Capitaine KLIPFFEL - 332e R.I. - Témoignage

Parcours individuels & récits de combattants
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Stephan @gosto
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Re: Capitaine KLIPFFEL - 332e R.I. - Témoignage

Message par Stephan @gosto »

Bonjour tout l'monde,

et plus particulièrement à celles et ceux qui se sont intéressés à cette histoire du capitaine Klipffel, évoqué par Guilhem dans ce fil.

Grand merci à Jean-Luc Arnould qui a eu la gentillesse de retranscrire le témoignage de ce capitaine qui relate sur plusieurs pages l'odyssée de son groupement isolé, composé d'une compagnie du 332e R.I. mais également rejoint par d'autres égarés de la Retraite.

Quant à l'origine exacte de ce texte, j'avoue ne pas la connaître ; et Jean-François Jagielski qui m'avait communiqué copie de ce document il y a quelques années n'en sait pas davantage !

Voici donc la première partie de ce texte. La suite viendra ultérieurement.

Bonne lecture !

Amicalement,

Stéphan

___________________________________


CAPITAINE KLIPFFEL

QUINZE JOURS DANS LES LIGNES ALLEMANDES EN SEPTEMBRE 1914


Le 332e régiment d’infanterie se mobilise à Reims à partir du 2 août 1914. Il quitte cette ville le 11 août 1914 et gagne, par étapes, le point de concentration de la 69e division de réserve. Le 332e fait partie de la 137e brigade.
Le 19 août, la division commence sa marche vers le Nord et le 23, elle entre en Belgique. Le lendemain, à la suite de la bataille de Charleroi, commence la retraite de l’armée française qui devait se terminer par la bataille de la Marne.
Le 31 août, le 332e quitte Bry en Laonnois à 18 heures avec la 69e division de réserve pour se porter sur Anizy-Pinon, par Fourdrain, Saint Nicolas aux Bois et Suzy. En arrivant à Suzy, vers 22 heures, la 20e compagnie qui marche en queue du régiment, reçoit l’ordre de s’arrêter et de s’établir autour du village pour couvrir le parc d’artillerie de la 69e division qui bivouaque à la sortie sud de Suzy.
La compagnie fournit aussitôt des postes pour couvrir les différents débouchés et les hommes disponibles s’installent en cantonnement d’alerte dans le village.

1er septembre

Le parc, escorté par la compagnie, quitte le cantonnement de Suzy à 6 heures du matin et se porte sur Laon par l’itinéraire : Cessières – Molinchart – faubourg de La Neuville (Laon).
Le parc devait recevoir à Laon de nouveaux ordres. A 17 heures, le chef d’escadron commandant le parc, n’ayant pas reçu les ordres attendus, prend le parti de passer la nuit à la sortie sud de Laon (faubourg d’Ardon).
La compagnie couvre le bivouac par des postes tenant les routes vers le sud pendant que le gros de la compagnie s’établit dans Ardon en barricadant les débouchés vers le nord. Le capitaine avait à Laon un officier pour y recueillir des renseignements sur la situation générale.
L’officier (lieutenant Rozet) trouva la ville évacuée par les autorités militaires et civiles et rassembla les isolés de toutes armes qui erraient dans les rues.
Les hommes qui appartiennent à une vingtaine de corps différents sont groupés sous les ordres des gradés de la compagnie. Un convoi de blessés et d’éclopés, appartenant pour la plupart au 287e régiment de réserve, est également recueilli ; vers une heure du matin, arrive à Ardon une compagnie du 205e R.I. de réserve qui, à la suite de combats dans la forêt de Coucy, a perdu le contact avec son régiment.
Des renseignements assez vagues signalent qu’une brigade de cavalerie allemande est arrivée dans la soirée à Liesse (12 km au nord-est de Laon). Ces renseignements sont apportés par les gendarmes de Liesse qui ont pu s’échapper à bicyclette un peu avant l’arrivée des Allemands. Le chef d’escadron commandant le parc décide, n’ayant toujours pas reçu l’ordre, de se replier le lendemain dans la direction de Reims par la route : Bruyères, Bourg et Comin, Fismes.

