Lettres de poilus peu-lettrés

HenriBarbusse
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par HenriBarbusse »

Bonjour à tous,

Membre d’une équipe de recherche basée à l’Université de Montpellier 3, je me permets de solliciter en son nom l’aide des collectionneurs du forum. Depuis maintenant plus d’un an, nous avons collecté, saisi et commenté plusieurs dizaines de lettres de poilus afin de dresser un portrait linguistique de l’écrit de ce qui fut l’une des premières générations à accéder dans son ensemble à l’emploi de la lecture et de l’écriture (lois Ferry…). Quelle était la place des langues régionales dans le corpus écrit ? Comment ces scripteurs maniaient-ils la syntaxe et la ponctuation ? Furent-ils influencés par la langue argotique dont on sait qu’elle eut un réel impact à l’oral ?... Nos premières conclusions feront l’objet d’un ouvrage publié en septembre 2014, et inscrit dans le programme officiel du Centenaire.

Toutefois, notre corpus présente une spécificité de taille : il ne regroupe que des textes de peu-lettrés, à savoir des soldats sachant écrire sans pour autant maîtriser les règles de l’écrit « normé ». Ce sont pour la plupart des hommes issus du peuple (paysans, viticulteurs…), regroupés dans la 3e catégorie (sur 5) évaluant le niveau d’éducation des soldats lors de leur enrôlement : ils ne disposaient pas du certificat d’études. Et si ce corpus fut le plus important à l’époque (53% des soldats environ), la spécificité des lettres (orthographe et syntaxe rendant la lecture difficile) a occasionné un taux de préservation bien inférieur à celui des lettres écrites dans un français courant ou littéraire, qui font l’objet de la plupart des publications encore à l’heure actuelle.

Pour continuer à rendre ce corpus accessible et à en faire l’objet de nos travaux, nous en appelons à l’aide de collectionneurs qui seraient disposés à prêter, photocopier, scanner, ou vendre des correspondances (même incomplètes) répondant à nos critères de recherche. Nous souhaiterions donner une plus grande ampleur à nos travaux, aux plans spatial (la plupart de nos lettres proviennent de l’Hérault), numérique, temporel (nos correspondances s’arrêtent en 1916), mais aussi sociologique (nous avons peu de soldats ouvriers). N’hésitez pas à m’écrire si vous pensez pouvoir nous apporter quelque soutien que ce soit.

Merci à tous pour votre attention et vos éventuelles réponses,

N. B.
st lambert
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par st lambert »

Bonjour à tous,bonjour Henri Barbusse.

Votre requête a retenu mon attention car vous abordez un sujet auquel j'ai souvent réfléchi. Une raison simple à cela est que travaillant depuis des années sur les représentations et les cadres mentaux des français pendant la grande guerre, j'ai lu des centaines de correspondances de cette époque. cette longue fréquentation m'a convaincu qu'une majorité de nos compatriotes ne maîtrisait pas les contraintes du français écrit et je laisse de coté la question de l'orthographe . j' en veux pour preuve :
a) la méconnaissance des relatifs (avec un "que" connecteur universel)
b) l'abondance des déictiques (en, y, ici, il)
c) des pronoms qui ne réfèrent à rien, etc, etc.
En fait j'ai le sentiment que beaucoup de scripteur utilisent du français oral qui, dépourvu à l'écrit de son contexte énonciatif, donne cette impression d'implicite et de manque de cohésion (à charge au lecteur de décoder !).
Mon jugement "impressionniste" (non fondé sur une étude quantitative rigoureuse) me semble rencontrer les résultats que vous fournit votre corpus.

Se pose alors ici la question du "rapport à l'écrit". J'entends par là les attitudes psychologiques conscientes et inconscientes face à une technique plus ou moins maîtrisée (recours à des stéréotypes, stratégies d'évitement, etc). Ce qui m'amène à l'argot. Il faut constater qu'il est rarement utilisé dans la correspondance ; même un mot comme "pinard" n’apparaît quasiment jamais alors qu'il est souvent question de vin (mauvais et trop cher...). J'ai l'intuition que ces mots d'argot sont ressentis comme illégitimes à l'écrit même s'ils étaient de pratique courante dans la vie au front.

S'agissant enfin de l'emploi des langues régionales, je n'en trouve aucune trace. Il se peut que mon corpus de référence provenant essentiellement de la moitié nord de la France ne soit pas favorable à ce genre de trouvaille. Plus certainement je crois que les conditions d'acquisition du français standard et du français écrit fermaient la porte à toute expression non conforme, illégitime même selon les critères de l'école jacobine.Par contre il est sans doute possible de voir se dessiner en filigrane, derrière le texte français, des tournures, des emplois des temps, etc où transparaît un autre système linguistique.
Il y aurait encore beaucoup de choses à développer mais je tiens à évoquer l'émotion ressentie à la lecture de ces correspondances, aussi humbles soient-elles.

