Jean Allard-Méeus

Parcours individuels & récits de combattants
Mondiion
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Re: Jean Allard-Méeus

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Saint-Cyr 1912-14, sous-lieutenant au 162ème Régiment d'infanterie
Né le 23 novembre 1891 - Saint-Mandé (94, Val-de-Marne)
Tué le 22 août 1914 - Pierrepont (54, Meurthe-et-Moselle) -

Ecoutons ce que dit de lui son petit neveu Yves-Marie Adeline* dans '"Histoire des Adeline", recueil non publié destiné à ses descendants:

Jean Allard-Meeûs était un très bel homme, élégant, racé. Il se destinait à la carrière des armes, et en même temps taquinait la Muse. La taquinait seulement, il faut bien le dire, mais sa disparition prématurée à 22 ans ne lui a pas permis d’aller plus loin. Après sa mort, en 1920 parut rue Saint-Honoré à la Librairie Henri Leclerc un recueil de ses poèmes intitulé Rêves d’amour ! Rêves de gloire ! préfacé par Henri Lavedan, de l’Académie française, un auteur qui connut de son vivant la célébrité.
Rêves d’amour ! s’adressèrent d’abord à une mystérieuse Simone que mon grand’oncle appela You pour en sauvegarder l’anonymat. Ses sentiments à son égard ne durèrent pas mais You demeura, finissant par incarner une sorte d’archétype à la disposition d’un jeune homme sans expérience, qui croyait aimer quand il ne ressentait que des premiers émois sentimentaux, délicieux autant que superficiels.

Rêves de gloire ! dénotent une imagination aucunement préparée aux horreurs de la Grande Guerre qui attendait, pour la faucher comme les blés au mois d’août 14, cette jeunesse revancharde idéaliste, dont les références étaient encore celles du XIXème siècle. Il suffit pour s’en convaincre de lire ses pages pleines d’un désir de panache… chose précisément qui deviendra impossible dans cette guerre immobile d’usure, où l’acier tombant en pluie meurtrière, les rats, la boue, le froid, les cheveux hirsutes, la terre qui se soulève sous les coups de boutoir de canons cyclopéens, les vagues de terre qui recouvrent soudain toute une tranchée, la vermine sur la peau, les vêtements en loques jouèrent le rôle principal. Quel contraste avec la guerre en dentelles dont rêvait mon grand’oncle !


« Je rêvais dans ce bois, mais je sors de ma cache,
Et de mon rêve bleu. Pourquoi ? pour le panache !
Le joli mot, Madame, et le mot bien français !
Ce fut toujours un mot de chez nous, et je sais
Que nos aïeux, jadis, au combat pleins de fièvre
Pour ne pas l’oublier, le cueillaient sur vos lèvres…
(…)

Notre panache aussi de partir vers le Rhin
Mais, sans canons de bronze et sans monstres d’airain !
Le sabre au poing, avec du chic et de l’audace,
Reprendre en galopant la Lorraine et l’Alsace !
Parer chaque riposte avec un bel écart
Mettre notre élégance à les vaincre…avec art !
Puis voir enfin danser, nous en montrant fort aises
Les femmes de Berlin sur des valses françaises !
(…) »


En 1910, pour le mariage de sa sœur, ma grand’mère Marcelle Allard-Meeûs, il écrivit une pièce en un acte en vers intitulée Polichinelle. C’est en la lisant que j’ai su qu’il appelait sa sœur Chiffon, comme j’avais appelé ainsi ma fiancée avant de découvrir cette antériorité qui me fit grand plaisir. Polichinelle fait des adieux touchants à Chiffon, la confidente de son enfance. Il faut dire que Jean n’avait qu’un an de moins que son aînée qui se mariait à 20 ans. Le benjamin Serge avait six ans de moins que Jean, ce qui l’éloignait un peu de cette paire attendrissante d’une sœur et d’un frère que la mort a trop tôt séparés. Ma grand’mère voua et transmit à ses descendants un culte pour son frère, qui avec beaucoup d’autres de cette grande génération sacrifiée, n’a pas eu le temps de donner ce qu’on attendait de lui. Mais peut-être, justement, ses vertus particulières étaient-elles réservées à l’épreuve inédite qui l’attendait ?
A vrai dire, la mort si proche épargna à Jean Allard-Meeûs de connaître le visage hideux de la Grande Guerre : il mourut dans les premières semaines comme il l’aurait souhaité : avec panache.