2 septembre

La colonne quitte Ardon à 6 heures, la compagnie du 205e forme l’avant-garde, la 20e compagnie du 332e est arrière-garde, les sections formées avec les isolés rassemblés pendant la nuit sont intercalées entre les sections de parc. Quelques cavaliers (un maréchal des logis des dragons, un brigadier et deux chasseurs d’Afrique) flanquent la colonne.
La colonne prend l’itinéraire : Bruyères et Montbérault – Mont en Ault – Chamouille – Troyon. Vers 9 heures, au moment où la compagnie d’arrière-garde vient de franchir la rivière l’Ailette, la colonne est violemment canonnée par une batterie de 77 postée aux environs du Chemin des Dames. Le convoi reflue aussitôt en désordre, ainsi que les sections formées avec les isolés. Il est poursuivi par des détachements d’infanterie.
La 20e compagnie du 332e dégage immédiatement la route pour éviter d’être entraînée par le reflux des voitures, se forme à droite et à gauche de la route et occupe les boqueteaux de la rive sud de l’Ailette de façon à faire barrage et à permettre le repli du convoi.
Le capitaine n’a aucune nouvelle de la compagnie du 205e qui formait l’avant-garde ni des quelques cavaliers lancés sur les flancs.
Les première et deuxième sections formées à l’est de la route ouvrent le feu sur les fractions d’infanterie allemandes descendant de Cerny en Laonnois et arrêtent leur mouvement.
La 4ème section, à la faveur des bois, est poussée à l’ouest de la route jusqu’au sommet d’un mouvement de terrain qui barre l’horizon (900 mètres environ au sud de l’Ailette).
La 2ème section (adjudant Degouy) qui était en pointe d’arrière-garde a été entraînée par le reflux et la capitaine n’en a plus de nouvelles. La progression de l’infanterie allemande cesse aussitôt que notre feu lui a causé quelques pertes.
Au bout d’une heure environ, le capitaine apercevant sur les hauteurs du Chemin des Dames des mouvements de troupe importants, et tous les isolés du convoi s’étant repliés, prend le parti de repasser l’Ailette pour éviter d’être entouré dans les bois qu’il ne peut surveiller efficacement en raison de la faiblesse de son effectif. Le mouvement s’exécute par échelons et la compagnie réduite à trois sections va occuper la croupe au nord de Chamouille, d’où l’on peut surveiller facilement tout le terrain en avant et tenir par le feu tous les débouchés de la rivière l’Ailette et du ruisseau de Bièvres.
De l’observatoire excellent que forme la croupe de Chamouille, le capitaine peut se rendre compte à peu près de la situation : une longue colonne d’infanterie, au moins une division, suit le Chemin des Dames de l’est vers l’ouest.
D’autres fractions moins importante sont aperçues vers Ailles – Neuville et Courtecon – Crandelain. Ne pouvant se rendre compte, en raison de la distance et du mauvais éclairage si ces troupes sont amies ou ennemies, le capitaine fait monter à bicyclette quelques volontaires pour aller reconnaître ces troupes de plus près. Les éclaireurs reviennent bientôt, toutes les colonnes aperçues sont allemandes. Tous les débouchés vers le sud sont fermés, la situation n’est pas brillante. Ne pouvant avec un effectif réduit (3 sections) tenir un mouvement de terrain aussi étendu que la croupe de Chamouille, le capitaine prend la résolution de se replier sur Monthenault, ce petit village grâce à la configuration du terrain, peut être facilement défendu par une troupe peu nombreuse.
Monthenault est, en effet, construit sur une sorte d’isthme très étranglé qui réunit la croupe de Chamouille au massif sur lequel est construit le fort de Monbérault. Les Allemands laissent exécuter le mouvement sans chercher à le contrarier. Aussitôt arrivée à Montbérault, la compagnie s’y barricade. Au cours du combat, la compagnie a eu 4 tués et 8 blessés. Ces derniers ont été recueillis et emmenés à Monthenault, les morts laissés sur le terrain, ainsi qu’un blessé (Mahut) que l’on avait cru mort. Le capitaine envoie deux cyclistes voir si la route de Laon est encore libre. Ils reviennent bientôt annonçant que Laon est occupée par les Allemands ; ils n’ont pas trouvé sur leur chemin les débris du parc divisionnaire (il avait, en effet, quitté la grande route pour gagner Presles où il fut capturé dans la soirée).
Vers 17 heures, cinq autos allemandes chargées de fantassins et arrivant de la direction de Laon, viennent se heurter à nos barricades, elles sont accueillies à coup de fusil ; trois voitures ont leur moteur mis hors de service et après quelques minutes de fusillade assez vive, les Allemands survivants s’entassent dans les voitures restantes et prennent la fuite. Les autos démolies contenaient le produit de pillage : vivres, champagne et même une boite de bijoux usagés volés les jours précédents. Les trois autos furent brûlées, les vivres et le vin distribués aux hommes de la compagnie.
Le capitaine décide alors de se replier sur Reims, à la faveur de la nuit, par Corbeny et Berry-au-Bac. Je ne possède malheureusement aucune carte de la région et personne ne connaît l’itinéraire. Quand, par hasard, arrive de Monthenault un habitant qui connaît assez bien la région. Le capitaine le prend pour guide. Plusieurs caissons du parc avaient été recueillis, mais la difficulté d’une marche de nuit, à travers un pays inconnu, oblige à les laisser et on se contente d’emmener les chevaux avec leur harnachement et deux voitures contenant les blessés.
Au cours du combat de Chamouille, outre les tués et les blessés, la compagnie a perdu un adjudant, 3 sergents, 8 caporaux et 82 soldats disparus. La plupart faisaient partie de la section d’arrière-garde qui n’a pas rejoint. En outre, les hommes étaient restés avec le régiment à Suzy.
A 20 heures, la compagnie quitte Monthenault emmenant les blessés et 19 chevaux d’artillerie, conduits par un maréchal des logis et 9 artilleurs de parc. La compagnie suit l’itinéraire : Montbérault – Festieux, par le chemin des crêtes pour essayer de gagner Corbeny et se jeter ensuite en plaine, de façon à gagner Reims par le nord de la ville, mais un peu avant de déboucher sur la grand-route de Laon à Reims, elle se heurte à une colonne allemande considérable et est obligée de se rejeter vers le sud par la Bôve, Bouconville, Vauclair.
En arrivant auprès de l’ancienne abbaye de Vauclair, au point du jour, nouvelle rencontre d’une colonne allemande qui oblige la compagnie à se jeter dans les bois. Les voitures de blessés ne pouvant suivre, le capitaine charge le soldat Aveline et un artilleur de conduire les blessés dans le premier village qu’ils rencontreront et de les confier aux soins de la municipalité.


