Je reviens vers vous avec une nouvelle lettre, que je trouve très intéressante. Ici, je souhaiterais identifier le régiment de son auteur à partir des infos qu'il nous donne dans son récit.
Voilà ce que j'ai déduit à sa lecture : l'auteur est probablement sous-officier ou officier d'un régiment territorial ; il est dans les Vosges en août 1916 (et même depuis 1914) ; il décrit une attaque qui a eu lieu 3 jours avant : j'ai trouvé dans le communiqué officiel du 12 août 1916 une référence à coup de main allemand dans le secteur d'Altkirch.
Est-il possible de savoir à quel régiment appartient l'auteur de la lettre (un certain Michard, mais pas sûr à 100% car je n'ai que sa signature) ? Mais aussi tous renseignements sur cette attaque. Merci de votre aide.
Voici la lettre :
Cordialement,Le 15 Août 1916
Cher Monsieur Fournau,
Je viens un peu vous donner de mes nouvelles. Elles sont excellentes, je suis toujours en excellente santé et compte toujours parmi les vivants. Je suis d’autant plus heureux de faire cette constatation que j’ai bien failli passer l’arme à gauche. En trois jours, les boches nous ont envoyé plus de 90 tonnes de projectiles. Ils nous ont envoyé, les cochons, plus de 900 minen pesant chacun 60 kg, et des rafales d’obus de tous calibres, jusqu’au 210 mm qui éclataient par 5, six à la seconde. Quelle vie ! Quelle vie !
Quel vacarme et quel tableau ‼ Celui qui a vécu ces tristes heures en aura toute sa vie la vision devant lui. Quels ravages que font ces minen. D’abord on entend le départ, comme un coup de fusil, puis le sifflement (un sifflement particulier), ensuite la chute (celle d’un poids de 60 kg sur la terre). 2 ou 3 secondes après, un choc, comme un coup de fouet, et enfin, 10 à 12 secondes plus tard, l’éclatement. Mais quel éclatement ‼ Comme si 10 pièces d’artillerie tiraient au même instant. La terre tremble, s’ouvre, tout vole en éclat, des arbres gros comme deux fois mon tronc sont coupés en deux comme un porte-plume entre mes doigts, le fracas de leur chute s’ajoute à celui de l’éclatement. Les rondins recouvrant les abris volent à quinze et vingt mètres en l’air, sacs, toiles de tente, couvertures, gamelles, tout saute, tout est détruit. Il se forme des entonnoirs dans lesquels on pourrait placer un fiacre. Des hommes sont enterrés et doivent être retirés tout contusionnés par leurs camarades. En 3 jours de bombardement, tout a été détruit. Il ne reste plus un arbre droit, plus un seul, tout, tout rasé, tout détruit. Les hommes sont dans les trous d’obus et attendent avec anxiété les boches, qui trois fois sortent, trois fois ils sont repoussés.
Nous avons eu plusieurs tués, pas mal de blessés et un fou qu’on a été obligé d’attacher pour pouvoir l’emporter. Nos hommes sont sublimes. Je n’aurais jamais cru que l’on puisse obtenir des territoriaux de tels résultats. On nous avait envoyé un renfort pour parer à l’attaque que l’on prévoyait : un peloton d’une compagnie d’un régiment d’active venant de Verdun. Les hommes disent qu’à Verdun ce n’est pas plus violent, c’est exactement pareil. Ici, il s’est produit sur un tout petit front, sur un coin de secteur que les boches voulaient nous enlever, ce qui se produit à Verdun sur un front très grand. L’affaire est ratée, les boches en sont pour leurs frais et se sont calmés. Actuellement, nos tranchées, qui avaient toutes été détruites, sont refaites, consolidées, et ils peuvent venir, nous les attendons.
Une attaque, c’est épouvantable ! Tout crache à la fois : mitrailleuses, fusillades, salves, pétards, grenades, nuages de fumée, odeur de la poudre, atmosphère irrespirable !
Enfin, tout cela est passé, le calme est revenu et j’ai enfin pu dormir cette nuit car en 3 jours je n’avais pu dormir que 7 à 8 heures au maximum, et comment encore. Aussi, je vous écris un peu à la diable, étant encore sous l’impression de ces heures vécues.
Il me tarde, cher Monsieur Fournau, de me retrouver à la Banque Nationale, parmi mes collègues, devant mes dossiers de renseignements.
Nous sommes en bonne posture, nous tenons le bon bout et nous finirons par avoir la victoire. Mais quand ? Avant l’hiver ou après l’hiver ? S’il faut passer un 3e hiver ce n’est pas réjouissant. Nous savons ce qu’est l’hiver dans les Vosges pour en avoir passé deux, et nous aimerions bien passer celui-ci devant le feu, chez nous, entourés de notre famille. Depuis le temps que nous sommes partis et que nous menons la vie d’hommes primitifs, il ne nous semble pas possible qu’un jour nous puissions redevenir civils. Il nous semble que nous rêvons lorsque nous nous disons que nous avons une famille, un foyer, des amis. Tout cela est si lointain que nous ne le revoyons que comme si c’était dans un songe.
Rappelez-moi, Cher Monsieur Fournau, au bon souvenir de tous mes collègues et recevez de moi une cordiale poignée de main.
Michard
P.S. : Je vous recommande bien, Cher Monsieur Fournau, de ne pas laisser soupçonner à ma femme que je me suis trouvé dans ce pastis, car je lui écris toujours que mon secteur est le plus tranquille qui existe, qu’on entend jamais un coup de feu et que l’on ne se croirait pas en guerre.
Frédéric S.