Entré à Saint-Cyr en 1912, il se fit remarquer par ses camarades dont il fut déjà une sorte de porte-parole. C’est lui que L’Echo de Paris sollicita pour donner ses impressions après une visite sur la frontière de l’Est, devant ces provinces de Lorraine et d’Alsace pour chaque hectare desquelles un Français allait tomber dans les années suivantes :

« Les élèves de Saint-Cyr sur la frontière de l’Est

2 août 1913

Nous étions cent cinquante à peu près sur ce mamelon au sud-ouest de Vionville, tous les Polytechniciens et les cyrards du 6ème corps. Cent cinquante dont les plus vieux avaient vingt ans encore ; tous avec le même désir, le même but et le même rêve ! à quelques pas de nous le sol cessait brusquement d’être français et, groupés autour des officiers qui nous racontaient la triste, hélas ! et déjà vieille histoire, nous laissions très émus nos regards s’aller perdre là-bas en terre annexée.
Ah ! comme elle était jolie cette région française et comme elle était surtout étroitement dépendante de notre patrie… Nous aurions voulu voir un ravin, un ruisseau, que sais-je, un obstacle quelconque, une frontière enfin… Tous nous avons fait quelques mètres et nous avons cueilli dans le même champ les mêmes bluets, les mêmes marguerites et les mêmes coquelicots et ces fleurs de chez eux gardaient encore les couleurs de chez nous ! Peut-être est-ce parce qu’elles poussent sur les tombes de nos héros, mais peut-être est-ce aussi parce qu’elles n’ont pas voulu, elles non plus, se soumettre, ni s’adapter.

Mars-la-Tour ! Billy ! Saint-Ail !

Nous avons ainsi toute la journée fait cet impressionnant pèlerinage et revêtu ces pénibles souvenirs. Combien nous avons compris qu’ils sont inoubliables. Nos premiers rêves d’enfant furent des rêves de gloire ; nos rêves d’aujourd’hui sont moins doux, mais ils sont plus beaux ; le chagrin qui les endeuille n’est pas fait de honte et de remords, il est fait de regrets ; nos désirs sont faits d’espoirs. Quarante ans ne sont longs que pour ceux qui oublient ; peut-être ne sont-ils pas encore suffisants pour ceux dont la blessure a des souffrances encore et qui veulent être forts pour la guérir ou la venger.

Nous sommes forts, nous, les jeunes ; notre force est dans notre audace de vingt ans, elle est aussi dans les leçons d’honneur et les conseils que nos Anciens nous ont donnés.

Ces lignes que je griffonne, nous les avons tous pensées ; et si devant la frontière, face à eux, une larme montait à nos yeux et un sanglot à nos cœurs, ils ne nous ont pas vu pleurer ; c’est déjà notre première victoire. La seconde, la grande, ils l’ont devinée dans l’éclair de volonté, d’orgueil et de courage qui brilla dans nos regards, de tous nos sentiments le seul reflet qu’ils aient surpris !
Au nom de Saint-Cyr
Un Saint Cyrien »


A la veille de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, il était de la promotion Montmirail (1912-1914). La promotion suivante, arrivée en 1913, baptisée Croix du Drapeau, lui demanda, en sa qualité d’ancien, d’organiser la cérémonie traditionnelle du Triomphe et d’en écrire le texte. Le vendredi 31 juillet 1914, l’oncle Jean entrait alors dans la petite histoire de la Grande Guerre, et qui sait ce qu’il fût advenu si le destin ne l’avait pas trahi ? Devant les promotions rassemblées parlait un homme visiblement décidé à ne plus rêver à la gloire, mais à la conquérir. Dans un numéro spécial de la revue Historia du 10 mars 1968, consacré à la Grande guerre, cet épisode est relaté, où « Jean Allard-Meeûs récite devant mille jeunes gens tremblant de fièvre et d’orgueil » :


« Quarante ans sont passés, leur drapeau flotte encore
Sur nos forts et nos tours, et chaque jour l’aurore
Se levant sur le Rhin,
Comme pour l’embraser, sur la terre endormie
Jette un reflet de feu, sur la rive ennemie
Jette un reflet d’airain !