[à suivre...]


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Stephan @gosto
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Bonjour tout l'monde !

Voici la suite de ce récit. Merci Jean-Luc ! ;)

Amicalement,

Stéphan


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3 septembre

Ne pouvant reprendre sa marche en plein jour, car les Allemands occupent toute la région, la compagnie reste toute la journée dans les bois entre l’Ailette et le Chemin des Dames. Le chemin, coupé de canaux d’irrigation ne permettant pas aux chevaux de suivre, le capitaine les fait déharnacher et abandonner dans les bois. Les harnachements et les selles emballées dans des couvertures sont déposés dans les bois à 400 mètres à l’ouest de l’abbaye de Vauclair.
Le capitaine n’a toujours aucun renseignement sur la situation : les quelques civils rencontrés disent seulement que les Allemands sont partout. Le guide amené de Monthenault ne connaît plus la région et le capitaine n’a toujours pas pu trouver de carte. A la faveur des bois, la compagnie se rapproche, dans l’après-midi de la crête du Chemin des Dames et vient s’établir à bonne distance de la ferme de Hurtebise. Une patrouille envoyée à cette ferme la trouve vide d’Allemands ; elle ramène le fermier et quelques vivres qui sont les bienvenus, car toutes les provisions étaient épuisées.
Le fermier se met à notre disposition pour conduire le détachement et lui faire franchir l’Aisne ; il demande seulement la permission de retourner à la ferme pour y prendre sa veste, car il est en bras de chemise. Le capitaine l’y autorise, mais l’homme ne revient pas. Un sous-officier et deux hommes envoyés à la ferme la trouvent occupée par les Allemands qui ont arrêté le fermier et sont en train de faire main basse sur le bétail et les provisions. La nuit approche rapidement, aussi, malgré les difficultés du terrain, le capitaine décide à partir quand même, en se dirigeant vers le sud à la boussole. Le terrain est extrêmement coupé, les bois épineux, aussi la marche est-elle pénible. Heureusement, au moment où la nuit tombe, nous entendons le bûcheron qui travaille dans les environs. Une patrouille nous le ramène quelques minutes plus tard. C’est un réfugié d’un village qui est en train de construire une hutte pour abriter sa famille ; il connaît un peu le pays. Sous sa conduite, en passant par le moulin de Vauclair et les bois d’Oulches, la compagnie gagne le château de Blanc-Sablon.
La marche sous bois, par une nuit noire, est extrêmement pénible, car nous suivons les pistes à peine tracées, de façon à éviter les routes parcourues continuellement par les Allemands qui occupent tous les villages voisins. Au cours de la marche, une trentaine d’hommes ayant perdu le contact s’égarèrent et ne purent rejoindre la compagnie.


4 septembre


En arrivant à Blanc-Sablon, vers minuit, la compagnie y trouve heureusement le fermier qui s’offre à la guider jusqu’au village de Cuiry-lès-Chaudardes, où se trouve un bac sur l’Aisne. La marche reprend malgré la fatigue, Cuiry n’est pas occupé par les Allemands qui y avaient pourtant cantonné les jours précédents. La compagnie gagne vivement les bords de l’Aisne, le bac est intact, mais malheureusement petit.
Le passeur qu’on réveille passe tout le détachement en huit voyages. Les Allemands n’ont pas donné signe de vie. Aussitôt la rivière traversée, la marche reprend.
Par Couvreux [sic] et Roucy, la compagnie gagne Cormicy où elle arrive fourbue et affamée, car, depuis Monthenault, il n’a pas été possible de faire de cuisine, on a marché presque sans arrêt. A Cormicy, le capitaine établit la compagnie dans une ferme un peu isolée, à la sortie nord-ouest du village. Des vivres sont réquisitionnés et la soupe mise au feu ; les habitants nous approvisionnent. Les bruits les plus alarmants courent : Reims aurait été occupé sans combat, nous ne voulons pas y croire. Pendant que la soupe cuit, nous prenons un peu de repos, après avoir établi un poste de garde. Le cycliste de la compagnie trouve dans le village une carte au 80 000ème de la région. Il l’apporte au capitaine.
A 9 heures, la soupe est mangée. L’occupation de Reims par les Allemands semble être confirmée. Le capitaine va chercher à gagner la Montagne de Reims, en évitant la ville pour gagner Epernay.
A 10 heures, au moment du départ, des coups de feu éclatent autour de la ferme. Ce sont les Allemands prévenus de notre présence (nous ne saurons jamais comment). Ils ont envoyé deux détachements pour nous enlever : le premier (une demi-Cie d’infanterie environ), venant de Berry au Bac, nous attaque le long de la voie ferrée. L’autre venu en auto arrive par le village où, arrêté par une barricade, il nous fusille à 100 m. En un instant, tout le monde est à son poste. Les Allemands accueillis vigoureusement hésitent et s’embusquent autour de la ferme.
N’ayant nulle raison de s’attarder à Cormicy, où il risquerait d’être cerné, le capitaine décide de gagner les hauteurs ouest de Cormicy où il pourra manœuvrer et surtout surveiller les environs.
Le mouvement commence aussitôt par échelons de sections sans que les Allemands tentent rien pour l’entraver, se contentant de tirailler à distance. Quelques pertes pour la compagnie : 2 tués, 6 blessés, 4 disparus.
Avant de quitter la ferme, les blessés furent pansés dans une voiture abritée dans la cour d’une maison et un habitant chargé de les conduire à Reims. Les blessés y furent hospitalisés par les Allemands qui les abandonnèrent lors de l’évacuation de la ville.
La compagnie se rassemble vers la côte 186 (entre Cormicy et Châlons le Vengeur) et, de là, par le chemin de crête, se dirige vers le fort de Saint Thierry. La compagnie y arrive vers 17 heures sans avoir rencontré un Allemand. Un avion ennemi l’a survolée vers 16 heures à faible altitude. Une patrouille reconnaît que le fort est désert, la compagnie peut s’installer dans les casemates et y passer la nuit.
Le sergent-major de la compagnie, Pouillon, avec une patrouille, trouve le village vide d’Allemands et, avec quelques difficultés, obtient des vivres du maire.
La nuit fut tranquille ; le détachement put se reposer, ce qu’il n’avait pas fait depuis le 31 août, plus de 3 heures par 24 heures.


