Fernand Gircourt et Joseph Gervais au 294e R.I.

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Pax et labor 51
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Fernand Gircourt et Joseph Gervais au 294e R.I.

Message par Pax et labor 51 »

Voici le parcours de deux chefs de section de la 17e Compagnie du 294e R.I., tombés lors de l'attaque du Bec de Canard près de Suippes (Marne) le 15 mars 1916.

Le Sous-Lieutenant Joseph François Cyprien Gervais naquit en 1893 à Rochefort du Gard, fils d’un propriétaire et d’une épicière, qui avaient déjà une fille. Il perdit son père quand il avait quatre ans. Il était employé de banque dans le civil et résidait à Arles. Selon sa fiche militaire, il avait les cheveux châtains, les yeux châtains verdâtres, le front vertical, le nez concave, le visage rond, et mesurait 1,63 m.

Il était arrivé au 294e R.I. en novembre 1915. On trouve plusieurs fois son nom dans le journal de l’Aspirant Laby, qui écrit à la date du lundi 15 novembre 1915, alors que les 17e et 21e Compagnies se trouvent entre Suippes et Perthes-les-Hurlus : « Départ à 6h30 en voiture pour relever Lamaze (tous les quatre jours). Gelée. Neige. Le cheval glisse. Allons au pas. Arrivée à midi. Froid intense. Baraquements en planches dans les bois, au kilomètre 3 ½. Popote avec le capitaine Jamin et le lieutenant Noir (arrivé de l’artillerie, sur sa demande, il y a cinq jours. Il est prêtre.) Les nouveaux lieutenants arrivent : Ginet et Gervais, puis Ricq. »

Gervais avait été promu Sous-Lieutenant à titre temporaire au mois d’août précédent. Il était loin d’être un bleu : le 294e R.I. était son quatrième régiment, après le 55e R.I. le 58e et le 173e R.I. C’est dans ce dernier régiment qu’il avait combattu aux Eparges. Selon sa fiche militaire, il y avait été « blessé le 11 avril 1915 […] par éclats d’obus. Plaie contuse du cuir chevelu superficielle contusion profonde face antér-externe du bras droit. »

Il fut porté disparu le 15 mars 1916 et d’abord présumé prisonnier, ce qui explique que son nom n’apparaît pas avec celui de ses camarades dans le Journal Officiel de la République Française du 22 mars 1916. Ce n’est que le 2 juillet 1919 que le Tribunal civil d’Uzès reconnut sa mort en la fixant au 15 mars 1916, et son décès ne fut transcrit sur le registre de Rochefort-du-Gard que le 22 juillet 1919.

Grâce à ce même numéro du Journal Officiel, on apprend par ailleurs que le 3e chef de section de la 17e Compagnie du 294e était le sergent Fernand Durand Gircourt.

Né à Paris en 1886, élevé par sa grand-mère maternelle après la mort de ses parents, il était employé de banque lui aussi, et célibataire. Sa fiche militaire le décrit comme blond aux yeux bleus, avec un visage ovale, un menton rond, une bouche et un nez moyens, et mesurant 1,73 m. Il fut nommé caporal le 10 juin 1915, puis sergent le 8 novembre suivant.

Son acte de décès fut établi le 22 mars 1916 à la ferme du Piémont par le lieutenant Désiré Victorin Tardy, lieutenant au 294e R.I. sur la déclaration de deux témoins, Elie Letellier, 30 ans, et Louis Dommée (ou Domnée ?), 26 ans, soldats de 2e classe, avec la mention « Mort pour la France le 15 Mars 1916 à 14 heures par suite de blessures de guerre au Combat au Nord-Ouest de Souain (Marne). »

Il fut cité à l’Ordre de l’Armée du 27 mars 1916 dans les termes suivants: « Sous-officier très énergique et très brave, s’est particulièrement distingué le 15 Mars 1916 au cours de l’attaque d’une tranchée ennemie faisant preuve du plus grand sang froid et du plus grand mépris du danger. Ses officiers ayant été mis hors combat a pris le commandement de la Compagnie et a réussi à la maintenir sur la tranchée conquise. Est tombé mortellement frappé en repoussant une contre attaque ennemie. »

Le récit de l’Aspirant Laby permet de compléter.