Quarante ans sont passés, amis, la coupe est pleine !
Entendez-vous ces cris qui montent dans la plaine :
Courage ! malgré tout !…
C’est la voix des vaincus, dans l’ombre et le mystère
Héros obscurs couchés pour toujours sous la terre,
Et nous criant : debout !…


Entendez-vous ces voix plus faibles, mais plus douces
Voix de mil huit cent six, dont les échos nous poussent
A nous venger… là-bas !

Ce sont les chants guerriers des vainqueurs de l’histoire,
Vétérans de l’Empire, amis de la victoire,
Nous contant leurs combats

Les premiers à nos cœurs reprochent l’indolence
Et l’oubli de l’affront, cette antique vaillance
Qui nous allait si bien ;
Les autres, les vainqueurs, nous chantent l’espérance,
Et nous disent comment, jadis, l’aigle de France
A tué l’oiseau prussien !
………………………………..

Soldats de notre illustre race
Dormez, vos souvenirs sont beaux !
Le temps n’efface pas la trace
Des noms fameux sur les tombeaux ;
Dormez, par-delà la frontière
Vous dormirez bientôt chez nous ;

Notre vaillance reste entière
Et sur vos tombes, à genoux,
Nous viendrons déposer nos armes,
Vengés de nos anciens malheurs,
Les arrosant avec nos larmes,
Nous y ferons fleurir nos fleurs !
…………………………………


Vous nous avez volé l’Alsace et la Lorraine,
Vous n’arracherez pas ce sentiment humain
Germé de notre cœur, et qu’on nomme la haine,
Gardez votre pays… nous y serons demain ! »



Historia montre aussi une photographie de l’oncle Jean légendée ainsi : « Le saint-cyrien Jean Allard-Meeûs : « Sachons mourir avec panache » »


La revue poursuit : « C’est alors que Gaston Voizard s’écrie : - Jurons que, pour aller au feu, nous serons tous en grande tenue, casoar et gants blancs !
Tous jurent… Le 22 août, Allard-Meeûs sera tué. Le 8 avril 1915, Gaston Voizard. Maurice Barrès, qui donne ces détails en 1916, ajoute un peu tard : « Que le panache a coûté cher à la France ! » ».