[à suivre...]
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Stephan @gosto
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Re: Capitaine KLIPFFEL - 332e R.I. - Témoignage

Message par Stephan @gosto »

Bonjour,

Jean-Luc nous propose la suite de sa retranscription des notes du capitaine Klipffel.
Bonne lecture !

Amicalement,

Stéphan

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5 septembre


Au lever du soleil, le capitaine ne voulant pas être pris dans le fort, comme dans une souricière, le fit évacuer et la compagnie s’installa dans les bois au nord du fort. Il ne fallait pas en plein jour songer à franchir la vallée de la Vesle.
Deux postes d’observation furent placés : le premier au moulin de Villers d’où l’on pouvait surveiller les routes de Reims à Laon et de Reims à Neufchâtel ; le deuxième au réduit de Chenay d’où l’on observait facilement la vallée de la Vesle et les débouchés de Reims vers le sud.
Un caporal, Andrieux, habillé en civil, fut envoyé à Reims pour essayer de se procurer des renseignements précis sur la situation générale. La journée se passa sans incident. Les postes d’observation signalent de nombreuses colonnes allemandes et surtout des convois venant du nord, qui entrent dans Reims et qui semblent ensuite en sortir au sud, vers la Montagne de Reims. Toutefois, vers la tombée de la nuit les routes se vident. Il semble que le gros des forces allemandes s’est écoulé.
Le capitaine profite de la journée pour réorganiser le détachement qui, outre le noyau du 332ème, comprend des isolés appartenant à une vingtaine de corps différents.
Infanterie : 6° - 41° - 45° - 74° - 78° - 119° - 187° - 146° - 151° -
Régiments de réserve : 205° - 224° - 287° - 306° - 319° - 329° -
Divers : 2° Zouaves - 6° Tirailleurs – 12° et 50° artillerie –
Tous ces isolés sont groupés avec les hommes du 332ème en 4 sections, sous les ordres des gradés de la 20ème compagnie du 332ème. A la tombée de la nuit, le capitaine fait rentrer les postes d’observation et voyant l’impossibilité de gagner la Montagne de Reims, prend la résolution d’essayer de gagner Verdun par une marche rapide et directe derrière le gros des forces allemandes. A 18 heures, la compagnie quitte les environs du fort et prend l’itinéraire Villers-Franqueux – Loivre – Bourgogne – Fresnes – Lavannes – Epoye.


6 septembre


La marche se poursuit le plus rapidement possible. Tous les villages traversés sont vides d’ennemis mais ont été occupés les jours précédents par des forces considérables, comme en témoignent les restes des bivouacs très étendus autour de chaque village. Par un hasard extraordinaire, il ne reste pas un traînard dans les localités mais pas non plus de vivres.
En arrivant, au point du jour, au débouché des bois à l’ouest d’Epoye, la pointe d’avant-garde se trouve nez à nez avec un important convoi allemand en train de former le parc. C’est fâcheux car le capitaine comptait trouver à Epoye des vivres et un guide pour gagner au plus vite Moronvillers et Dontrien. Il n’y faut plus songer.
Le capitaine ne tenant pas à signaler sa présence en enlevant [sic] le convoi, fait à travers le bois de sapin un long détour au sud d’Epoye et la compagnie gagne la ferme de Varsovie et Nauroy, puis Moronvillers, localité peu importante, écartée des routes principales. En y arrivant vers 17 heures, nouvelles désillusions : le village est presque complètement détruit ; on s’y est battu le jour précédent et les Allemands y ont encore un détachement. Nous trouvons cependant quelques poules et lapins, ce qui avec des pommes de terre déterrées feront le repas. La compagnie quitte aussi Moronvillers et va s’établir dans un petit bois, situé sur un piton [il s’agit en fait du « Casque » - 242 mètres -, l’un des Monts de Champagne ] à quelques centaines de mètres au sud-ouest du village. Les feux sont allumés et les poules et lapins rôtis, pendant que les pommes de terre cuisent dans les gamelles. Le repas est vite expédié et chacun s’étend à terre pendant que la section de service assure la sécurité autour de notre bivouac.