Bien à vous
philippe
chanteloube
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par chanteloube »

Bonjour,

Avez-vous pensé, je suis certain que oui, que beaucoup de nos poilus traduisaient péniblement en Français une langue qu'il parlait et qui n'était pas le Français scolaire. J'ai un peu étudié la correspondance d'un Marseillais sur plus de trois cents lettres et j'ai la certitude qu'il pense en Provençal et écrit en Français -plutôt correctement d'ailleurs, bien qu'il soit ouvrier ébéniste ( je vous concède que les ébénistes étaient un peu les aristocrates des métiers du bois)- de sorte quel perdant son Provençal peu à peu, sa correspondance perd beaucoup de sa saveur.
L’apprentissage de la maîtrise d'une langue par la pratique écrite est connu ( pas assez, des enseignants d'aujourd'hui) vous devez l'avoir constaté avec vos étudiants. Contactez-moi en privé, je dois avoir des "choses" pour vous gratuites et transcrites.

A propos de PINARD je peux dire que dans ce que je connais il y a 258 occurrences sur 850 lettres ( un ébéniste, un instituteur, un employé de banque et un viticulteur qui n'utilise effectivement jamais le mot pinard)


A bientôt CC
HenriBarbusse
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par HenriBarbusse »

Cher St-Lambert, cher Chanteloube,

Je vous remercie sincèrement d'avoir pris le temps de répondre à mon message, et vous prie d'excuser le retard avec lequel je vous réponds : le projet nous a demandé ces dernières semaines une importante accélération du rythme de travail afin de pouvoir tenir les délais éditoriaux. Les points que vous abordez sont particulièrement intéressants, et ils ont en effet retenu notre attention au cours de la phase de rédaction de nos travaux. Les peu-lettrés ont effectivement pour horizon de référence leur pratique de l'oral, qui a imprégné la syntaxe qu'ils emploient pour transcrire leur expérience de guerre. Mais leur parcours scolaire, ainsi que la probable influence de manuels de correspondance, ont largement complexifié la langue écrite de ces scripteurs : la récurrence de formules très "écrites" de type "Je fais réponse a ton aimable lettre la qu'elle ma faits plaisir sur tout en voyent que tu es an bonne santée car il la n'est pas de méme pour moi" en est un exemple probant. Par ailleurs, nous avons également exploré le lexique des lettres (c'est précisément le chapitre dont j'ai la charge), et il nous est apparu que les termes d'argot étaient plutôt rares (aucune occurrence du terme "pinard" sur quelques 100 000 mots) : nous allons donc nous inscrire dans la lignée des auteurs qui questionnent l'emploi d'une langue des tranchées, dont certains journaux se faisaient l'écho de façon démesurée dès les premières années de guerre. Une certaine méfiance s'impose toutefois au vu des origines rurales de nos scripteurs : les ouvriers font souvent montre de pratiques lexicales très différentes, ce qui explique la remarque de Chanteloube (mais je peine à réunir un tel corpus).

Il est également vrai que beaucoup de traces (syntaxiques) trahissent des pratiques orales dont on peut penser qu'elles étaient liées à des langues régionales (en l'occurrence, le franco-provençal et l'occitan), ce qui fera l'objet du travail de l'un des membres de l'équipe, spécialiste des régionalismes. Votre intuition concernant le scripteur marseillais que vous mentionnez a toutes les chances d'être juste.

En vous remerciant encore pour vos réponses,
bien cordialement,

HB.
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- Joel Huret -
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par - Joel Huret - »

Ce sujet a été déplacé de la catégorie Pages d'aujourd'hui : actualités 14-18 - commémorations vers la categorie Forum Pages d'Histoire par - Joel Huret -
11Gen
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par 11Gen »


Bonjour à toutes et à tous,

Bonjour Henri,

Je me demande si la Censure militaire du courrier n'aurait-elle pas eu une incidence sur le manque de "textes de peu-lettrés" ?

En effet, ne peut-on pas poser l'hypothèse que les lettres écrites par les soldats avec des mots ou expressions en "patois" auraient été systématiquement détruites par la censure militaire, en raison d'une part des politiques d'interdiction des "patois" depuis de nombreux siècles, surtout en ce qui concerne celles relatives à la IIIe République qui, il me semble, interdisait les "patois" dans l'enseignement, dans les médias et aussi dans l'armée, et d'autre part en raison des mots et expressions inconnus des censeurs qu'ils pouvaient assimiler à des messages codés ? Et pourquoi pas tout simplement, les lettres avec trop de fautes auraient été mises à la corbeille !

Par ailleurs, savez-vous si quelques fonds d'archives ne posséderaient pas quelques exemplaires de ces lettres censurées qui n'auraient pas étaient détruites? Ce serait idéal pour le corpus de votre intéressante étude.