Cet épisode du serment des saint-cyriens en 1914 a été contesté un temps. Il y a encore quelques années, le quotidien Le Figaro, reproduisant un très beau portrait de l’oncle Jean, publia sous le titre : 1914 : les casoars étaient-ils là ? une polémique soulevée par un ancien de la promotion Montmirail, le général Humbert, qui affirma : « Je ne connais aucun de mes quatre cent cinquante-six camarades de promotion qui soit parti au combat en casoar et gants blancs » (le casoar est le plumet surmontant le shako des cyrards). L’intervention de ce général pesait lourd, car il avait été major d’entrée et de sortie de cette promotion ! Alors qui avait raison ? La multiplicité des témoignages qui succédèrent permirent d’y voir un peu plus clair. Le Figaro publia, après avoir rappelé la dernière strophe du poème précité de l’Oncle Jean, ce récit des événements :
« Les rangs sont rompus. C’est alors que quelques saint-cyriens des deux promotions se regroupent et s’isolent autour de l’officier-poète. Il y a là entre autres Alain de Fayolle, Durosoy, Hachette, Robert de Saint-Just, Perrault, Le Balle, Castelnau, Poussin, Brésis, Rigaud, Amphernet … »
Ce qui est donc de trop, précise le journal, c’est le mot tous qu’employa Henri Lavedan dans L’Illustration du 26 décembre 1914 : « Alors, les Montmirail dans une épique et surhumaine folie firent tous le serment d’aller au feu en gants blancs, le caso en tête ». On voit que cet épisode ne concerne en fait qu’un groupe rassemblé autour de l’oncle Jean. On ne saurait donc parler d’un « serment des Montmirail ».
Toutefois, Le Figaro maintient que ce serment a été tenu par ceux qui l’ont fait. « Les chiffres parlent : cent vingt sous-lieutenant de la Montmirail ont été tués durant la seule année 1914, soit plus du quart de la promotion, en moins de cinq mois. Quatre-vingts l’ont été entre le 9 août et le 15 septembre. Vingt-trois ont trouvé la mort dans la seule journée du 22 août ». Et de citer le cas d’Alain de Fayolle dont une plaquette éditée à Saumur rappelle le geste : sa troupe se fait décimer lors d’un assaut et hésite, les yeux tournés vers son jeune chef. Celui-ci comprend qu’un geste édifiant, spectaculaire, héroïque est nécessaire pour regonfler les énergies : il s’accroupit, tire de sa musette son casoar (qu’il emportait donc avec lui depuis le début des hostilités !), met ses gants blancs et se redresse : « En avant pour la France ! » Repéré comme le chef, devenu une cible facile avec son plumet rouge et blanc, il est immédiatement fauché par un tir de mitrailleuse…
S’agissant de l’oncle Jean, le même geste a été remarqué par le colonel Tronchaud, son chef de corps, qui l’a mentionné dans sa lettre adressée à mes bisaïeux, annonçant la mort de leur grand fils. Il n’y a donc pas matière à polémique, mais à rétablir dans de plus justes proportions un serment qui n’engagea qu’une partie des jeunes cyrards de 1914.

La guerre commence, Jean Allard-Meeûs rejoint le 162ème Régiment de Ligne et deux semaines plus tard, le 15 août 1914, en la Fête de l’Assomption, il écrit à sa mère :

« Petite Maman,

Je viens d’assister à la messe dans mon petit village et c’était un spectacle très impressionnant. Beaucoup d’officiers, tous les soldats. Un vieux curé, comme il en est encore quelques-uns oubliés dans nos campagnes, disait l’office et priait pour la France !
Nous sommes sur le qui-vive depuis ce matin et attendons d’un moment à l’autre l’ordre de partir.
Toutes les armées françaises doivent bientôt commencer leurs marches triomphales ! Nous attendons avec impatience le signal.
Ah ! dites bien, Maman, autour de vous aux pauvres femmes qui pleurent dans les chaumières et dans les fermes vides que leurs fils et leurs maris sont d’admirables soldats ; qu’ils ont fait avec nous le grand sacrifice sans murmurer et qu’ils vont se battre comme des braves –il n’est pas de plus belle consolation.
J’ai vu tout à l’heure dans la pauvre église que les Français savaient encore prier ! c’est donc que le ciel est de notre parti.
Pour que vous soyez forte vous-même, Maman chérie et Chiffon, allez réconforter autour de vous les pauvres femmes qui tremblent.
Pour moi, que vous dire ?
Je vis enfin ! la belle vie rêvée, celle qui permet les grands espoirs même un peu fous, car les mille riens qui la composent sont de grandes choses ! obscures souvent, mais d’autant plus belles.
Jeune officier pendant la Guerre, c’est vraiment la carrière où les caractères vrais sont des caractères maîtres, où l’on recueille de suite les fruits de son Honneur, de son Energie et de son dévouement.
Ces qualités, vous étiez, vous et papa, d’une race qui les avait pour me les donner, je prie Dieu chaque jour de les doser en moi-même en proportion de ce que l’on attend de moi.
Vous savez que je n’ai jamais fait que des Rêves d’amour et des Rêves de gloire : j’ai laissé les premiers dans des vers de jeunesse, je vis pleinement les seconds.
Soyez bien heureuse, petite Maman, dites-vous bien que vos inquiétudes, si je vous en savais, seraient les seuls points noirs de mon existence et de mon Horizon.
Envoyez ma lettre à Papa si vous savez où il est, il verra qu’à bien des kilomètres de distance nous avons tous encore, ce 15 août, prié et pensé ensemble.
Que Dieu fasse l’avenir.
Tendresses pour vous tous.