7 septembre


A 1 heure du matin, le bivouac est levé sans bruit, et la compagnie reprend sa marche vers l’est. Une erreur de direction, commise dans la nuit noire au milieu des bois de sapins, tous semblables, amène le détachement vers trois heures du matin à la ferme de Moscou, sur la voie romaine de Reims à Bar-le-Duc. Heureusement, un habitant, resté dans la ferme, nous remet dans la bonne direction et à 6 heures, nous arrivons à Vaudesincourt.
Là encore, les Allemands ont passé en masse les jours précédents mais sans y séjourner. Il reste encore des habitants qui, malgré leur dénuement, nous fournissent des vivres pour la journée et même un tonnelet de vin.
La compagnie franchit la Suippes et s’engage dans la région des sapinières en se dirigeant vers la ferme de Navarin et Tahure. Il fait une chaleur étouffante et la marche est pénible sous les bois de sapins surchauffés par le soleil. Le pays parcouru a été les jours précédents le théâtre de combats d’arrière-garde dont nous trouvons les traces à chaque pas (amorces de tranchées, équipements, tombes fraîchement creusées…).
La carte que le capitaine avait pu se procurer ne va pas plus loin que Vaudesincourt, aussi sommes nous obligés de nous diriger à la boussole. En arrivant vers 15 heures, près de la ferme de Navarin, au débouché d’une petite sapinière clairsemée, située à 200 mètres à l’ouest de la grande route de Châlons à Sedan, la compagnie se trouve brusquement en présence d’un bataillon allemand, arrivant de Sommepy et marchant sur Souain.
Il y a un moment d’émotion. Tout le monde s’aplatit sous les maigres sapins et les Allemands défilent sans nous apercevoir ; pourtant nos pantalons rouges doivent être assez visibles. Nous laissons le bataillon ennemi s’éloigner et nous franchissons à notre tour la grande route. Au même moment arrive en vitesse de Sommepy une colonne allemande d’autos de ravitaillement. Les autos passent sans que les conducteurs nous aperçoivent, mais nous sommes couverts de poussière.
Cette alerte passée, nous essayons de nous procurer de l’eau à la ferme, mais tout est brûlé ; le puits est rempli de détritus ; il faut partir les bidons vides, la soif se fait durement sentir. La compagnie reprend sa marche à travers les sapinières. Vers 19 heures, nous arrivons sans nouvelle rencontre aux bords de Tahure. Un convoi allemand important gardé par de la cavalerie est à l’entrée ouest du village. Au bout d’un quart d’heure, il se met en route et, après un moment d’attente pour lui permettre de s’éloigner et à la nuit de tomber complètement, la compagnie, baïonnette au canon, pénètre silencieusement dans la rue nord du village. Un habitant nous renseigne : les Allemands occupent la partie sud du village ; nous les entendons d’ailleurs parfaitement parler entre eux. Consigne est donnée de ne pas tirer mais de tuer à la baïonnette tout Allemand qui se présenterait. La compagnie fait provision d’eau, de vivres puis va s’établir dans un petit bois à 700 ou 800 mètres, au nord de Tahure. Les feux sont allumés et un repas sommaire vite préparé. Une section couvre le bivouac comme chaque soir.


8 septembre


A 2 heures du matin, la compagnie quitte le bois et, par les crêtes qui séparent la vallée de la Dormoise de celle de la Py, gagne le petit village de Grateuil où elle arrive au lever du soleil.
Le village n’a pas été occupé par les Allemands et nous y trouvons des vivres et même un sac de farine : un soldat de la compagnie qui est boulanger de son métier se met aussitôt à l’ouvrage pour faire du pain que nous n’avons pu nous procurer depuis 3 jours. En attendant la fournée, la compagnie quitte le village et va s’établir dans le parc boisé du château de Fontaine-en-Dormois.
Il est impossible de traverser de jour la région de Cernay-en-Dormois qui est découverte et, de plus, parcourue continuellement par des troupes ennemies, aussi le capitaine décide d’attendre la nuit pour continuer la route.
Vers 15 heures, un détachement du 138ème R.I rejoint la compagnie. Les hommes faisaient partie d’un détachement de renfort du 138ème qui, débarqué à la gare de Sommepy au moment de la retraite des troupes françaises, avait été engagé immédiatement. Ces quelques hommes, coupés de leurs camarades au cours des combats, s’étaient réfugiés dans les bois, au sud de la Py, mais pourchassés par les Allemands et ne connaissant pas le pays, avaient erré à l’aventure, sans vivres, ni eau, mourant de soif jusqu’au moment où un habitant leur avait signalé la présence de la compagnie. Un autre isolé, le soldat Champagnon, du 31ème colonial est également amené par un habitant. Fait prisonnier, il avait réussi à s’échapper aux environs de Tahure, était resté 3 jours couché dans un fossé, puis avait été recueilli et habillé en civil par les habitants.
A la tombée de la nuit, la compagnie reprend sa marche. Le capitaine veut à tout prix gagner l’Argonne, la nuit même. Un soldat de la compagnie connaît heureusement le pays qu’il a habité plusieurs années. En suivant les prairies marécageuses de la Dormoise, la compagnie gagne la voie ferrée de Sainte Menehould à Challerange, passe la Dormoise sur le pont de chemin de fer et atteint l’Aisne à la ferme d’Ivoy où existe heureusement une passerelle qui permet de franchir la rivière. Un homme de la ferme d’Ivoy nous sert ensuite de guide jusqu’au hameau de la Mare-aux-Bœufs et, de là, à la forêt d’Argonne au sud du village de Binarville.
Il est 8 heures du matin. Tout le monde est fourbu, car la marche dans les prés marécageux coupés de fossés et de broussailles a été éreintante. Notre guide va aussitôt porter au maire de Binarville une demande de vivres à livrer le plus tôt possible
.

