pages 3 et 4 de cette même lettre datée du 6 février 1915

[…maintenant on est au repos
il y a du vin dans le patelin cest impossible den avoir dautres que celui quon touche de lordinaire on en a un demi car par jour ce nest pas grand-chose
plutôt que nous laisser en racheter un litre par jour sa nous donnerait des forces quon en a si grand besoin .
les autres fois on pouvait encore en avoir dificilement mais enfin on pouvait en boire sa va de pire en pire

le premier jour quon a été arriver des tranchées le matin ils ont demander sil y avait des fusils qui ne fonctionnaient pas bien j’ai signaler le mien
l’éjection avait casser en tirant ma derniere cartouche j’en est pas encore entendu parler depuis
heureusement que jai trouver un vieux fusil jai demonter la culasse et jai changer la tete mobile car san cela jaurait peutetre bien retourner aux tranchers que létui aurait rester dans le canon à chaque fois que jaurait tiré mais jaurait rouspéter plus haut qu’en cette foi là

il y en a beaucoup qui sont remplit de poux sa doit venir un peu du monde moi j’en est vu l’avant dernière foi que j’ai changé ma flanel
il y avait un couple de jours que je l‘avait fait je le sentait bien courrir et me mordre
settait un gros gaillard il etait dans ma manche de flanel
cettefois ici que jai changer jai bien regarder partout jen avait pas
mai jen attraperait a la fin car a force de coucher apres ceux qui en on et sur de la paille
ce nest pas de la paille cest presque du fumier
des que sa me mord un peu je crois que cest des poux.

La première fois que j’ai été au tranchées on c’était perdu 3 hommes et un caporal un peu avant d’être rendu
Il faisait noir on ne voyait pas ou l’on montait
On avait trouver un grader je ne sait quel grade on ne voyait pas il nous avait mener a notre compagnie sur le bord d’un bois
Arrivant la « les enfants don je vous est parler » (***) arrivaient
ils nous disent vous arriver tout de même votre escouade est dans le boi en petit poste aller la rejoindre
le caporal demande par ou aller
d’un ton dur vous avez qu’a suivre la lisière du bois vous trouverez le sergent san nous faire voir de quel coté
nous voila partit… marche marche on entendait des coups de fusil mai s’était tout de façon qu’on était revenu d’où on était parti
le caporal voulait plus bouger de la où il se trouvait
Les mitrailleurs qui était la nous avait mieux renseigner que « les enfants »
je par devant et je fus bien directement trouver mon escouade
et jetait heureux de retirer mon sac il y avait au moins quatre heures qu’il était sur mon dos
voila comment on est mené au 251e

au revoir Chère Marie, Père, Frère, Tante Donatien ]



(***) né le 18/08/1884, Donatien-Marie va donc sur ses 31 ans en février 1915




robin des bois
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par robin des bois »

Bonsoir à tous

Ceci sera le dernier post - avant longtemps- concernant les correspondances de Donatien, l'AGP de mes enfants :
- sachant que je ne veux pas monopoliser ce fil de discussion
- et qu'il me parait souhaitable que d'autres prennent la relève ....s'ils en ont envie

Un dernier tout petit document qui- pour ma famille et moi- représente une "charge émotionnelle" importante .

Sur un bout de papier , glissé dans une petite enveloppe dite "mignonnette" (comme on disait autrefois), ces textes toujours au crayon, de bois :

- l'enveloppe elle-même (petit format):

[à remettre à mon père
(nom)+Joseph
a décacheter qu'après la guerre
si je ne revien pa
ou avant quand vous
apprendrer ma mort
(nom) + Donatien
]

- le texte :

[ Dhuizel le 5 février 1915

Mon Cher Père

je sui dans un momment dangereux
je veux me mettre tranquil
si j'aurait le malheur de laisser
ma vie a cette maudite guerre
et que ma femme aurait deux malheurs
de rang qu'elle perdrait sa petite fille après
je lui laisse tout mon bien
a sa vie.
Mon Cher père je compte sur vous pour
arranger cela s'il y a besoin
j'espère qu'il y aura pas besoin

(Nom)+ Donatien ]


ps : précisions de rdb

- Dhuizel et St Mard (D. l'écrit toujours St marc) sont 2 localités du département de l'Aisne , situées dans un triangle compris entre Soissons et Reims au dessous de la rivière de l'Aisne, juste au sud du Chemin des Dames ( il y passera pratiquement toute l'année 1915, avant d'aller ensuite à Verdun, rive gauche)
- sa petite fille n'a pas encore 5 mois en février 1915.. et le taux de mortalité infantile des moins de 5 ans en 1914 était nettement plus élevé que maintenant
- son père a scrupuleusement respecté ses dernières volontés, procédant à une division des quelques terres agricoles et de la longère que la famille possédait en Brière

Merci de votre attention.
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