Votre Jean

Si j’ai une minute aux avant-postes, je vous raconterai les mille détails de la vie amusante que je mène ».

Une semaine encore, et le 22 août, à Pierrepont, près de la frontière luxembourgeoise, selon son colonel qui sera lui-même blessé, l’oncle Jean entraînait derrière lui trois cent cinquante hommes à l’assaut des lignes allemandes défendues par les mitrailleuses. On sait ce qu’ ont coûté à notre armée ces attaques d’un autre âge, irrémédiablement brisées contre un mur de mitraille. Mais c’était la doctrine en 1914, le Règlement sur le service en campagne stipulait : « En vingt secondes l’infanterie peut parcourir cinquante mètres avant que l’ennemi puisse épauler, viser, tirer ». Le colonel de Grandmaison avait dit en conférence prononcée à l’Ecole de Guerre en 1913 : « Les facteurs moraux ne sont pas les plus importants, mais ce sont les seuls qui comptent à la guerre. Dans la pratique, il faudra tout sacrifier à l’étreinte immédiate destinée à donner à l’adversaire la mentalité d’un homme qui se défend, sans trop se préoccuper des erreurs de détail, des risques accessoires et des chances d’insuccès ; dans l’offensive l’imprudence est la meilleure des sûretés (…) Il faut se préparer à l’offensive en cultivant avec passion, avec exagération et jusque dans les détails infimes de l’instruction, tout ce qui porte, si peu que ce soit, la marque de l’esprit offensif. Allons jusqu’à l’excès, et ce n’est peut-être pas encore assez ». Telle était la certitude partagée, et au milieu de ce consensus, seul un obscur colonel Pétain avait prétendu le contraire dans une autre conférence à l’Ecole de Guerre, que son élève De Gaulle résumera dans ses Mémoires : « Toute la vertu guerrière ne prévaut point contre le feu ». C’est qu’en effet, l’absence d’une aviation combattante laissait toute latitude à l’artillerie de se développer démesurément, de sorte qu’après les premières hécatombes, il fallut s’enterrer, n’ayant aucune autre solution de rechange. Alors la Guerre demanda aux hommes qui la faisaient un héroïsme infiniment plus grand, mais plus sobre que le panache dont rêvait mon grand’oncle Jean Allard-Meeûs.

Une balle l’atteint au cœur, une autre à la tête ; il tombe. Le colonel Tronchaud écrira à mes aïeux : « Dans la liste déjà longue de ceux de mes officiers, comme lui tombés au champ d’honneur, il tient une place toute particulière ».
Il avait demandé que si la mort le prenait, ses hommes lui rendent les honneurs et l’enterrent à l’endroit même où il serait frappé. Sur ses trois cent cinquante hommes avant l’action, il n’en restait que six… Ils exaucèrent le désir de leur chef.

On a souvent fait à ces jeunes gens, dont la France et nos familles ont été tellement privées, le reproche d’avoir mélangé bravoure et bravade, d’avoir cultivé un panache qui, comme l’écrivit Barrès, « coûta cher à la France ». Il y a du vrai dans cela, mais c’est aussi faire bon marché d’une mentalité qu’il faut s’efforcer de comprendre. J’ai dit plus haut que la doctrine militaire était inadaptée ; et c’est d’avoir compris avant et mieux que les autres les conditions très particulières de cette guerre qui fera de Pétain le vainqueur de Verdun, puis l’homme qui restaurera la confiance dans l’armée au moment des mutineries de 1917, parce que les soldats savaient que lui seul les comprenait ; bref un mythe vivant qui ne se fracassera que dans les tribulations politiques de la Seconde Guerre Mondiale.
En outre, Jean Allard-Meeûs était un homme du XIXe siècle, il était représentatif de son temps. Guillaume II lui aussi espérait de bonne foi une « guerre fraîche et joyeuse », et toutes les capitales d’Europe ont fêté l’arrivée de la guerre, parce que personne ne se doutait de la suite. Et Churchill désabusé écrira : « Si la guerre ne doit plus être que cela, qu’elle aille au diable ! ».
En définitive, le Ciel a épargné à mon grand’oncle de basculer dans un siècle qu’il haïssait à l’avance. J’ai cité sa vision d’une guerre de type napoléonien, qui s’achèverait par une valse à Berlin. Parmi ses poèmes, on trouve aussi, par exemple, cette charge littéraire contre l’aviation :