[à suivre...]
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vincent le calvez
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Re: Capitaine KLIPFFEL - 332e R.I. - Témoignage

Message par vincent le calvez »

Bonjour à tous,

Génial ce texte !

Un grand merci.

Bien à vous

Vincent
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En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
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mireille salvini
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Re: Capitaine KLIPFFEL - 332e R.I. - Témoignage

Message par mireille salvini »

bonsoir à tous,bonsoir Stephan,


merci pour ce témoignage passionnant à plus d'un titre :love:

le terme d'odyssée est vraiment approprié,et cette errance ponctuée de rencontres amies et ennemies pourrait tout à fait faire l'objet d'un film bien intéressant..
tout y est:la limitation dans le temps,la limitation dans le lieu (aller d'un endroit à l'autre),la limitation du groupe de personnes avec un chef,le suspense,la tension nerveuse.....
et en plus,cela changerait tellement des représentations habituelles de la Grande Guerre!

bon,là,je rêve un peu :pt1cable:

pour en revenir au texte,le style en est un peu particulier:qui est le narrateur?...le capitaine lui-même qui se désigne à la 3ème personne,ou un autre témoin ?

amicalement,
Mireille
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Stephan @gosto
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Re: Capitaine KLIPFFEL - 332e R.I. - Témoignage

Message par Stephan @gosto »

Bonjour tout l'monde !

Mireille : oui, pourquoi pas une adaptation pour le cinéma ! Ca s'y prêterait effectivement assez bien.
... Ou en BD... ;)

Concernant la narration de ce texte au cours de laquelle l'auteur passe allègrement de la 3e à la 1ère personne, cela se rencontre parfois. Les rapports étaient - sans doute par convention - très souvent rédigés à la 3e personne. Alors, on peut imaginer que l'auteur, pris dans le feu de sa narration, ait parfois oublié la convention et glissa vers l'haïssable "moi, je" ! ;)

Au-delà, je n'en sais pas davantage sur l'origine de ce texte. Quant à sa destination, quelques précision se trouvent en fin du rapport.

Bien, voici donc la suite et la fin ( :cry: ) de ce témoignage.

:jap: Merci encore Jean-Luc !

Amicalement,

Stéphan


___________________________________



9 septembre


Au petit jour, le Maire de Binarville nous apporte les vivres demandés et un homme du pays (Huet de Binarville) s’offre à nous conduire dans un bois à un emplacement où nous serons en sécurité. La compagnie gagne aussitôt cet emplacement appelé Fontaine-aux-Bâtons et situé au milieu du bois de la Gruerie ; il est parfaitement choisi, loin de tout chemin frayé.
Un caporal de chasseurs à pied (Guerton du 26ème bataillon) rejoint la compagnie. Il s’est égaré au cours d’une marche de nuit, lors de la retraite des troupes françaises et a vécu depuis caché dans les villages voisins. Le capitaine ayant toujours l’intention de gagner Verdun au plus tôt, envoie en reconnaissance vers la vallée de l’Aire l’habitant de Binarville qui nous a amené à la Fontaine-aux-Bâtons : il doit aller voir si la vallée de l’Aire est libre vers Varennes et Montblainville. Rendez-vous lui est donné à 18 heures à la cabane du « Crochet », sur la tranchée de la Haute Chevauchée. C’est une journée de repos. Vers 16 heures, la compagnie quitte son bivouac pour gagner le point du rendez-vous. Mais le guide n’y est pas et, pour comble de guigne, la pluie se met de la partie, pluie torrentielle qui change en marécage le terrain argileux de l’Argonne.
Après une heure d’attente à la cabane du Crochet, le capitaine, n’ayant aucune indication sur le chemin à suivre pour gagner la forêt de la Hesse, prend le parti de regagner le bivouac et de remettre au lendemain la traversée de la vallée de l’Aire. La tête basse, nous reprenons, trempés jusqu’aux os, le chemin parcouru avec entrain 3 heures plus tôt, et vers 20 heures nous arrivons à notre bivouac. Toute la nuit, la pluie tombe sans arrêt, et comme nous n’avons pas eu le temps de construire des abris, il est impossible de prendre le moindre repos.