Bien cordialement
Geneviève
Wittgenstein Ludwig (1889-1951). "La philosophie est la lutte contre l'ensorcellement de notre entendement par les moyens de notre langage" P.I. § 109
chanteloube
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par chanteloube »

bonjour Geneviève,

On sait par les comptes rendus de censure, -j'ai évoqué cette question plus haut ou plus bas, je ne sais plus- ce qui était considéré comme délictueux puisque ce qui était considéré comme l'étant était transcrit soigneusement. On retrouve facilement ces comptes rendus...à Vincennes.
A bientôt. CC
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nordaisne
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par nordaisne »

Bonjour,
Voici ce que je possède. Si cela vous convient, j'essaierai de faire mieux pour la lisibilité.
Cordialement
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Claudette
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fred S
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par fred S »

Bonsoir,

voici la retranscription mot pour mot d'un courrier adressé le 27 février 1916 par l'un de mes AGP, agriculteur charentais de Chalais, à mon AGM. Si cela peut vous être utile, je vous ferai parvenir une copie de l'original.
Je possède 11 courriers, allant de novembre 1914 à novembre 1916 (il est décédé début 1917).Certaines expressions ou mots me semblent typiquement charentais ("barbe à la cime": moisissure sur le dessus)



"Chère Petite amie,
aujourd'hui comme les autres fois je n'ai point grand chose à te raconter mais je viens quand même par ces quelques lignes te donner de mes nouvelles qui malgré la misère sont toujours à peut près bonnes.
Ainsi chère petite amie je te parlais ces jours derniers au sujet du camarade de Chillac qui devait partir en permission
je dois te dire qu'il n'est pas encore partit et puis de ce moment les permissions sont suspendues quelques temps personne ne part de ce moment.
De plus chère Petite je puis te dire que j'ai reçu hier un colis adresser par mon père dans lequel j'ai trouvé ce qui m'avait été accusé je lui écrit par ce même courrier pour les remercier
Je n'ai pas encore manger le contenu car hier soir quand j'ai recu le colis j'étais inviter à manger un autre colis qu'un camarade de Chateau-Neuf avait recu aussi il y avait un poulet et puis il y avait un autre camarade qui venait de rentrer de permission il avait rapporter aussi un tas de provisions si bien que nous n'avons pas eu assez d'appetit pour aller jusqu'a entamer mon colis.
Enfin bref tout cas rien de perdu ca sera pour ce soir qui est dimanche nous allons a l'honneur du colis faire chauffer la sauce que j'espere sera pas mauvaise entendu qu'il paraît bien conservé.
Il y avait bien de belle Barbe a la cime mais n'empêche qu'il parait extra quand même
Enfin chere amie je revient a cette question du camarade Vrillaud peut-être quand il va s'en aller emportera t-il le pot qui contient le contenu en question et puis autre petites choses du papier par exemple que tu trouveras et que tu tacheras de conserver ca pourra nous servir de souvenir

Enfin chère amie te t'avais parler pour des Bretelles voila que avec mon talent j'en ai confectionné une paire qui me vat bien ca empechera d'en achetter d'autres car ca doit bien etre comme le reste. Pas Bon marché.
Enfin chere amie je termine mon Petit Brouillon en t-embrassant toi et ta chere ange ainsi que toute la famille de grand coeur

Ton grand cheri pour la vie Petit Paul

Chère amie je te dirais que hier soir le camarade qui revenait de Permission avait rapportter quelques Baignès je t-assure que nous leur avons fait honneur ca nous changer beaucoup le goût du rata car ca nous arrive assez rarement de manger quelques chose de frient
Je veux donc dire que quand le camarade ira au pays si tu est d'applomb tu n'as pas a hesiter si tu peut me faire quelques chose de ce genre tu me l'enverrais a chalais et Vrillaud le prendrait au retour Même que tu me metrais une demi douzaine d'oeufs bouillis ca ne peut même pas me facher avec un peut d'assaisonage pour les manger en salade
Au revoir Pauvre cherie au grand plaisir de te revoir
En attendant tu pourras lire que je devient assez gourmand"
Cordialement,
Fred.
Je suis preneur de tous docs ou photos sur le 83ème RI
DominiqueCamusso
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Re: Lettres de poilus peu-lettrés

Message par DominiqueCamusso »

Bonjour à toutes et à tous,
Bonjour HenriBarbusse
voilà une recherche tout à fait intéressante.
j'avais, il y a quelques temps, posé une question sur ce sujet étant moi même confronté à deux lettres de mon GP dont le niveau linguistique évolue notablement entre fin 14 et 17.
cela avait donné lieu au fil suivant: forum2.php?config=pages1418.inc&cat=3&p ... s=0#t81956
et un commentaire dans celui-ci: forum2.php?config=pages1418.inc&cat=3&s ... s=0#t92376
Si vous êtes intéressé par ces lettres contactez-moi en MP
cordialement
Dominique
Twitter @camussod
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