« Héros ! aigles d’acier, dont l’audace est étrange
Vous n’avez pas compris que l’infini se venge !
(…)
C’est le fantôme humain qui dans la nuit s’embrase !
C’est le rêve orgueilleux d’un cerveau qui s’écrase ;
C’est un éclair de feu qui raye l’infini
C’est un choc, un soupir, un râle…et c’est fini !
Demain le laboureur dans ses champs, à l’aurore
Verra près de débris qui fumeront encore,
Des cendres, vers l’oubli comme un remords vivant
S’envoler et monter sous les souffles du vent !
Héros ! Aigles brisés ! dont l’infini se venge
Pour atteindre le ciel, il faut des ailes d’ange ! »

Le souvenir de Jean Allard-Méeus a dépassé le cadre de notre famille précisément parce qu’il incarnait au dernier degré le brillant, les illusions et la fin brutale de toute une époque. Et ce sentiment dominait déjà chez ses contemporains : Henri Lavedan écrira dans L’Illustration du 26 décembre 1914 : « Si entre toutes, dans cette inoubliable phalange de braves qui justifieraient chacun l’hommage d’une admiration spéciale, j’ai plus longuement évoqué la généreuse et claire figure d’Allard-Meeûs, c’est qu’il m’a paru que ce privilégié des suprêmes récompenses offrait le type achevé du jeune officier français, ardent, enflammé, tendre et pur, épris de grâce et de beauté, fou d’idéal et de poésie, ne se tourmentant que de nobles exploits et de chants harmonieux, et prêt cependant à quitter dès que sonna ce mot : la guerre, tous ces trésors inestimables qu’il tenait avec raison pour les plus précieux du monde… Et comme il avait été désigné par ses camarades pour que tour à tour il les charmât et les exaltât par ses poèmes, et que l’insigne honneur lui avait été dévolu de baptiser Montmirail et de composer le Triomphe… et qu’enfin, par le glorieux couronnement de sa carrière d’un jour, il avait fait de toute sa vie, si courte et si pleine, une ensemble irréprochable d’élévation, de bravoure et de foi… il méritait vraiment que son nom fût mis en vedette au tableau de la patrie ».

Jean-Allard-Meeûs reçut à titre posthume la Légion d’honneur et la Croix de Guerre.


* Yves-Marie Adeline est l'auteur d'un ouvrage publié en 2011 aux éditions Ellipse "1914, une tragédie Européenne"
Rutilius
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Inscription : mar. avr. 22, 2008 2:00 am

Re: Jean Allard-Méeus

Message par Rutilius »


Bonjour à tous,

Jean Paul Edmond Léon ALLARD-MÉEUS

Saint-Cyrien de la promotion Montmirail (1912~1914)


— ALLARD-MÉEUS Jean Paul Edmond Léon, né le 23 novembre 1891 à Saint-Mandé (Seine – aujourd’hui Val-de-Marne –), tué le 24 août 1914 à Pierrepont (Meurthe-et-Moselle), Sous-lieutenant, 162e Régiment d’infanterie, Matricule n° 456, classe 1911, n° 386 au recrutement de la Seine, 6e Bureau [Acte transcrit à Glénouze (Vienne), le 15 mai 1915].


● « Guerre 1914-1918. Tableau d’honneur. Morts pour la France. », Paris, 1921, Publications de La Fare, p. 31.


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Fils de :

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— ALLARD-MÉEUS Pierre Joseph Léon, né le 7 août 1865 à Saint-Mandé (Seine – aujourd’hui Val-de-Marne –), décédé le 13 mai 1915 à Amiens (Somme) des suites de blessures de guerre, Lieutenant, 3e Régiment de dragons, Matricule, classe, n° et lieu de recrutement inconnus (Acte établi à Amiens, le 14 mai 1915).