10 septembre


Au petit jour, le capitaine envoie à Binarville une forte patrouille pour y chercher des vivres et tâcher d’avoir de nouveaux guides. La patrouille revient avec des pommes de terre arrachées dans les champs et 6 vaches trouvées dans un parc à bestiaux, en bordure de la forêt. Un groupe est allé à Binarville mais n’a pas eu le temps d’y prendre des vivres car les Allemands arrivaient en force pour s’installer dans le village. Le boulanger de la compagnie qui s’était habillé en civil et s’apprêtait à faire du pain, a dû s’enfuir par les jardins. Il a eu cependant la présence d’esprit d’enlever une bande de lard et un paquet de journaux allemands qu’un officier allemand venait de déposer sur une table, dans la maison où il se trouvait. Ce sont des « Hamburger Nachrichten » des premiers jours de septembre. Ils annoncent des victoires « colossales » : Reims et Verdun pris ; cinq corps d’armée française réduits en poussière près de Châlons ; etc.
Le guide que nous avions en vain attendu la veille nous rejoint enfin. Il avait été fait prisonnier par les Allemands à Montblainville ; après un long observatoire, il avait été relâché et avait été obligé de rentrer à Binarville par Apremont. Montblainville est occupé au moins par un bataillon, qui surveille tout le débouché de la forêt. Les autres villages de la vallée de l’Aire sont aussi occupés et les routes surveillées par un service d’autos armées.
Le capitaine décide alors de tenter le passage plus au sud, vers Boureuilles et Neuvilly, mais la journée étant trop avancée pour aller reconnaître le paysage, l’opération est renvoyée au lendemain.
Entre temps, des patrouilles battent la forêt autour du bivouac sans rien trouver d’anormal, pas de traces d’Allemands. Par contre, elles découvrent un chantier de charbonniers contenant de nombreux sacs de charbon. Des brasiers allumés nous permettent de nous sécher sans attirer l’attention des Allemands par la fumée. Nous construisons également des gourbis de feuillage à peu près étanches pour nous protéger contre la pluie qui tombe sans discontinuer. Nous inaugurons le régime de la vache et des pommes de terre, cuites à l’eau et sans sel. Le café, le tabac et le sucre manquent aussi. Chacun s’ingénie à améliorer sa nourriture : tisanes de feuilles de ronces, bouillies de mûres. Des feuilles de frêne hachées remplacent le tabac. Piètre résultat.
L’abattage de nos bestiaux donne également lieu à des scènes peu banales : l’homme qui fait fonction de boucher possède comme outillage, une pelle-pioche pour assommer la bête et un couteau de poche pour la saigner et la dépecer ; il y arrive pourtant mais un spécialiste trouverait sûrement mal parés les biftecks et les entrecôtes. Une reconnaissance, poussée sur Boureuilles et Neuvilly, trouve ces localités également occupées par l’ennemi.


11 septembre


Nous continuons à fouiller la forêt aux alentours. Les Allemands semblent ne pas se préoccuper des bois, mais seulement des routes principales qui sont surveillées par des autos. Un poste d’environ une compagnie d’infanterie garde le carrefour de Varennes au Four de Paris, avec la Haute Chevauchée.
De bon matin, une reconnaissance est envoyée pour étudier le moyen de traverser la vallée de l’Aire vers Boureuilles. Elle est composée du lieutenant Rozée et de trois habitants de Binarville qui, malgré la présence des Allemands chez eux, se sont offerts pour nous aider.
En arrivant à la lisière du bois, vers Boureuilles, la reconnaissance est attaquée et poursuivie sous bois. Les 3 civils peuvent s’échapper et, à la nuit, rentrent au bivouac. Le lieutenant Rozée s’égare dans le bois et est fait prisonnier, auprès du village d’Autry. Dans l’après-midi, nous entendons, dans la direction du sud, une violente canonnade qui se prolonge jusqu’à la nuit. Le capitaine n’ayant pas de nouvelles du lieutenant Rozée, décide de rester un jour de plus au bivouac de la Fontaine-aux-Bâtons.


12 septembre


La canonnade continue et semble se rapprocher. Des patrouilles envoyées à grande distance signalent de nombreux mouvements de troupes allemandes, du sud vers le nord. Nous continuons à nous approvisionner de pommes de terre dans les champs en bordure de la forêt, car il ne faut pas compter pénétrer dans les villages qui sont tous fortement occupés. Le temps continue à être détestable, la diarrhée fait son apparition parmi les hommes et nous n’avons aucun médicament pour l’enrayer.


13 septembre


Les patrouilles rendent compte que le mouvement des troupes allemandes vers le nord semble encore s’accentuer ; une patrouille commandée par un adjudant (Brayer) voit une division entière remonter la route du Four de Paris à Varennes. L’ennemi bat donc en retraite vers le nord. Le capitaine prend le parti de ne plus essayer de gagner Verdun et d’attendre sur place l’arrivée des troupes françaises.


14 septembre


Toujours la pluie mais on ne s’en inquiète plus : la journée se passe à écouter le canon, qui se rapproche de plus en plus. Pas d’Allemands dans le bois en dehors des grandes routes.