Il évoque d’abord au lundi 13 mars une « soirée avec Lamaze, Touille, le sergent Gircourt (un ami de Lamaze, très gentil) et le lieutenant Gervais) », dans l’attente de l’attaque qui se prépare, puis les derniers préparatifs du mardi 14 mars : « On part ce soir à 18h. Chacun écrit une lettre ou deux à sa famille et la confie à un type de l’arrière restant ici. Je laisse mes lettres pour chez nous et 200F au dentiste Schnorf. Je garde 150 F pour si je suis fait prisonnier. Fenaux me fait promettre d’écrire chez lui s’il y reste ; Lamaze, Touyeras et Gariel aussi, ainsi que Gircourt. Précaution réciproque. C’est réellement poignant : on laisse ses montres, bagues et lettres ici, pour ne pas être pillé. Fenaux nous photographie tous en groupe. Espérons qu’il n’en manquera pas. Dîner qu’on s’efforce de rendre gai — le dernier pour certains, peut-être. Touille joue un peu de violon. Temps merveilleux. Beau soleil. Départ, sac eu dos, à 6 heures du soir. Nous défilons au pas cadencé devant le général Gouraud. Ça donne l’impression d’un « Morituri te salutant… » Arrivée aux tranchées à minuit. »

Le 15 mars 1916, après le duel d’artillerie impressionnant de la matinée, Laby raconte l’attaque au Bec de Canard :

« À 13 heures juste, les 22e, 24e, 17e et 18e sortent — ou plutôt essayent, sous les feux français et boches. La moitié des braves poilus est arrêtée par le barrage boche qui s’est déclenché à 12 h 56 en voyant nos poilus sortir des cagnas et se mettre en ligne dans les trous. Ils sont vus car, de la première tranchée et des boyaux, il ne reste rien. C’est un indescriptible chaos plein de débris, d’entonnoirs et de morts.

[…] À la 17e, le lieutenant Noir, un prêtre, part en tête. Il est brave (je me souviens de son allure raide et guindée du dernier défilé —il veut se faire tuer). Il a dit au colonel (le jour de son arrivée au régiment) alors que celui-ci lui faisait remarquer que l’infanterie était autrement dangereuse que l’artillerie qu’il quittait sur sa demande : « Mais mon colonel, c’est pour cela que je viens… et je ne souhaite qu’une chose, c’est d’être le premier officier tué de notre régiment. »

Il charge donc seul en avant et tue quatre ou cinq Boches au revolver, à bout portant. Puis il est blessé horriblement à la face, aux bras et aux jambes (1). Avant de quitter, il passe son commandement au lieutenant Ternisien. Il reçoit une balle dans la tête et est tué. Le lieutenant Gervais prend le commandement : il est tué. C’est alors que mon ami, le sergent Gircourt, dit Toto (avec lequel, la veille encore, on avait passé la journée), prend le commandement… et se fait tuer. »

1.Quand Noir arrive au poste de secours, plein de sang, les Boches blessés qui l’ont été par lui se sauvent quand ils le voient ! Quel hommage à sa bravoure !

Sources

Journal Officiel de la République Française, 22 mai 1916, page 4518 :
Les carnets de l’aspirant Laby Médecin dans les tranchées, Bayard 2001
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k ... OURT.f4.hl
Mémoire des hommes, fiches Mort pour la France
Fiche matricule Gircourt : http://archives.paris.fr/arkotheque
Acte de décès Gircourt : https://www.geneanet.org/registres/view ... r=19074986
Acte de naissance Gervais : https://v-earchives.gard.fr/series/FRAD ... REGISTRES/
Fiche matricule Gervais : https://v-earchives.gard.fr/viewer/FRAD ... 2_0001.jpg

Cordialement

P&L 51
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michelstl
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Re: Fernand Gircourt et Joseph Gervais au 294e R.I.

Message par michelstl »

... Puis au JO 14 août 1920 (p.11913)
Tableau spécial de la Légion d'Honneur à titre posthume
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k ... h/f29.item
Salutaations
Michel
Salutations
Michel
Scolari
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Re: Fernand Gircourt et Joseph Gervais au 294e R.I.

Message par Scolari »

Bonjour,

Quelle belle écriture, je suis sincèrement jaloux ;-)
un régal à lire. N'hésitez surtout pas à poursuivre.

Bien à vous.
Frédéric
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Pax et labor 51
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Re: Fernand Gircourt et Joseph Gervais au 294e R.I.

Message par Pax et labor 51 »

Et en plus du Sous-Lieutenant Gervais, vous me donnez des nouvelles du Capitaine Salembier (orthographié SALEMBRIER), permettant d'en savoir mieux sur les circonstances de sa mort. C'est de la belle sérendipité !

Voici la notice du Journal Officiel de la République Française du 14 août 1920 , à la page 11913 :

SALEMBRIER(sic)(Georges Louis Marie), mle 774, capitaine : officier de très grande bravoure. Le 5 octobre 1914, a organisé avec beaucoup de sang-froid le village de Beuvraignes, donnant à tous le plus bel exemple de courage. Est tombé glorieusement frappé en participant à la défense de ce village. Croix de guerre avec palme.

Juste en-dessous, on trouve la notice de Gervais :

GERVAIS(Joseph-François-Cyprien), mle 585, sous-lieutenant : officier brave et dévoué. Est tombé glorieusement au champ d'honneur, le 15 mars 1916, à Souain. Croix de guerre avec étoile de bronze.

Un grand merci michelstl !

P&L 51
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