— <  > —


Le Matin, n° 10.23, Samedi 2 mars 1914, p. 2, en rubrique « Échos et Nouvelles ».


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Le Gaulois, n° 13.305, Jeudi 19 mars 1914, p. 3, en rubrique « Petites nouvelles de la nuit ».


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Le Gaulois, n° 13.499, Mardi 29 septembre 1914, p. 2, en rubrique « Tués à l’ennemi ».


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Le Gaulois, n° 13.520, Mardi 20 octobre 1914, p. 2, en rubrique « Renseignements mondains – Nécrologie ».


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Le Gaulois, n° 13.654, Mercredi 3 mars 1915, p. 1, en rubrique « Le Livre d’Or de l’Armée – Citations à l’ordre de l’Armée ».


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Le Gaulois, n° 13.761, Vendredi 18 juin 1915, p. 3, sous le titre « A la gloire de Saint-Cyr ».


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Bien amicalement à vous,
Daniel.
Mondiion
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Re: Jean Allard-Méeus

Message par Mondiion »

Merci à vous pour toutes ces coupures de journal sur Jean Allard-Méeus, que je vais communiquer à ses petits neveux.

Amicalement
Bertrand
=
Rutilius
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Re: Jean Allard-Méeus

Message par Rutilius »


Bonsoir à tous,


● « Anthologie des écrivains morts à la guerre (1914 ~ 1918) », Bibliothèque du Hérisson, Edgar Malfère, Amiens, 1925, Tome III, p. 3 à 5.


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Bien amicalement à vous,
Daniel.
Mondiion
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Re: Jean Allard-Méeus

Message par Mondiion »

Cher Monsieur,
Merci beaucoup pour cet article sur Jean Allard-Mééus extrait de
« Anthologie des écrivains morts à la guerre (1914 ~ 1918) »!

Savez-vous si dans le même livre il existe un article sur Yves de Veillecheze de la Mardière ?

Merci d'avance de votre recherche !
Cordialement
Bertrand
Rutilius
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Re: Jean Allard-Méeus

Message par Rutilius »


Bonjour Bertrand,

Aucune notice biographique propre à Yves de Veillecheze de la Mardière ne figure dans les quatre premiers tomes de l’« Anthologie des écrivains morts à la guerre (1914 ~ 1918) ». Peut-être fut-elle insérée dans le cinquième et dernier, mais, malheureusement, ce volume manque dans ma bibliothèque...

Bien amicalement à vous,
Daniel.
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Stephan @gosto
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Re: Jean Allard-Méeus

Message par Stephan @gosto »

Bonjour,

Sa notice se trouve effectivement dans le 5e volume de l'Anthologie.

Bonne journée.

Stéphan

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Mondiion
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Re: Jean Allard-Méeus

Message par Mondiion »

Bonjour à tous,
Merci Daniel de vos recherches infructueuses sur les 4 premiers tomes.
Merci Stéphane d'avoir consulté le 5ème tome et de nous faire part de ce que vous avez trouvé.
J'avais déjà entré une notice sur Yves de Veillecheze de la Mardière à partir de textes d'Yves-Marie Adeline que vos extraits complètent.
Cordialement
Bertrand
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IM Louis Jean
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Re: Jean Allard-Méeus

Message par IM Louis Jean »

Bonjour à toutes et à tous,
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Daniel.
Il s'agit de "Poupées de Cyr" (cela a-t-il inspiré un chanteur plus tardif ?) et non de Saint-Cyr

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Dans le livret se trouvait un demi-programme de la fête de bienfaisance du 18 mars 1914, malheureusement la pièce doit figurer sur la moitié manquante ...

Cordialement
IM Louis Jean
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Nous épuiserions notre vie à faire le procès des choses. >> Clemenceau
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Stephan @gosto
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Re: Jean Allard-Méeus

Message par Stephan @gosto »

Bonjour,

Une photo prise lors de cette revue du 18 mars 1914.

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Bonne journée.

Stéphan
ICI > LE 74e R.I.
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