15 septembre


Nous tuons notre dernière vache et à 9 heures, la compagnie quitte le bivouac où elle a passé 6 jours. Nous marchons vers le sud dans la direction de la canonnade, car le canon se fait entendre de plus en plus proche.
A 10 heures du matin, aux environs du pavillon de chasse de Bagatelle, nous rencontrons des cavaliers français du 19ème Chasseurs à Cheval (2ème Corps) qui sont soutenus par une section du 51ème d’Infanterie. Nous avons rejoint nos lignes. Le cauchemar est fini ! Les premiers officiers rencontrés ne veulent pas croire que nous arrivons de Laon, à travers les armées allemandes. Le capitaine adresse aussitôt par une estafette au général commandant la division un rapport sommaire indiquant les renseignements recueillis les jours précédents sur les mouvements des Allemands.
Vers 17 heures, n’ayant reçu aucune réponse (le général de division a été blessé au cours du combat engagé vers Servon), le capitaine gagne la Harazée , puis Vienne-le-Château pour y chercher des vivres et un gîte pour la nuit, mais ces localités, déjà pillées par les Allemands, sont occupées par les troupes du 2ème Corps, et, pendant que le combat continue à faire rage vers Servon-Melzicourt, la compagnie se dirige sur Vienne-la-Ville où, vers 22 heures, elle trouve une grange et de la paille. Grâce à l’amabilité de camarades du 91ème d’infanterie (capitaines Ferry et Baudin), nous pouvons toucher au train régimentaire de la viande, du café et des biscuits.


16 septembre


Le détachement n’a toujours pas d’ordres et Vienne-la-Ville étant encombrée de troupes, le capitaine prend le parti de se porter plus en arrière ; par Moiremont nous gagnons le petit village de Chaudefontaine qu’occupent seulement quelques trains régimentaires. Nous y trouvons des vivres et la compagnie s’installe en cantonnement ; les hommes ont grand besoin de repos ; leurs vêtements sont en loques ; la plupart n’ont plus de sac ; seules les armes et les munitions sont en bon état. Nous trouvons heureusement au moulin de Chaudefontaine, dont le propriétaire est un ami personnel du capitaine, un accueil cordial qui nous fait rapidement oublier les mauvais moments passés et les privations des bivouacs.


17-18 septembre


Séjour à Chaudefontaine.


19 septembre


Départ pour Sainte Menehould où la compagnie est embarquée à destination de Troyes avec un détachement du 148ème R.I., restes d’une fraction de ce régiment qui, coupée de son corps dans la forêt de Covey [ probablement Cornay], a suivi un itinéraire voisin du nôtre, mais qui moins heureuse que nous, a été cernée dans une ferme près de Servon et presque entièrement détruite (35 hommes seulement ont pu s’échapper).


20 au 28 septembre


Séjour à Troyes, au dépôt des isolés, nous en profitons pour soigner nos malades et reconstituer, tant bien que mal, l’habillement et l’équipement.


28 septembre


La compagnie quitte Troyes pour Noisy-le-Sec où le détachement est disloqué : chacun des isolés est dirigé sur son corps respectif.



1er octobre


La 20ème compagnie du 332ème régiment rejoint, à Châlons-le-Vergeur, la 69ème division de réserve et, de là, le régiment.



Le capitaine commandant la 20ème compagnie du 332.


Signé : KLIPPFEL


Adressé le 17 août 1947, en hommage respectueux à Mr de Hennezel d’Ormois.



[fin !]



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Ar Brav
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Re: Capitaine KLIPFFEL - 332e R.I. - Témoignage

Message par Ar Brav »

Bonjour Stéphan,
Bonjour à tous,

Merci pour ce témoignage passionnant, quelle odyssée !
J'en aurai bien repris une p'tite goutte ;) (les soldats, eux, je ne crois pas)

Amicalement,
Franck
www.navires-14-18.com
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
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lucien michele
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Re: Capitaine KLIPFFEL - 332e R.I. - Témoignage

Message par lucien michele »

Bonjour Stephan,
Bonjour Jean Luc,

Avec un peu de retard, merci pour cette retranscription. Merci à vous deux

Salutations
Michèle
"Mais VIEILLE CHAMPAGNE ne disparaît pas tout à fait ! Non."
http://liverdun.com/pagesperso/lucienlo ... /index.htm
bernard berthion
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Re: Capitaine KLIPFFEL - 332e R.I. - Témoignage

Message par bernard berthion »

Bonsoir Stephan,
un cousin ayant fait toute la campagne au sein du 332è RI, je cherchais l'Historique quand je suis tombé sur une référence citant le récit du Capitaine Klippfel.
Ce fut un plaisir de lire ces journées passées derrière le front . Merci d'avoir pris le temps de les mettre à notre disposition.
Amitiés BB
- Août 1914 dans le département des Ardennes : du début août avec l'arrivée et le passage des troupes se concentrant en se dirigeant vers la Belgique, au repli de fin août vers la Marne en résistant sur la Semoy, La Chiers, la Meuse, l'Aisne, la Retourne.
garance.
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Re: Capitaine KLIPFFEL - 332e R.I. - Témoignage

Message par garance. »

Bonjour
ce qui est poignant à la lecture de ces textes, c'est le nom des villages traversés, tous de futurs hauts-lieux de 14 18 !
cdt garance
"Il pleuvait en cette nuit de Noël 1914, où les Rois Mages portaient des Minenwerfer."
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